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portrait La rentrée des pages (4/12) L’écrivaine poétesse du Michigan revient avec un huis clos mère-fille plus crève-cœur que jamais.
Par SABRINA CHAMPENOIS
Libération
(Photo Fred Kihn)
«La Terre sera affamée tant que je n’aurai pas retrouvé ma fille.» Parole de Déméter, déesse de l’agriculture et des moissons, face à la disparition de son unique enfant adorée, Perséphone. Devant tant de chagrin, Zeus le père, demande au ravisseur, son propre frère Hadès, maître des Enfers, de libérer Perséphone. C’est niet. Finalement, un compromis est trouvé : la jeune fille passera l’automne et l’hiver avec Hadès en tant que reine des Enfers, et le reste de l’année sur Terre où elle épaulera sa mère. Tout est bien qui finit à peu près bien. L’inverse d’Esprit d’hiver, le neuvième roman décoché par Laura Kasischke, redoutable archère qui vous crève le cœur à bas bruit mais avec une précision et un sang-froid imparables.
Le mythe de Déméter et Perséphone imprègne Esprit d’hiver. Laura Kasischke l’a découvert par sa propre mère, qui le lui lisait quand elle était petite fille. La tragédie grecque figure de fait au premier rang de ses influences. «Macbeth, les grands thèmes, la mythologie…»
Laura Kasischke venait d’avoir 20 ans quand sa mère, enseignante en primaire, est morte d’un cancer du sein. Elle était porteuse de la mutation du gène BRCA1, qui augmente drastiquement le risque de cancers du sein et de l’ovaire.
C’est aussi le cas de Holly, la mère d’Esprit d’hiver, qui a subi une double mastectomie et l’ablation des ovaires à titre prophylactique. Holly, «grâce à la médecine moderne, avait pu se débarrasser de sa destinée comme d’un manteau, d’un haussement d’épaules». Et Holly, avec son mari Eric, a adopté une adorable petite fille en Russie, qu’ils ont appelée Tatiana. Mais Tatiana, en ce jour de Noël durant lequel se déroule le livre, se comporte bizarrement. Et Holly d’être gagnée par la panique, tandis que dehors une tempête de neige paralyse peu à peu la ville.
Laura Kasischke, qui se remet tout juste d’un malaise dû à la chaleur quand on la rencontre dans les locaux labyrinthiques de son éditrice, n’aime pas l’hiver. Il est «dur, long et sombre» dans son Michigan natal où elle vit toujours.
Elle, qui est mère d’un garçon de 17 ans, s’est aussi fait enlever et remplacer les seins, et trouve «formidable» qu’Angelina Jolie ait rendu publique sa propre opération. Comme si un tabou était enfin levé, et les amazones obligées, réhabilitées. Mais le vade retro satanas au crabe ne l’a pas immunisée : «Je suis de toute façon quelqu’un d’inquiet.» Cette intranquille est une belle femme brune à peau laiteuse et grands yeux bleus, d’une exquise politesse. Une sorcière à allure de fée.
On lui dit que ses romans sont puissants, anxiogènes, empreints de mélancolie et de fatalisme, qu’on a serré les dents à la lecture de celui-là, huis clos qui s’enroule en boa constrictor autour du duo fusionnel que forment Holly et sa fille adoptée. Elle répond : «Oh, je vous remercie.» Son sens du suspense psychologique lui vaut comparaison avec Joyce Carol Oates. Lit-elle des romans noirs ou policiers ? «Non. Ou alors, il faut considérer Kafka comme un auteur de romans noirs.» Douceur plus humour : elle doit être un bon prof, elle qui enseigne la littérature et anime des ateliers de creative writing à l’université du Michigan. Un job qu’elle apprécie, surtout auprès des petits nouveaux : «C’est gratifiant d’enthousiasmer les gens.» Son mari enseignait aussi l’anglais, avant de passer du côté administratif de l’enseignement. Ils vivent dans une ferme, ont deux chats et dix poules dont elle nous montre des photos sur son iPhone, comme on montre ses enfants ou animaux de compagnie. No dog, en revanche : «Petite, un chien a poursuivi mon père, qui était postier. Il faisait de longues marches par une météo parfois très difficile. J’avais peur pour lui.» Non, elle ne sait pas exactement d’où provient son nom de famille (prononcer «Kaziski»), seulement que ses grands-parents parlaient l’allemand. La fée a donc aussi son propre cortège de fantômes, elle qui peuple ses romans de femmes ou de jeunes filles poissées par leur passé.
Féministe ? Laura Kasischke hésite, répond avoir grandi dans une époque féministe, mais que «les différences entre les sexes sont si primaires, et si évidentes», qu’il est des domaines et des expériences réservés. «A commencer par la maternité, qui est vraiment, vraiment, quelque chose… Pour moi, par exemple, ça a signifié de complètement rompre avec une existence pour basculer dans une autre.» Virage en épingle à cheveux vers la vie de famille. Elle ajoute qu’elle sent «intuitivement» que «les femmes ont du pouvoir sur les hommes», ça nous laisse si pensive qu’on en oublie de lui demander en quoi. Celles de ses livres sont souvent seules ou esseulées, s’ennuient ou s’affolent, ruminent, se laissent happer par leurs émotions. Laura Kasischke dit, en se tapotant le crâne : «C’est un peu sombre là-dedans ! Dans la vie réelle, je suis une personne assez ordinaire et assez heureuse.»
Elle écrit de deux façons. Sur ordinateur pour ses romans, à la main pour la poésie d’où tout est parti. «Je m’y suis mise à 10 ans. C’était un petit peu bizarre car personne autour de moi n’en écrivait, et je n’ai pas grandi dans un cadre culturel. Notre petite ville n’avait même pas de librairie. Mais, j’aimais le son des mots.» Au collège, elle fera partie d’un cercle de poètes prétendus. Elle projette ensuite de devenir journaliste mais l’université du Michigan n’offre pas ce type de cursus, et Kasischke, qui sort peu sa fiction d’Amérique, reste en son état. Direction le creative writing, et un diplôme en poésie. «Ecrire des poèmes, une façon d’entrer en contact avec mon subconscient. Et je me surprends souvent !» Elle publie autant sur les deux fronts, on repère des thèmes communs tels la vie quotidienne. Ou encore la nature qui, chez elle, est une présence active, une force, un personnage à part entière.
On l’imagine bien au chaud dans sa bulle arty et sa petite maison dans la prairie, à l’écoute de ses intuitions et associations d’idées, étrangère au vacarme extérieur. Faux. La citoyenne Kasischke suit l’actualité «mais plus les événements que l’agenda politique» ; elle fait partie des déçus d’Obama, compare l’affaire Snowden au cas des époux Rosenberg, déplore un «climat de paranoïa», pointe le cas Assange, «désormais obligé de se cacher pour le restant de sa vie». La relaxe du meurtrier du jeune Afro-Américain la questionne aussi. «C’est difficile à accepter, mais envoyer le meurtrier en prison aurait-il fait avancer les choses, eu un bénéfice social ?» D’aucuns la voient en témoin critique du blues de l’Amérique contemporaine. L’élégante en robe noire décline le costume. «Je n’émets aucun jugement, je ne fais que part d’expériences.» Ça fait partie du sortilège : Laura Kasischke diffuse plus qu’elle ne décrète. Fée-sorcière des atmosphères.
Photo fred kihn
Laura Kasischke en 10 dates
1961 Naissance à Grand Rapids (Michigan). 1991Wild Brides, premier recueil de poèmes. 1996 A Suspicious River, premier roman. 1999 Un oiseau blanc dans le blizzard. 2002 La Vie devant ses yeux. 2007 Rêves de garçons et A moi pour toujours. 2008 La Couronne verte. 2009 En un monde parfait. 2011 Les Revenants. 22 août 2013 Esprit d’hiver (Christian Bourgois).
Dans une nature sauvage et préservée, la Baie de Somme, membre du Club des plus Belles Baies du Monde, offre une faune et une flore exceptionnelles. Vous y vivrez de bons moments en découvrant des petits coins sympathiques à vélo, en bateau, à cheval ou simplement à pied.
Présentation.
La Baie de Somme est un vaste estuaire de 7 200 ha (14 km de profondeur sur 5 km de large) où s'élargit et se ramifie le fleuve Somme. Lieu magique aux couleurs subtiles, la Baie évolue au gré des saisons, des vents et des marées.
Espace de promenades, la Baie de Somme est composée d'une partie herbacée de 1500 ha environ et d'une zone sablo-vaseuse dont 3 000 ha sont en réserve naturelle.
Une Somme de petits paradis.
Les plages : galets et cabines.
A Ault-Onival, Cayeux-sur-Mer et Mers-les-Bains le sable cède la place aux galets, morceaux de falaises détachés, brisés, roulés et façonnés par les flots de la mer. Formant de vastes plages, les galets font aussi l'objet d'une industrie qui exploite la finesse de leur silice. Les plages de la Somme, c'est aussi ces petites cabines de bois colorées alignées face à la mer. A proximité, à découvrir également, la pointe du Hourdel, petit port où vous pourrez acheter quelques crevettes appelées aussi «sauterelles», le hâble d'Ault, la route blanche de sable, bordée de dunes. Un dépaysement assuré !
Les bas-champs, hauts les couleurs !
Zone de marais située en dessous du niveau des marées de vives eaux à fort coefficient, les bas champs sont encadrés côté terre par le maigre talus d'une falaise morte et côté mer par un simple cordon de galets. Entre les deux, des polders rudimentaires et vulnérables aux attaques de la mer sont le royaume de nombreux oiseaux et de plantes rares. Au fil des saisons, ce paysage se métamorphose dans des teintes acidulées. Spectaculaire en hiver sous la neige !
Les falaises imposantes et fragiles.
Les falaises de Mers à Ault-Onival, au sud du littoral picard, correspondent à la limite nord de la vaste entité des côtes à falaises vives de Haute-Normandie (Pays de Caux, côte d'Albâtre). Sous l'effet de la pluie, du gel et des attaques de la mer, elles reculent en moyenne chaque année de 15 cm, causant bien des soucis à ceux qui ont en charge la gestion de ces lieux.
Le Bois de Cise, hors du temps.
Ce site classé près de Ault est très pittoresque. Dans un espace boisé, des villas, dont certaines datent du XIXème siècle, offrent un spectacle hors du temps. Ce site a reçu la visite d'illustres personnages tel que Victor Hugo qui s'inspira des lieux pour écrire une lettre à sa femme.
Extrait de la lettre de Victor Hugo à son épouse : « Bois de Cise, le 7 Septembre 1837 Une heure après, toujours par le sentier tortueux de la falaise, j'approchais du bourg d'Ault. A un détour du sentier je me suis retrouvé tout à coup dans un champ de blé situé sur le haut de la falaise et qu'on était en train de moissonner. Mon champ était délicieux, tout petit, tout escarpé bordé de haies et portant à son sommet l'océan. Te figures-tu cela ? Vingt perches de terre pour base et l'océan posé dessus. Au rez-de-chaussée des faucheurs, des glaneuses, de bons paysans tranquilles occupés à engerber leur blé, au premier étage la mer et tout en haut, sur le toit, une douzaine de bateaux de pêcheurs à l'ancre et jetant leurs filets ».
A la rencontre des locataires de la Baie de Somme.
Les oiseaux du parc ornithologique du Marquenterre.
Des centaines d'espèces d'oiseaux viennent s'y poser lors de leurs migrations, pour quelques heures ou pour une saison ; d'autres y vivent toute l'année, comme les Tadornes de Belon, car ils y trouvent une nourriture abondante et variée sur la grève, aux abords des plans d'eau et marais, dans les dunes ou pré-salés.
Les phoques en colonie.
Le phoque ou veau marin, affectionne particulièrement les estrans sableux de la Baie de Somme. Deux petites billes brillantes à la place des yeux, un corps rond pouvant peser 80 kg, couvert de taches plus ou moins brunes, les veaux marins se nourrissent de poissons. Autrefois massacrés, ils sont désormais une espèce protégée. Le Kayak, est la meilleure façon de rencontrer les phoques et oiseaux.
Le Henson, une légende ?
Robe couleur sable, crin bicolore, tonique vous ne verrez ce petit cheval que sur la côte picarde. Cette race est née sur ce territoire, issue du croisement du poney fjord et d'un cheval rustique local. Robuste et très équilibré, il vit toute l'année en extérieur, dans les pâturages et marécages. Sa robe soyeuse et fine en été se transforme en une épaisse toison l'hiver. Grâce à son caractère complaisant et sa petite taille, il permet à des chevaliers non expérimentés de profiter d'une promenade en toute sécurité en baie. Une légende divine : Typique chez le Henson, la raie de mulet, (filet brun tracé délicatement le long de la colonne vertébrale) de l'animal serait une marque divine.
Extrait de la légende : « Dieu, contemplant la Baie de Somme à demi enfouie sous les flots et battue par les vents violents, se dit: " Si ces éléments déchaînés doivent venir à bout de cette terre fragile, il doit au moins en subsister l'image ". Ramassant une poignée du sable clair de la baie, il souffle dessus, créant ainsi une magnifique cavale. Sa robe était dorée comme la grève, sa fierté n'avait d'égale que la fureur des vents fouettant sa crinière noir et or ondulante comme les flots. Satisfait, Dieu laissa courir un doigt contemplatif sur l'échine de la bête qui fût, alors, marquée d'une longue raie noire. Ainsi naquit le Henson »
Un mouton, deux moutons...
Vous pourrez les compter sans difficulté en Baie de Somme. Près de 2000 agneaux pâturent 1200 ha de Mollières de mars à novembre. Le mélange d'eau douce et d'eau salée offre aux moutons de pré-salé une nourriture constituée d'une flore maritime exceptionnelle. Reconnus par les gastronomes, pour leur chair parfumée, les agneaux sont commercialisés sous la marque «Estran» et bénéficient d'un label Appellation d'Origine Contrôlée (AOC "agneaux de prés salés) depuis 2006.
La transhumance en Baie de Somme.
Ressuscitant la tradition de la transhumance, les bergers et leurs troupeaux d'agneaux à tête noire, traversent, deux fois par an, la ville du Crotoy. L'été, ils conduisent les troupeaux vers les pacages d'été ; l'automne, ils rentrent à la ferme pour l'agnelage. Les brebis mettent au monde leurs petits pour Noël. La transhumance est un grand moment qui attire un public nombreux. Le passage du troupeau est un moment important. Dans les rues du Crotoy, le temps est suspendu, pendant le défilé des moutons. Au rythme tranquille des moutons, il faut compter quatre à six heures de marche. Les chiens rassemblent les bêtes égarées et les cavaliers chevauchant les petits chevaux de la Baie de Somme, règlent la circulation.
Nedim Gürsel : «L'itinéraire de Nâzim Hikmet est emblématique de l’engagement communiste de cette génération»
Avant la chute du Mur, d’Istanbul à Berlin et Moscou, «l’Ange Rouge» (Seuil), roman de l'écrivain turc Nedim Gürsel, retrace l’errance de Nâzim Hikmet, le plus grand poète turc du XXe siècle. Il a répondu à vos questions.
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«L'itinéraire de Nâzim Hikmet est emblématique de l’engagement communiste de cette génération»
Nicolas. Pourriez-vous m’expliquer le titre de votre livre : l’Ange rouge ?
Nedim Gürsel. Le titre original c’est Diable, ange et communisme, mais mon éditeur français a proposé l’Ange rouge, qui évoque un des personnages du roman, qui espionnait Hikmet en envoyant des rapports à la Stasi qu’il signait «Diable», et ses articles «Ange». C’est un titre qui évoque la problématique du communisme.
Alice. Pourquoi avez-vous consacré un roman au poète Nâzim Hikmet ?
N. G. C’est une des grandes figures du XXe siècle. Son itinéraire m’a semblé emblématique de l’engagement de cette génération qui a défendu une cause, malgré l'échec. Une deuxième explication, c’est que la vie de Nâzim Hikmet, que je connais en détail, m’a semblé très romanesque.
Alban. Avez-vous rencontré Nâzim Hikmet ?
N. G. Non, hélas, quand il est mort en exil à Moscou, en 1963, j’avais 12 ans, et interne au lycée de Galatasaray, à Istambul. J’aurais aimé le rencontrer, cela va de soi.
Vince. Nâzim Hikmet n’est pas très connu en France. Ses poésies sont-elles traduites en français ? Si oui, quelle lecture me conseilleriez-vous ?
Deniz. J’ai lu les poèmes de Nâzim Hikmet, mais en français ça ne donne pas la même chose qu’en turc au niveau de l’interprétation. Pensez-vous qu’il est possible de changer le sens de ses poèmes pour une meilleure interprétation ?
N. G. Il est vrai que Nâzim Hikmet est un peu tombé dans l’oubli, mais dans les années 70, il a été très connu en France. Je conseillerais son anthologie poétique qui s’appelle Il neige dans la nuit, parue chez Gallimard dans la collection Poésie.
Par ailleurs, je pense qu’il est relativement facile de traduire la poésie de Nâzim Hikmet en français, car elle est assez transparente, mais le turc et le français étant deux univers linguistiques radicalement différents, la traduction se fait aussi difficilement.
Roman. Avez-vous beaucoup romancé l’histoire de Nâzim Hikmet ? Et pourquoi l’avoir romancée plutôt que d'en faire une autobiographie ?
Pat. Avez-vous connu ou rencontré l’artiste peintre Abidin Dino ? A-t-il été une source d’inspiration pour votre personnage ?
N. G. Oui, j’ai bien connu Abidin Dino, le peintre turc, qui était très proche de Nâzim Hikmet. Il est nommé dans le roman, mais sans plus. Il s’agit d’un roman, donc d'une fiction. Il y a d’autres personnages que j’ai inventés, notamment celui du biographe de Nâzim Hikmet. Mais en ce qui concerne le personnage central du roman, c’est-à-dire Hikmet, je n’ai pas inventé sa vie, j’ai écrit à ma façon, à travers le personnage du biographe.
Adèle. Le coup d’Etat de 1980 en Turquie vous a contraint à l’exil. Avec le recul, comment voyez-vous cet épisode de votre vie ?
N. G. Cet événement a été pour ma vie, comme pour mon pays, une sorte de tragédie. Si je n’avais pas été contraint de quitter la Turquie, à cette époque, je n’aurais certainement pas autant parlé de la ville d’Istambul dans mes romans, car en exil, j’ai cultivé une sorte de nostalgie de ma ville bien-aimée, et de mon pays natal.
Michèle. Pendant combien de temps n’avez-vous pas pu retourner en Turquie ? Pouvez-vous désormais y séjourner à votre guise ?
N. G. Je n’ai pas pu y retourner pendant à peu près trois ans, car deux de mes livres ont été interdits, après le coup d’Etat. Maintenant, j’y vais très souvent, tous mes livres sont autorisés, y compris mon avant dernier roman, les filles d’Allah (Seuil), pour lequel j’ai été poursuivi en justice.
Romain. Votre liberté d’expression est-elle totale quand vous êtes en Turquie ? Etes-vous libre d'écrire et de publier ce que vous voulez ?
N. G. La liberté d’expression reste malheureusement limitée en Turquie. Il y a eu, certes, quelques progrès dans ce domaine, mais on continue à poursuivre les journalistes, et les écrivains. En ce moment, un des grands compositeurs turcs, Fazil Say, vient de subir le même sort que moi.
Régis. L’exil et l’engagement politique sont-ils les deux points communs que vous partagez avec Nâzim Hikmet ? Y’en a-t-il d’autres ?
N. G. Je ne partage ni l’engagement politique, ni l’optimisme de Hikmet, en ce qui concerne «les lendemains qui chantent». Mais je partage, autant que je peux, c’est-à-dire rétroactivement, ses malheurs, et sa nostalgie de la Turquie.
Anne. Nâzim Hikmet était-il un agent de la Stasi ? Son attachement inconditionnel au communisme ne lui a-t-il pas permis d’ouvrir les yeux sur ce qui se passait de «l’autre côté» ?
N. H. Il est resté fidèle jusqu’au bout à l’idéal de sa jeunesse. Pendant ses années d’exil à Moscou, il a constaté que tout n’allait pas très bien, mais cela ne l’a pas empêché de croire au communisme. Heureusement, il n’a pas connu l’invasion de Prague.
Léo. Comment Hikmet aurait-il vécu la chute du Mur ? L’avez-vous imaginé ?
N . H. Oui, je l’ai beaucoup imaginé. Il aurait été très triste. Et d’ailleurs, dans mon roman, un autre communiste, un des personnages importants, vit comme un grand déclin cet événement qui a marqué la fin du communisme.
Chienfou. Voyez-vous l’avenir de la Turquie dans l’Europe ou en dehors ?
N. H. Je suis un fervent partisan de l’adhésion de mon pays à l’Union européenne. J’ai même écrit un livre pour défendre cette cause, il s’intitule la Turquie, une idée neuve en Europe (Empreintes, Temps présent, 2009). Malheureusement, en ce moment, la Turquie semble avoir tourné la page européenne, et je le regrette.
Merci à tous pour vos questions, je suis actuellement au Petit Palais, pour présenter à 18h30 mon livre l’Ange rouge avec des documents d’archives de l’INA sur le poète Nâzim Hikmet, vous êtes les bienvenus.
Le chancelier Bismarck, qui ne voulait pas se faire humilier par l’Église catholique, a rendu célèbre l’expression « aller à Canossa », c’est-à-dire faire acte de contrition.
28/8/13
Ruines du château de Mathilde de Canossa (Xe s.). L’empereur Henri IV, excommunié, est venu y solliciter le pardon du pape Grégoire VII.
C’est en émilie-Romagne, à une trentaine de kilomètres de Parme, que se situe le bourg de Canossa, entre vallées et collines qui évoquent des tableaux de la Renaissance. Ici, champs de blé, vignes et vergers mêlent délicieusement leurs couleurs aux parfums des herbes aromatiques sauvages. Le lieu qui a donné naissance à l’expression « aller à Canossa », c’est-à-dire faire acte de contrition, s’humilier devant quelqu’un, c’est le château de Canossa, érigé au Xe siècle sur un éperon rocheux, à 576 m d’altitude, au cœur des Apennins.
Il faut gravir des centaines de marches, surplombant un spectaculaire « amphithéâtre » de calanques, pour en découvrir les restes, les remparts méridionaux, les ruines de la crypte de Saint-Apollonio, ainsi qu’un petit musée dont le fleuron est un fond baptismal, vestige de l’église de Saint-Apollonio.
Un conflit entre Pape et un jeune empereur
Au centre de l’histoire, règne la comtesse Mathilde de Canossa, propriétaire du château au moment – 1077 – où s’y rend le jeune empereur Henri IV, un an après avoir été excommunié, pour solliciter le pardon du pape Grégoire VII. C’est le début de la querelle des Investitures (1075 -1122) qui entachera les relations entre la papauté et les empereurs.
Élu en 1073, Grégoire VII s’attelle d’emblée à la réforme de l’Église pour imposer la suprématie de la papauté sur les souverains. Il publie en 1075 le Dictatus papae (l’Édit du pape), dans lequel il stipule entre autres que les évêques doivent être nommés par le pape et non plus par l’empereur. Henri IV – la plus haute autorité politique de l’époque - riposte. Sur sa sollicitation, le synode des évêques allemands prononce, en 1076, la déposition de Grégoire VII. Le Souverain Pontife contre-attaque en l’excommuniant.
Afin de recouvrer une crédibilité fortement entamée auprès de ses vassaux, l’empereur germanique condamné aux flammes de l’enfer n’a pas d’autre choix que d’aller à Canossa supplier le pape. Il lui faut traverser les Alpes pour se rendre au château de la comtesse où ce dernier séjourne. Et là, pieds nus dans la neige d’un hiver glacial, vêtu de bure en signe de pénitence, il va attendre trois jours, du 25 au 28 janvier 1077, devant une des enceintes du château, jusqu’à ce que le pape daigne le recevoir et finalement lui accorde son pardon en levant l’excommunication.
L’épisode de Canossa, un acte d’humiliation pour Bismarck
La mémoire de cette humiliation – bien que feinte, car Henri IV n’entendait pas céder une once de pouvoir – traversa les siècles. « Nach Canossa gehen wir nicht ! » (« Nous n’irons pas à Canossa ! »), s’exclama Otto von Bismarck devant le Reichstag en 1872, après que Pie IX eut refusé d’accréditer Gustave-Adolphe de Hohenlohe comme ambassadeur d’Allemagne près le Saint-Siège, par soutien aux catholiques aux prises avec les lois hostiles à l’Église dans l’empire allemand. Le chancelier allemand finira toutefois par perdre cette épreuve de force avec l’Église et par là même une partie de son prestige et de son autorité.
Pour l’heure, Mathilde de Canossa, une femme de grande foi, soutient ardemment le pape Grégoire VII dans ses réformes. La comtesse est une grande érudite – elle parlait cinq langues – et une femme extrêmement puissante qui domine politiquement et militairement la moitié du pays. Après l’assassinat de son père lorsqu’elle était enfant et la mort de ses deux frère et sœur, elle s’était retrouvée l’unique héritière des immenses biens féodaux de sa famille en Lorraine et surtout en Italie, du Latium jusqu’au lac de Garde.
Une comtesse puissante au rôle de médiatrice
Veuve à 30 ans de Godefroy III d’Ardenne, dit le Bossu (mort en 1076), remariée à 42 ans pour une alliance tout aussi politique avec le très jeune Guelfe de Bavière, âgé de 17 ans, elle régna en maître sur ses terres. Sa puissance sera aussi stratégique pour les papes que pour les empereurs.
« La comtesse, héroïne de la liberté de l’Église, a joué le rôle de médiatrice entre son ami Grégoire VII et Henri IV, qui était son cousin », précise Mario Bernabei, directeur du centre touristique « Andare a Canossa » et auteur de l’ouvrage Matilde e il Castello di Canossa. À sa mort, en 1115, Mathilde léguera d’ailleurs toutes ses possessions à l’Église de Rome. Et elle sera la première femme (quatre aujourd’hui) à reposer dans la basilique Saint-Pierre, où sa dépouille sera transférée au XVIIe siècle. Mathilde de Canossa a même trouvé sa place dans le Paradis de La Divine Comédie de Dante en raison de son rôle déterminant dans la reprise de contact entre l’Église que réformera Grégoire VII et l’empereur Henri IV. Aujourd’hui, les visiteurs du centre touristique de Canossa peuvent admirer, entre autres, un portrait de Donna Mathilde di Canossa, celui d’une belle femme aux traits volontaires, vêtue d’une longue robe rouge, qui tient, dans sa main droite, une grenade, symbole au Moyen Âge de l’élévation spirituelle.
Canossa, aujourd’hui un lieu de pèlerinage
Chaque année près de 50 000 personnes se rendent, en touriste ou en pèlerin, à Canossa. « Parmi eux, je vois des Allemands monter pieds nus les marches menant au château », rapporte Mario Bernabei. Puis il montre fièrement une photo de 1971 immortalisant le plus célèbre des Allemands, attaché à Canossa en tant que symbole de l’identité chrétienne de l’Europe, Joseph Ratzinger.
L’événement de Canossa se soldera toutefois par un échec. Henri IV, « le traître » humilié, continuera de nommer des évêques, sera excommunié une seconde fois en 1080 et reviendra en Italie pour faire la guerre au pape et à Mathilde. Il livrera Rome au pillage et, en 1084, couronnera à Rome un antipape, l’archevêque Guibert de Ravenne, qui prendra le nom de Clément III. Là encore, Mathilde essaiera de lui barrer la route, avec son armée. En vain… La paix revenue, la papauté légitimée par les Croisades, Mathilde se consacrera à ses terres et aux prières. En 1111, cinq ans après la mort d’Henri IV, elle sera nommée vice-reine d’Italie par Henri V, nouvel empereur et fils de son grand ennemi.
Un lieu de spiritualité et de dégustations
De nos jours, prendre le chemin de Canossa, c’est aller à la découverte d’un lieu chargé de spiritualité, qui séduira les amateurs d’histoire médiévale et de randonnées sur le chemin de Mathilde et de ses 22 châteaux qui jalonnent la région. Aller à Canossa, c’est aussi prendre le chemin de la gastronomie. Au temps de Mathilde, le château de Canossa était déjà célèbre pour ses fûts dans lesquels vieillissait pendant des années le vinaigre balsamique.
C’est aujourd’hui toujours l’occasion de savourer les tortellinis à la courge ou l’erbazonne, tourte aux épinards et aux blettes. On les déguste avec un verre du fameux Lambrusco. Évidemment, on ne résistera ni au parmigiano reggiano ni au jambon de Parme. Mais il faut aussi goûter le culatello di Canossa, charcuterie locale. L’accueil toujours courtois de la population devient chaleureux dès que la confiance s’instaure. Solidarité, collaboration sont d’ailleurs les valeurs clés de l’Émilie-Romagne, région parmi les plus prospères de la péninsule.
2.2. La sexualisation du paysage dans « Les Fleurs du Mal »
2.2.4. Les yeux
Marie Daubrun jouait La Belle aux cheveux d'or au théâtre de la Porte-Saint-Martin en 1848. La fée, apparue "au fond d'un théâtre banal", inspira le poème L'Irréparable (précédemment publié sous le titre A la Belle aux cheveux d'or dans la Revue des Deux Mondes). Baudelaire s'aventure dans les bras de sa muse, pour une liaison brève et orageuse, mais à l'issue féconde pour l’œuvre du poète (Les Chats, Le Poison, Ciel Brouillé, L’Invitation au Voyage). Par deux fois l'amitié de Baudelaire et de Banville, qui avait été son amant, sera en péril à cause de la jeune actrice.
Dans le Ciel brouillé- comme dans La chevelureles analogies se succèdent selon le système de l'infini diminutif jusqu'à: « Comme tu resplendis, paysage mouillé/ Qu'enflamment les rayons tombant d'un ciel brouillé! »( v. 11-12). Or ces deux vers confèrent au poème une plus grande indétermination encore, puisque ce « paysage mouillé », à l'image du regard de la femme » (certainement Marie Daubrun) « d'une vapeur couvert » (v. 1), ne peut être mentalement immobilisé par le lecteur. ( Emmanuel Adatte, « Essai sur le dépassement du réel », p. 132.) » Il s'agit d'un « dépassement du réel » qui atténue l'angoisse des derniers vers fondés sur une analogie, entre la femme aimée et cruelle et l'hiver « implacable » :
O femme dangereuse, ô séduisants climats!
Adorai-je aussi ta neige et vos frimas,
Et saurai-je tirer de l'implacable hiver
Des plaisirs plus aigus que la glace et le fer? (v. 13-16)
De même dans L'invitation au voyage, le regard féminin et le paysage évoqué par celui-ci sont marqués par l'indétermination :
Vous avez pris en 2008 les commandes d'un groupe Rossignol à la dérive. Cette marque risquait-elle de mourir ?
Les grandes marques comme Rossignol ne meurent jamais. Les groupes peuvent disparaître, passer par un dépôt de bilan. Mais les grandes marques survivent. Elles restent ancrées dans l'esprit du grand public. Il peut s'en éloigner pendant quelque temps. Mais si les produits correspondent de nouveau aux aspirations des uns et des autres, elle ressurgit souvent très rapidement. J'ai eu l'occasion de présider il y a quelques années à la destinée de Campingaz, marque bien sûr incontournable des passionnés de nature et de camping. Elle a traversé des périodes très difficiles au travers de rachats successifs et elle aurait pu mourir dix fois. Certains me disaient : « On a fait tout ce qu'il fallait pour la faire disparaître, et on n'a même pas réussi ! »
Une marque peut quand même se couper de ses clients ?
La vie des marques est faite de hauts et de bas, en fonction de la pertinence des produits, de la perception de ses valeurs par le consommateur. J'ai la conviction profonde qu'il n'y a pas de problème qu'une entreprise ne puisse résoudre avec de bons produits. Les marques fortes ont de la chance car les consommateurs leur pardonnent beaucoup !
Quand vous arrivez chez Rossignol, dans quel état est le groupe ?
En 2005, Rossignol avait été cédé par Laurent BoixVives à Quiksilver. Sur le papier, le deal était très attractif pour l'entreprise. La complémentarité des activités était évidente, hiver vs été, textile vs matériel, Amérique du nord vs Europe, les deux groupes ayant en même temps une base de clients-détaillants assez similaire. En théorie, il y avait des synergies potentielles et de vrais échanges de savoir-faire possibles. Mais l'idée n'est souvent pas le plus difficile. La mise en oeuvre et le contrôle permanent du plan d'exécution sont incontournables et centraux dans la réussite d'un projet de ce type. Malheureusement, dans le cas de Rossignol, la « mayonnaise » n'a pas pris. Les difficultés opérationnelles se sont accumulées jusqu'en novembre 2008, date à laquelle Quiksilver a décidé de se défaire de Rossignol.
Pourquoi ?
Dérapage de fonctionnement des processus clefs dans le matériel : offre trop complexe, calendriers de développement produits « élastiques », dérives dans la production, offre textile peu convaincante et, pour couronner le tout, une année sans neige durant l'hiver 2006-2007. La tempête parfaite.
Du coup, en 2008, quand vous arrivez pour reprendre l'entreprise, à la tête d'un conglomérat auquel participent Macquarie et Jarden, la situation est franchement mauvaise ?
Oui, très mauvaise. Le groupe accusait lors de son dernier exercice fiscal au sein de Quiksilver, à fin octobre 2008, une perte nette de 68 millions d'euros et portait une dette de plus de 300 millions pour un chiffre d'affaires de 248 millions...
Comment se redresser dans ces conditions ?
La dette a été absorbée par le vendeur. Nous nous sommes donc retrouvés à la tête d'une entreprise aux marques mythiques (Rossignol, Dynastar, Lange, Look...), dotée d'un savoir-faire historique dans la fabrication et la commercialisation des skis, des chaussures, des fixations, mais dont les fondamentaux avaient été plutôt malmenés et qui perdait 200.000 euros par jour... Dans ce genre de situation, on n'a pas le choix, il faut aller vite. La stratégie à cinq ans, c'est juste être vivant le lendemain matin... ! Il a fallu mettre en route plusieurs dizaines de chantiers en parallèle et coordonner l'ensemble le plus rapidement possible : simplification de l'offre produits, réduction de 50 % en deux ans du nombre de modèles de skis, accent sur les nouveaux produits et l'innovation, recalage de tous les processus clefs, réduction drastique des coûts dans toutes les sociétés et tous les services du groupe.
Vous avez aussi réduit les coûts et coupé des têtes ?
L'équipe de management a été renouvelée avec l'objectif d'apporter des compétences nouvelles, dans tous les domaines fonctionnels tels que finance, industrie, commercial, logistique... Et puis c'est vrai on a réduit les coûts de façon drastique dans tous les secteurs de l'entreprise de 35 à 40 %, sauf dans l'innovation produit. On a simplifié nos process, on a réduit nos effectifs dans le monde de 1.600 à 1.150 personnes, dont la moitié de cette réduction en France. C'était une nécessité absolue pour remettre le groupe en piste, avec une base de coûts supportable et compatible avec les exigences de compétitivité de ce métier. Le dialogue social permanent avec les partenaires sociaux, qui ont compris l'importance d'agir, avec les autorités territoriales a permis de passer cette période difficile dans les meilleures conditions.
Vous avez fermé des usines en France ?
Non. Nos usines européennes et en particulier françaises sont compétitives. La main-d'oeuvre n'est pas le facteur le plus important dans le coût de nos produits, contrairement aux matières premières qui en représentent plus de 70 %. Il est important de noter que nos fournisseurs sont principalement européens et que le ski se pratique aujourd'hui à 60 % en Europe, 30 % en Amérique du Nord et 10 % dans le reste du monde. La proximité de nos marchés, de nos fournisseurs est un élément très important dans notre stratégie industrielle. C'est ainsi que nous avons décidé, il y a quelques mois, de ramener une partie de nos productions sous-traitées en Chine vers la France.
Vous sous-traitez encore beaucoup ?
Nous fournissons notre marché à partir de 4 sites industriels dont deux en France, un en Espagne et un en Italie, plus une base de sous-traitance en Europe de l'Est et un petit peu en Asie. La sous-traitance représente aujourd'hui 10 % des volumes de skis, 40 % des volumes de fixations et 80 % des chaussures.
Il y a quand même une fatalité au déclin industriel français ?
Non. Notre compétitivité à partir de nos sites français s'appuie sur trois fondamentaux. Primo, le coût : il faut bien sûr produire au meilleur coût en continuant d'investir notamment dans l'automatisation des processus et en organisant au mieux la flexibilité entre périodes hautes et basses. Mais le problème des charges salariales reste posé et il est à mon sens urgent d'y apporter une réponse forte. Secundo, l'innovation. Nous renouvelons 30 % de nos gammes tous les ans. Nous sommes en permanence à la recherche de nouvelles idées, si possible brevetables. Notre processus d'innovation est vital pour l'avenir de l'entreprise. En ce sens, le mécanisme de crédit d'impôt recherche est un facteur clef de réussite pour nous. C'est un composant essentiel de l'essence qui fait tourner le moteur de notre entreprise. Et enfin tertio, la rapidité de mise en marché. Il faut aller de plus en plus vite, de l'identification du besoin jusqu'à la mise en marché. Dans ce contexte le fonctionnement rapide et efficace de la chaîne marketing/développement/production est fondamental. La proximité géographique des acteurs est un vrai plus.
Quelle est la stratégie du groupe aujourd'hui ?
Nous avons passé quatre ans à redresser les comptes. Aujourd'hui, le groupe est plus petit, avec un chiffre d'affaires de 210 millions d'euros, et un résultat net positif de quelques millions d'euros. Nous reprenons des parts de marché partout. Les restructurations lourdes sont donc derrière nous. Nous sommes désormais focalisés sur le développement du matériel d'hiver, et sur celui du textile. Nous avons réorganisé et repris en main cette activité en avril 2012. Elle se développe (aujourd'hui environ 20 millions d'euros en chiffre d'affaires) et doit être un vrai relais de croissance.
Nous sommes à la veille de la saison de ski. Est-ce que la crise affecte le marché ?
Plus que la crise, c'est la météo qui impacte notre activité. Tous les quatre à cinq ans, et ce depuis des décennies, nous devons faire face à des hivers moins enneigés, et donc nous adapter. Nous devons gérer l'entreprise pour s'assurer qu'elle va passer cette période tendue. C'était le cas l'hiver dernier, ce qui veut dire que nos clients, comme les magasins de montagne, ont encore des stocks bien fournis. Cette année, je pense que le besoin mondial en matériel de ski devrait baisser de l'ordre de 15 %. Nous devons veiller à ne pas trop produire, en même temps qu'être prudent sur nos dépenses. Notre taille aujourd'hui nous permet de passer ces périodes de creux.
Je précise que cet article n'est pas de moi (lien vers la page citée et si possible son auteur)mais que je suis auteure et que vous pouvez commander mes livres en cliquant sur les 11 bannières de ce blog
À lire sur Tranströmer : une page sur le site du printemps des poètes, un article de Marc Blanchet dans le Matricule des anges, et un extrait sur Poezibao. Ce texte est repris par Laurent Margantin sur son site Œuvres ouvertes - à découvrir au passage. Tranströmer vient de recevoir le prix Nobel de littérature 2011.
« Un langage situé au-delà du langage »
La parution dans la collection Poésie / Gallimard des œuvres poétiques complètes du Suédois Tomas Tranströmer nous permet de découvrir une figure essentielle de la poésie contemporaine, figure reconnue internationalement mais encore mal connue en France. Il faut rendre hommage aux éditions Le Castor astral qui ont publié Baltiques traduit par Jacques Outin en 1996.
La notice bio-bibliographique du volume nous dit que Tranströmer est né à Stockholm en 1931 et qu’il est psychologue de formation. Qu’il est considéré dès les années 50 comme l’un des poètes marquants du siècle et a reçu de nombreux prix à travers le monde, qu’il a été traduit en cinquante-cinq langues. Dans La Quinzaine littéraire, Gérard Noiret nous apprend que « s’ il figure aujourd’ hui aux côtés d’un Mario Luzi, d’ un Adonis, ou d’ un Edouard Glissant, parmi les poètes nobellisables, il ne le doit ni à une vaste production, ni à des démarches. Ses œuvres complètes (1954-2004) tiennent en 300 pages et ont d’autant moins été défendues par leur auteur que celui-ci, frappé en 1990 par une hémiplégie, a vu la maladie accentuer son penchant pour la discrétion et son immersion - elle est un fil conducteur aussi évident que les paysages de Suède - dans la musique. Lors de la soirée qui lui fut consacrée en octobre 2004 au Centre culturel suédois, il ne put que jouer du piano d’une main et remercier la salle d’ une phrase brève ».
La présence au monde de Tranströmer - présence que semble exprimer pleinement sa poésie - est très étrange : musicale en même temps que visuelle, à la fois onirique et très attentive au détail de la vie réelle. Comme l’écrit son traducteur dans sa préface, il « dispose de la faculté de regarder au fond du poème comme on regarde au fond d’un puits, pour en retirer des visions, des images et des objets qui semblent arrachés au néant. Il répond ainsi à une nécessité qui le pousse à dégager tous les signes d’un langage situé au-delà du langage : les hiéroglyphes de l’aboiement d’un chien, les cursives des aiguilles d’un sapin, les traces laissées par un cerf dans la neige ».
Jacques Outin encore, cette fois dans sa postface au seul livre autobiographique de Tranströmer, Les souvenirs m’observent (Le Castor astral), nous présente le parcours singulier de Tranströmer :
« Le poète a avoué à plusieurs reprises n’avoir été que peu sensible à la littérature et à la poésie jusqu’à l’âge de seize ans. Considéré par ses proches comme étant un garçon quelque peu excentrique, dont on disait qu’il vivait "dans son monde à lui", il s’intéressa tout d’abord aux sciences naturelles, à l’histoire et à la géographie, au point de vouloir devenir un jour entomologiste ou explorateur. Pourtant, au moment de la puberté, il se laissa fasciner par les arts, la peinture et surtout la musique. »
Juste après la guerre, il fit la découverte du surréalisme à travers une anthologie de poèmes surréalistes réalisée par Ekelöf, et celle de la poésie contemporaine française grâce à l’anthologie 19 poètes modernes français d’Erik Lindegren et Ilmar Laaban. Ses premiers poèmes se firent remarquer par l’usage original de la métaphore, tout en étant très ouverts au milieu naturel. C’est cette conjonction d’une écriture volontiers onirique et d’une attention accordée aux choses les plus simples qui surprend à la lecture de sa poésie. Comme le remarque lui-même Tranströmer : « En fait, je n’invente jamais rien. Et je ne mens jamais à propos de l’environnement du poème. »
C’est un fait que chaque poème de Tranströmer est fortement situé. Ce qui n’empêche pas le sentiment que peut avoir le lecteur d’être toujours dans un espace inédit, parfois imaginé. Le fait que les lieux soient parfois nombreux (le poète a beaucoup voyagé) donne l’impression que les différents espaces et temps se télescopent ou se répondent.
Il faut aussi citer un passage de la brillante étude de Renaud Ego dans le volume poésie / Gallimard, étude intitulée « Le parti pris des situations de Tomas Tranströmer » :
« En 1926, Werner Heisenberg a défini sous le titre de "Principe d’incertitude" un théorème majeur de la physique quantique : en substance, il expliquait qu’on ne peut connaître simultanément la position et la trajectoire d’une particule ; en effet, pour mesurer la position d’une particule, il faut l’éclairer, et ce faisant, l’énergie même infime dégagée par les photons lumineux modifie sa trajectoire. La portée de ce théorème est immense, car il démontre que l’observation crée la réalité. [...] Ce "flou quantique" - que l’on nommerait mieux, appliqué à la réalité macroscopique, "incertitude mentale" -, Tomas Tranströmer en a l’intuition lorsqu’il se décrit lui-même en 1989, soit à cinquante-huit ans, comme "Un espace de temps / de quelques minutes de long / de cinquante-huit ans de large". [...] Mais il tire aussi les conséquences de cette incertitude : si le réel surgit seulement dans le miroir d’une subjectivité qui se métamorphose elle-même, alors le monde objectif cesse. Seules demeurent possibles des situations transitoires, celles où la rencontre instantanée de l’être avec le monde redéfinit toujours les conditions de leur dialogue. »
Il se produit ainsi sans cesse une « métamorphose dont le poème est la forme », chaque poème exprimant des circonstances précises, forcément instables, dans lesquelles, à un moment donné, une rencontre entre l’homme et son environnement a lieu.
extrait : Thomas Tranströmer / Baltiques, I
C’était avant le temps des poteaux télégraphiques.
Mon grand-père était jeune pilote côtier. Il inscrivait dans son carnet les bateaux qu’il pilotait — noms, destinations, tirants d’eau. Quelques exemples de 1884 : Vap. Tiger Capit. Rowan 16 pieds Hull Gefle Furusund Brick Ocean Capit. Andersen 8 pieds Sandefjord Hernösand Furusund Vap. St Pettersburg Capit. Libenberg 11 pieds StettinLibau Sandhamm
Il les amenait jusque dans la Baltique, à travers cet extraordinaire dédale d’îles et d’eau. Et ceux qui se rencontraient à bord et se laissaient porter, quelques heures ou quelques jours, par la même carcasse, à quel point faisaient-ils connaissance ? Dialogues en anglais mal orthographié, entente et mésentente mais si peu de mensonges conscients.
À quel point faisaient-ils connaissance ?
Quand la brume était épaisse : visibilité réduite, vitesse limitée. D’une enjambée, la presqu’île sortait de l’invisible et se tenait à proximité.
Un beuglement toutes les deux minutes. Les yeux lisaient droits dans l’invisible.
(Avait-il le dédale en tête ?)
Les minutes passaient.
Les fonds et les îlots remémorés comme des psaumes.
Et cette sensation d’être « là et nulle part ailleurs » qu’il fallait conserver, comme lorsqu’on porte un vase rempli jusqu’à ras bord et qu’on ne doit rien renverser.
Un regard jeté dans la salle des machines.
La machine compound, aussi robuste que le cœur humain, travaillait avec des gestes délicatement élastiques, acrobates d’acier, et des parfums montaient comme d’une cuisine.
LE MONDE DES LIVRES | 22.07.10 | 10h16 • Mis à jour le 22.07.10 | 10h32
Ma toute première robe de gala était rose, ainsi d'ailleurs que la dernière. La première n'était qu'un empilement de volants rose bonbon sur du tulle rose, avec des manches bouffantes. En période de guerre, on héritait d'une robe, on ne la choisissait pas, mais celle-là me plut. La seconde et dernière fut celle que je portais à mon dernier bal du printemps à Cambridge, elle était rose avec des moirures or sombre ; c'était un feuilleté d'organdi sur des jupons amidonnés des années 1950, et elle me plaisait aussi quoique, à l'époque, je fusse plutôt tentée par les noirs, les bleus et les verts. Le rose ne me tentait guère. Mais la robe m'allait comme un gant. Avec son petit air Dior, elle me faisait une taille de guêpe. Jusqu'à l'âge de 8 ans, j'avais déclaré que le rose était ma couleur favorite. Par la suite, je me mis à le détester ; c'était bon pour les bébés et les petites filles. Le rose fushia dit "shocking" n'apparut que pendant mes impécunieuses premières années de mariage. Il était choquant en ce qu'il s'opposait à tout ce qu'on avait associé jusqu'alors avec la couleur rose. Mais ce rose-là m'était interdit car il donnait à ma peau des reflets livides et bleuâtres.
Les associations du rose sont complexes. Le rose est la couleur de l'innocence - les fillettes, les pâquerettes, les oeillets, les coquillages, les églantines et la barbe à papa. C'est aussi la couleur ambivalente de notre peau et de notre chair - pour ceux d'entre nous du moins qui sont de couleur gris-rose. Le rose est le sang qui vient aux joues, qui perle aux suprêmes de poulets et aux côtelettes d'agneau au restaurant, qui rend si macabres les collants couleur chair. On se demande aussi pourquoi les anglais utilisent le mot "pink" pour la tunique rouge qu'ils portent dans les chasses à courre, un mot que j'ai, moi, toujours cru associé à de très discrètes taches de sang. Et puis il y a la couleur "puce", qui tient son nom de la couleur de la femelle de l'insecte, gonflée du sang qu'elle a sucé. Et il y a le rose crevette et autres crustacés que l'on ébouillante.
Le rose est difficile à porter, parce qu'il produit des effets bizarres sur les peaux blanches. Les roses clairs sont magnifiques sur des peaux mordorées, brunes ou noires. Les saris rose pétard sont délectables et joyeux ; les roses framboise des façades sont merveilleux sous le grand soleil méridional. Quand on commence à grisonner en Angleterre, on vous conseille de porter du rose clair, mais les lainages pelucheux en angora ou cachemire rose ne s'accordent pas avec tous les types de peau et semblent augurer d'une seconde enfance. Bien plus seyants sont les bruns rosés, la couleur des pots de terre cuite mangée de soleil, que Matisse aimait tant.
Le rose est une couleur sophistiquée, c'est l'une des dernières que les humains apprennent à reconnaître et à nommer. Nous commençons avec le noir et le blanc, nous ajoutons le rouge, puis le jaune et le vert, puis le bleu et le brun. Le rose arrive dans un dernier groupe avec l'orangé, le violet et le gris. Les définitions du dictionnaire n'excitent guère mon imagination : celui d'Oxford, en un volume, le qualifie de "rouge pâle", ce qu'il n'est justement pas ; le grand, en plusieurs volumes, de "rouge léger ou pâle avec une touche de violet", ce qui semble plus précis mais n'évoque guère les roses ou le sucre candi. Il y a une vaste différence entre les teintes de rose obtenues principalement à base de blanc opaque et celles qui sont des rouges et des violets atténués ou passés.
En art, le rose est toujours un peu surprenant. Le portrait de Madame de Pompadour, par Drouais, à la National Gallery, la montre avec du rose aux joues, en robe crème parsemée de fleurs roses, entourée d'une draperie de soie rose et de quelques pièces de porcelaine de Sèvres d'un rose soutenu. Ce rose-là est élégant, comme est élégante la pâle dame couverte de fleurs que Whistler a peinte dans son tableau Symphonie en couleur chair et rose ; le tableau n'en est pas moins légèrement sinistre. Manet a peint une femme vêtue d'un peignoir léger aux multiples couleurs qui chatoient entre rose et crème, debout à côté d'un perroquet d'un gris acier fuligineux. Monet était le maître de la lumière rose, lumière rose de l'aube et du soir, sur la neige, sur les meules de foin, sur la pierre de la cathédrale de Rouen, mélangée à des bleus, des gris, des ivoires et des ors. Bonnard, lui aussi, était un maître du spectre des roses, depuis le rose chaud des corps à la sortie du bain, jusqu'aux touches fraîches de rose lilas sur les jambes au fond de la baignoire. La Tate Gallery a été mal inspirée, en 1998, de repeindre ses cimaises d'un sinistre saumon pâle qui n'ajoutait rien aux tableaux et même parfois les tuait. James Ensor utilisait le rose pour choquer. Ses masques peints sont d'un rose souvent atroce et guilleret, comme dans son Christ à l'agonie. Son autoportrait fait penser aux belles et terribles crucifixions du peintre britannique Norman Adams, qui utilisait de somptueuses couleurs rutilantes et jubilatoires pour peindre des scènes affreuses, mariant "innocence" à la Blake et ténèbres. L'un au moins des visages torturés d'Adams a une bouche brillamment tracée en rose shocking. Je lui avais rendu visite à la Royal Academy lorsqu'il en était le conservateur, et c'est alors qu'il m'avait montré un tube de cette couleur vive et forte qu'il venait d'acheter et m'avait dit que son nom était "intéressant". Ce qu'il en faisait était subtilement choquant dans tous les sens.
Le fuchsia épicé et brillant du rose shocking est un pigment relativement récent, crois-je, pour les peintres. C'est une couleur qui apparaît splendidement complexe dans la lumière transparente des écrans de télévision, contrairement aux roses plus blancs de la porcelaine. Les couleurs primaires de la lumière sont bleu cyan, vert et magenta, et les nuances de rose qui combinent magenta et lumière créent de merveilleux miroitements. Je passe des heures devant la télévision à contempler la somptueuse balle rose sur la feutrine verte du billard américain. La balle bleue et la balle jaune sont belles aussi - la brune est terne - mais la rose est la plus brillante et la plus gaie. Patrick Heron, peintre abstrait que j'admirais énormément, employait ce rose puissant, avec des verts sombres et des écarlates, ou bien avec des bleus ciel, en virtuose, dans ses estampes des années 1970. Dans ses peintures plus récentes, inspirées par les reflets de la lumière des jardins et du port de Sydney, il s'est servi des roses bonbon et des mauves les plus pâles, saturés de blanc, à côté de rubans de pigment d'un blanc pur sur fond blanc. Ces couleurs ressemblent aux roses et aux mauves pâles et aérés des tableaux niçois de Matisse, et paraissent à la fois innocents et mystérieux - et pourtant comment peut-on attribuer de l'innocence à une couleur ?
Je suis revenue à mes premières amours en ce qui concerne la couleur rose. Je n'aime pas, et n'ai jamais aimé, les roses acides des pétunias, et encore moins les roses bistres à la mode, les fraises écrasées, les framboises broyées, qui m'ont toujours paru des couleurs sales, bien qu'eux aussi soient recommandés aux femmes d'un certain âge. Le rose est une couleur d'été. Les violettes et les primevères appartiennent au printemps. J'aime m'entourer de clairs roses d'été, dont la couleur est celle de l'églantine anglaise, ou celle des bivalves en forme de papillon que je trouvais sur les plages du Yorkshire dans mon enfance, de ce rose qui s'harmonise avec les ors jaunes et les verts feuillage. J'aime les géraniums rose saumoné, et j'évite ceux qui sont de couleur puce. J'aime ce que Wallace Stevens appelait curieusement et avec une certaine précision "la couleur comique de la rose".
[ Le Charivari, Mercredi 21 février 1877. Orthographe de l'époque. ]
Hoffmann a fondé une école qui a été très-florissante chez nous de 1829 à 1833, mais qu'on croyait passée de mode. A dater des romans réalistes d'Honoré de Balzac, le Fantastique n'avait plus de racine nulle part. Gustave Planche et Sainte-Beuve constataient ce fait :
« Le Fantastique est mort en France, disaient-ils. Comment aurait-il pu s'y acclimater ? Pour croire aux rêveries d'Hoffmann, il faudrait supposer qu'il existât parmi nous des dormeurs tout éveillés et des poètes. Cet essaim d'esprits malades s'est envolé, Dieu merci ! et pour toujours. »
Eh bien ! ces beaux esprits se trompaient. Le Fantastique n'est pas aussi mort qu'ils ont cherché à le faire croire. On a abusé, j'en conviens, des formes imaginées par le maître du chat Murr. La diablerie en prose ou en vers est devenue un excès qui a obligé l'homme de bon sens à chercher un refuge chez les positivistes ; cependant l'amour du merveilleux en littérature n'a pas disparu pour cela, que je sache. Il y a eu réaction. En ce moment même, en haine des romans de cour d'assises, de bagne, d'assassinat et de mauvais lieux, le Fantastique rentre tout à coup en scène. Tourgueneff, un conteur russe plein de charme, nous le ramène à grands pas dans ses récits.
Tourgueneff a eu un devancier sous ce rapport-là. Je veux parler de Gérard de Nerval.
Au commencement de son dernier hiver, très-peu de jours avant qu'il ne songeât au triste drame de la rue de la Vieille-Lanterne, Gérard causait de ces choses avec nous, sur les boulevards, par une soirée nébuleuse, à travers la neige fondue et le vent. Il fallait voir, ou plutôt il fallait entendre comme il soutenait que l'école d'Hoffmann comptait encore de nombreux disciples parmi les poètes et les artistes de notre temps ! On le croira sans peine, les critiques, ennemis de l'idéal, étaient l'objet de ses sarcasmes les plus aigus.
Gérard de Nerval ne pouvait se résoudre à supposer qu'il n'y eût plus de rêverie chez nous. La vie sèche, les moeurs prosaïques, la réalité nue lui étaient si antipathiques ! Il nous faisait remarquer que Paris, où il se fait pourtant chaque jour des montagnes de chiffres, était la ville du monde où l'on joue le plus de féeries. Il ajoutait que c'était le seul fragment de la planète où l'on s'occupât sans cesse de Satan. On y a fait le Diable à Paris, illustré par Gavarni, les Mémoires du Diable, par Frédéric Soulié, la Mare au Diable, par George Sand, la Part du Diable, un charmant opéra-comique, les Sept châteaux du Diable, une fantaisie d'une éternelle jeunesse. Toujours le diable !
-- Pour moi, reprenait le malheureux songeur, je passe ma vie dans les nuages ; Georges Bell sait, d'ailleurs, que je continue scène par scène un grand drame fantastique dont Nicolas Flamel est le héros.
Ce drame, par malheur, est demeuré inachevé comme beaucoup d'autres de ses oeuvres. Le peu qu'il y en a en fait concevoir une très-haute idée. Mais ce n'était pas la seule bizarrerie de ce genre que l'auteur de la Reine de Saba imaginât.
Un autre soir que nous étions au coin d'un feu hospitalier, lui, moi et quelques autres, l'auteur de Loreley mit une trève à sa réserve habituelle. Sur une prière que lui fit un des assistants, il se prit à nous parler de l'Orient, la région de ses rêves, des almées qu'il avait vues danser au Caire, de la pyramide de Chéops, dans l'intérieur de laquelle il affirmait avoir été initié à je ne sais plus quel culte mystérieux et innommé, dont il vantait sans cesse la mythologie. Je vous laisse à penser si nous faisions silence pour ne rien perdre de ces merveilleux récits. Il est vrai de dire qu'il ne se trouvait pas de réalistes parmi nous.
A un certain moment, le conteur opéra un retour du côté de l'Europe ; c'est alors qu'il laissa tomber de ses lèvres un épisode, que j'ai conservé tant bien que mal dans les replis de ma mémoire et que je vous transmets ici.
Vingt ans ont passé sur le monde depuis que ce récit a été fait, et, en vingt ans, les forces du souvenir s'énervent toujours un peu. Aussi, lecteur, si la légende vous paraît défectueuse, ne vous en prenez pas à Gérard, mais à celui qui, après tant de jours écoulés, remplit pour cette oeuvre l'office de sténographe.
« Un jour, dans une de mes courses vagabondes à travers l'Allemagne, j'ai acheté à Nüremberg un vase antique, que l'écriteau du marchand disait provenir des fouilles d'Herculanum.
» Sur l'anse de ce vase, une jeune Centauresse, fille du ciseau grec, étend sa croupe arrondie ; ses deux yeux verts s'ouvrent avec hardiesse ; on dirait qu'elle va s'élancer dans l'espace.
» Bien souvent, à la chute du jour, au moment où la nuit commence à étendre sur le monde les dentelles de sa mantille noire, je me suis agenouillé près du vase ; j'ai fixé du regard la forme capricieuse, et je me suis dit :
» -- Voyons si la Centauresse prendra enfin son vol dans les champs de l'éther ?
« Ah ! vous ne me croirez pas quand je vous dirai que je l'ai vue ouvrir brusquement ses ailes et partir deux ou trois fois. Pourquoi me croiriez-vous, puisque je vous dis la vérité ?
» Elle partait donc, la Centauresse ; ses pieds ailés se détachaient de l'anse du vase, sans bruit et sans fêlure. Un petit craquement, à peine perceptible à l'ouïe, était la seule conséquence de ce mouvement.
» Comme l'ombre s'épaississait de plus en plus, j'avais beau regarder de tous côtés et redoubler de vigilance, je n'apercevais plus rien que le vase délaissé.
» Dans ma douleur, j'ouvrais précipitamment ma fenêtre.
» -- Ma jolie Centauresse, où vas-tu ? Dans quel monde, habité de douces chimères, feras-tu ton tour capricieux ?
» Rien ne me répondait, mais le lendemain, au moment où le soleil posait son pied d'or sur mes rideaux bleus, je regardais de nouveau le vase d'Herculanum. La Centauresse était revenue à sa place ; elle me souriait ironiquement comme pour me dire :
» -- Tu vois, me voilà de retour.
» Mais, en même temps, sa bouche si fine prenait une expression de malice. En traduisant le langage illettré ou aphone qu'elle apportait, je devinais ces mots magiques :
» -- Ecoute, j'arrive du pays de l'Amour ; j'ai causé longtemps avec celle que tu aimes, -- tu sais bien, -- celle dont les hommes disent : « Elle est morte ! » Cent fois plus belle qu'au temps où elle vivait sur la terre, elle m'avait chargée d'un message pour toi, mais ne t'ayant pas trouvé éveillé, au moment de mon retour, j'ai laissé ses paroles reprendre leur essor vers elle, comme une troupe de blanches colombes qui retournent au colombier. Ces paroles ne reviendront plus.
» Une autre fois, après une courte absence, à peine remarquée, la Centauresse se montra plus cruelle encore.
» -- Au moment où je suis revenue de mon second voyage, disait-elle, je t'ai vu, pauvre insensé, étendu de tout ton long sur la poussière des livres. Si tu m'eusses guettée, j'aurais laissé tomber à tes pieds le rameau mystérieux qui rend riche ; c'est le frère de ce rameau d'or qui ouvrait à Anchise les portes des enfers. Je l'avais cueilli pour toi dans le pays de la Fortune où je suis allée passer deux heures. Mais te voyant, à mon retour, aux prises avec l'histoire des peuples éteints et plongé dans la monotone chronique des civilisations évanouies, labeur bien utile, en vérité ! j'ai jeté mon rameau dans la rue. C'est un millionnaire qui l'a ramassé.
» A la fin d'une troisième échappée :
» -- J'arrive du pays où l'on ramasse la gloire à pleines mains, comme les enfants font pour le sable au bord de la mer. J'en avais pris au hasard trois pincées pour toi. Dans ces trois pincées, se trouvait un grain qui donnait la faculté de diriger enfin les navires dans l'air, et conséquemment de devenir fameux. Un second donnait le moyen de recommencer Attila, le même qui faisait traîner son char par quatre rois, attelés comme des chevaux. Un troisième eût donné assez de génie pour jeter un pont du Havre à New-York. Mais je t'ai trouvé trop béant d'extase à la vue d'un bâtard qui sortait du palais des Tuileries, entouré de tambours, de courtisans, de trompettes et d'un peuple hébêté. Et j'ai laissé tomber mes trois grains dans la sébile d'un aveugle qui passait par là.
» Or, ajoutait Gérard de Nerval, le lendemain, ma femme de ménage, en époussetant, cassait ma Centauresse. »
Ce récit s'arrêta-là. -- J'ai cru que ce qu'il y avait de mieux à faire, c'était de le reproduire mot pour mot.
Des buissons lumineux fusaient comme des gerbes ; Mille insectes, tels des prismes, vibraient dans l'air ; Le vent jouait avec l'ombre des lilas clairs, Sur le tissu des eaux et les nappes de l'herbe. Un lion se couchait sous des branches en fleurs ; Le daim flexible errait là-bas, près des panthères ; Et les paons déployaient des faisceaux de lueurs Parmi les phlox en feu et les lys de lumière. Dieu seul régnait sur terre et seul régnait aux cieux. Adam vivait captif en des chaînes divines ; Eve écoutait le chant menu des sources fines, Le sourire du monde habitait ses beaux yeux ; Un archange tranquille et pur veillait sur elle Et, chaque soir, quand se dardaient, là-haut, les ors, Pour que la nuit fût douce au repos de son corps, L'archange endormait Eve au creux de sa grande aile.
Avec de la rosée au vallon de ses seins, Eve se réveillait, candidement, dans l'aube ; Et l'archange séchait aux clartés de sa robe Les longs cheveux dont Eve avait empli sa main. L'ombre se déliait de l'étreinte des roses Qui sommeillaient encore et s'inclinaient là-bas ; Et le couple montait vers les apothéoses Que le jardin sacré dressait devant ses pas. Comme hier, comme toujours, les bêtes familières Avec le frais soleil dormaient sur les gazons ; Les insectes brillaient à la pointe des pierres Et les paons lumineux rouaient aux horizons ; Les tigres clairs, auprès des fleurs simples et douces, Sans les blesser jamais, posaient leurs mufles roux ; Et les bonds des chevreuils, dans l'herbe et sur la mousse, S'entremêlaient sous le regard des lions doux ; Rien n'avait dérangé les splendeurs de la veille. C'était le même rythme unique et glorieux, Le même ordre lucide et la même merveille Et la même présence immuable de Dieu.
II
Pourtant, après des ans et puis des ans, un jour, Eve sentit son âme impatiente et lasse D'être à jamais la fleur sans sève et sans amour D'un torride bonheur, monotone et tenace ; Aux cieux planait encor l'orageuse menace Quand le désir lui vint d'en éprouver l'éclair. Un large et doux frisson glissa dès lors sur elle Et, pour le ressentir jusqu'au fond de sa chair, Eve, contre son coeur, serrait ses deux mains frêles. L'archange, avec angoisse, interrogeait, la nuit, Le brusque et violent réveil de la dormeuse Et les gestes épars de son étrange ennui, Mais Eve demeurait close et silencieuse. Il consultait en vain les fleurs et les oiseaux Qui vivaient avec elle au bord des sources nues, Et le miroir fidèle et souterrain des eaux D'où peut-être sourdait sa pensée inconnue. Un soir qu'il se penchait, avec des doigts pieux, Doucement, lentement, pour lui fermer les yeux, Eve bondit soudain hors de son aile immense. Oh ! l'heureuse, subite et féconde démence, Que l'ange, avec son coeur trop pur, ne comprit pas. Elle était loin qu'il lui tendait encor les bras Tandis qu'elle levait déjà son corps sans voiles Eperdument, là-bas, vers des brasiers d'étoiles.
Adam la vit ainsi et tout son coeur trembla.
Jadis, quand, au soir descendant, ses courses De marcheur solitaire erraient par là, Joueuse, il l'avait vue au bord des sources Vouloir en ses deux mains saisir Les bulles d'eau fugaces Que les sables du fond lançaient vers la surface ; Il l'avait vue encore ardente au seul plaisir De ployer vers le sol, avec des doigts agiles, Les brins d'herbe légers Et d'y regarder luire et tout à coup bouger Les insectes fragiles ; Eve n'était alors qu'un bel enfant distrait Quand lui, l'homme, cherchait déjà quel-que autre vie Non asservie, Là-bas, au loin, parmi les monts et les forêts.
Eve voulait aimer, Adam voulait connaître ; Et de la voir ainsi, vers l'ombre et la splendeur Tendue, il devina soudain quel nouvel être Eve, à son tour, sentait naître et battre en son coeur.
Il s'approcha, ardent et gauche, avec la crainte D'effaroucher ces yeux dans leur songe perdus ; Des grappes de parfums tombaient des térébinthes Et le sol était chaud de parfums répandus.
Il hésitait et s'attardait quand la belle Eve, Avec un geste fier, s'empara de ses mains, Les baisa longuement, lentement, comme en rêve, Et doucement glissa leur douceur sur ses seins.
Jusqu'au fond de sa chair s'étendit leur brûlure. Sa bouche avait trouvé la bouche où s'embraser Et ses doigts épandaient sa grande chevelure Sur la nombreuse ardeur de leurs premiers baisers.
Ils s'étaient tous les deux couchés près des fontaines Où comme seuls témoins ne luisaient que leurs yeux. Adam sentait sa force inconnue et soudaine Croître, sous un émoi brusque et délicieux.
Le corps d'Eve cachait de profondes retraites Douces comme la mousse au vent tiède du jour Et les gazons foulés et les gerbes défaites Se laissaient écraser sous leur mouvant amour.
Et quand le spasme enfin sauta de leur poitrine Et les retint broyés entre leurs bras raidis, Toute la grande nuit amoureuse et féline Fit plus douce sa brise au coeur du paradis.
Soudain Un nuage d'abord lointain, Mais dont se déchaînait le tournoyant vertige Au point de n'être plus que terreur et prodige, Bondit de l'horizon au travers de la nuit. Adam releva Eve et serra contre lui Le pâle et doux effroi de sa chair frissonnante. Le nuage approchait, livide et sulfureux, Il était débordant de menaces tonnantes Et tout à coup, au ras du sol, devant leurs yeux, A l'endroit même où les herbes sauvages Etaient chaudes encor D'avoir été la couche où s'aimèrent leurs corps, Toute la rage Du formidable et ténébreux nuage Mordit.
Et dans l'ombre la voix du Seigneur s'entendit. Des feux sortaient des fleurs et des buissons nocturnes ; Au détour des sentiers profonds et taciturnes, L'épée entre leurs mains, les anges flamboyaient ; On entendait rugir des lions vers les astres ; Des cris d'aigle hélaient la mort et ses désastres ; Tous les palmiers géants, au bord des lacs, ployaient Sous le même vent dur de colère et de haine, Qui s'acharnait sur Eve et sur Adam, là-bas, Et dans l'immense nuit précipitait leurs pas Vers les mondes nouveaux de la ferveur humaine.
L'ordre divin et primitif n'existait plus. Tout un autre univers se dégageait de l'ombre Où des rythmes nouveaux encore irrésolus Entremêlaient leur force et leurs ondes sans nombre. Vous les sentiez courir en vous, grands bois vermeils, Tumultueux de vent ou calmes de rosée, Et toi, montagne, et vous, neiges cristallisées Là-haut en des palais de gel et de soleil, Et toi, sol bienveillant aux fruits, aux fleurs, aux graines, Et toi, clarté chantante et douce des fontaines, Et vous, minéraux froids, subtils et ténébreux, Et vous, astres mêlés au tournoiement des cieux, Et toi, fleuve jeté aux flots océaniques, Et toi, le temps, et vous, l'espace et l'infini, Et vous enfin, cerveaux d'Eve et d'Adam, unis Pour la vie innombrable et pour la mort unique.
L'homme sentit bientôt comme un multiple aimant Solliciter sa force et la mêler aux choses ; Il devinait les buts, il soupçonnait les causes Et les mots s'exaltaient sur ses lèvres d'amant ; Soir coeur naïf, sans le vouloir, aima la terre Et l'eau obéissante et l'arbre autoritaire Et les feux jaillissants des cailloux fracassés. Les fruits tentaient sa bouche avec leurs ors placides Et les raisins broyés des grappes translucides Illuminaient sa soif avant de l'apaiser. Et la chasse et la lutte et les bêtes hurlantes Eveillèrent l'adresse endormie en ses mains, Et l'orgueil le dota de forces violentes Pour que lui-même, un jour, bâtît seul son destin.
Et la femme, plus belle encor depuis que l'homme Avait ému sa chair du frisson merveilleux, Vivait dans les bois d'or baignés d'aube et d'aromes Avec tout l'avenir dans les pleurs de ses yeux. C'est en elle que s'éveilla la première âme Faite de force douce et de trouble inconnu, A l'heure où tout son coeur se répandait en flammes Sur le germe d'enfant que serrait son flanc nu. Le soir, lorsque le jour dans la gloire s'achève Et que luisent les pieds des troncs dans les forêts, Elle étendait son corps déjà plein de son rêve Sur les pentes des rocs que le couchant dorait ; Ses beaux seins soulevés faisaient deux ombres rondes Sur sa peau frémissante et claire ainsi que l'eau, Et le soleil, frôlant toute sa chair féconde, Semblait mûrir ainsi tout le monde nouveau. Elle songeait, vaillante et grave, ardente et lente, Au sort humain multiplié par son amour, A la volonté belle, énorme et violente Qui dompterait la terre et ses forces un jour. Vous lui apparaissiez, vous, les douleurs sacrées, Et vous, les désespoirs, et vous, les maux profonds, Et d'avance la grande Eve transfigurée Prit vos mains en ses mains et vous baisa le front ; Mais vous aussi, grandeur, folie, audace humaines, Vous exaltiez son coeur pour en chasser le deuil Et vos transports naissants et vos ardeurs soudaines Lui prédirent quels bonds soulèverait l'orgueil ; Elle espérait en vous, recherches et pensées, Acharnement de vivre et de vouloir le mieux Dans la peine vaillante et la joie angoissée, Si bien que, s'en allant un soir sous le ciel bleu, Libre et belle, par un chemin de mousses vertes, Elle aperçut le seuil du paradis, là-bas : L'ange était accueillant, la porte était ouverte ; Mais, détournant la tête, elle n'y rentra pas.
La première Biennale internationale du goût s’est ouverte samedi par un banquet gargantuesque, sous le tunnel de la Croix-Rousse. L’événement est organisé en marge du Salon international de la restauration, de l’hôtellerie et de l’alimentation, rendez-vous planétaire de la profession.
La douce odeur des légumes moulinés réchauffe l’atmosphère encore chargée de la neige tombée tout le jour. De la joue de bœuf effilochée nage à la surface de la soupe, préparée sous les ordres de Christophe Muller.
Pour l’occasion, le bras droit de Paul Bocuse a pris ses quartiers dans la cuisine centrale des Hospices civils de Lyon, houspillant avec bienveillance ses commis. C’est que la commande était copieuse : deux mille litres d’une soupe aux vingt-sept ingrédients, composée par Paul Bocuse lui-même.
La ville de « Monsieur Paul » a banqueté samedi soir comme jamais. Réconfortés par le breuvage tiède, dix mille Lyonnais ont savouré quenelles et rillettes de carpe… sous le tunnel de la Croix-Rousse. Pour une fois, ce n’est pas sous celui de Fourvière que cela bouchonnait.
Les artisans du goût réunis sur le même comptoir
Traversé par un interminable comptoir de 1,7 kilomètre fixé sur la rambarde séparant la voie de bus de la piste cyclable, l’ensemble de l’ouvrage a été investi par tout ce que la ville compte d’artisans. Des petits mitrons pétrissent la pâte des meules de pain à la mie fondante. Des pâtissiers confectionnent des tartes pralinées scintillantes. Des bouchers bardent délicatement des paupiettes de veau. Des cuisiniers plongent une compote de mangue dans de l’azote liquide, avant de faire déguster le sorbet égayé de pépites de meringue aux passants, déambulant un verre à la main.
« Incroyable ! », lâche, l’eau à la bouche, un garçonnet fasciné par un plateau de huit cents fromages. « Le plus grand du monde », assurent les organisateurs de cette première Biennale internationale du goût. Jusqu’à mercredi, les rendez-vous gastronomiques se succéderont dans la ville pour donner chair à cet événement au sigle tout trouvé : « B ! G ».
Défendre le savoir-faire à la française
D’autres records tomberont – la plus grande salade de fruits (5 500 kg) ou le plus grand mojito (2 500 litres)… Ces performances secondaires cachent l’essentiel : « Pour nous, c’est une occasion unique de valoriser nos métiers », glisse un charcutier.
Empalé sur un pic de glace, un merlu dressé sur ses nageoires fend l’air, un bar planté entre les dents. « Un vrai étal », apprécie Jean-Luc Vianey en prenant du recul sur sa création, comptant quarante espèces de poissons, « tous issus de la petite pêche artisanale, une heure de bateau, pas plus ».
Poissonnier-écailler à la Croix-Rousse, il ne s’est pas fait prier pour venir représenter sa profession. « Regardez comme c’est beau ! On aimerait éduquer le regard et le goût des Lyonnais, les persuader de franchir de nouveau les portes des poissonneries. Il n’en reste que cinq à Lyon », regrette-t-il, en coupant de fines languettes de saumon – « sans OGM, sans hormones, sans pesticides », précise-t-il, à toutes fins utiles.
185 000 personnes présentes, dont 19 000 chefs
Aussi pantagruélique soit-il, le buffet n’en demeure pas moins « anecdotique », selon Dominic Moreaud. Pour ce chef lyonnais, l’événement est ailleurs, sur l’autre rive du Rhône, dans les entrailles de la Cité internationale. Une cité interdite aux habitants durant la semaine. « Les Lyonnais n’ont pas conscience que l’on organise là-bas le plus important salon gastronomique au monde », souffle le colosse au crâne rasé.
Des professionnels uniquement, comme Guillaume Mallet qui y a acheté les fourneaux de son restaurant « L’Étage ». « La Biennale est une bonne manière de convier les habitants à la fête », reconnaît-il, fouettant un fumet de poisson tout en surveillant la réduction de son jus de veau, qui agrémentera le repas servi sur la terrasse éphémère dressée sur la voie de bus…
Quand elle aura replié sa terrasse, la Biennale du goût donnera rendez-vous au Lyonnais en 2017. C’est à cet horizon que la ville doit inaugurer la Cité de la gastronomie. Un espace grand public occupera alors les bâtiments les plus anciens de l’Hôtel-Dieu, au bord du Rhône. Paul Bocuse investira pour sa part le réfectoire des Sœurs de l’ancien hôpital. Là même où exerça un certain François Rabelais.
Il n’était pas là samedi soir mais son nom était sur toutes les lèvres. Paul Bocuse, 89 ans le 11 février, fête cette année un demi-siècle de grande cuisine : son Auberge du Pont de Collonges décrochait en 1965 sa troisième étoile au guide Michelin. Pour l’occasion, une campagne mondiale de communication associera Lyon à « l’excellence gastronomique ».
Présent sur place, Laurent Fabius a évoqué samedi cette opération de « gastrono-diplomatie » que soutient le ministère des affaires étrangères dans le cadre des « contrats de destination » valorisant le tourisme dans l’Hexagone. Ainsi, bien qu’elle ne compte aucun établissement classé au « World’s 50 Best Restaurants », qui fait autorité, la ville aux 64 chefs étoilés, entend faire fructifier l’héritage des « mères », qui ont élevé la cuisine locale à des sommets.
Déjà, Lyon se prévaut d’organiser le « Davos de la gastronomie », en accueillant demain, le « World Summit Cuisine », dans le cadre du Salon international de la restauration, de l’hôtellerie et de l’alimentation. Un salon créé par « Monsieur Paul » et que préside son fils, Jérôme Bocuse.
BÉNÉVENT TOSSERI (à Lyon)
Biennale internationale du goût, jusqu’au 28 janvier. Rens. : www.big-lyon.com.
A la barre du bateau des croqueurs de mots pour cette quinzaine,
Jazzy nous propose de jouer aux centons pour le lundi 6 mai .
Attention, elle n’a pas dit santons, pas question de manipuler
ces fragiles figurines en argile des crèches provençales…
Dans la Rome impériale on appelait “cento” les morceaux de tissu dépareillés
que cousaient les légionnaires afin de se fabriquer un sous – vêtement
qui puisse leur tenir chaud sous la cuirasse de métal .
Par analogie le centon est un jeu littéraire qui consiste à composer
un poème original à partir de vers empruntés à divers auteurs .
Centons donc ( pas sous la pluie j’espère ) au mois de mai comme il nous plaira ,
poème, histoire ou chanson, tout est permis.
Pour le jeudi poésie du 2 mai
Un poème en calligramme personnel ou non
Exemple, Arbre généalogique de Toulmonde
ô a a ma ta oui non tout rien fleur ortie oiseau vipère univers cellule ordre un désordre astérisme nébuleuse atome pain beurre feu air liberté eau esclave soleil champ ville ruelle planète terre globe lunaire lumière jardin ombre asphalte arbre joie jour nuit pleur peur maison table blé chambre province pays pierre temps espace poussières orient plein amour occident vide faim sourire caresse toi lui crainte travail bonheur printemps on eux muscles fer pied main sein femme bonté sexe bras femme roche coeur essence soif foi corps existence prison lumière feuille été jus automne plastique béton montagne cheval sentiers vallée automobile ciment oeuf éclosion santé maman bombe explosion sang bobo musique étoile neige sapin cri sommeil crépuscule loi couleur rythme papillon jeu ver gris vitesse stop meute danse vague océan rivage sel accident visage écume coulée chant prière parole livre sol machine radio télévision plan dessin ligne courbe volume pas building argent électricité go fruit légume lait miel céréales hot dog hamburger steak patates enfant femme beauté paix HOMME HOMME animal végétal minéral mû
Raôul Duguay
Pour le jeudi poésie du 9 mai
Prenez un poème que vous aimez, volez les verbes
et utilisez les dans votre propre poème sans changer l’ordre des verbes
( ils peuvent être conjugués différemment )
ou écrire ou trouver un poème de 56 mots pas un de plus pas un de moins.
Le Môt de Dômi
Voilà un défi fort plaisant.
Je n’ai pas su insérer ton image Jazzy
et comme j’avais publier un poème en calligramme
tout récemment sur mon blog, je l’ai apporté ici à titre d’exemple..
Pour le centon, ne pourrions nous pas dire aussi
que c’est un patchwork poétique, vu ta photo
c’est à ça que j’ai pensé tout de suite.
Alors un poème en 56 mots, je suis curieuse de voir
qui sera capable de nous le pondre, cela dit je ne doute
pas un seul instant de votre talent poétique
A vos plumes chers matelotes (ça me plait bien au féminin )
Pas de défis cette semaine, n'hésitez pas à raconter votre Noël si vous le souhaitez, je le rajouterais au défi. donnez moi vos liens pour ceux qui on participez merci
Cette semaine vous vous réveillez en découvrant que vous ne parlez qu’en proverbes et maximes.
Racontez avant de retrouver votre élocution coutumière et envoyez-nous votre texte à l'adresse habituelle impromptuslitteraires[at]gmail.com avant dimanche 4 décembre.
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Notre souhait est que cette page devienne un lieu d'échange à la fois convivial et décontracté, tout en conservant bien entendu l'esprit des Impromptus et le respect des Instructions Générales du site.
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Une collaboration fructueuse À l’occasion du soixantième anniversaire de la mort de Jean Puy (1876-1960) et en partenariat avec le musée Joseph Déchelette de Roanne, ville natale de l’artiste, le musée de Pont-Aven consacre une exposition aux relations entre Jean Puy et son marchand, Ambroise Vollard, de 1905 à 1925. Installé en 1899 à Paris, Jean Puy se rapproche d’André Derain, Albert Marquet ou Henri Matisse. C’est à l’occasion du fameux Salon d’automne de 1905, qui donne naissance au fauvisme, que Vollard repère l’artiste et ses peintures aux couleurs vives et au dessin simplifié. Outre la richesse picturale des portraits, natures mortes ou paysages, notamment ceux de la Bretagne où Jean Puy revient régulièrement, l’exposition présente toute la diversité de la production de l’artiste, stimulé par Vollard, à l’instar des céramiques et des illustrations de livres. F.D.
Nadia Léger (1904-1982), une artiste à (re)découvrir
C'est à l’éditeur et amateur d’art Aymar du Chatenet que l’on doit la remise en lumière de l’œuvre de Nadia Khodossievitch, née en 1904 en Biélorussie, plus connue sous le nom de Nadia Léger. Passionné par l’artiste, il est parti sur ses traces il y a une dizaine d’années et lui a consacré en 2019 une magistrale monographie (plus de 600 pages). La jeune femme qui quitte l’URSS en 1922, arrive à Paris en 1925 après s’être un temps arrêtée en Pologne où elle se marie. Dans la ville lumière, elle participe à toutes les avant-gardes. Pendant trente ans, elle sera l’assistante et la maîtresse de Fernand Léger dont elle dirigera l’atelier.
Elle épouse le peintre trois ans avant sa disparition et hérite de l’intégralité de son œuvre dont elle sera l’ambassadrice sans relâche, créant notamment le musée Fernand Léger de Biot. Mais Nadia Léger est d’abord une femme singulière d’une incroyable modernité, communiste engagée jusqu’à ses derniers jours. Créatrice au talent immense, elle a produit un œuvre protéiforme où la couleur règne en maître. Avec le concours des ayants droit de l’artiste qui détiennent l’intégralité de son travail, l’exposition aborde toutes les facettes de son art : une soixantaine de peintures, gouaches et dessins, mais aussi des sculptures et des bijoux. N.d’A.
Dans la série des artistes méconnus, tant en Suisse qu’en France, on compte Hans Emmenegger (1866-1940), un peintre pourtant fortement engagé dans la communauté culturelle suisse alémanique. Formé à l’école des arts appliqués de Lucerne, il poursuit ses études à l’Académie Julian et dans l’atelier de Gérôme à Paris. Plusieurs séjours à Munich lui permettent ensuite de pratiquer la gravure et de s’initier à la peinture de plein air. Au tournant du XXe siècle, il affirme un style propre et original. Il peint à de nombreuses reprises les sous-bois, la fonte des neiges, le jeu des ombres et des reflets sur l’eau au moyen d’aplats de couleurs contrastés, dans des cadrages serrés, parfois sans horizon, qui confèrent à ses toiles une atmosphère mélancolique et pourtant étrangement apaisante. À partir des années 1910, il se passionne pour la représentation du mouvement et réalise des œuvres inspirées par la chronophotographie, qui ne sont pas sans rappeler les recherches des artistes futuristes. C.J.
—EN REMONTANT VERS LE NORD : LE TOUQUET-PARIS-PLAGE
Niki de Saint Phalle en toute liberté
C’est un voyage au cœur de l’univers radieux, coloré et libre de Niki de Saint Phalle (1930-2002) que propose cet été le musée du Touquet-Paris-Plage. Le parcours thématique de l’exposition retrace, à travers une quarantaine d’œuvres majeures, la carrière singulière de cette figure inclassable du XXe siècle, de ses premières réalisations dans le groupe des nouveaux réalistes au projet titanesque du Jardin des Tarots, en passant par l’exécution de ses fameux Tableaux-Tirs réalisés à la carabine. La présentation évoque également l’invention de ses Nanas, véritables égéries féministes du début des années 1960, interrogeant le spectateur sur la place et la représentation de la femme dans la société.
Cette rétrospective aborde également sa production d’éléments mobiliers, une dimension souvent méconnue du travail de cette artiste autodidacte, reflétant pourtant l’un de ses vœux les plus chers : faire entrer l’art dans la vie. E.M.
Depuis 1989, il s'était éloigné du devant de la scène politique. Il s'était alors tourné vers son propre passé, rédigeant un ouvrage de souvenirs, Après tant de batailles.
Archambault/Figaro.
PIERRE PELLISSIER.
Publié le 30 août 2007
Actualisé le 30 août 2007 : 07h28
Premier ministre de 1972 à 1974, Pierre Messmer, mort hier à 91 ans, était un gaulliste de la première heure, une figure de la France libre et un des plus ardents défenseurs de l'oeuvre du fondateur de la Ve République.
IL AVAIT eu un parcours politique hors du commun. Peut-être parce qu'il n'était pas vraiment un homme du sérail et qu'il n'a jamais eu envie de se glisser dans le moule commun et réducteur. Peut-être parce que les circonstances et plus encore les hommes, naturellement poussés aux simplifications, l'avaient habillé d'une autre réputation, celle de l'éternel baroudeur. Pour beaucoup, chez les uns par dérision ou provocation, chez les autres par admiration, Pierre Messmer n'était donc que le « légionnaire » ; évidente injustice consistant à privilégier un seul aspect des carrières d'un homme qui avait su tenir son rang en bien d'autres circonstances. Car Pierre Messmer, aux apparences monolithiques, était multiple et complexe. Peut-être même secrètement amusé de ce portrait de lui frisant la caricature, mais qu'il assumait pourtant, avec une lueur égayée au fond d'un regard bleu qui n'était glacial que pour ceux qui se laissaient intimider. Avant de surgir, très tardivement, sur le devant de la scène, Pierre Messmer s'était effectivement distingué dans d'autres domaines, là où il fallait allier le courage physique et la finesse politique. Cela s'apprenait sans doute dans une école depuis longtemps disparue : l'École nationale de la France d'outre-mer, dont il était sorti en 1937, ayant également en poche un doctorat en droit et le diplôme de l'École des langues orientales et, en théorie, une belle carrière devant lui. L'épreuve du feu En fait, il est encore un jeune sous-lieutenant du contingent au 12e régiment des tirailleurs sénégalais quand éclate la guerre. Et ce sera, dès juin 1940, son passage à Londres et son engagement dans les Forces françaises libres. Le voici entrant dans la légende sans encore le savoir : il est affecté à la 13e demi-brigade de Légion étrangère (13e DBLE). Chef de section, puis commandant de compagnie, il est engagé en 1940 dans les expéditions de Dakar puis du Gabon ; en 1941, il fait campagne en Érythrée puis en Syrie ; en 1942 et 1943, c'est la Libye avec Bir Hakeim et El Alamein, deux des plus glorieux combats de la France Libre, puis suit la Tunisie. Après la libération de Paris, aux côtés de la 2e DB, après la campagne de France et la conquête de l'Allemagne, de nouveau avec la 13e DBLE, Pierre Messmer aurait pu, comme tant d'autres compagnons de la Libération, rentrer dans le rang. Il n'en est rien ; il va continuer de servir la France, sous un autre uniforme. Son passage à la tête de la mission française à Calcutta est éphémère : en 1945, il reçoit une mission hors du commun, accepte d'être parachuté au Tonkin où il tombe entre les mains du Viêt-minh, s'échappe et rejoint la mission française à Hanoï. Enfin démobilisé, il devient secrétaire général du comité interministériel pour l'Indochine puis, en 1947 et 1948, directeur du cabinet du haut-commissaire de France en Indochine. L'Africain Une série d'affectations lui permet ensuite de découvrir l'Afrique et de s'imprégner des mentalités et des cultures de ces pays qui, un jour, se sépareront de la France, mais avec lesquels il conservera personnellement des liens privilégiés ; parce que les futurs chefs d'État savent qu'il les a compris, même s'il connaît leurs défauts et les dérives menaçant les anciennes colonies. Le voici commandant du cercle d'Atar (1950-1951) puis gouverneur de la Mauritanie (1952-1954), gouverneur de la Côte d'Ivoire (1954-1956), haut-commissaire au Cameroun (1956-1958) puis en Afrique équatoriale française (1958), enfin haut-commissaire général en Afrique occidentale française (1958-1959). Mais, chemin faisant, il est passé par un cabinet ministériel en 1956, à la France d'outre-mer, dont Gaston Defferre est le ministre. Et là, Pierre Messmer travaille sur une loi-cadre préparant l'évolution de l'Afrique française. Une évolution qui prendra un autre tour avec la naissance, en mai 1958, de la Ve République. L'avènement de la Ve République change totalement le cours de sa carrière : on va oublier « l'Africain » pour retrouver « le légionnaire » : il devient ministre des Armées le 6 février 1960, fonction qu'il conservera, d'un gouvernement à l'autre, jusqu'à une autre secousse, celle de Mai 68... qui en fera le député de la Moselle ! Député certes, mais avec une carrière ministérielle à reprendre : les DOM-TOM de 1971 à 1972, avant l'Hôtel Matignon. Pierre Messmer - qui, comme beaucoup de gaullistes intransigeants, avait redouté que Jacques Chaban-Delmas et sa « nouvelle société » ne dérapent quelque peu - allait en effet succéder à celui dont tous se méfiaient : Chaban éliminé, c'est Messmer que Georges Pompidou fait monter en première ligne. Non à l'Élysée Ses amis en viendront très vite à regretter qu'il se connaisse si bien, qu'il mesure ses propres limites, que l'ambition ne l'égare jamais : à la mort de Georges Pompidou, il faut faire bloc pour sauver l'Élysée qui menace d'échapper à la famille gaulliste ; car déjà pointe un certain François Mitterrand. Et il y a beaucoup trop de monde, dans l'autre camp, pour rêver à la succession de Pompidou ; Chaban-Delmas par exemple, ou Valéry Giscard d'Estaing, qui propose son retrait aux gaullistes si tout le monde s'accorde sur un candidat unique, sous-entendu pour barrer la route à Chaban. Et les gaullistes pensent à Pierre Messmer. Il les écoute et refuse ; ils insistent, mais il ne fléchit pas ; ils le harcèlent, mais il ne dira jamais oui. Chaban sera candidat, comme Giscard, comme Mitterrand... Au second tour, Giscard l'emporte sur Mitterrand. Et curieusement, Pierre Messmer ne redeviendra jamais plus ministre. L'homme de l'Est se replie sur la Lorraine. Il est heureux d'être député de Moselle depuis 1968, maire de Sarrebourg depuis 1971, président du conseil régional de 1978 à 1980. Il ne quitte pourtant pas la scène politique ; il reste un homme d'influence peu habitué à cacher ses sentiments, ce qui fâche peut-être les amis de Valéry Giscard d'Estaing lorsqu'il annonce, en 1981, que sept ans, ça suffit, et que Giscard a tort de briguer un second mandat. Les insuffisances de la politique sociale et, plus encore, les échecs africains de Giscard sont pour beaucoup dans ce choix. Ceux qui le voyaient se rallier à Debré contre Mitterrand seront également déçus : pour Messmer, le seul candidat méritant d'être soutenu par les gaullistes de tradition s'appelle Jacques Chirac... Il devient donc son directeur de campagne, au PC de la rue de Tilsitt. Et Chirac, plus tard, lui confiera encore une mission : tenir en main le groupe parlementaire RPR du Palais Bourbon. Avec une autre présidentielle perdue, en 1988, au terme des deux années de cohabitation, puis avec les législatives également perdues dans la foulée, l'effet boule de neige existant aussi en politique, les contrecoups sont cruels pour Pierre Messmer : en juin 1988, il perd son mandat de député ; l'année suivante, il renonce à défendre sa mairie de Sarrebourg : « Si j'étais élu, j'aurais 79 ans en fin de mandat. Il faut parfois se déterminer par rapport à soi-même. C'est la sagesse qui le veut. » Discrète éminence grise Et sagement, il s'était éloigné. En apparence tout au moins, car il avait toujours ses contacts politiques, toujours ses relations africaines. Avec un fond de tristesse qui ne le quittait jamais plus depuis le décès de son épouse, qui avait tant étonné les journalistes, à l'arrivée de Pierre Messmer à l'Hôtel Matignon, en leur déclarant tout de go : « N'est-ce pas qu'il est beau mon légionnaire... » Il était donc devenu une discrète éminence grise pour satisfaire le présent et même l'avenir. Il s'était aussi tourné vers son propre passé, rédigeant un ouvrage de souvenirs, Après tant de batailles, (Albin Michel), ouvrage qui lui avait valu d'être primé par l'Association des écrivains combattants. Ce sont aussi ses états de service militaires qui allaient lui permettre d'être élu à l'Académie française en 1999, au fauteuil d'un autre gaulliste historique, Maurice Schumann. Également membre de l'Académie des sciences morales et politiques, puis chancelier de l'Institut de France, Pierre Messmer était, depuis longtemps, devenu l'un des gardiens du temple gaulliste : président de l'Institut Charles-de-Gaulle, puis de la Fondation Charles-de-Gaulle, il avait succédé au général de Boissieu, gendre du général de Gaulle, comme chancelier de l'ordre de la Libération, qui est le véritable sanctuaire du gaullisme.
L'ancien Premier ministre livre sa réflexion sur le pouvoir et sur l'ivresse dont tout homme qui s'en empare est saisi. Le Soleil Noir de la Puissance. 1796-1807 Dominique de Villepin ed. PERRIN
Dominique de Villepin raconte Napoléon par Christophe Barbier
Du pont de Lodi au massacre d'Eylau, de la flamboyante campagne d'Italie aux neiges de Pologne, l'Europe assiste, médusée, à l'irrésistible ascension de Napoléon Bonaparte. Audacieux général en 1796, il est un invincible empereur en 1807. Après Les Cent-Jours, Dominique de Villepin narre ici, avec verve et précision, la partie glorieuse du vol de l'Aigle. Mais il décrit aussi un homme rongé par la peur et lentement brûlé par Le Soleil noir de la puissance. En filigrane, l'ancien Premier ministre livre aussi sa réflexion sur le pouvoir et sur l'ivresse dont tout homme qui s'en empare est saisi.
Après Les Cent-Jours, en attendant le tome sur le crépuscule de l'Aigle (1807-1814) et celui sur Sainte-Hélène et le mythe, qu'avez-vous souhaité appréhender en allant de Lodi à Tilsit, à la lueur du Soleil noir de la puissance? C'est un livre sur les métamorphoses de Napoléon, sur l'ivresse du pouvoir également. J'ai voulu montrer comment le pouvoir, sa conquête et son exercice modifient en substance la personnalité napoléonienne.
Première métamorphose, Bonaparte passe du tacticien au stratège, à Lodi, en 1796... Lodi, c'est la prise de conscience par Bonaparte de son destin: il fera d'ailleurs référence à l' «étoile de Lodi». Dans cette bataille pour passer un pont, il force le destin. Il dira: «Je voyais déjà le monde fuir sous moi comme si j'étais emporté dans les airs.» Et il ajoute: «Je ne me regardais plus comme un simple général, mais comme un homme appelé à influer sur le sort d'un peuple.» Plus que le passage d'un tacticien à un stratège, Lodi est le passage d'un homme du commun à un homme d'exception. On fonde usuellement la légitimité sur des paramètres extérieurs: l'onction, le suffrage, etc. Or, la légitimité, c'est d'abord la conscience qu'un homme a de sa différence. Et c'est une grande clef de l'histoire politique. D'où l'importance de la révélation de Lodi. D'autant que la manière dont est perçu Bonaparte change. Dans le regard de ses soldats, d'abord. Le «petit caporal» brocardé, homme de main de Barras chargé en Italie d'une simple opération de diversion, se place par cet exploit au centre de la scène. Pour les populations, ensuite: son talent politique pour gérer les villes occupées, parler aux foules, limiter les horreurs de la guerre, le distingue. Aux yeux du Directoire, enfin: Bonaparte résiste quand Kellermann lui est dépêché pour partager le commandement. Il y a une cristallisation décisive à ce moment-là. Nombre d'autres généraux peuvent prétendre à briller, et, malingre, le Corse n'est pas le plus flamboyant. Mais, nourri des blessures, des épreuves, de la solitude de sa jeunesse, il a la conscience de sa prédestination.
Se voit-il alors irrésistible? Non. Il a appris aussi la précarité des choses. Dans les prisons de Thermidor, quand un boulet le frôle ou qu'un cheval est tué sous lui à Toulon, il a compris que tout peut basculer. Il prend tous les risques, mais avec cette conscience de la volatilité des situations. Et avec un génie du calendrier qui distingue les politiques d'exception. Il revient d'Italie en héros, mais il se livre peu, car il a compris que la situation n'était pas mûre. Il se sait militaire dans une période où les politiques dominent, et va donc pousser sa légitimité dans d'autres exploits armés. Parce qu'il a le sens du moment, il décide le détour par l'Egypte. Il sait que la légitimité est complexe, qu'elle se bâtit, et il ajoute donc à ses attributs militaires l'imaginaire porté par l'Orient - Alexandre, César, Saint Louis... - et une dimension intellectuelle en emmenant des savants. Magie du personnage, instinct de la politique, il montre aussi qu'il sait transformer des échecs en succès. L'Egypte, c'est beaucoup d'échecs: Aboukir, Saint-Jean-d'Acre, Jaffa... Mais Napoléon sait que la perception des événements compte plus que les faits et les met donc en scène. Puis, constatant que l'Europe bouge, il se dit qu'il a un rendez-vous à ne pas manquer, qu'il faut partir. Une fois de plus, le sens du moment.
Mais pour cet enjeu suprême, devenir politique et défier les politiques, c'est le 18 Brumaire... Bonaparte sait que la relation du politique au militaire est malsaine, que le pouvoir a alors besoin d'un sabre, mais qu'il faut savoir n'être pas là dans certains moments sanglants, pour éviter l'opprobre. Brumaire, c'est encore un échec transformé en succès. Face-à-face cruel avec lui-même: il se découvre pitoyable devant les Cinq-Cents, n'est pas à la hauteur, est sauvé par Lucien. Il vérifie son sentiment de fragilité, il n'est pas dupe de son ascension. Mais il comprend que la période est celle d'une grande équivoque et qu'il ne faut pas en sortir. Il se veut donc la synthèse de toutes les forces et de toutes les mémoires. Il ménage les royalistes, les émigrés, le pape. Il rassure les jacobins, se rapproche des aristocrates grâce à Joséphine, flatte les libéraux. Il grossit de cette ambiguïté, évite les pièges de la période, mais voit tous les complots parisiens depuis sa nouvelle campagne d'Italie ponctuée par le miracle de Marengo. La fragilité, encore. On sous-estime combien il a vécu dans le doute, la peur, toute sa vie. L'intrigue est là, qui peut à chaque instant l'emporter.
Néanmoins, il est l'homme fort, dans un pays qui en cherchait un. Après dix ans de Révolution, la France aspire à l'ordre, au calme. L'effroyable Terreur a impressionné le tempérament français. Napoléon s'en est servi pour conquérir le pouvoir. A travers le Consulat, il apporte l'ordre, la paix et pose les fondations de la France moderne. Mais tout cela demeure fragile: c'est le système d'un jour, pas l'enracinement de l'Ancien Régime. A défaut de telles racines historiques, Napoléon, pour durer, doit trouver autre chose: ce sera la conquête, permanente, qui le renforce, mais le soumet à la loi binaire défaite-victoire. Et le voilà lancé dans une fuite en avant qui ne peut finir que tragiquement.
Pourquoi ne se rassure-t-il pas et ne se calme-t-il pas après avoir installé l'Empire en 1804 et gagné à Austerlitz en 1805? La marche vers l'Empire s'est faite sur fond de peur, avec l'attentat de la rue Saint-Nicaise et la conjuration Pichegru-Cadoudal-Moreau, éléments déterminants dans le choix par Napoléon de l'hérédité. Comment terminer la Révolution et installer un pouvoir stable? Dans un écho de l'Ancien Régime, par un système inspiré par Rome et Charlemagne, qui le pose, aussi, par rapport à l'Europe: il veut sortir de cette illégitimité belliqueuse avec les monarchies. Mais il ne sortira jamais de l'illégitimité fondatrice de Brumaire, ni de l'illégitimité du sacre, fondé sur la souillure de l'assassinat du duc d'Enghien. Le pacte avec la mort signé par les Jacobins en janvier 1793, il le paraphe à son tour avec le sang bourbon du duc... Aucune sérénité, aucune pérennisation n'est plus possible, même si une occasion est manquée après Austerlitz, avec la paix de Presbourg. Mais comme, en plus, l'Europe n'arrive pas à s'entendre, Napoléon entend jouer de ces divisions et poursuivre sa conquête.
Cette aspiration à la reconnaissance par les cours d'Europe ne relève-t-elle pas aussi d'une ambition de parvenu? Non. Il y a dans son ascension la conscience de sa différence, pas la volonté d'imitation. Il ne cherche pas à «faire comme». Globe du Saint Empire, saint chrême des Bourbons, lauriers de César: il fusionne dans son sacre toutes les légitimités. Il veut mettre un point final à l'Histoire, et à la géographie de l'Europe. Il se fait ici le passeur du monde moderne.
A Tilsit, en 1807, a-t-il l'impression de toucher au but? Son obsession antianglaise s'incarne, l'invasion de l'île étant impossible depuis Trafalgar, dans l'alliance avec la Russie et l'union continentale.
Il ne voit pas que l'avenir est au-delà des mers et perce surtout outre-Atlantique... Il manque cette vision, tout comme il ne mesure pas que les fondements de la puissance changent: l'art militaire le cède à la mutation économique. L'Angleterre, avec la révolution industrielle et la machine à vapeur, prend de l'avance dans l'épopée moderne. D'autant qu'elle a réconcilié sa société avec le pouvoir, tandis que la France reste dans une forme de divorce. La fusion société-pouvoir, accomplie dans la personne de Napoléon, est d'une grande instabilité. Cette suspicion envers la politique, entre le pouvoir et la société, demeure: nous sommes toujours en guerre contre nous-mêmes. Enfin, Napoléon sous-estime les contraintes stratégiques liées au climat, à l'éloignement géographique, à l'intendance ou encore à la confrontation avec la guérilla.
Perd-il aussi son génie politique? Il est rattrapé par ses contradictions. Napoléon prétend instaurer le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et devient un occupant; il veut des guerres défensives mais devient l'agresseur. Il était le libérateur à Austerlitz, il devient l'oppresseur avec le Blocus continental.
Est-il rattrapé par l'esprit de cour? Dès 1802, le système courtisan s'installe, même si le «sacre du mérite» dure encore. Napoléon et son entourage se figent. A Tilsit, le physique de l'Empereur a changé, son humeur aussi. On constate alors un phénomène inquiétant pour notre pays: la cour n'est pas liée à l'Ancien Régime, c'est un système indépendant de l'hérédité, qui digère la Révolution et toutes ses phases, qui passera tous les régimes. C'est une agrégation d'intérêts et de docilités, qui ternit l'horizon et gâte le pays, car il entretient la peur et sécrète la conservation: c'est l' «esprit de cour». Il perdure car il est inhérent au pouvoir. Je travaille depuis longtemps à un essai sur ce sujet.
Est-il inévitable qu'un esprit de conquête se mue en esprit de cour? Oui, cela menace toujours. Tout pouvoir doit en avoir conscience, pour sécréter ses antidotes. Un pouvoir qui se donne des missions pour une action en un temps limité est moins menacé qu'un pouvoir qui s'installe. L'Empire s'installe, l'esprit de cour arrive. Napoléon s'en amuse, mais en est aussi la victime.
Est-il saisi par l'ivresse du pouvoir? Oui, il perd la mesure des choses. Il y a du calcul, de la propagande dans ces excès, mais aussi du mépris pour son entourage, ses maréchaux, et il s'aliène des bonnes volontés. Il pense qu'il faut la gloire pour soi seul. La gratitude est impossible pour les hommes qui ont l'obsession du pouvoir personnel.
Donne-t-il dans l'abus de pouvoir, liberticide? Oui, il tourne le dos aux libertés pour jouer de l'égalité, conserver les intérêts et flatter les vanités, même s'il sait récompenser le mérite. Il signe un certain nombre de forfaits avec la conviction qu'ils sont nécessaires pour asseoir son pouvoir. L'instinct de survie est une des clefs de son parcours: pour se maintenir, il faut savoir faire peur, déployer la police, museler la presse, contrôler les chambres.
Qu'entendez-vous par les «deux corps de Napoléon», le «poétique» et le «politique»? La légende et l'action se conjuguent, il les marie dans son art de la propagande. Sa part d'imaginaire interagit en permanence avec ses actes politiques. C'est pourquoi nombre d'écrivains ont si bien parlé de Napoléon: Suarès, Stendhal, Chateaubriand... Il y a en lui quelque chose qui échappe à la rationalité, qui relève de la mystique.
Toute aventure d'une telle incandescence est-elle promise à une issue tragique? Le décalage entre le rêve et la réalité nourrit des entreprises vouées à l'échec, mais qui adviennent parce qu'il y a quelque chose de démiurgique, de prométhéen chez leurs auteurs, qu'ils sont menés, dans leur volonté de gouverner, par autre chose que l'intérêt. Notre pays se nourrit d'imaginaire, quand l'Angleterre ou les Etats-Unis se construisent avec davantage de sens du compromis et de pragmatisme. La réalité nous ennuie; le rêve nous épuise. Nous oscillons donc, souvent, dans l'excès et la démesure. Cela nous vaut des aventures et des déconvenues. Mais nous continuons de porter, par notre ambition universaliste, beaucoup d'espoirs.
Dominique de Villepin 14 novembre 1953 Naissance à Rabat.
1993 Directeur du cabinet d'Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères du gouvernement d'Edouard Balladur.
15 mai 1995 Secrétaire général de la présidence de la République, après l'élection de Jacques Chirac.
17 juin 2002 Ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.
31 mars 2004 Ministre de l'Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales.
31 mai 2005 Premier ministre.
27 juillet 2007 Mis en examen pour «complicité de dénonciation calomnieuse, recel de vol, recel d'abus de confiance et complicité d'usage de faux» dans l'affaire Clearstream
Villepin parle des écrivains qui parle de Napoléon mais pas de Nerval alors que ce dernier a écrit sur l'empereur et le "soleil noir" du titre me rappelle le "soleil noir" nervalien.
Que reste-t-il de la Grande Guerre ? Des paysages, des ruines, des barbelés, des tombes… Dans ce bel album, le photographe Jean Richardot restitue l’émotion qui se dégage des lieux et des traces de la guerre, tandis que Stéphane Audoin-Rouzeau et Gerd Krumeich tentent de donner sens à ces vestiges énigmatiques.
Recensé : Stéphane Audoin-Rouzeau, Gerd Krumeich, Cicatrices. La Grande Guerre aujourd’hui, photographies de Jean Richardot, Paris, Tallandier, 2008. 39 €. Parmi les livres sur la Grande Guerre qui paraissent à l’occasion du quatre-vingt-dixième anniversaire de l’armistice du 11 novembre se distingue un album au format original. D’emblée, la couverture donne le ton de l’ouvrage. Selon la lumière, l’épais carton gris fait plus ou moins ressortir le titre en lettres argentées : Cicatrices. La Grande Guerre aujourd’hui. Les noms des auteurs, en petites lettres noires, sont plus discrets. Un enchevêtrement de barbelés vient se sur imprimer à l’ensemble, souligné à gauche par la bande de tissu noir qui enveloppe la reliure. La guerre, la blessure, la mort et le souvenir sont ainsi réunis de manière saisissante sur une couverture carrée aux allures de faire-part.
Une terre qui garde ses blessures Au cœur de ce livre se trouve la question de ce qui reste de la Grande Guerre et de ses plaies. La réponse s’organise autour des photographies de Jean Richardot, qui s’est prêté à une sorte de reportage mémoriel dans les pas des combattants de 14-18. En guise de voyage dans le temps, il nous propose un contact avec les traces authentiques de ce passé guerrier. Ces traces sont aussi bien des paysages que des fortifications, des ruines, ou encore des résidus d’artillerie ou d’objets abandonnés. Certaines persistent à l’état brut, d’autres portent la patine du temps, d’autres encore paraissent sur le point de disparaître. Par petites touches se dessinent ainsi les contours d’un patrimoine souvent mal connu, fait de vestiges ensevelis, tantôt inaltérables et tantôt fragiles. Tout au long des années 2000, le photographe a arpenté la zone, située en France, des anciens champs de bataille. Il lui a fallu quitter les sentiers battus, se perdre en rase campagne ou s’embourber dans les sous-bois pour découvrir une terre qui garde ses blessures. Car c’est bien de la terre dont il s’agit prioritairement ici. C’est jadis elle qui a caché et protégé les hommes, dans des tranchées et des abris qui formaient autant de fortifications en creux. C’est aujourd’hui elle qui continue de porter les marques du conflit, qui conserve enfouis les objets et les corps, qui rend régulièrement une part de ce macabre butin. L’observer, c’est donc appréhender une part au moins de la terrible réalité du conflit. Il est révélateur que le photographe, à la recherche d’un titre pour l’exposition de ses clichés, ait d’abord songé à « La terre se souvient » [1] ; comme si c’est elle qui devait rester le dernier témoin.
Le résultat prend la forme de belles photographies en noir et blanc, dont le grain est admirablement rendu par la qualité du tirage et de l’impression. Les formats sur une page, parfois deux, permettent une visualisation confortable et un accès aux détails. Ces images ont dès le premier abord un fort pouvoir d’évocation. À la vue de certains abris, l’enfouissement n’est pas un vain mot et le regard du photographe suscite une véritable révélation. Ailleurs, les paysages ravagés renvoient à l’acharnement des combats à l’artillerie, alors que les amas de douilles d’obus traduisent la réalité matérielle de la guerre industrielle. Au détour des pages et des anciens sites de combat, la profondeur des entonnoirs, les épaisseurs de métal tranché, les tiges d’acier tordues et le béton fissuré donnent une idée concrète de la formidable violence des explosions. Cet aspect informatif fait sans doute de ces images un support pédagogique fécond, d’autant qu’on y sent souvent aussi la pluie fine et la boue collante, la neige et le froid perçant et, partant, l’horreur de la vie au front. À cet égard, les mots gravés à l’entrée des abris et sur les murs des creutes [2] donnent un aperçu des fiertés, des espoirs et des angoisses des hommes autrefois retranchés là. Enfin les tombes, demeurées dispersées ou regroupées en cimetières, rappellent la multitude des destins fauchés dans ces contrées.
Mais les photographies de Jean Richardot sont aussi le fruit d’une recherche esthétique. Ses clichés révèlent en particulier un long travail sur les lumières, les formes et les textures. Bien que toute mise en scène soit absente de sa démarche, chaque tableau semble minutieusement composé, dans un enchevêtrement d’éléments minéraux et végétaux – l’activité humaine n’est ici visible qu’à travers ses traces. Il reste que l’usage exclusif du noir et blanc a tendance à déréaliser le propos. Peut-être la couleur, en faisant ressortir les jeunes pousses au milieu des débris ou la mousse qui recouvre les pierres tombales, aurait-elle suscité plus de nostalgie que n’en voulait le photographe. Le noir et blanc renvoie quant à lui à une certaine intemporalité, au point qu’on se demande parfois de quand datent ces clichés : les bouteilles de vin abandonnées au pied d’un arbre ne sont même pas recouvertes par les feuilles mortes.
Donner sens à des vestiges énigmatiques En conséquence, les photographies méritaient un commentaire qui soit à même à la fois de les remettre en contexte et de les expliquer en détail. Ce commentaire est celui de Stéphane Audoin-Rouzeau et de Gerd Krumeich, deux historiens qui travaillent ensemble au sein de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne. L’un est français, l’autre est allemand : leur double regard s’enrichit d’une perspective binationale pour analyser les traces d’une guerre qui fut largement, et particulièrement sur ce front Ouest, un affrontement franco-allemand. Leur présentation commune (souligné par eux dans la préface) recouvre deux aspects.
D’une part, chaque image est interprétée par une légende qui vient compléter la stricte indication de lieu. Or les images de Jean Richardot contiennent le plus souvent en germe un récit de guerre : la tranchée a été habitée, la grenade est passée par la main d’un soldat, l’obus a été tiré par un canon, la ruine est le fruit d’un combat, la tombe représente le terme d’une vie. Quand il s’agit d’un site ou d’un paysage, ce récit comporte des informations factuelles : on apprend ce qui s’est passé sur les lieux de l’image et à quelle date. Des vestiges énigmatiques, comme le portail de l’ancien château de Soupir dans l’Aisne, ou des reliefs mystérieux, comme celui de la Grande Mine à Ovillers-la-Boisselle dans la Somme, prennent alors sens. Ces légendes sont d’autant plus appréciables que l’attention portée par le photographe à la terre et à ce qu’elle recueille implique des cadrages serrés et des champs clos, ce qui rend difficile l’insertion des images dans une vision d’ensemble. Quand il s’agit d’objets ou de lieux de vie, le commentaire est plus circonspect. Les informations alternent alors avec les questions, auxquelles les « peut-être » et les « sans doute » répondent par autant d’hypothèses sur l’origine, l’usage et le sens à donner aux constructions, aux inscriptions et aux ustensiles qui subsistent sur l’ancien front. Les deux auteurs mettent alors en avant « le mystère toujours agissant de la Grande Guerre » qui engagerait l’historien d’aujourd’hui et son lecteur à « un grand effort d’imagination ». L’approche se fait dès lors subjective. Devant les barbelés de Fort de Vaux, nous voici dans la peau des combattants prêts à s’élancer hors de la tranchée. C’est là sans doute un moyen efficace de faire revivre « la terreur et le courage des combattants », au risque cependant de prêter à ces derniers des sentiments qu’ils ont probablement inégalement partagés.
D’autre part, les photographies sont regroupées par thèmes : barbelés, cimetières, tombes, ruines, béton, mots, débris, abris, métal, tranchées, munitions, empreintes. Certaines de ces catégories peuvent paraître redondantes ou artificielles : les abris peuvent en effet être faits de béton et porter des inscriptions, les barbelés et les débris ne sont jamais loin des tranchées. Pourtant, il fallait un principe d’organisation et celui-ci permet de regrouper les images en chapitres et de compléter chacun d’entre eux par une mise au point thématique tout à fait bienvenue. Les explications les plus intéressantes sont les plus techniques, notamment sur l’organisation du système des tranchées, l’emploi inégalement répandu du béton armé ou l’usage toujours plus sophistiqué des barbelés, autant de symboles d’une guerre de position plus facile à accepter pour les envahisseurs que pour les envahis. D’autres mises au point utiles concernent le rôle des nécropoles du front dans la collectivisation de la mort et la mise en scène de la nation, tandis que les tombes isolées portent davantage la dimension personnelle de la perte même si la norme sociale y perce à travers le langage convenu du sacrifice. Notons que le regard binational des deux auteurs ne les prémunit pas toujours d’un certain francocentrisme. Celui-ci se fait directement sensible lorsque le « combattant de 1914 » est subrepticement employé pour désigner en réalité le « combattant français de 1914 », auquel sont ensuite confrontés les combattants des autres nations (par exemple à propos des cimetières). Mais ce n’est là qu’un détail.
Car au total, cet ensemble de photographies et de textes constitue un très bel album. On pourrait certes regretter que la contextualisation des images ne soit pas plus précise encore : ainsi, une carte des anciens champs de bataille, situant l’emplacement des prises de vue, aurait pu compléter avantageusement l’ensemble. Cependant, malgré tout ce qu’il contient d’informations, il faut voir cet ouvrage pour ce qu’il prétend être. Son ambition est moins pédagogique qu’émotionnelle. En témoignent l’organisation thématique qui repousse les explications à la fin des chapitres ou le ton général de l’ouvrage, souvent désabusé devant le constat de l’oubli qui gagne et des traces qui s’effacent inexorablement. Ce beau livre est avant tout une invitation à prendre conscience du patrimoine qui demeure sur les anciens champs de bataille, dans l’idée de le faire connaître et de le préserver. Dans cette perspective, les photographies doivent surtout faire naître une émotion pour susciter un intérêt : dès lors, la parole des historiens reste somme toute secondaire.
Nous venons d’apprendre la mort d’André Bay. Romancier (La Fonte des Neiges, L’Ecole des vacances, La Carte du Tendre), auteur de Trois Histoires très naturelles (des escargots, des mouches et des orchidées), et de Amor, critique d’art (Pascin, Maurice Sarthou), spécialiste de littérature enfantine (Trésor des Comptines, Cabinet des Fées, Il fait beau), et traducteur (Lewis Caroll, Swift, Stevenson entre autres), André Bay a d’autre part dirigé les Editions Stock pendant quarante ans.
« L’homo Sapiens n’en fait qu’à sa tête. On peut se demander où elle va le mener. Pour me reposer j’ai décidé de me faire animal » […] « J’ai donc choisi ce qui était à ma portée : un escargot et une araignée » […] « J’ai consulté Jean Rostand pour sa science. Il m’a répondu : “Vos escargots nous forcent à nous regarder nous-mêmes à travers leurs petits yeux.” »
André Bay était le beau fils de Jacques Boutelleau — alias Jacques Chardonne. Entré chez Stock en 1942, il a été l’un des éditeurs français les plus prestigieux, sans doute l’unique à ce jour à avoir vu son travail honoré par vingt-deux prix Nobel de ses écrivains. En quarante ans, il a imposé en France entre autres, André Brink, Robert Graves, Isaac B. Singer, Thomas Wolfe ou Robert Penn Warren, mais aussi Karen Blixen, Pearl Buck, Sigrid Undset, Joyce Carol Oates, Carson McCullers...
Caroline C. Tachon l’interview dans Le monde en 1995. Elle écrit :
« Quand André Bay entre aux éditions Stock, à vingt-neuf ans, sa mission est de compléter un catalogue qui existe depuis la fin du XIXe siècle : »
« J’avais parfaitement conscience des acquis de la maison. Elle était pareille à l’arbre qui développe ses branches. Je devais être l’une de ces branches et c’est à la littérature étrangère que j’ai donné mes préférences. Pour cela, je n’avais pas à chercher les choses. Elles venaient d’elles-mêmes, elles étaient déjà là. Il y avait les auteurs morts dont il fallait poursuivre la publication de l’œuvre, et les autres, encore inconnus, qu’il fallait révéler. Il suffisait de beaucoup lire, d’avoir des goûts propres, de connaître le marché, de s’entourer de bons lecteurs, d’être renseigné par quelques informateurs. Chez Stock tout se faisait naturellement. C’était l’une des rares maisons à s’intéresser à la littérature étrangère et sa collection « Cosmopolite » était déjà bien lancée et connue. Pour continuer, je lisais le Sunday Times, j’étais en relation étroite avec Lucien Maury, grand ami de Gide, qui me donnait les renseignements nécessaires pour m’orienter dans mes choix. Un ami très proche, John Brown, attaché culturel à l’ambassade des Etats-Unis, me recommandait des auteurs et me mettait en contact avec eux directement. Chardonne et Delamain (alors propriétaires de Stock, depuis 1921) étaient proches de gens comme Arland, Cocteau ou Paulhan, ce qui permettait à la maison des contacts privilégiés. Tout était une question de confiance. La littérature étrangère était ignorée ou mal vue. Pour les esprits « bien pensants », la traduction était une trahison de la langue française et donc passait en second plan. »
Toutefois, à son arrivée dans la maison, rien n’était gagné d’avance. Afin de parvenir à imposer les œuvres de Jorge Amado, André Brink, Robert Graves, Isaac B. Singer, Thomas Wolfe ou Robert Penn Warren, il fallut se battre durement. Souvent d’ailleurs, André Bay préfaçait avec conviction les livres qu’il publiait. Dans Tendre est la nuit, première traduction en France de cette œuvre de Fitzgerald, il donne le ton : « Avant d’en parler, il me faut faire un aveu personnel : il m’arrive de haïr, ne fût-ce qu’un instant, les gens qui n’aiment pas certains livres... ». Le grand changement dans le métier est venu après la guerre, se souvient André Bay : « Il y avait alors une véritable expansion de la littérature étrangère. Le syndicat des traducteurs est né. Ce n’était plus une affaire de famille. Les agents littéraires sont apparus, il fallait les connaître, connaître aussi les éditeurs, car c’est derrière eux que se trouvait maintenant l’auteur et non plus seulement derrière son oeuvre. Editer des oeuvres étrangères, c’était d’abord voyager, aller à la pêche au bon endroit. A ce moment-là, Londres était la véritable plaque tournante de la littérature internationale, et c’est là que se trouvaient tous les contacts. », dit-il à Caroline C. Tachon.
La véritable passion d’André Bay, durant toute sa vie d’éditeur, sera la découverte d’auteurs féminins. Avec Karen Blixen, Pearl Buck, Sigrid Undset, Joyce Carol Oates, Carson McCullers qu’il publiera dès 1946, Katherine Mansfield ou Virginia Woolf, il va fournir à Stock des romancières exceptionnelles. L’une de ses plus grandes aventures éditoriales sera notamment la publication de l’œuvre d’Anaïs Nin.
En 2003 il il nous dit alors que nous préparons un film : « Je me sens toujours pressé par le temps. Mais je ne voudrais pas me laisser prendre au piège. Il y a vie et vie. Vivre gâteux est à l’encontre du respect de la vie. Je serai enterré là, dans le cimetière qui jouxte la maison. Je ne veux ni pierre ni marbre : juste du sable fin, avec cette vasque. ».
« Pour quelqu’un qui était né mort, comme le disait ma grand-mère, je trouve que j’ai pas mal vécu. je viens de l’inconnu et j’y retourne. Le mémento “tu n’es que poussière et tu retourneras poussière” est beaucoup plus présent quand on est près de cette poussière que quand on vit au jour le jour avec le droit de ne pas y penser et même, je dirais, le devoir de ne pas y penser. »
« Depuis quand je suis vieux ? Moi, je dirais depuis 6 mois. C’est-à-dire depuis que j’ai de plus en plus de mal à marcher, que j’ai tendance à retourner dans le passé, enfin toutes les caractéristiques de la vieillesse quoi. Je ne sais pas si c’est un bien ou un mal, d’être vieux. Je dirais que c’est plutôt un bien. Ce serait assommant la vie s’il n’y avait pas la mort. C’est la mort qui nous sauve. C’est la mort qui fait l’amour. Faut faire l’amour avec la mort. »
« On peut, comme Spinoza, dire : "Vivre et être éternel". Je suis dans l’éternel. Je suis passé dans l’éternel. C’est pas tout à fait comme ça que ça se passe, mais on peut avoir cette vue optimiste. Se dire qu’on est dans un circuit qui vous a donné la vie. On peut avoir un jugement sur la vie qu’on a eue. Moi, j’ai eu de la chance, ou je veux considérer que j’ai eu de la chance. Le plaisir d’être dans un monde vivant qui nous dépasse. D’avoir des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, une peau pour sentir - cette somme d’appréhension, déjà. C’est magnifique. Faut accepter. Faut accepter. Mais à mon âge, l’acceptation n’est pas loin de la résignation. La résignation, on souffre. »
« Vous savez, on croit qu’on sait qu’on va mourir. L’homme est un animal qui sait qu’il va mourir. C’est une vaste blague. Il le sait un petit peu, il en a conscience un petit peu, d’année en année on croit que… Ça alimente largement la littérature, l’amour et la mort... J’étais plutôt du côté de l’amour que de la mort et je le suis resté. Et je ne prétends pas être un peu plus conscient… Mais tout de même, à mesure que l’instant fatal se rapproche et qu’il se mêle à la vie quotidienne, je vis les jours, les mêmes, différemment. Le fait qu’il faille mourir, je crois qu’il y a un choc. »
« Cet arbre n’est plus fait maintenant que de petits tronçons, un amas de tronçons. Il était réduit à l’état de squelette. Tout mort qu’il était, il servait de perchoir à mes corneilles, à mes pies, à mes merles. Les oiseaux pouvaient s’y poser. Maintenant, il n’y a plus qu’un grand vide et tout s’en dégage. C’est très difficile d’imaginer la disparition d’un arbre, ses conséquences…. Alors, que dire d’un être humain… »
« Une chose qui serait pas mal se serait de disperser les cendres dans le jardin, ou même dans la Seine là où va le flot vers la mer. Mais on n’est même pas libre de ça. Alors, on disparaît en faisant le moins de peine possible. »
« J’aimerais bien avoir un cimetière zen, petit cailloux, un cadre, une dalle blanche et des petits cailloux noirs dessus qui figurent la terre ou l’eau autour des rochers. C’est l’idée que j’ai eue. »
Cet hiver-là, André voulait faire abattre un arbre mort de son jardin : « J’ai décidé que ça suffisait, ce mort-vivant dans mon jardin. ».
Puis : « Moi aussi, comme lui, je suis enfoui la tête dans la terre. ».
André Bay est mort le 14 janvier 2012 dans sa 97eme année. La revue des ressources adresse ses condoléances à sa famille et tout particulièrement à Béatrice Commengé, sa compagne.
Pour mémoire : L’histoire de Stock (dans le site des éditions, à l’occasion de l’anniversaire tri-centenaire de leur création, cette année).
Ecouter la voix d’AndréBay : AndréBAY : ses goûts, ses croyances, son livre "Des mouches et des hommes" ; sa carrière de directeur littéraire aux Editions STOCK et HACHETTE, son travail de directeur littéraire ; sa rencontre avec Pearl BUCK, sa découverte d’Anaïs NIN ; ses écrivains préférés ; ses traductions ; le rôle de l’éditeur et du directeur littéraire ; anecdote sur Isaac Bashevis SINGER et sur Roger CAILLOIS ; son admiration pour Emil Michel CIORAN ; considérations sur les mouches et les escargots ; l’origine de son goût pour les comptines ; son livre "L’escargot" ; ce qu’il va faire maintenant qu’il est retraité ; son amitié avec Angus WILSON et William SAROYAN ; éloge de l’éditeur STOCK ; son opinion sur la vie littéraire actuelle ; quelques mots sur son livre "Lettres à quelques unes" ; le courrier qu’il a reçu à propos de son livre "Des mouches et des hommes" ; son livre en préparation. Entretien avec Jacques CHANCEL (55’) :
« Dans la nuit me sont revenues, avec une intensité pareille à celle que produit la fièvre, d’autres images de promenade ; au sortir d’un de ces rêves où l’on voudrait que certain nœud moite et vertigineusement doux ne se dénoue jamais. Cette fois-ci, c’était toujours la même réalité, un morceau du monde, et en même temps une espèce de vision, étrange au point de vous conduire au bord des larmes (cela, donc, non pas sur le moment, mais dans la nuit qui a suivi, devant, telles qu’elles me revenaient, ces images insaisissables d’un fond de vallée perdue où pourtant nous étions réellement passés) ». Peut-être cet extrait de « Hameau » (Après beaucoup d’années, (1994)) résume-t-il à lui-seul l’entrée du lecteur dans la poésie de Philippe Jaccottet, comme l’on cheminerait sur une terre troublante et mystérieusement familière…
Quinzième écrivain et troisième poète après René Char et Saint-John Perse présent de son vivant au sein de la prestigieuse collection de « La Bibliothèque de la Pléiade », Philippe Jaccottet, né en 1925, publie Oeuvres chez Gallimard le 20 Février 2014. Menée durant cinq ans par José-Flore Tappy, Hervé Ferrage, Doris Jakubec et Jean-Marc Sourdillon, cette exploration des archives de l’écrivain déposées à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne fait naître un volume de vingt-neuf recueils en vers et prose minutieusement choisis par le poète lui-même, dans le respect de leur parution chronologique. Ses essais et innombrables traductions reconnues en sont délibérément absents. De L’Effraie et autres poésies (sorti en 1953, année de son installation à Grignan avec sa femme et qu’il considère comme le début significatif de sa poésie) à Couleur de terre (2009), cette édition de La Pléiade offre également des centaines de notes de Jaccottet qui nuancent, étoffent méthodiquement ses textes dans de précieux carnets tenus entre 1954 et 1998 (La Semaison) et quelques éléments longtemps inédits comme Observations (1951-1956). « La note était un moyen de garder un contact avec le monde poétique, je ne m’en suis jamais défait. J’ai trouvé dans Littré ce beau mot de « semaison » qui m’a paru convenir à cet ensemble de choses vues, choses lues, choses rêvées. Il y avait là des espèces de graines qui pouvaient s’épanouir en poèmes. », confie-t-il au Monde des livres. Les genèses de ces écrits sont quant à elles révélées à travers 250 pages critiques en fin d’ouvrage, mettant en lumière son processus de création. « C’est l’expérience vécue qui est décisive chez Jaccottet, pas les idées. Liant étroitement la poésie et l’éthique, il refuse de se laisser aller aux effets faciles, à l’ornement et à l’éclat. Il avance entre abandon et reprise en mains. Ce double mouvement est passionnant à observer. », explique dans ce même média José-Flore Tappy, éditrice de la correspondance de Jaccottet avec les poètes et fidèles amis Gustave Roud et Giuseppe Ungaretti.
Le jeune homme de treize ans suisse vaudois qui offrait à ses parents des poèmes pour les Noëls des années sombres de la Seconde Guerre Mondiale, inspirés de Rilke, Rimbault, Mallarmé, Ramuz, Claudel, puis plus tard Hölderlin (dont il a dirigé la publication dans La Pléiade en traduction française), s’entourera de complices comme Yves Bonnefoy et André du Bouchet, et des univers parisiens de Pierre Leyris, Henri Thomas mais aussi de musiciens et de peintres tels que Garache ou Palézieux.
Lauréat de nombreux prix prestigieux tout au long de sa carrière (dont Schiller, Guillevic et Goncourt de la poésie pour les plus récents), oeuvre poétique de langue française du XXème la plus étudiée au sein de thèses et de mémoires après celle d’Henri Michaux, recueils inscrits dans les programmes scolaires, sujet d’une bibliographie foisonnante, Philippe Jaccottet a pourtant choisi l’existence discrète de l’effacement. Bien loin de toute appartenance à une sphère littéraire ou médiatique, la plume de cet écrivain se dérobe à tout attachement à un mouvement ou heure de gloire, ne privilégiant que la justesse rigoureuse du travail de l’ombre, entre promenades méditatives au coeur de la Drôme et écriture dans sa maison près du château de Mme de Sévigné. Le couple ne vit pourtant pas dans sa monade, mais s’ouvre à des voyages, à des rencontres.
Cet isolement géographique d’apparence austère et monacale est cependant pour lui promesse de liberté et d’indépendance stylistique, habité par une limpidité, une unité et une humilité constantes. Ses mots sont dépouillés d’artifice, de spectaculaire, comme pour mieux nous rapprocher de leur vérité première, de leur beauté crue. C’est dans le paysage de Grignan que ses yeux sont plus clairvoyants, qu’il est plus que jamais à l’écoute, dans une nature en mutation perpétuelle, entre chien et loup. Un monde qui s’éveille ou s’endort au creux de vallées parées de brumes, de chants d’oiseaux et de couleurs aux nuances presque indicibles, changeantes au gré des saisons. Comment les décrire? Quelle émotion, quel souvenir, quelle joie, quelle douleur évoquent-elles ?
Le poète cherche, annote, réécrit inlassablement, dans un éveil permanent du ravin jusqu’au ciel. Il tente de faire coïncider le perçu et le ressenti avec prudence, aucune approche chez lui n’est parfaitement définitive, se situant « …non pas où abonde la connaissance, mais où il y a dénuement et doute… ». Il guette le moindre signe au coeur de ces paysages habitués, une réminiscence de mémoire, une trace d’un ça-a-été. Il capte le furtif pour déployer l’instant dans toute sa densité. Il se peut que ce soit un rouge-gorge qui lui évoque un fragment de poésie de Nerval, les longues soirées d’hiver au coin du feu, l’âme réincarnée d’un enfant. Il se peut que ce soit aussi « une neige sans âpreté », invitant à marcher à la « lampe même qu’il ne faudrait jamais laisser s’éteindre en arrière de soi, lumière perpétuelle pour le repos des morts au moins en nous. » (« Quelques notes du ravin », Ce peu de bruit (2008))
Philippe Jaccottet nous révèle une intimité universelle et provoque des expériences profondes dans le détail le plus simple, cheminant parfois délesté de pesanteur, parfois avec une gravité endeuillée. Mais il est de ces inquiétudes, de ces tourments qui vous réconfortent et qui offrent un certain état de grâce au détour d’incidents, d’événements imperceptibles: une branche animée par le vent, l’eau claire d’une rivière. Alchimie de mythologie personnelle et de croyances. « C’est une façon d’entendre ce que semble dire ce hameau à qui s’y attarde un instant par un dimanche froid d’avril. Une façon de se laisser emporter, orienter, exalter sans trop chercher à comprendre. Il est possible en effet que cela nous touche, plus loin que les yeux, que le corps, le coeur, la pensée elle-même, du moins, que ce lieu et cet instant ainsi tressés l’un avec l’autre, et nous autres liés à eux, prenions racine plus loin que tout cela, on serait prêt de le croire en passant. » (« Hameau », Après beaucoup d’années, (1994)). Des images, des impressions, des incertitudes se succèdent dans la nébuleuse des pensées et le lecteur y appose les siennes.
Egalement critique littéraire et traducteur des plus grands auteurs allemands et italiens (sans oublier de L’Odyssée d’Homère), cet écrivain érudit invoque avec rigueur une lucidité analytique, le rapprochant ainsi des philosophes existentialistes. Conscient de l’inéluctable, de la perte, de la dévastation sans jamais véritablement s’y résoudre, tout semble passer mais rien ne meurt jamais vraiment dans sa nature mystique, comme en témoignent notamment les titres de ses oeuvres (L’Obscurité (1961), Paysages avec figures absentes (1970/76), À la lumière d’hiver (1977), Pensées sous les nuages (1983), Cahier de verdure (1990), Eaux prodigues (1994), Le retour des troupeaux et Le Combat inégal (2010), Taches de soleil ou d’ombres (2013)…).
Ce sentiment de continuité et de cohérence, c’est celui que possède également le lecteur lorsqu’il ferme un recueil de Philippe Jaccottet. On inventerait presque un dialogue sur la poésie des paysages d’Uzès et Grignan avec Jean-Louis Trintignant, lui aussi sur une « île », préservé de la noirceur du monde, confronté avec la somme de son passé, le pessimisme de la vieillesse et l’émerveillement enfantin devant les matins et les floraisons éternels. Oui, on les imagine tous deux dans leurs rituels de réflexions, Jaccottet assis à son bureau de toujours, vigie et gardien devenu sans âge… « En pareilles circonstances, on pourrait se sentir devenir peu à peu une espèce de fantôme, même couronné comme on l’a voulu si chaleureusement aujourd’hui ; disons néanmoins qu’à ce presque fantôme restent peut-être quelque part une ou deux réserves de paroles qu’il rêverait lumineuses : et, à tout le moins, le devoir d’exprimer une gratitude autant plus vive qu’elle doit se frayer un chemin dans la venue de la nuit. » déclarait-il dans Le Combat inégal à l’occasion de sa remise du Grand Prix Schiller en 2010.
Cette édition de La Pléiade scelle alors la reconnaissance de son vivant de l’un des écrivains contemporains les plus brillants, dont les quatre-vingt neuf années incarnent ses quelques lanternes de papier blanc et rose encore suspendues dans les feuillages de ses Pivoines, semblant vivre à la fois dans le souvenir et dans l’attente d’une autre réjouissance à venir…
Œuvres, de Philippe Jaccottet, édité par José-Flore Tappy, avec Hervé Ferrage, Doris Jakubec et Jean-Marc Sourdillon, préface de Fabio Pusterla, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1 728 p., 59 € jusqu’au 30 juin, 66,50 € ensuite
Plus d’un millier de personnes étaient conviées au mariage du Prince Moulay Rachid
La cérémonie de mariage s’est imposée d’emblée comme un événement populaire et national. Et ce n’est que le premier jour ! Conformément à la tradition consacrée par la dynastie alaouite, plusieurs couples issus de toutes les régions du Royaume ont eu l’honneur de célébrer leur mariage en même temps que celui de prince. Jeudi 13 novembre au palais royal de Rabat, plus d’un millier de personnes étaient conviées au mariage de SAR le prince Moulay Rachid avec Mademoiselle Oum Keltoum Boufarès. Parmi les invités figuraient les membres du gouvernement au complet avec leurs épouses, des grands patrons comme Mostafa Terrab, Abdeslam Ahizoune, Miryem Bensalah et son frère Mohammed, Saïd Laalj, Othmane Benjelloun et son épouse Leila Meziane, Mohamed Kettani. Dans l'entourage du prince Moulay Rachid se trouvaient son directeur de cabinet Mehdi Jouahri, Melita Toscan Du Plantier du FIFM, l'architecte Saïd Berrada et les condisciples du prince au collège royal. Beaucoup d'invités étrangers étaient également présents: la princesse Kalina de Bulgarie avec son mari, Sheikha Mozah, femme de l'ancien émir du Qatar, que l'on a vue très complice avec la princesse Lalla Salma, un certain nombre de princes d'Arabie saoudite et des Emirats arabes unis, tous très proches de Moulay Rachid. Les amis historiques de la famille royale, le président gabonais Ali Bongo et l'ancienne première dame de France, Bernadette Chirac, étaient aussi de la fête. Enfin, le Premier ministre tunisien Mehdi Jomaa, en visite de deux jours au Maroc, était en grande tenue traditionnelle tunisienne, qui a remporté un franc succès auprès de l'assistance Après la cérémonie des vœux et des offrandes (la Hdiya) qui marquait le début des festivités sur la place du Mechouar, SM le roi Mohammed VI a présidé la cérémonie du henné en début de soirée.
Rabat se fait remonter les bretelles par Bruxelles
Le Maroc doit faire face au retard cumulé concernant le Pacte de bonne gestion. En effet, l’administration marocaine reste encore bien trop fragile. Pour la Commission Européenne attend de l’administration qu’elle optimise et rationalise la gestion publique ainsi que ses coûts. C’est dans cette optique que le PLF 2015 prévoit de larges recrutement de fonctionnaires et prévoit à cet effet un budget réservé aux salaires dans la fonction publique de plus de 105 milliards de DH, soit pratiquement 11% du Produit intérieur brut (PIB). Autre point noir, le système judiciaire. En effet, selon Bruxelles, ce dernier continue de freiner les avancées du pays. D’après la Commission Européenne, il existe divers dysfonctionnement dont : « formation insuffisante en droit commercial, maritime, bancaire, absence de publication de la jurisprudence, manque de personnel et pauvreté de l’équipement matériel ». Additionné à une coordination pauvre entre les différentes administrations, cela crée une « démobilisation du personnel en raison de l’absence de délégation et de circulation de l’information ». Qu'en pensez-vous?
Article 8 du projet du PLF 2015 annulé
Majorité et opposition sont tombés d’accord pour faire tomber l’article 8 du projet a dénoncé par les juristes et les avocats qui l’ont jugé anticonstitutionnel et mettant l’Etat au-dessus de la justice, voire hors la loi.L’article 8 du projet de loi des finances 2015 annulé stipule :« I.– Les créanciers porteurs de titres ou de jugements exécutoires à l’encontre de l’Etat ne peuvent se pourvoir en paiement que devant les services de l’ordonnateur de l’administration concernée.II.– Lorsqu’une décision de justice, passée en force de chose jugée, a condamné l’Etat au paiement d’une somme déterminée, cette somme doit être ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de ladite décision; en aucun cas les biens et les fonds de l’Etat ne peuvent faire l’objet de saisie à cette fin.Si la dépense est imputable sur des crédits qui se révèlent insuffisants, l’ordonnancement est fait dans la limite des crédits disponibles, à charge pour l’ordonnateur de prendre toutes les dispositions qui s’imposent pour mettre en place les crédits nécessaires au paiement de la somme restant due. Dans ce cas, l’ordonnancement complémentaire doit intervenir dans un délai ne dépassant pas trois mois à compter de la date de notification précitée. ».Cet article peut paraître comme une tentative du gouvernement et de l’administration de se soustraire légalement à l’obligation d’appliquer les jugements de la justice.L’annulation de l’article ne résout pas le problème de fond. Un hôpital, une école ou université, un tribunal, un commissariat de police…. ne peuvent en aucun cas faire l’objet de saisie. La continuité du service public passe avant les intérêts des personnes, physiques ou morales. Qu'en pensez-vous?
Economie
L’Etat a transférés plus de 2,9 MMDH à la SNRT depuis 2012
Lors de la présentation du budget du département de la Communication devant la Commission de l’enseignement et de la culture, le ministre a indiqué que l’État a transféré plus de 2,9 MMDH entre janvier 2012 et juillet 2014 à la SNRT, dont 600 MDH en provenance du budget d’investissement du ministère, nous apprend les Inspirations les Eco. Le budget sectoriel du département d’El Khalfi, qui sera voté demain, poursuit la même source, prévoit aussi la dotation de 75 MDH pour le soutien à la production cinématographique, de même que l’affectation de 300 MDH pour compenser le déficit engendré par la suppression de la taxe de promotion du paysage audiovisuel. Qu'en pensez-vous?
Le prêt de titre fait son entrée sur le marché boursier
Faisant partie de la fameuse réforme du marché financier, le prêt de titres fait une entrée à la place casablancaise, un instrument qui pourrait dynamiser le marché boursier. Pour les non initiés, le prêt-emprunt de titres est une opération pratiquée sur les marchés financiers consistant à prêter des titres contre la promesse de restituer des titres de même nature à une date future moyennant une commission payée par l’emprunteur au prêteur. Elle contribue à favoriser la liquidité du marché financier, améliorer son efficience tout en aidant à garantir les transactions. « Avec la publication de la loi sur le prêt de titres en février 2013 et le modèle de convention cadre du Conseil Déontologique des valeurs mobilières (CDVM) en mars dernier, le prêt de titres est un outil qui peut être aujourd’hui opérationnalisé au Maroc », fait ressortir cette étude sur « le prêts de titres » réalisée par Cejefic consulting, un cabinet spécialisé dans le conseil en finance de marché et en organisation. Qu'en pensez-vous?
News de la bourse
Une semaine au rouge pour la Bourse
Une semaine au rouge pour la Bourse de Casablanca comme en atteste l’évolution de ses indices. Pour cette semaine, le MASI s’est déprécié de 1.29% à 10 127.05 points, tandis que le FTSE15 a régressé de 1.23% à 9 401.92 points. Leur performance year-to-date ressort respectivement à +11.11% pour le MASI et +6.57% pour le FTSE15. Par ailleurs, la capitalisation s’établit à 500.78 Md MAD, soit une variation annuelle de +11.11%. La place casablancaise a drainé un volume hebdomadaire global de 351.51 MMAD sur le marché global. Le volume quotidien moyen (VQM) sur le marché global depuis le début de l’année s’établit quant à lui à 125.5 MMAD.La tendance baissière du marché a été causée par la variation de plusieurs valeurs, à savoir SAMIR (-7.35%), SOTHEMA (-6%), LAFARGE (-5.11%) et SNEP (-4.83%). Le flux transactionnel sur le marché central a été réalisé essentiellement par les valeurs TAQA, ADDOHA, MAROC TELECOM et BCP, qui ont représenté 49.55% des transactions de la semaine sur le marché central. Qu'en pensez-vous?
Société
25ème édition du Rallye Aicha des Gazelles
A l’occasion du lancement de la 25éme édition du Rallye Aïcha des Gazelles du Maroc, M. Charles Fries, ambassadeur de France au Maroc et Mme Dominique Serra, organisatrice du Rallye, ont reçu dans la soirée du 10 novembre 2014 à la Résidence de France à Rabat, un parterre de prestigieux invités. Habillée en caftan, Mme Serra a rendu un vibrant hommage à Sa Majesté le Roi Mohammed VI et a rappelé que cet événement a été accueilliavec enthousiasme pour sa première édition il y a vingt-cinq ans par feu Moulay Ahmed Alaoui. Dès lors, un attachement de plus en plus fort s’est établi chaque année. En véhiculant les valeurs de tolérance et d’ouverture dans le monde, les gazelles contribuent à chaque édition, au rayonnement de l’image du Maroc. Mme Meriem Bensalah a rappelé quant à elle, que ce Rallye fait partie du paysage marocain et combien il est important pour la femme marocaine vu la forte symbolique qu’il représente. Cette 25éme édition prendra son départ de Rabat le 24 mars 2015 avec des partenaires comme Aïcha, la MDJS, Total Maroc, l’O!ce Marocain du Tourisme, Hit Radio, 2M, les Eaux d’Oulmès et les Celliers de Meknès. Qu'en pensez-vous?
Ayouch, Kilani et Bargachencaissent !
Des avances sur recettes en avant production ont été accordées à Nabil Ayouch pour « Razzia », Leila Kilani pour « Indivision » et à Selma Bargach pour « Indigo ou l’enfant des étoiles ». En effet, selon un communiqué de presse, ces long-métrages bénéficieront de 4.44 MDH, 3.8 MDH et 3.6 MDH respectivement suite aux délibérations de la Commission d’aide à la production des œuvres cinématographiques qui a tenu sa 3ème session au titre de l’année 2014, à Rabat les 4, 11, 12 et 13 novembre, sous la présidence de Abdelkrim Berrechid. Cette même commission a également accordé son aide financière au projet « Douce neige » de Jihan El Bahhar et au projet « Le Papillon » de Hamid Basguit et ce à hauteur de 3MDH chacun et enfin 1MDH sera accordé au projet « Les Mimosas » de OlivarLaxe.En ce qui concerne les avances en après-production, la commission a décidé d’octroyer 400.000 DH au long métrage «Solei-man», réalisé par Mohamed El Badaoui et 60.000 DH au court métrage intitulé «Les effacés» de Hakim Kebbabi. Qu'en pensez-vous?
Sciences et Technologies
Skype devient accessible directement sur le Web
Bonne nouvelle : Microsoft vient d’annoncer la disponibilité de la version bêta de « Skype for web », une version 100 % en ligne du service de téléphonie Internet. Jusqu’à présent, Skype ne pouvait être utilisé qu’au travers d’une application dédiée, que ce soit sur un poste fixe ou sur un terminal mobile. La mauvaise nouvelle, c’est que cette version bêta n’est pas accessible à tout le monde. Pour l’instant, l’éditeur ne propose cette option qu’un à un petit nombre d’utilisateurs. Pour savoir si vous faites partie des heureux élus,
Marocains, vous êtes les plus heureux en Afrique !
Le Maroc arrive à la 42ème position des pays les plus heureux dans le monde, et à la 3ème sur le continent africain, selon un classement publié par la New Economics Foundation (NEF), un think tank britannique qui s’intéresse au bien-être de 151 pays. L’indicateur Happy Planet Index (HPI), ou "indice de la planète heureuse", est une mesure alternative à l’indice de développement humain (IDH) et au produit intérieur brut (PIB). Le think tank mesure cet indice selon le degré de bien-être d’une nation (sur une échelle de 0 à 10), l’espérance de vie des habitants, et l’empreinte écologique du pays. Le Maroc a un HPI de 47,9, se classant à la troisième place en Afrique, derrière la Tunisie (48,3) et l’Algérie (52,2). Le degré de bien-être du Maroc se situe à 4,4/10, son espérance de vie est de 72,2 ans, et son empreinte écologique (espaces verts en hectares) est de 1,3.
Des inondations mortelles ont fait 32 morts dans le sud du Maroc, ce week-end
Au moins 32 personnes sont mortes dans des intempéries "exceptionnelles". Le bilan provisoire des victimes des orages qui ont touché le sud du pays, ce week-end, est dramatique et risque de s’alourdir. En effet, d'après le dernier bilan communiqué lundi après-midi, 32 personnes sont mortes et six sont toujours portées disparues. La majorité des décès a été enregistrée dans les environs de Guelmim, conséquence des inondations et de la crue de plusieurs oueds. Cette région a payé un lourd tribut aux intempéries avec des personnes encore portées disparues dans l'oued Tamsourt et l’oued Talmaadart. Certains des disparus se trouvaient à bord de trois grands taxis qui ont été emportés par les crues. Les dépouilles des victimes, dont une fillette de 9 ans, ont été transférées dans un centre de santé de la région. Le ministère de l’Intérieur a mis en place une cellule de crise, comprenant 130 véhicules de sauvetage tout terrain, 335 zodiacs et embarcations, afin de retrouver les personnes disparues et secourir d’autres victimes potentielles. La météorologie nationale, qui avait lancé un bulletin d’alerte ce week-end, a décidé de le maintenir en vigueur car elle prévoit de nouvelles précipitations pouvant aggraver la situation. Qu'en pensez-vous?
Politique
Du Renouveau dans le système judiciaire
Mustapha Ramid, ministre de la justice et des libertés, promet une justice plus efficace, plus accessible et plus proche des citoyens. Ce dernier a mis l’accent sur la nécessité de cette réforme pour une justice plus efficiente et une utilisation optimale des ressources humaines du secteur. Si bien que la famille au complet de la justice s’est reunie, vendredi 21 novembre à l’Institut supérieur de la magistrature à Rabat, pour débattre de l’avant-projet de loi relatif à l’organisation judiciaire. Ainsi, cet avant-projet a le mérite de proposer des mécanismes de coopération entre le département ministériel de tutelle et les différents acteurs du secteur. Il prend également en considération la langue utilisée dans les tribunaux. Ramid a expliqué que «l’arabe est la langue des audiences et des plaidoiries tout en prenant en compte les dispositions de la Constitution en ce qui concerne la langue amazighe». Il est aussi prévu de créer des services présidés par des magistrats au sein des tribunaux, aussi bien que des départements spécialisés dans la justice administrative et la justice financière dans les tribunaux de première instance et les Cours d’appel. Les changements discutés dans les grandes lignes semblent être intéressantes. Affaire à suivre ! Qu'en pensez-vous?
Un Code de la presse qui se fait désirer
Mustapha El Khalfi, ministre de la communication, a expliqué que «Nous en sommes actuellement à la 5ème version, et entre le 4ème et le 5ème projet, plus de 200 amendements ont été proposés». En effet, la raison pour laquelle ce nouveau Code de la presse tarde à voir le jour est que le département de tutelle se dit déterminé à trouver un consensus entre les différents acteurs du secteur. La démarche entreprise par Mr le ministre semble avoir trouvé des adeptes. En effet, Abdellah Bakkali, secrétaire général du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM), a déclaré que cette approche devrait être adoptée par le gouvernement dans toutes les autres questions. Le contenu quant à lui n’a pas connu autant de succès et il persiste encore un certain nombre de points de discorde, tels que eux la question de protection des sources qui devrait, de l’avis du syndicat, être garantie dans tous les cas ou encore certains termes encore vagues contenus dans le texte tels que l’atteinte à «l’ordre public» ou à «l’intégrité territoriale».Dans cette perspective, le ministre de la communication avait, justement, mis un point d’honneur à rappeler la suppression des peines de prison du projet de Code de la presse. Qu'en pensez-vous?
Economie
CGI : le projet d’offre publique vient enfin d’être remis aux autorités de marché
Après le scandale retentissant de Madinat Bades à Al Hoceima, les poursuites judiciaires contre de hauts responsables de la Compagnie générale immobilière (CGI) et sa société mère la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), la nomination de nouveaux patrons par intérim de ces entreprises publiques… Le temps est venu de retirer la CGI de la cote, elle dont le cours avait fondu comme neige au soleil suite à ces différents rebondissements, nous rapporte le360. Le ministère des Finances avait pris cette décision poursuit la même source, que le conseil d’administration de la CGI avait validé, en date du 22 octobre. Mais ce n’est que ce lundi 24 novembre que le Conseil déontologique des valeurs mobilières (CDVM) a annoncé le dépôt d’un projet d’offres de retrait qui contient le prix proposé aux actionnaires pour opérer la sortie de la Bourse. L’autorité de marché a dix jours ouvrables pour se prononcer sur la recevabilité de cette offre. Qu'en pensez-vous?
Le Maroc abritera en mai 2015 à Casablanca, le Grand prix de l’innovation pour l’Afrique
Le Maroc abritera en mai 2015 à Casablanca, le Grand prix de l’innovation pour l’Afrique « PIA ». Lancé en 2011 par la Fondation Africaine de l’Innovation « AIF » (Africain Innovation Foundation), ce prestigieux prix est doté de 100.000 dollars. Le PIA cible les porteurs de projets innovants et les inventeurs africains du monde entier dans les 5 domaines thématiques des TIC, de l’agriculture et de l’agroindustrie , de la santé et du bien être, de l’environnement, énergie et eau et de l’industrie manufacturière et services. Il a pour objectifs de récompenser et d’encourager les innovations africaines qui contribuent au développement durable en Afrique. Les montants qui seront alloués aux projets sélectionnés consistent en : 100000 $ pour le premier prix remis à l'innovateur qui aura présenté globalement la meilleure innovation, répondant à tous les critères PIA, et affichant un fort potentiel commercial, en 25 000$ pour le prix qui sera décerné à l’innovateur qui aura présenté la meilleure innovation à finalité commerciale et 25 000$ qui concerne de Prix spécial de l'innovation à impact social. Qu'en pensez-vous?
News de la bourse
L’indice MASI enregistre une baisse de 0,80% à 10.050,89 points
Au terme de cette première séance de la semaine, l’indice MASI enregistre une baisse de 0,80% à 10.050,89 points. Dans ce contexte, la performance annuelle du marché s’établit à 10,28%. Le marché central a concentré aujourd’hui un volume total de seulement 26,53 MDh. Parmi les valeurs les plus actives de cette séance, nous relevons: IAM (10,91 MDh) qui a affiché une légère hausse de 0,04%, suivie d’Attijariwafabank (2,69 MDh) qui a perdu 1,59% et Holcim (2,65 MDh) qui s’est dépréciée de 3,21%. Les plus fortes hausses de cette séance concernent Stroc, Med Paperet S2M qui affichent des gains respectifs de 2,74%, 2,31% et 1,75%, alors que Maghreb Oxygène est réservée à la hausse. A l’inverse, Saham, Samir et CTM enregistrent les plus fortes baisses, soit –5,58%, –5,33% et –4,86%. Qu'en pensez-vous?
Société
Une marche en faveur des droits de l’enfant
A l’occasion de la journée mondiale de l’enfance, un certain nombre d’ONG marocaines se sont mobilisées, hier, afin d’insister et mettre en avant l’importance du respect des droits des enfants, bien trop souvent bafoués. C’est sur la Corniche de la ville de Casablanca à 11h que la marche a débuté. La marche a vu la mobilisation massive de SOS Village, Bayti, l’Heure Joyeuse et bien d’autres associations qui ont unis leurs forces et leur engagement pour défendre des principes primordiaux. A travers leurs travails et conception sociétale engagée et active, ces associations souhaitent mobiliser l’ensemble des parties prenantes en faveur de causes utiles, pour contribuer à faciliter le quotidien du plus grand nombre et surtout défenLe Maroc connaitra ses sanctions le 3 décembre en marge du tirage au sort de la CAN 2015
Le 3 décembre 2014, le football marocain connaîtra enfin les sanctions qui lui seront infligées par la Confédération africaine de football (CAF) suite au désistement du Maroc d’organiser la CAN 2015. Depuis plusieurs jours, la presse marocaine dénonce l’attitude de la CAF et de son président depuis maintenant 27 ans, Issa Hayatou, alors que les avertissements de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) restent d’actualité concernant la menace que représente le virus Ebola en Afrique. Le président de la CAF devrait d’ailleurs venir au Maroc pour la Coupe du Monde des Clubs prévu le mois prochain à Rabat et à Marrakech. Autant dire que les marocains lui ont déjà préparé un accueil loin d’être chaleureux… dre l’int
Florent Ladeyn, dans son retaurant Le Ver Mont à Boeschepe (59). Crédits photo : Stéphane MORTAGNE. /PHOTOPQR/VOIX DU NORD
Après le Michelin et quelques semaines avant le Bocuse d'or à Stockholm, gros plan sur la génération montante.
À Pujaudran dans le Gers, Émilie et Étienne Gavanier, 35 ans, ont le vent en poupe. Leurs grands crus torréfiés sur place, dont l'Absolu, un pur arabica, rond aux notes de noisette, sont plébiscités par tous les étoilés de Midi-Pyrénées. «Nous sommes un couple d'ingénieurs agricoles issus du vin, explique Émilie. Nous nous sommes lancés il y a sept ans et avons pu embaucher cinq personnes.» Et de citer spontanément parmi leurs clients Sylvain Joffre, 32 ans, et son second, Jérôme Servat, 28 ans. Leur cuisine à base de produits régionaux (herbes et fleurs comprises) fait de telles étincelles dans leur restaurant, En Pleine Nature, à Quint-Fonsegrives près de Toulouse, qu'ils viennent, sans surprise, de décrocher leur première étoile.
Réseaux, cooptations, mutualisation et entraide… les trentenaires nouveau genre ne se la jouent pas perso. À Paris, des liens d'amitié existent entre des chefs comme Bertrand Grébaut (Septime) et Sven Chartier (Saturne), anciens juniors de chez Passard passés dans la cour des nouveaux grands et proches de leur cuisinier fétiche, Inaki Aizpitarte (Le Chateaubriand). Les grands-messes du Fooding et d'Omnivore dans les capitales européennes participent aussi de cette émulation gastronomique.
À l'affût des tendances internationales, ils n'hésitent pas à les importer, voire à en lancer. Cuisine druidique du Nord, raw food, ils se nourrissent tous des mêmes particules alimentaires. Une proximité généreuse qui existait à l'âge d'or de la cuisine française, dans les années 1960-1970, entre les Bocuse, Chapel, Guérard, Vergé, Troisgros (voir le formidable Mémoires de chefs, de Nicolas Chatenier), et que les générations suivantes ont eu tendance à oublier, entre querelles d'ego et crispations de carrières.
Étonnamment, c'est du côté des pâtissiers qu'est venu, il y a une petite dizaine d'années, ce nouveau souffle confraternel. Très précisément des deux Christophe (Michalak et Adam), à l'époque au Plaza et chez Fauchon, et grands copains dans la vie. Ensemble, ils décidèrent de créer le Club des Sucrés, avec d'autres stars de la profession, également à la manœuvre dans des palaces et grandes maisons. Le but? Se lancer d'amicaux défis, comparer leurs créations, échanger conseils et tours de mains. Presque quadras aujourd'hui, ils agrègent encore à leur bande de nouveaux électrons, magnétisés par ces challenges solaires.
Du local et de l'international
Ce sont aussi des entrepreneurs qui osent prendre des risques. À 33 ans, le maestro du sucré Camille Lesecq, ex-Crillon, ex-Meurice, a quitté les palaces internationaux. Avec son «maître» et désormais associé Christophe Felder, il a investi 700.000 euros dans l'acquisition de la pâtisserie OPpé à Mutzig, un charmant village dans le Bas-Rhin. Les amateurs de douceurs viennent de loin pour la fondante, gâteau au kirsch et aux amandes, et la tarte soufflée citron meringuée, réputée très légère et parfumée. Comme tous nos autres coups de cœur, Camille Lesecq a la passion des produits de qualité. Il est naturellement locavore, à l'instar de nombreux chefs de sa génération. Chez lui, les griottes viennent du verger voisin. Quant aux groseilles, mirabelles, quetsches et rhubarbe, elles lui sont livrées directement par des petits producteurs locaux. «J'ai les produits les plus frais possible, sans intermédiaire, et je sais exactement comment ils ont été cultivés.»
Dans le business des foodtrucks, ces camions où l'on s'achète de quoi manger sur le pouce, les jeunes femmes sont particulièrement présentes. Nathalie N'Guyen, 25 ans, ancienne graphiste passée par «MasterChef», sert des bobuns dans son camion Bol et vient d'ouvrir My Crazy Pop, le premier pop-corn store de France (à Paris, dans le XIe arrondissement). À 33 ans, Kristin Frederick croule sous les idées. Elle fait un malheur avec ses burgers servis au Camion qui Fume et vient en outre d'inventer un nouveau concept mondial: le pop-corn bar. Après un test réussi dans le multiplexe de Luc Besson, à Aéroville, au nord de Paris, où l'on peut déguster son maïs soufflé à la truffe fait minute, elle rêve de décliner l'idée dans tous les cinémas de l'Hexagone. Voire de l'exporter aux États-Unis. En attendant, elle planche déjà sur un autre projet qui devrait bousculer la streetfood: transformer de vieux kiosques parisiens en crêperies haut de gamme.
Gourmets et connectés
Sur le blog, Lucie de la Héronnière et Mélanie Guéret revisitent les marques cultes de la grande distribution, sans colorants ni additifs. Crédits photo : Guillaume Langlais
Cela n'a échappé à personne: smartphone dans une main, fourchette dans l'autre, les «foodies» se sont transformés en véritables photoreporters. Et Cyril Benhamou (30 ans) n'est sans doute pas étranger au phénomène. C'est lui qui, il y a trois ans, avec ses camarades Marc Lebel (30 ans) et John Karp (31 ans), a lancé le premier site français de partage de photos culinaires, doublé d'une application mobile: Food Reporter. Sitôt dans la boîte, la prise de vue est mise en ligne sur le site, mais également sur Facebook et Twitter. «Notre start-up n'aurait jamais pu voir le jour sans les réseaux sociaux, confie le «CEO» Cyril Benhamou. Chaque photo publiée sur votre profil crée un effet boule de neige.» Le site répertorie aujourd'hui deux millions de clichés, soit le double de l'an dernier, et compte s'implanter sur au Royaume-Uni et en Allemagne.
Geoffrey La Rocca (27 ans) s'était fait remarquer en créant un média pure player couvrant tous les déplacements de Nicolas Sarkozy pendant la campagne de 2007: ElyseeInside.fr. Ce petit génie du Web compte désormais faire de Madeleine Market, son épicerie de luxe (truffes, foie gras, caviar, jambons ibériques…) en ligne, lancée il y a un peu plus d'un an, un leader européen d'ici à 2015.
Quant au site Cookening lancé en mai 2013, il propose de réunir becs fins et cordons bleus anonymes: après paiement sécurisé, les invités s'attablent ainsi chez l'habitant et entament la conversation autour de petits plats maison. «Être connecté, c'est surtout une manière plus simple de faire des rencontres dans la vie réelle», explique Cédric Giorgi (30 ans). Le jeune entrepreneur à l'origine du site n'en est pas à son premier fait d'armes informatique: en 2010, il avait déjà participé au lancement du «curateur» d'actu en ligne Scoop.it.
À travers Geek & Food, le Lyonnais Quentin Caillot (27 ans) affirme de son côté une vision décomplexée de la cuisine, toujours à l'affût des tendances culinaires les plus pointues et des produits les plus improbables. Récemment, le site publiait ainsi un article sur le «cronut», étrange croisement du croissant et du donut, lancé il y a peu à New York par le pâtissier français Dominique Ansel…
Mais question sucreries, on avoue tout de même un faible pour le blog de La Super Supérette orchestré par Lucie de la Héronnière (journaliste de 26 ans) et Mélanie Guéret (graphiste de 28 ans). Chaque semaine, les deux copines revisitent elles-mêmes (sans colorants ni additifs, donc) un produit culte de la grande distribution: le cake Savane devient «Le Sauvage», les Kinder Surprise deviennent «Les Surprenants» et, notre préféré, le cake Vandame rebaptisé «Le Jean-Claude».
Les sourceurs d'exception
Alexandre Drouard et Samuel Nahon, duo de limiers à la recherche de produits de qualité, ont créé Terroirs d'avenir. Crédits photo : Sébastien SORIANO/Le Figaro
La nouvelle scène gastronomique se fédère autour de jeunes chefs qui partagent une vision commune du produit. Conscience environnementale, sensibilité aux circuits courts qui garantissent la fraîcheur et les qualités nutritionnelles des aliments, souci de la saisonnalité… Autant d'éléments qui poussent les cuisiniers à se rapprocher de leurs fournisseurs. Les produits sont désormais à l'épicentre de cette cuisine plus que jamais nature, mais encore faut-il en dénicher les meilleurs.
D'où le rôle des «sourceurs», ces chercheurs de trésors qui parcourent la France à la recherche de variétés anciennes de fruits et légumes, de races à viande tombées en désuétude, de volailles au pedigree distingué. Un métier pas forcément repéré par Pôle emploi mais qui a un impact considérable sur notre assiette! Chefs de file de ces trentenaires sourceurs: Alexandre Drouard (30 ans) et Samuel Nahon (29 ans), le duo de Terroirs d'avenir. En 2009, ces anciens condisciples d'école de commerce, membres de Slow Food, créent leur société pour jouer les intermédiaires entre les petits producteurs locaux et des bistrots de plus en plus perméables à cette nouvelle consommation responsable. Ils brassent large, du bistronomique (Saturne, Septime, Le Baratin…) au triple-étoilé comme Yannick Alléno. Ce dernier, à l'époque encore au Meurice, peaufine avec eux son menu Terroir Parisien, qui servira de prémices à ses futurs bistrots. En décembre 2012, ils ouvrent leur première boutique de primeurs à Paris (rue du Nil, dans le IIe arrondissement), suivie peu après d'une boucherie et d'une poissonnerie.
Autre personnalité totalement atypique dans cette nouvelle génération de têtes chercheuses, David Akpamagbo, 29 ans, diplômé de HEC et producteur-éleveur de bovins. Depuis son exploitation du Ponclet (Finistère), il parcourt l'Hexagone pour découvrir les meilleures races de vaches laitières et ainsi fournir aux restaurants et aux particuliers le nec plus ultra du beurre et de la viande. Il aime se situer dans une dynamique du vivant et rappeler qu'il n'est enfermé ni dans une race ni dans une identité ou un terroir, mais qu'il cherche l'exceptionnel. Son beurre fermier au lait cru et ses viandes sont déjà présents chez Lasserre, Michel Rostang ou Philippe Labbé.
Chefs, la relève assurée
Julien Dumas, nouveau patron de brigade au Lucas Carton, place de la Madeleine (Paris VIIIe). Crédits photo : Jean-Christophe MARMARA/Le Figaro
Un jour, son tour viendra. Place de la Madeleine, la nouvelle carte du Lucas Carton est toujours signée par Alain Senderens, sous contrat avec le restaurant jusqu'à ses 76 printemps en 2016. Une coquetterie. Depuis janvier, le vénérable chef fait des essais avec un blond du genre discret: Julien Dumas, le nouveau patron de la brigade. «C'est un garçon très bien, complimente Senderens. Ensemble, nous avons imaginé un carpaccio de daurade grise sur le modèle du tigre qui pleure, un canard Apicius au porto avec des figues et de la réglisse ou encore un chèvre servi avec une crème d'amandes et du champagne.» Et Nathalie Vranken, la propriétaire des lieux de commenter: «Julien Dumas passé chez Rech d'Alain Ducasse est un spécialiste du poisson. Avec Alain très tourné vers la cuisine asiatique, la combinaison est intéressante.»
Né à Grenoble en 1979, Julien Dumas est un self-made cordon-bleu: il ne connaissait personne dans la restauration. «Mais j'allais souvent voir mon parrain qui tenait un hôtel à Carnac. C'est là que j'ai découvert le poisson. Dès l'âge de 11 ans, j'adorais manger. Le McDo, je ne pouvais pas trop…» Sorti de l'école hôtelière de sa ville natale, il a fait ses armes à la Réserve de Beaulieu puis chez Ducasse et Piège avant de rejoindre Senderens.
Stéphanie Le Quellec, chef du restaurant La Scène à l'Hôtel Prince de Galles (Paris VIIIe). Crédits photo : VALERIE LHOMME/Madame Figaro
On lui souhaite le même parcours fulgurant qu'Akrame Benallal. À 32 ans, et trois ans seulement après l'ouverture de sa table éponyme (Akrame) à Paris, ce chef d'origine algérienne vient de décrocher son deuxième macaron grâce à des plats signatures comme son ris de veau, avocat, tacos et son homard au chocolat blanc et au radis daïkon. Lui non plus ne venait pas du milieu des casseroles. Sa mère, Luisa, est une excellente cuisinière, il regardait Maïté à la télé et il a travaillé dur pour faire ses gammes notamment auprès de Pierre Gagnaire, «son deuxième papa». Un perfectionniste tout comme Julien Tongourian, 32 ans. Formé par Yannick Alléno au Meurice, ce discret chef de cuisine est l'étoile montante du groupe de Joël Robuchon. D'autres se révèlent beaucoup plus médiatiques. Romain Tischenko, qui avait remporté l'édition 2010 de «Top Chef» et fait ses armes chez William Ledeuil (Ze Kitchen Galerie), a pu ouvrir à 26 ans son propre bistrot, Le Galopin, dans l'est de la capitale.
Audrey Jacquier, 22 ans, aux fourneaux du Vivarais (Lyon IIe), est en course pour les Bocuse d'or. Crédits photo : LE FOTOGRAPHE
Plus fort encore, deux autres ex-candidats de la même émission viennent de se voir décerner leur première étoile. Stéphanie Le Quellec (gagnante 2011) dont la cuisine épurée fait le bonheur des clients du Prince-de-Galles, et le Chti Florent Ladeyn (finaliste en 2013) qui a ouvert son second restaurant à Lille. Thibault Sombardier, 28 ans, possède, lui, déjà son macaron mais il rêve d'ouvrir son propre restaurant. Pour y arriver plus vite, ce chef spécialisé dans le poisson participe à la saison 5 de «Top Chef» sur M6. Pour l'instant, il n'a pas encore été éliminé. À Pau, Yuri Nagaya, 37 ans, a vu sa notoriété exploser en étant couronnée du prix Fooding de la meilleure cuisinière 2014 pour ses plats fusions de haute volée.
Oscar Garcia, La maison d'Uzès (30), est le plus jeune étoilé de la dernière promotion Michelin. Crédits photo : Lefrancq G. / Andia.fr
À Lyon, on parle beaucoup de Grégoire Baratier, 27 ans, chef du Jean Moulin et membre du cercle très fermé des Toques Blanches. Tabata Bonardi, Brésilienne de 35 ans et ex-candidate pétulante de «Top Chef» 2012, est, depuis cet automne, aux commandes du restaurant Marguerite. C'est la première femme à diriger une adresse de Monsieur Paul (Bocuse). Aux fourneaux du Vivarais et en lice pour les Bocuse d'or, Audrey Jacquier, 22 ans, est la plus jeune de notre sélection et surtout l'une des rares femmes. Les profiteroles de volaille, les rognons et la tête de veau sont quelques-unes de ses spécialités. Quant à Oscar Garcia, à La Table d'Uzès, il est à 25 ans le plus jeune étoilé de la dernière promotion Michelin.
Au pied du mont Mismi se dresse une imposante paroi rocheuse dont les fissures libèrent les premières eaux de l'Amazone. Crédits photo : STAN FAUTRE
Les coussins vert-pomme de l'Azorella Compacta éclairent un paysage désertique situé entre 3200 et 5000 m d'altitude. Crédits photo : STANISLAS FAUTRE
La rivière Apurimac, baptisée la rivière des dieux, creuse le site des trois canyons pour former le fleuve Amazone. Crédits photo : STANISLAS FAUTRE
Au pied du volcan Mismi, aux alentours d'Arequipa, les villageois entretiennent les terrasses pré-incas. Crédits photo : STANISLAS FAUTRE
De belles rencontres s'offrent à vous sur le trajet qui mène vers la source de l'Amazone. Crédits photo : STANISLAS FAUTRE
Une balade équestre est un moyen idéal pour contempler les paysages surprenants de la vallée du Colca. Crédits photo : STANISLAS FAUTRE
Le canyon de Colca, un lieu incontournable pour observer le vol majestueux du condor. Crédits photo : STANISLAS FAUTRE
Attachée à ses traditions ancestrales, la population cultive encore de nos jours les terrasses pré-incas. Crédits photo : STANISLAS FAUTRE
Erigée au XVIIe siècle, la cathédrale d'Arequipa dans le sud du Pérou est considérée comme l'un des premiers monuments religieux de la ville. Crédits photo : STANISLAS FAUTRE
La rue de Jérusalem, à Arequipa, déploie une étonnante palette de couleurs. Crédits photo : STANISLAS FAUTRE
Prières et offrandes rendent grâce à la population d'Arequipa. Crédits photo : STANISLAS FAUTRE
Le monastère de Santa Catalina, construit au XVIe siècle, est l'un des plus anciens et des plus vastes du continent américain. Crédits photo : STANISLAS FAUTRE
Arequipa possède l'une des plus belles places du Pérou, inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco. Crédits photo : STANISLAS FAUTRE
Les lumières de la ville d'Arequipa scintillent au pied de l'imposant volcan Mismi. Crédits photo : STANISLAS FAUTRE
EN IMAGES - Cet été, notre série d'évasion vous emmène à la découverte des sources des grands fleuves. Après le Danube et le Nil, voici l'Amazone dont l'origine, longtemps controversée, a été localisée en 2002 dans le sud du Pérou, au mont Mismi. Un lieu préservé et encore peu connu, y compris des Péruviens
Et si jongler avec sept boules de cristal s'avérait plus simple que de définir le lieu où l'un des deux plus grands fleuves du monde (avec le Nil) prend sa source… L'Amazone a suscité, depuis des siècles, plus de mystères sur ses origines que Hergé n'avait imaginé d'histoires sur sa cité perdue. Conquistadors, aventuriers, géographes ont été nombreux à prendre en filature cette intrigante à la triple identité - péruvienne, colombienne et brésilienne -, qui commence sa cavale au sud du Pérou pour fuguer sur plus de 6000 kilomètres vers l'océan Atlantique. À chaque mission, une conclusion différente, selon que le río Marañon ou le río Ucayali était désigné comme affluent principal.
À chaque spécialiste, ses paramètres: longitude, latitude, taille, densité et constance du débit… Un Andin y perdait son quechua! Depuis le voyage de Francisco de Orellana, en 1542, expéditions - y compris françaises avec celles de Michel Perrin en 1953 et de Jean-Michel Cousteau en 1975 - et controverses se sont multipliées jusqu'à ce que l'affaire soit enfin tranchée en 2002, sans pour autant faire l'unanimité. Confirmant la thèse du photojournaliste américain Loren McIntyre (National Geographic Society), une expédition menée par la National Geographic Society localisait, GPS à l'appui, la source du río Amazonas dans les lagunes glaciaires du versant nord du nevado Mismi: un mont culminant à 5597 mètres, situé dans la cordillère de Chila, au nord d'Arequipa.
Chivay, une oasis au milieu de paysages arides. Crédits photo : STAN FAUTRE
Arequipa, «ville du printemps, ville blanche!». C'est avec une fierté de matamore que Saúl Peredo évoque les largesses d'un soleil sans jour férié, la beauté en aube d'un centre historique inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco. Du blanc partout ou presque.
Les demeures de haute prospérité coloniale, les églises, les couvents ont été construits en sillar: la roche volcanique du Misti, à un jet de pierre de la deuxième plus grosse agglomération péruvienne. Un million d'habitants vivent stoïquement sous la menace de ce Vésuve local. Mais il n'est pas d'eden sans danger, d'enfer sans protection divine. Pour peu que l'on veuille solliciter la Vierge de Chapi, patronne de la région, les lieux ne manquent pas. L'église de la Compagnie de Jésus, dont la façade est ciselée comme l'image pieuse d'un canivet, pousse à la génuflexion.
Nul besoin de se faire prier pour admirer, plaza de Armas, la superbe cathédrale San Pedro, puis visiter l'impressionnant monastère de Santa Catalina, l'un des plus anciens et des plus vastes du continent américain, construit au XVIe siècle. Dédale de rues, patios, placettes, chapelles, cellules… Dans ce village de femmes ont vécu jusqu'à 500 nonnes. Il n'en reste plus aujourd'hui que 25 qui, en dehors de leurs six heures de prière quotidienne, ont bien d'autres préoccupations que de lever le voile sur l'origine de l'Amazone.
Atteindre le sommet du mont Mismi, à 5597 mètres, reste l'apanage des amateurs de trek. Crédits photo : STAN FAUTRE
La plupart des Arequipeños, d'ailleurs, s'y intéressent peu ou pas du tout. Rue Jerusalén, l'un des QG des tour-operateurs de la ville, les professionnels proposent plus volontiers une virée aux sources thermales de Yura, sur les contreforts du volcan Chachani, qu'une expédition au mont Mismi, à plus de six heures de route d'Arequipa. «Cela changera peut-être lorsqu'ils mesureront son attrait touristique, mais pour le moment, cette source n'est pas vraiment une priorité pour les gens d'ici, confirme Angel Pajuelo Tejada, professeur de géographie à l'université d'Arequipa. Il y a bien eu, dans les années 70, un militaire péruvien qui l'a cherchée, mais ce sont plus souvent les étrangers qui s'intéressent à notre patrimoine.»
Il s'avère effectivement plus difficile de dégoter, dans la ville du prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa, une carte récente de la région du Mismi que de consulter les travaux anciens du cartographe français Nicolas Sanson d'Abbeville, conservés à la Bibliothèque de France. Il aura fallu le dévouement exemplaire du patron d'une petite papeterie librairie du centre historique pour trouver une Taride andine de la vallée du Colca. Un objet aussi rare qu'avare en informations. Tel Maupassant qui, du ciel de Paris, décrivait la Seine comme «un gros serpent roulé, couché, immobile, dont on n'aperçoit ni la tête ni la queue» , on peine à remonter précisément le cours de l'anaconda amazonien. Tout au plus repère-t-on le village le plus proche de son berceau: Chivay.
Ran Ran, le dernier village abandonné par les éleveurs d'alpages. Crédits photo : STAN FAUTRE
Pendant cinq jours, en août, a lieu la Fiesta del agua
Les cartes sont de formidables diseuses de bonne aventure capables de vous prédire ce qui vous attend: direction l'altiplano par la transocéanique, qui monte à près de 4800 mètres et rejoint le Brésil ; traversée de la Réserve nationale Salinas y Aguada Blanca, où vivent en toute liberté cerfs, lamas, alpagas et vigognes ; escale à Patapampa pour déguster un breuvage composé de trois plantes - coca, muña et chachacoma - qui favorisent l'irrigation du sang. Puis, arrivée à Chivay qui surplombe le très touristique Cañon del Colca - classé parmi les gorges les plus profondes au monde (3 182 m). Réputée pour ses sources thermales, cette bourgade pleine de charme échappe encore au tourisme de masse.
Hormis les Taxis Lama qui proposent, sur la place principale, une «virée touristico-écologique», Chivay n'a pas cédé à la tentation de jouer la carte d'un folklore de pacotille qui colle parfois au Pérou comme le sparadrap au doigt du capitaine Haddock.Vêtues, à quelques variantes près, du superbe et riche costume que portaient leurs ancêtres, les paysannes boudent nonchalamment l'air du temps. Sur le marché, elles tricotent encore bonnets, chuspas et chaussettes avec l'alpaca de leur troupeau. «Il est important de favoriser un tourisme solidaire et responsable pour un développement durable», précise José Fernando Isuiza Prado, revenu au Pérou après avoir étudié et vécu à Paris.
Ici, ceux qui aspirent à prendre de la hauteur seront servis. D'une part, se retrouver perché à 3650 mètres d'altidude permet une acclimatation parfaite avant de rejoindre le mont Mismi. D'autre part, regarder les paysages immémoriaux, découvrir la citadelle de Uyo Uyo construite 1 200 ans avant J.-C., approcher les cultures en terrasses pré-incas, avec leur ancestral réseau de canaux et de siphons, s'avère un excellent moyen de comprendre l'importance de l'eau, yaku en quechua (la langue des Andes), pour la population locale qui vit essentiellement du travail de la terre et de l'élevage d'alpagas et de lamas. Tout le monde se souvient dans la région qu'en 1971, pour une histoire de canal, eut lieu un affrontement mortel entre les villageois de Yanke et de Coporaque. Aujourd'hui encore, il n'est pas rare que le juge de l'eau soit sollicité pour arbitrer des différends entre des paysans.
Au paysage minéral du berceau de la source succèdent dans la vallée de Carhuasanta de verdoyantes prairies. Crédits photo : STAN FAUTRE
L'eau, on se la dispute parfois, comme dans les romans de Pagnol, on respecte surtout ce don de la Pachamama , la terre mère nourricière, qui fait vivre hommes, animaux et plantes depuis des temps immémoriaux… «C'est un rituel très ancien. La première semaine d'août, pendant cinq jours, a lieu la Fiesta del agua, raconte Zacarias Ocsa Ocsa. Les paysans procèdent alors au nettoyage des 50 kilomètres de canaux d'irrigation qui remontent quasiment jusqu'au mont Mismi.» Auteur de plusieurs ouvrages, guide officiel de la région, il connaît tout des contes et légendes qui circulent sur l'Amazone. Sollicité par des scientifiques, il se souvient de l'expédition du Polonais Jacek Palkiewicz qui a situé, en 1996, la source du fleuve au mont Qewisha. à un vol de condor du mont Mismi, devenu depuis le site officiel.
Du mois d'avril à novembre, les conditions sont idéales pour se lancer dans l'aventure. L'ascension s'effectue en grande partie en 4x4 par l'ancienne route de Cuzco jusqu'au bourg de Tutti, puis au village abandonné de Ran Ran. Une sensation étrange l'emporte devant ces habitations en ruine atomisées par l'oubli, cette église désertée où l'on ne célèbre plus que la fête de la Vierge, début septembre. Les changements climatiques auraient fait fuir les familles qui ne trouvaient plus assez d'eau pour nourrir le bétail. Depuis quelques années, les neiges éternelles se réduisent comme peau de chagrin. Les trois heures de route qui mènent au mont confirment ce constat et la quasi-absence de présence humaine. On se perd dans l'immensité, happé par la grandiloquence des paysages où alternent, à la manière d'un crazy patch, les couleurs toastées d'or, de bronze, de brun, les rouges d'une terre chargée en minéraux.
Dans ce bout du monde, où le ciel semble à portée de main, les vigognes occupent le terrain en reines. Sans abris, sans tanières. À 4000 mètres, la nature ne badine pas. Elle tance, brutalise, cravache à tout va. Il y a des jours gercés par la morsure du Silbido, des nuits rustaudes où le thermomètre flirte avec les - 30 °C. Dans les hauts pâturages de la puna, le regard agreste des rares éleveurs en dit long sur la dureté de cette région, où les enfants naissent avec davantage de globules rouges et développent des poumons de nageur pour résister à l'autorité de la nature. Mais, pas de panique. Atteindre la source de l'Amazone ressemble davantage à une grimpette à Fontainebleau qu'à l'ascension du Mont-Blanc.
Les trois canyons près de Suykutambo, où le Serrimayo, le Hatun Mayo et le Kaymani fusionnent pour former le rio Apurimac. Crédits photo : STAN FAUTRE
Prières et offrandes rendent hommage à la Pachamama
Porter des chaussures de marche, choisir les bons appuis suffit à rejoindre l'imposante paroi rocheuse d'où surgissent, par plusieurs failles, les premières eaux du fleuve. En minicascades, elles se livrent, vives et fraîches, passent un court instant par ce qui ressemble à des fonts baptismaux naturels, avant de filer dans la pente à travers les roches. Une croix en métal où figure une plaque en souvenir de l'expédition de Loren McIntyre (1971) a été dressée sur le site, mais c'est à un rite animiste que se livre Zacarias, agenouillé au plus près de cette stase à l'imposante puissance. Prières et offrandes contribuent à remercier la Pachamama: «Que les dieux et déesses protègent cette eau pour nous, nos enfants et les générations futures», murmure-t-il avec cette façon oubliée de tenir la nature en considération. Après avoir soufflé sur trois feuilles de coca, il les enterre, puis se recueille un long moment. Son émoi sincère emporte toutes les sensibilités. Le silence s'impose. On perd rapidement les mots à vouloir décrire l'énergie que dégage ce lieu tellurique, dont on ne peut s'empêcher de penser qu'il a quelque chose à voir avec les mystères de la création. On se sent redevable de ce don sans rien pouvoir dire. Et tant mieux. C'est une émotion dénuée de commentaires qui nous escorte le temps de suivre la petite Amazone sur plusieurs kilomètres vers la vallée du río Carhuasanta.
Arequipa, une ville opulente, isolée entre désert et montagne. Crédits photo : STAN FAUTRE
Née dans un quasi-anonymat, celle qui irrigue le poumon du monde ne cède pas immédiatement à la démesure de sa nature véhémente. Elle court entre les touffes d'aqenta (une plante qui ne grandit que d'un centimètre par an), file secrètement sous les roches, se disperse avant de se frayer un chemin plus large du côté de Caylloma. Le jeu de piste qu'elle construit n'est pas aisé à suivre. Au plus près de la source, chaque pas est compté. A 5 164 mètres, le manque d'oxygène corsète les poumons, donne l'impression de respirer par une paille. Mieux vaut reprendre la voiture pour rejoindre le site des «Trois Canyons» près de Suykutambo, où le Serrimayo, le Hatun Mayo et le Kaymani se rejoignent pour former le río Apurímac qui, au fil de sa course, changera de nom plusieurs fois jusqu'à devenir l'Amazone. Plus de 6000 kilomètres séparent ce sublime panorama de l'embouchure du fleuve.
Quelques fous de robinsonnades extrêmes ont déjà effectué ce parcours à pied. Sans doute ne faudra-t-il pas trop attendre pour avoir une chance de vivre cette incroyable expérience. Si le projet de barrage Marjes 2 voit le jour, le cours de l'Amazone pourrait être interrompu d'ici à cinq ou dix ans. Etrange époque que la nôtre, qui contraint les hommes à se priver d'un retour aux sources.
Le carnet de voyage
Avant de partir
Office de tourisme du Pérou (www.peru.travel/fr/). Visa gratuit délivré à l'arrivée. Meilleure période: d'avril à octobre, c'est la saison sèche sur l'altiplano.
Et si Corto était un héros dont on pouvait dresser la biographie à l'instar d'un personnage réel? Au fil de ses albums et de ses interviews, Hugo Pratt a semé une multitude d'indices géographiques, historiques et graphiques permettant de reconstituer avec un luxe de détails le destin du marin maltais. Voici donc la «vraie vie» de Corto Maltese, telle que vous ne l'avez jamais lue.
Nom: Maltese. Le doit à sa naissance sur l'île de Malte, dans une maison aux balcons de fer forgé, non loin de la Kingsway, à La Valette.
Prénom: Corto. En argot espagnol, corto signifie «rapide de la main», donc «voleur», mais aussi «voleur de sentiments»...
Date de naissance: 10 juillet 1887.
Père: Marin britannique, originaire de Cornouailles, grand, roux, neveu d'une sorcière de l'île de Man, assez porté sur la bouteille. Rencontre la mère de Corto lors d'une escale à Gibraltar, sur les marches menant au Morish Castle. Léguera à son fils Corto une jarre pleine de doublons d'or provenant de l'Invincible Armada.
Mère: Gitane de Séville née dans le quartier de Triana et surnommée la «Nina de Gibraltar». Cette femme brune et élancée, danseuse de flamenco, parfois présentée comme une «putain», fut l'un des grands amours du peintre français Ingres, à qui elle servit, dit-on, de modèle.
Nationalité: Sur son passeport, Corto, détonant croisement de liberté gitane et de brumes celtiques, possède le titre de «résident» à Antigua, dans les îles Vierges, au large du Venezuela. N'habite pas Venise, comme on le croit parfois - «Je finirais par me laisser prendre par l'enchantement de cette ville, je deviendrais paresseux, Venise serait ma fin», a-t-il dit un jour -, mais possède une vieille maison sur pilotis à Hong Kong, du côté de Kowloon. Il viendra notamment y prendre quelque repos après la Première Guerre mondiale, entre son grand piano Steinway, sa riche bibliothèque et Négresse Martinique, une toile signée Gauguin - qui lui sera volée, un jour où il s'était absenté, par son vieil «ami» Raspoutine...
Signes particuliers: Porte un anneau à l'oreille gauche, ce qui signifie qu'il appartient à la marine marchande, qui l'a élevé au grade de commandant (dans la marine de guerre, on portait l'anneau à l'oreille droite). Sur la main gauche, longue cicatrice en forme de ligne de chance. «Un jour, une gitane me révéla que je n'avais pas de ligne de chance, racontera Corto. Cette découverte me causa un terrible choc. Je me suis précipité dans la chambre de ma mère, ai trouvé l'un des rasoirs de mon père, ai appuyé le tranchant de la lame sur ma main gauche et tiré d'un coup sec...»
Décorations: L'armée anglaise lui a remis la Conspicuous Gallantry Medal, pour avoir déjoué un complot allemand du côté de Stonehenge, durant le premier conflit mondial. A peine reçue, la laisse tomber de la poche de sa gabardine...
Situation de famille: Célibataire. Et pourtant... Au cours de ses aventures, Corto croise une nuée de femmes ensorcelantes: Bouche Dorée (sorcière brésilienne), Esmeralda (prostituée argentine), Louise Brookszowyc (sosie polonais de Louise Brooks), Changhaï Li (beauté chinoise ressemblant comme deux gouttes d'eau à une nièce de Tchang Kaï-chek), Banshee O'Danan (indépendantiste irlandaise), Venexiana Stevenson (aventurière, comme son nom l'indique)... On ne lui connaît de liaison avec aucune. Mais de là à imaginer un Corto vierge... Le souvenir d'un amour de jeunesse, déçu, l'aurait poursuivi toute sa vie. On a longtemps cru qu'il s'agissait de la jeune Pandora Groovesnore, Australienne croisée, à la fin de 1913, du côté des îles Salomon. Las! Il semblerait qu'un autre fantôme a hanté Corto... «Un jour, je montrerai cette femme, mais seulement de dos, uniquement des cheveux sur la nuque, car elle doit rester un mythe», avait annoncé Hugo Pratt. Il n'en a pas eu le temps...
Corto et la France: C'est l'amour du vin qui le conduit dans notre pays. La seule fois où sa présence sur notre sol est attestée se situe en avril 1918, en Picardie. On le croise en compagnie de deux Australiens, trimbalant quelques caisses de bon vin dans une improbable camionnette, dissertant sans fin sur les mérites comparés d'un corbières, d'un côte de Nuits ou d'un romanée-conti 1915, son cru préféré... Ni le lieu ni le moment ne sont idéalement choisis, puisque, au-dessus de leurs têtes, le terrible baron von Richthofen, dit le «baron rouge», décime l'aviation alliée. Les grands crus de Corto n'en réchapperont pas. Notre héros avait prévu une seconde incursion en France, à la recherche d'un labyrinthe dans l'île Saint-Louis à Paris - où habitait Hugo Pratt -, sur les traces d'Aliénor d'Aquitaine et d'Henri Plantagenêt. Il ne la mit jamais à exécution.
BIOGRAPHIE. ENFANCE MEDITERRANEENNE
Corto grandit à Cordoue, dans une splendide maison autour d'un patio fleuri du barrio de la Judería, le quartier juif. Il suit l'enseignement de l'un des amants de sa mère, le rabbin Ezra Toledano, qui lui fait étudier le Talmud, le Zohar et la kabbale. «J'en ai gardé ce goût des signes, des symboles, des jeux du réel et de l'imaginaire», racontera-t-il plus tard. A douze ans, il repart pour Malte, où il poursuit sa scolarité à l'école juive de La Valette. Interrompt ses études à 16 ou 17 ans.
En Asie avec Jack London. La période des voyages débute en 1904. Corto Maltese n'a pas encore 18 ans. Qu'importe! Au tout début de l'année, il embarque sur la Vanita Dorada (Vanité dorée), une goélette qui faisait relâche à La Valette. Fin janvier, le voilà au Caire. Grâce à une introduction du rabbin Toledano, il peut mettre la main sur de vieux documents et, surtout, lors d'un mystérieux rendez-vous à l'ombre des pyramides, sur une carte - première d'une longue série de «cartes au trésor»... - localisant les mythiques mines d'or du roi Salomon, quelque part entre Ethiopie et royaume de la reine de Saba. Un rêve d'or et de sable, une chimère, comme il en poursuivra toute sa vie...
Mais d'abord, cap sur l'Asie! Il descend la mer Rouge jusqu'à Aden, dépasse Bombay, Singapour, Shanghai et se fixe finalement à Moukden, à la frontière coréenne. Quels rêves fous poursuit-il là-bas? Nous sommes en 1904, en plein conflit russo-japonais. Là, le jeune Corto se lie d'amitié avec un correspondant de guerre américain du San Francisco Examiner, l'écrivain Jack London. Les deux hommes cultivent en commun un certain détachement au milieu du choc des empires et des balles qui sifflent. Grand familier des champs de bataille du XXe siècle, Corto Maltese se départira rarement de cette posture de spectateur engagé, ne prenant presque jamais parti pour un camp plutôt qu'un autre. «Je n'ai pas d'ennemis, je m'occupe de mes affaires», répète à l'envi le marin laconique. Il passe, voilà tout.
Un seul homme parvient à le faire sortir de ses gonds: Raspoutine. Cet incontrôlable déserteur russe - «Je suis né en Russie, mais ma nationalité, c'est l'argent!» - lui a justement été présenté par Jack London. Corto s'engage à l'exfiltrer vers d'autres horizons. C'est le début d'une longue relation: de la Chine au Pacifique, les deux hommes se croiseront régulièrement, seront rarement dans le même camp, s'invectiveront souvent, parfois même avec tendresse, et se sauveront mutuellement la vie. Après tout, peut-être est-ce cela que l'on appelle l'amitié...
Dans les mers du Sud. Pour l'heure, en cette année 1905, les deux hommes embarquent non loin de T'ien-tsin, bien décidés à retrouver les mines du roi Salomon, quelque part en Afrique. Une mutinerie en mer de Célèbes et un cargo providentiel les lâcheront au... Chili. En Patagonie, Corto fait la connaissance de Butch Cassidy, chef de la «horde sauvage», un gang de voleurs de bétail et de dévaliseurs de banques. «Par son côté Robin des Bois, bandit au grand cœur et redresseur de torts, par sa fidélité en amitié, Butch fut un compagnon proche», dira de lui Corto. Les deux hommes se croiseront plus tard à nouveau, à Buenos Aires, sur fond de tango et de fusillade.
Gentilhomme de fortune. Entre 1907 et 1913, on perd quelque peu la trace du marin à l'anneau dans l'oreille. Il est aperçu en Italie en 1907, au Mexique trois ans plus tard, à Tunis en 1911, puis à Londres, où il embarque finalement pour le Pacifique. Corto s'est enfin choisi une profession: «gentilhomme de fortune». Autrement dit pirate, écumant les mers entre Nouvelle-Guinée et Indonésie. «Je n'étais pas un très bon pirate, mais j'aimais la liberté, la découverte, la rencontre, le saute-mouton entre les archipels», reconnaîtra-t-il plus tard.
Pas assez sanguinaire et cruel, peut-être, pour exercer cette activité rançonneuse. Et risquée: le 1er novembre 1913, son équipage se mutine et l'abandonne en mer, crucifié sur un radeau. Il est miraculeusement recueilli par le catamaran de Raspoutine qui passait par là. A bord, la jeune Pandora Groovesnore, qui trouble notre marin maltais... «Corto est amoureux de l'idée d'être amoureux», grincera, toujours très philosophe, Raspoutine. Tout ce petit monde trouve refuge sur l'île d'Escondida, du côté des Fidji. Mais déjà les échos assourdis de la Première Guerre mondiale résonnent sous les tropiques. Entre l'Australie et Panamá, où il arrive en août 1915, Corto prend part à des combats sporadiques mettant aux prises Allemands, Japonais et Anglais. Cet individualiste romantique, qui croit plus en la liberté qu'en la patrie (quelle patrie, d'ailleurs?), peut changer de camp pour une parole donnée ou les yeux d'une mystérieuse Brésilienne... Il passe, toujours.
La guerre en Europe. Poursuivant son rêve de retrouver les cités perdues de Cibola et d'El Dorado, Corto rentre en Europe. Il assiste, depuis un couvent franciscain, où il consulte quelque savante relique, à la guerre aérienne dans le ciel de Venise. En 1917, après avoir financé le Parti républicain monténégrin, on le retrouve, décidément devenu bien progressiste, en Irlande, aux côtés de l'Armée irlandaise révolutionnaire. Certes, les taches de rousseur de la belle Banshee y sont peut-être aussi pour quelque chose... «Corto est du côté de la liberté», résumera Hugo Pratt.
Dans les steppes de l'Asie centrale. Pourtant, la soif de l'or n'est jamais loin. Etrangement, Corto Maltese aura passé sa vie à déchiffrer parchemins, palimpsestes et énigmes pour localiser des trésors qui, toujours, lui échapperont. Cette fois-ci, lui et Raspoutine partent à l'assaut d'un train chargé d'or, qui erre entre Mongolie et Mandchourie, là où les grands empires s'entrechoquent, dans les tourbillons nés de la Révolution bolchevique. Outre la sublime Changhaï Li et la duchesse Seminova - «il faut toujours se méfier des femmes fatales en fourrure et le fume-cigarette aux lèvres», observe Corto -, ils croisent le baron von Ungern-Sternberg. A la tête de sa division de cavalerie asiatique, composée de Bouriates, de Mandchous et de Cosaques, le «baron fou» rêve d'édifier un nouvel empire mongol. Sur fond de neige, de Transsibérien et de massacres, Corto, blessé, passe à deux doigts de la mort. Il est finalement recueilli par l'armée américaine, à Kharbin. Plus tard, un jour d'automne, il ira se recueillir sur la tombe d'Ungern. Doit-on préciser que, bien entendu, Corto ne verra jamais la couleur de l'or sibérien?
Il n'en a pas fini pour autant avec l'Asie centrale. En 1921, un ami du poète lord Byron lui a laissé des indications et une carte, qui permettraient de retrouver le fabuleux «Grand Or» de l'empereur Alexandre. Le trésor serait quelque part du côté de Samarkand. Commence alors une hallucinante traversée de l'Anatolie, via Van, puis du Caucase jusqu'à Boukhara et, enfin, du Turkestan. C'est là que, le 5 août 1922, Corto assiste à la mort d'Enver Pacha, général turc responsable de massacres d'Arméniens. Notre marin échappe au peloton d'exécution grâce à un miraculeux coup de téléphone à Joseph Staline - «Jo!» -, croisé en 1907, à Ancône, alors que le futur dictateur n'était encore que gardien de nuit...
Retraite en Suisse? Après un nouveau détour par la Venise préfasciste, où il croise nuitamment le baron Corvo et l'écrivain dandy Gabriele D'Annunzio, Corto - tout comme Hugo Pratt, d'ailleurs... - va pouvoir laisser libre cours en Suisse, en 1924, à ses rêveries alchimiques. Son vieil ami, le professeur Steiner, le présente au célèbre écrivain Hermann Hesse, à Montagnola, dans le Tessin. L'heure des folles cavalcades semble révolue pour Corto: la lecture de Paracelse l'entraîne vers les mystères de l'alchimie, la quête du Graal, les fées... Comme s'il était définitivement passé du côté de l'ésotérisme et de ce mythique royaume de Mû. Corto n'a pas quarante ans. Il est passé.
Epitaphe. Sur la foi de Cush, un guerrier dankali qui a croisé son chemin, Corto Maltese aurait disparu en 1937, lors de la guerre d'Espagne, après s'être engagé dans les rangs des Brigades internationales. Une autre hypothèse prétend qu'il est mort fou, au Chili, en 1967, à l'âge de 80 ans. Laissons le dernier mot à Hugo Pratt, qui l'a bien connu: «Corto ne peut pas mourir, il peut disparaître, ce qui n'est pas pareil. Il y a, à Venise, trois portes qui permettent de s'évanouir vers un autre monde...»
Sources: l'intégralité des albums de Corto Maltese, parus chez Casterman; Hugo Pratt a relaté certains épisodes inédits de la vie de son héros à travers une série d'aquarelles, que l'on retrouve dans le très complet Corto Maltese, Mémoires (Casterman) par Michel Pierre; le dessinateur livre également quelques clefs dans Le désir d'être inutile (Robert Laffont), autobiographie sous forme d'entretien, et dans Corto Maltese, littérature dessinée (Casterman).
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