CULTURE - Le festival les Nuits de Fourvière voulait des têtes d’affiche pour remplir les arènes de son petit théâtre antique en surplomb de Lyon. Alors le metteur en scène Emmanuel Meirieu est allé en chercher, pour donner voix aux quatre personnages de son adaptation théâtrale du roman de Russel Banks, De beaux lendemains. Mais toutes n’ont pas joué le jeu. Nicole Garcia et Richard Berry n’ont pas pris la peine d’apprendre leur texte, et ont refusé d’être dirigés, déséquilibrant totalement le spectacle par leurs caprices de stars. Des spectateurs, choqués par tant de désinvolture, criaient au scandale. Pendant quatre soirs, le superbe plateau de Fourvière a livré un exemple éclatant et grotesque des limites du star-système…
« C’est Nicole Garcia ! » A l’entrée de la comédienne sur le plateau de l’Odéon de Fourvière, des chuchotements s’élèvent dans les rangs du public. L’effet « tête d’affiche » marche à plein régime. La preuve : les mille places du théâtre antique sont pleines, comme lors des trois autres représentations.
Impossible de ne pas reconnaître la célèbre comédienne. Elle est d’ailleurs habillée en Nicole Garcia, puisqu’elle a refusé de porter le costume qu’avait prévu le metteur en scène. Tout le long de son monologue, elle restera Nicole Garcia, avec sa voix rocailleuse, récitative. Elle n’incarnera jamais Dolorès Driscoll, la conductrice de bus scolaire qui, voulant éviter un chien, précipita son véhicule dans une gravière gelée et tua 14 enfants d’un village de l’Etat de New-York. Son texte à la main, elle s’y plonge régulièrement, empêchant la magie théâtrale d’opérer. Pourtant, Nicole Garcia a parfois des trémolos dans la voix et lève des yeux presque embués de larmes. Mais pas trop, parce que sinon, après, ça brouille la lecture. Sans peur du ridicule, elle arrête les trémolos, replonge dans son papier, puis les reprend.
Richard Berry, lui, ne fait même pas cet effort de paraître touché. Et ce n’est pas plus mal. Car il assume plutôt bien le côté touriste en scène. Il mettrait sans doute volontiers les mains dans les poches s’il n’en avait besoin pour tenir son texte. Et puis finalement, ce détachement colle pas si mal avec son personnage. Il est Billy Ansel, le père de jumeaux morts dans l’accident, un type blasé, cassé par la mort de sa femme et ses enfants, plus vraiment dans la vie. Même les yeux rivés à son papier, il parvient à être en partie dans son personnage dont il a accepté, lui, d’endosser la moitié du costume…
Puis Hippolyte Girardot s’avance. Enfin non, pas lui, Mitchell Stephens, ténor du barreau new-yorkais venu convaincre les parents en deuil de plaider la négligence pour faire raquer la collectivité. Il adopte d’emblée la posture du rapace, de l’homme révolté, celui qui défend les victimes parce qu’il refuse d’en être, même s’il est, en privé, la proie d’un odieux chantage affectif. Hippolyte Girardot a bossé, il connaît son texte et en fait passer les subtilités et les roueries, les ressorts intimes et les tensions dramatiques. Avec lui, on est enfin dans le théâtre. La pièce prend une épaisseur dramatique rehaussée par la belle scénographie de Seymour Laval, une immense nappe de neige gelée à flanc de précipice.
La qualité du spectacle, gâchée en première partie par la désinvolture des stars, va crescendo. Vient enfin le plus beau monologue, celui de Nicole Burnell, la seule enfant rescapée, le corps brisé. Il est porté avec profondeur et grâce par une jeune actrice prometteuse. Encore épargnée par les ravages du star-system, Judith Chemla éclipse et surclasse haut la main les têtes d’affiche. Elle n’est pas là pour cachetonner, mais pour vibrer, avec intelligence, sensibilité et malice. Elle clôt le spectacle avec une vitalité et un engagement dramatique qui emportent le public.
Initialement, le spectacle devait s’achever sur un second monologue de Nicole Garcia. Le jour de la première, lassé de ne pouvoir diriger l’actrice, le metteur en scène l’a supprimé. La comédienne a menacé de quitter le spectacle. Ses agents ont débarqué de Paris dans l’après-midi pour négocier à la Villa Florentine, le plus bel hôtel de Lyon où sont logés les « personnalités » du festival. Le contrat ne pouvait être rompu, elle est finalement restée. Dès avant la première du spectacle, le metteur en scène Emmanuel Meirieu et ses têtes d’affiche ne s’adressaient plus la parole.
Vices et vertus du star-système : ceux là même qui, sur leur nom, ont sans doute permis à Emmanuel Meirieu d’attirer près de 3 800 spectateurs à la découverte de son travail l’ont en partie gâché.
Anne-Caroline Jambaud
http://www.libelyon.fr/info/2010/06/a-lyon-nicole-garcia-et-richard-berry-font-leur-caprice-de-stars.html