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  • 1857. Bon millésime

    Jean-François Richer

    1857. Un état de l’imaginaire littéraire, revue Études françaises, numéro préparé par Geneviève Sicotte, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, vol. 43, no 2, 2007, 162 p.

    L’idée est accrocheuse et engage d’emblée le lecteur : parce que 1857 est « sans conteste un étonnant millésime » (p. 6) au cours duquel « s’exposent les grandes tensions qui structurent le champ littéraire au long du XIXe siècle » (p. 9), les articles réunis par Geneviève Sicotte se proposent de « faire l’exploration de l’imaginaire [que l’année 1857] met en jeu » (p. 7). Séduit par ce programme, le lecteur part de bon gré à la recherche de « cette entité organique de 1857 » (p. 8), il veut qu’on dirige son attention vers « le système générique, les esthétiques, la carrière des auteurs, les formes » (p. 8) et il se tarde de voir « émerger de ces analyses, en mosaïque, le tableau partiel, mais plausible de l’imaginaire littéraire de l’époque » (p. 8). Disons-le de suite : le lecteur, à l’arrivée, ne sera pas déçu, et cela malgré quelques petits écueils qui le feront d’abord voguer de Charybde en Scylla.

    C’est avec précaution qu’il devra ainsi naviguer, dans les premières pages, entre certains postulats de la « Présentations » (pp. 5-12) où s’entrechoquent des propositions qui apparaissent contradictoires ; lorsqu’il s’agit de saisir les discours sociaux d’une époque, on nous rappelle, par exemple, que « la simultanéité n’engendre pas nécessairement du sens » (p. 7) ; le paragraphe suivant dit pourtant, et sans détour, que « la coexistence génère du sens » (p. 8). Or comment la « simultanéité » diffère-t-elle de la « coexistence » ?

    Est-il juste, aussi, d’affirmer que la mort de Victor Hugo en 1885, ou encore celle d’Émile Zola en 1902, sont des « moments où, indépendamment de toute autre considération, le littéraire fait date » (p. 6) ? Sont-ce là des exemples purs de cette « hétéronomie des scansions politiques et littéraires » (p. 6) qui « s’accentue tout au long du siècle » (p. 6) ? Le décès d’un des plus célèbres pairs de France, le député à l’Assemblée législative qui fit le coup de feu sur les barricades de la rue Saint-Louis en juin 48, et celui de l’auteur de « J’accuse » ne furent-ils pas, au moins en partie, des événements proprement politiques ? Les cendres de ces deux « grands hommes » (dont la grandeur, justement, provient du fait qu’ils ont transcendé le littéraire pour toucher au politique) n’ont-elles pas été rapidement panthéonisées par « la patrie reconnaissante » ? La mort d’Honoré de Balzac le 18 août 1850 eut peut-être fourni, à cet égard, un meilleur exemple. À la page 19 de la revue, Stéphane Vachon rappelle justement à quel point la disparition de l’auteur de La Comédie humaine « fut pour la littérature une date, un événement » (p. 19)1.

    La « Présentation » (p. 5-12) décrit également 1857 comme étant, entre autre, « l’année du manifeste sur le réalisme de Champfleury » (p. 7). S’il est vrai que Champfleury fit paraître chez Michel Lévy un ouvrage intitulé Le Réalisme, est-il exact de qualifier cette publication de « manifeste » (et l’expression est reprise au verso de la revue et encore une fois à la page 10 où l’ouvrage de Champfleury est désigné cette fois comme un « recueil-manifeste ») ? Le Réalisme fut-il vraiment un « exposé théorique lançant un mouvement littéraire », selon une des définitions classiques de ce substantif, attestée dès 1828, et donnée par Le Petit Robert de la langue française dans son édition 2007 ? À notre connaissance, le mot « manifeste » ne figure pas dans Le Réalisme et Champfleury lui-même invite son lecteur à ne pas voir son volume comme « une bible, une charte, un codex »2 sur le réalisme. Plutôt que sous sa propre plume, c’est sous celle de Gustave Courbet que Champfleury a reconnu, en juin 55, les formes d’un « manifeste réaliste » ; décrivant à « Madame Sand » le scandale que cause dans tout Paris l’exposition que Courbet inaugure, au rond-point de l’Alma, avenue Montaigne, le 28 juin 1855 et le catalogue que Courbet avait assemblé pour l’occasion, vendu 10 centimes pièce, et qui comportait un avant-propos intitulé « Le Réalisme », l’auteur de Chien-Caillou s’extasie du fait que « non content de faire bâtir un atelier, d’y accrocher des toiles, le peintre a lancé un manifeste »3; plus loin, Champfleury donne même quelques-uns des « mots excellents » que Courbet a mis « dans son manifeste »4. Et s’il fallait chercher un manifeste réaliste, n’est-ce pas chez Edmond Duranty que nous le trouverions? Qu’on se rappelle simplement le ton revendicateur avec lequel il expose les dictats de l’esthétique réaliste, en décembre 1856 par exemple, dans le second numéro du Réalisme, une revue qu’il avait lui-même fondée et qui ne verra que six parutions entre juillet 56 et mai 57 ; Duranty rappelle à ses lecteurs : « Que le Réalisme proscrivait l’historique dans la peinture, dans la peinture et dans le théâtre afin qu’il ne s’y trouvât aucun mensonge, et que l’artiste ne pût pas emprunter son intelligence aux autres. Que le Réalisme ne voulait des artistes que l’étude de leur époque. Que dans cette étude de leur époque il leur demandait de ne rien déformer, mais de conserver à chaque chose son exacte proportion. »5 Le ton, on l’entend, est doctrinaire.

    Enfin, Le Réalisme de Champfleury pose une autre question quant à la pertinence de son invocation répétée dans les pages de cette réflexion consacrée à l’année 1857 : que reste-t-il, justement, de l’année 1857 dans cet ouvrage où l’auteur dit avoir « imprimé ce que j’ai pensé à diverses époques »6 ? De fait, le premier article intitulé « L’aventurier Challes » est daté de mai 1854, et la « Lettre à M. Ampère touchant la poésie populaire » est d’octobre 1853 ; le texte intitulé « Est-il bon ? Est-il méchant ? Lettre à Monsieur le Ministre d’État » date du 1er décembre 1856, et l’article sur « La littérature en Suisse » date, lui, du mois d’août 1853 ; enfin, l’avant-dernier texte du recueil, « Sur Monsieur Courbet. Lettre à Madame Sand », est de septembre 1855 (et avait d’ailleurs déjà paru dans l’édition du 2 septembre 1855 de L’Artiste, 5e série, Tome XVI, 1ère livraison, pp. 1-5.) tandis que le texte final, « Une vieille maîtresse. Lettre à M. Louis Veuillot » est de novembre 1856. L’approche synchronique, quoique fructueuse comme on le verra, n’est pas sans poser quelques problèmes de méthode7.

    Le voyage en 1857 continue ensuite de fort belle manière avec l’article de Stéphane Vachon dont on peut regretter, toutefois, le titre un peu trop neutre, trop générique, « Balzac entre 1856 et 1857 » (p.13-29), un intitulé qui n’annonce pas suffisamment la thèse originale développée dans ce texte. Après cinq pages d’éphémérides, des pages vivantes où l’auteur présente, en accéléré, le film de ceux qui meurent, qui naissent, qui vivent, qui se marient, qui votent ou qui sont poursuivis en justice cette année-là, Stéphane Vachon, informe le lecteur qu’il ne s’interdira pas de déborder l’année 1857 « sur chacune de ses franges » (p. 19) et que celle-ci « constitue un moment essentiel dans l’histoire de la critique balzacienne » (p. 19) car y « foisonnent [d]es études inédites sur Balzac » (p. 20). Une retiendra particulièrement son attention : « rien d’autre, en février 1858, que la grande étude de Taine sur Balzac » (p. 26). Analysant cette étude, Stéphane Vachon montre, bousculant plusieurs idées reçues, que ce qui est en jeu dans le champ discursif littéraire de l’époque, ce ne sont pas tant les célèbres querelles entre les réalistes et les romantiques car, « hormis Pinard, Champfleury et Montalembert, personne ne sait ce qu’est le réalisme, personne n’y croit, personne n’en veut » (p. 26), mais rien de moins que « le passage du romantisme au naturalisme » (p. 26). Taine, explique Stéphane Vachon, en « naturalis[ant] Balzac » (p. 26), en reprenant, avec lui, et à son compte, la notion de « milieu » tout en s’efforçant de « saisir Balzac dans toutes ses dimensions et dans sa complexité » (p. 27), aurait créé un quelque chose comme un modèle de production littéraire, une nouvelle façon « d’expliquer les œuvres par les faits historiques et physiologiques » (p. 28), une matrice esthétique qui aura sur le jeune Zola qui, on le sait, rencontrera Taine chez Hachette, « une importance déterminante » (p. 28). Et l’auteur de conclure que cette transmission de savoirs entre Balzac et Zola, médiatisée par Taine, ce télescopage dialogique, Zola lisant Taine lisant Balzac, « invite à penser directement, autour de 1857, le […] passage […] d’une poétique de la réalité à une autre » (p. 29). On verrait bien cet article figurer, comme un contrepoint essentiel, dans plusieurs manuels d’histoire littéraire.

    Dans un article intitulé « Le Réalisme de Champfleury ou la distinction des œuvres » (p. 31-43), Isabelle Daunais explique que l’auteur des Bourgeois de Molinchart, cherchant à définir « la singularité des œuvres du réalisme » (p. 33), s’est trouvé rapidement confronté à une question fondamentale : « comment discerner ce qui est une œuvre d’art de ce qui ne l’est pas ? » (p. 33) Plus encore, Isabelle Daunais s’attache à comparer les réponses avancées par Champfleury à celles proposées à la même époque par son illustre contemporain, Gustave Flaubert, qui lui aussi tentait alors de « comprendre ce que devient l’art lorsque l’artiste ne peut plus se justifier d’aucun lien avec son objet, sinon celui de la stricte observation » (p. 39). Isabelle Daunais explique que les arguments que Champfleury emploie pour identifier les tenants et les aboutissants de l’esthétique réaliste, dessinant une « vision idyllique de l’artiste » (p. 36), révèlent, au fond, son refus net de croire que l’art puisse côtoyer de si près ce qui n’est pas de l’art, « cette possibilité ouverte par le monde nouveau qu’est la dérision » (p. 40) ; en cela, Champfleury s’oppose diamétralement à Flaubert qui, « on le sait, fait de la ténuité de cette frontière l’un des paris de l’art » (p. 41), gageant d’abord que « la force du style sauvera son œuvre de l’insignifiance » (p. 41). Quoi que dise le titre de cette seconde contribution, c’est bien de la fulgurante nouveauté du réalisme flaubertien dont il est ici vraiment question ; écoutons la belle finale de cet article : « Pour l’auteur du Réalisme, 1857 ne pouvait être qu’une fin, pour celui de Madame Bovary, c’était un commencement » (p. 43).

    Dans la troisième contribution, intitulée « Flaubert et la question des genres » (p. 45-58), Geneviève Sicotte montre habilement comment Flaubert a mis « systématiquement en cause les paramètres génériques de son temps » (p. 46). Si « 1857 est véritablement l’année de Madame Bovary » (p. 48), il ne faut oublier, nous dit l’auteur, que Flaubert a aussi cette, même année « un autre fer au feu » (p. 48), soit la deuxième version de La Tentation de Saint-Antoine dont des extraits seront publiés dans L’Artiste. Le fait que deux textes aussi différents « adviennent à l’existence de manière simultanée […] confère à la production de Flaubert en cette année 1857 une singulière complexité » (p.49). Avec la publication de Madame Bovary, qui place — et magistralement ­­—, dans le champ littéraire de l’époque le genre romanesque « là où on l’attend[ait] pas » (p. 51), et celle de La Tentation de Saint-Antoine, ce texte à la « forme bâtarde » (p. 53), « hybride entre le roman et le théâtre » (p. 54), Flaubert conquiert le champ littéraire non pas en produisant de grands textes dans les formes hautement légitimées en 1857 (et l’auteur avance l’exemple du roman historique ou du roman feuilleton, p. 52, ceux, aussi, du vaudeville et du mélodrame, p. 54), mais en investissant des zones marginales du champ de production, soit les avant-gardes, « plus souples et dynamiques » (p. 56). Grâce à ce « repositionnement des genres » (p. 56), Flaubert parvient à la gloire littéraire comme « par le bas » (p. 56), en entrant par « la petite porte » (p. 56).

    Dans « Le Journal des Goncourt en 1857 : le règne paradoxal de la Bohème » (p. 59-72), Anthony Glinoer demande aux frères Goncourt une « contre-expertise » (p. 63) aux analyses du phénomène socio-littéraire de la bohème faites « a posteriori » (p. 63) comme le dit l’auteur lui-même par Pierre Bourdieu d’abord dans Les règles de l’art, puis par Nathalie Heinich dans L’Élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique. L’auteur montre que les Goncourt ont proprement fustigé la bohème, qu’ils associent à une « gigantesque maison close » (p. 66) produisant une « littérature qui ne se montre pas digne d’elle-même » (p. 67). Les Goncourt répondront sur le plan littéraire à ce phénomène par « une pièce à faire, Les Hommes de lettres » (p. 68) et par la mise en place d’une « contre-sociabilité » (p. 69) ; ils « investissent le Café Riche » (p. 69) et forment un « cénacle » (p. 69), autant de geste, explique Anthony Glinoer, pour « élever ce que les Goncourt nomment le “capital littérateur” » (p. 67). La bohème forme donc le « camp adverse » (p. 70) et en cela, elle n’est pas « comme le déduisait Bourdieu, une matrice, mais un obstacle, ou encore un repoussoir pour les hommes de lettres » (p. 70). L’analyse des représentations de la bohème dans le Journal des Goncourt amène l’auteur à conclure que celle-ci est « l’objet d’une pluralité de discours » (p. 71) qui luttent pour « l’imposition d’une définition légitime » (p. 71) s’écartant en cela des analyses de Nathalie Heinich qui « font valoir que les représentations de la bohème […] sont multiples et que cette multiplicité est productive » (p. 71).  

    Jean-Pierre Bertrand, dans « La Poétique du fil : Odes funambulesques de Théodore de Banville » (p. 73-83), veut souligner la contribution de Banville à l’histoire de la poésie en cette année 1857. À cet égard, le mérite des Odes funambulesques, et celui de sa « préface-manifeste » (p. 77), fut de « transposer les techniques de la caricature dans le langage poétique » (p. 77) ce qui aura pour effet de « mettre en place un dispositif de pur langage qui conjure toute compromission avec le réel » (p. 77). Plus encore, Jean-Pierre Bertrand affirme que Banville, dans ce recueil, « invente la poésie jetable » (p. 83), une poésie moderne en ce qu’elle fait de sa situation de crise — son « nécessaire caractère éphémère » (p. 83) —, le matériau même qui la constitue. Banville touche donc ici à Flaubert, qui lui aussi approcha une forme littéraire, le roman, comme une chose qui n’allait pas de soi. Et c’est dans ces croisements inattendus que se révèle toute la qualité de ce numéro d’Études françaises qui invite à penser ensemble Banville, Flaubert, Taine, Champfleury, Zola et Balzac, à les prendre à la même époque — on a envie de dire au même coin de rue —, pour mieux entendre ce qu’il y avait de profondément harmonique dans leurs paroles imprimées.

    Dans un article intitulé « Traduction négative et traduction littérale : les traducteurs de Poe en 1857 » (p. 85-98), Benoît Léger rappelle d’abord que Baudelaire ne fut pas le « seul agent de diffusion de Poe en France » (p. 89) puisqu’avant que ne paraissent les Histoires extraordinaires, on recense « au moins dix-sept traductions » (p. 90) différentes des contes du grand écrivain américain. Benoît Léger se propose ensuite de confronter les « premières lignes de […] trois nouvelles traduites à la fois par Hughes et Baudelaire » (p. 91). L’exercice, fort intéressant, révèlera que Hughes « s’inscrit dans une tradition classique de rationalisation, d’étoffement et de paraphrase » (p. 96) qui édulcore les textes de Poe tandis que les traductions de Baudelaire, plus « littéralistes » (p. 97) agissent davantage comme des « révélateur[s] » (p. 98) capables de transmettre au lecteur la « nature profonde » (p. 98) de ces Histoires extraordinaires.

    Un article signé Micheline Cambron et intitulé « Pédagogie et mondanité. Autour d’une dictée… » (p. 99-110), clôt la partie thématique de la revue. L’objet du texte de Micheline Cambron est la célèbre dictée que Prosper Mérimée composa et fit passer à la cour, en 1857, suivant, selon la légende, une commande de l’impératrice (qui aurait d’ailleurs « fait 62 fautes et Napoléon III, 75 », p. 99). L’argumentation se développe en trois temps : le premier propose une rapide histoire de la dictée en France et cherche particulièrement à replacer cet exercice dans le contexte de la « pédagogie naissante » (p. 102) de l’époque. Le second mouvement du texte déplace l’analyse du côté du discours social québécois ; le corpus analysé est le millésime 1857 du Journal de l’Instruction publique. En substance on apprend que le « discours sur l’école » (p. 106) a une puissante « force d’attraction […] qui entraîne dans son mouvement quantité d’autres types de discours » (p. 106) et que, en somme, tout le discours social peut potentiellement devenir « une machine à instruire » (p. 106). Le lecteur appréciera particulièrement la troisième partie de cet article. Dans un commentaire composé finement mené, l’auteure analyse ligne par ligne la dictée de Mérimée. L’analyse révèle tout le savoir historique, géographique, sociologique et littéraire à l’œuvre dans les trois paragraphes de Mérimée ; au-delà des questions d’orthographe et d’épellation, ce texte parle surtout « de pouvoir — celui de l’église l’emporte sur les valeurs bourgeoises » (p. 110), et « d’argent » (p. 110). Non, une dictée n’est jamais sociologiquement neutre.

    Il y aurait encore tant de points de l’année 1857 à explorer, se dit-on, au sortir de cet ouvrage (le discours philosophique, le théâtre, la presse, notamment) ; on voudrait aussi explorer davantage un des conflits majeurs qui traversent le champ littéraire de cette année-là et qu’on entend gronder en arrière-plan dans la plupart des articles rassemblés ici par Geneviève Sicotte : la lutte pour la légitimité littéraire qui oppose le vers à la prose ; entre Flaubert qui prépare Madame Bovary en jurant contre cette « chienne de chose que la prose » et à laquelle il veut donner « la consistance du vers »8, Champfleury qui défend le « prosaïsme » mais étudie aussi « la poésie populaire », et Baudelaire qui travaillait, dès 55, à des textes qu’il joindra plus tard à ses Petits poèmes en prose, cette opposition est structurante dans le discours de l’époque. Aussi le lecteur appellera de ses vœux une suite prochaine à ce très bon numéro d’Études françaises (un second numéro ? un colloque ?).

    En plus de la partie thématique consacrée à l’année 1857, le lecteur trouvera deux autres articles dans une section intitulée « Exercices de lecture ».

    Le premier, signé par Frédérique Arroyas, intitulé « Les Variations Goldberg de Nancy Huston ou la désacralisation de l’œuvre musicale » (p. 113-135), veut montrer comment ce roman polyphonique de Nancy Huston récuse de part en part « une conception de la musique comme art sublime et désincarné » (p. 135). C’est avec tout le corps que s’écoute la musique de Jean-Sébastien Bach.

    Le second texte, signé par Antoine P. Boisclair et intitulé « Présence et absence du portrait à l’École littéraire de Montréal. Les exemples de Charles Gill et d’Émile Nelligan » (p. 137-151), s’attachent à montrer « qu’en s’intéressant à peinture, Gill et Nelligan [ont ouvert] la voie au poème-paysage » (p. 150), et ont favorisé la venue, dans les beaux-arts québécois de « l’esprit de composition propre aux poétiques du paysage » (p. 150).

    Publié sur Acta le 21 janvier 2008
    Notes :
    1 Stéphane Vachon développe plus à fond cette idée que « la mort d’Honoré de Balzac fut, pour la littérature autant que pour son histoire, un événement, une date » dans un ouvrage publié récemment et intitulé 1850. Tombeau d’Honoré de Balzac (Montréal, collection « documents », XYZ Éditeurs, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2007) ;  la citation précédente est à la page 14.
    2 CHAMPFLEURY : Le Réalisme, Michel Lévy Frères, Libraires-Éditeurs, Paris, 1857, p. 21.
    3 CHAMPFLEURY : L’Artiste, 5e série, Tome XVI, 1ère livraison, 2 septembre 1855, p. 1.
    4 Ibid., p. 2.
    5 DURANTY, Edmond : Le Réalisme, Paris, vol. I, no 2, décembre 1856, cité par Pierre Chartier, Introduction aux grandes théories du roman, Bordas, 1990, pp. 94-95.
    6 CHAMPFLEURY : Le Réalisme, Michel Lévy Frères, Libraires-Éditeurs, Paris, 1857, p. 21.
    7 Des problèmes, ou des inconforts méthodologiques disons, ressentis par plusieurs collaborateurs : Stéphane Vachon (« Balzac entre 1856 et 1857 », pp.13-29), pour poser son analyse, doit « déborder [1857] sur chacune de ses franges (avril 1856 – mars 1858) » (p. 19), Jean-Pierre Bertrand (« La Poétique du fil : Odes funambulesques de Théodore de Banville », pp. 73-83) se demande « Pourquoi 1857 et pas 1875 ou 1856 ou 1858 ? » (p. 73) et Benoît Leger (« Traduction négative et traduction littérale : les traducteurs de Poe en 1857 », pp. 85-98) avance d’entrée de jeu que « 1857 ne constitue pas une année charnière en matière de traduction » (p. 85).   
    8 FLAUBERT, Gustave : Correspondance, éd. établie, présentée et annotée par Jean Bruneau, « Pléïade », Gallimard, t. 2, 1991 ; lettre à Louise Collet, 19 juillet 1852.
  • Les paysages de GUY de MAUPASSANT

    28 juin 2014

     

    De passage ce samedi à Rouen pour passer la journée avec des amis normands, le retour se fit tranquillement vers Caen par ma route préférée: Canteleu, le port dans le grand méandre de la Seine, les mouvements des navires, les pentes verdoyantes des coteaux piqués de ravissantes bâtisses, les grues, les grands silos, le pavillon de Flaubert à Croisset et pour finir le bac à prendre sur la cale de Sahurs pour la Bouille histoire de connaître un début de grand frisson maritime.

    A la radio, (une antenne nationale bien connue) des speakers font le malin en se prenant pour des Brésiliens (accent portugais "desafinado"...) On tourne le bouton et sur France Culture des carnets nomades nous invitent à poursuivre notre route normande en compagnie de Guy de Maupassant.


     

    Pour ré-écouter l'émission de France Culture:

    http://www.franceculture.fr/emission-carnet-nomade-dans-les-paysages-de-guy-de-maupassant-2014-06-28

    Dans les paysages de Guy de Maupassant

    28.06.2014 - 20:00 

    Un Carnet nomade qui vous conduira vers l’univers de Guy de Maupassant, celui qui était le sien quotidiennement mais aussi celui qui porte la matière même de ses Nouvelles et ses de ses Contes qui viennent d’être publiées dans la collection Quarto. Une matière à la fois simple et mystérieuse, souvent cruelle et terrifiante, toujours sensible, belle, profonde. 
    Ses Paysages ? Ceux d’ Etretat, où il a vu travailler Corot et Courbet, où Delacroix, Boudin et Monet venaient régulièrement faire des séjours. Ceux de Bezons, de Chatou, de Bougival, de La Manche, de Méditerranée, des bords de Seine, des bords de Marne, de Paris et de Cannes mais aussi d’Algérie, de Tunisie. Ou encore de Croisset, en Normandie, chez Flaubert, son maître. Chez Flaubert, justement, on pouvait rencontrer Tourgueniev, Daudet, Zola, Henry James. 


    "Soyons des originaux, disait Maupassant. Soyons l’origine de quelque chose. » 

    Invitée :

    Martine Reid qui a préface l’édition de Guy de Maupassant (ainsi que la rédaction de sa vie et son oeuvre),
     Contes et Nouvelles. Edition Quarto-Gallimard, établie par Louis Forestier


     

    Et pour le plaisir, voici ci-après le début du Horla: tout y est quant au rapport de Maupassant à l'identité territoriale de la Normandie en son Val de Seine... Un témoignage écrit au bord de la folie, avant de mourir à 43 ans des ravages progressifs d'une terrible syphilis.

    "8 mai. – Quelle journée admirable ! J’ai passé toute la matinée étendu sur l’herbe, devant ma maison, sous l’énorme platane qui la couvre, l’abrite et l’ombrage tout entière.

    J’aime ce pays, et j’aime y vivre parce que j’y ai mes racines, ces profondes et délicates racines, qui attachent un homme à la terre où sont nés et morts ses aïeux, qui l’attachent à ce qu’on pense et à ce qu’on mange, aux usages comme aux nourritures, aux locutions locales, aux intonations des paysans, aux odeurs du sol, des villages et de l’air lui-même.

    J’aime ma maison où j’ai grandi. De mes fenêtres, je vois la Seine qui coule, le long de mon jardin, derrière la route, presque chez moi, la grande et large Seine qui va de Rouen au Havre, couverte de bateaux qui passent.

    À gauche, là-bas, Rouen, la vaste ville aux toits bleus, sous le peuple pointu des clochers gothiques.

    Ils sont innombrables, frêles ou larges, dominés par la flèche de fonte de la cathédrale, et pleins de cloches qui sonnent dans l’air bleu des belles matinées, jetant jusqu’à moi leur doux et lointain bourdonnement de fer, leur chant d’airain que la

    brise m’apporte, tantôt plus fort et tantôt plus affaibli, suivant qu’elle s’éveille ou s’assoupit.

    Comme il faisait bon ce matin !

    Vers onze heures, un long convoi de navires, traînés par un remorqueur, gros comme une mouche, et qui râlait de peine en vomissant une fumée épaisse, défila devant ma grille. Après deux goélettes anglaises, dont le pavillon rouge ondoyait sur le ciel, venait un superbe trois mâts brésilien, tout blanc, admirablement propre et luisant. Je le saluai, je ne sais pourquoi, tant ce navire me fit plaisir à voir."

     
    Posté par Collectif BEN à -
     
  • Une expo et une ville (ma ville natale) à (re)découvrir:”A fleur de peau”

    medium_troyes.jpgTroyes enlève le bas

    PHILIPPE VIGUIE DESPLACES (mercredi 18 avril 2007)


    Doté d’un magnifique Musée d’art moderne installé dans l’ancien évêché, Troyes propose depuis quelques jours une exposition intitulée « A fleur de peau ». Si l’on y ajoute un coeur de ville médiéval admirablement restauré et en périphérie plus d’une centaine de boutiques de marques à prix réduits… un week-end à Troyes s’impose.

    Premières impressions Le vieux Troyes a la forme d’un bouchon de champagne avec des maisons à pans de bois, pour certaines, ventrues comme des outres trop pleines. La partie la plus étroite du bouchon est la plus commerçante et la plus animée. La rue Emile-Zola, dont les façades médiévales ont repris des couleurs d’autrefois – vert pomme ou rouge sang de boeuf –, les voies adjacentes étroites comme la ruelle des Chats qui découvrent de petites placettes conviviales, sont les entrailles de la ville. Au premier coup d’oeil, on comprend vite que Troyes est un petit bijou aux charmes moyenâgeux, renaissance ou dix-huitièmiste avec quelques splendeurs : la grille de l’Hôtel Dieu, ferronnerie d’or coiffée des pleines armes de Champagne ou la cathédrale. Sa verrerie d’origine est une splendeur et le souvenir de Bernard de Clairvaux, dictant sous la nef magistrale les règles de la chevalerie, ajoute à l’émotion engendrée par la majesté des lieux. Troyes, à l’ombre de ce clocher millénaire, y cultive son propre art de vivre. Dans le palais épiscopal, le Musée d’art moderne présente une grande exposition consacrée au bas, un élément de bonneterie qui fut la grande affaire industrielle de la ville.

    « À fleur de peau » À travers du bas, c’est le thème de la nudité et du désir dans l’art qui est traité par cette exposition peu banale qui présente plus de 350 peintures. Pour réussir une telle entreprise, qui avait toutes les chances de tomber soit dans l’anecdotique et le cliché, soit dans le plus complet prosaïsme, il fallait deux ingrédients : un vrai contenu et une scénographie parfaitement adaptée. Conduit de mains de – jeunes – maîtres, sans aucune espèce de timidité, deux étudiants d’une vingtaine d’années de l’École nationale supérieure de création industrielle, Élodée Cardineaud et Julien Legras, ont été sélectionnés au terme d’un atelier de projets dirigé par le designer Jean-François Dingjian. Le résultat très prometteur décoiffe : les oeuvreJs sont accueillies dans des modules, ellipses de voilage aux formes lascives. Des dizaines de bas reposent dans des vitrines au design inventif qui rappellent celles que l’on voyait autrefois dans les magasins de bonneterie. Les étudiants de l’école ont poussé le détail jusqu’à filtrer la lumière des vitres extérieures par des motifs de bas grossis… ajoutant une touche d’humour à une mise en scène très réussie qui sert avec justesse l’autre trésor de l’exposition : les oeuvres. Elles sont signées des plus grands, un tour de force. Bien sûr, il y a Toulouse-Lautrec, celui auquel on pense immédiatement, mais encore Capiello pour de superbes affiches, Picasso pour un Nu aux jambes croisées, ou encore Matisse pour cette superbe Lorette à la terrasse d’un café. Des oeuvres de Van Dongen, Courbet, Degas, Gromaire, Chagall… défilent devant nous dans un luxe d’érotisme contenu, jamais vulgaire. « Le bas, objet de toutes les ambiguïtés, révèle la forme du corps nu sans montrer la peau », commente le commissaire de l’exposition, Emmanuel Coquery.

    Le Musée d’art moderne. Il contient la collection de Pierre et Denise Lévy, amateurs d’art troyens éclairés et riches dont le goût très sûr s’est porté sur la peinture des XIXe et XXe siècle. Le Paysage de neige dans le Jura de Gustave Courbet ou Les deux hommes en pieds de Degas ou encore Les Coureurs de Delaunay, oeuvre célébrissime, valent à eux seuls le déplacement à Troyes. Mais il y a aussi de magnifiques Dufy, Derain, Matisse, cerise sur le gâteau on s’assoit sur un mobilier superbe de Paulin.

    COMMENT Y ALLER
    En train, c’est à 1 h 30 à partir de la gare de l’Est, en voiture par l’A5. Troyes est à 160 km de Paris.

    OÙ DORMIR ?
    À la Maison de Rhodes dans le centre historique de Troyes, un magnifique petit hôtel de charme d’une dizaine de chambres aménagé dans une jolie maison à pans de bois. 18, rue Linard-Gonthier. www.maisonderhodes.com

    SHOPPING
    Troyes est le paradis des magasins d’usine de marques avec Mcarthurglen et Marques City et sur un second site Marque Avenue. Au total, plus de 300 boutiques.

    SE RENSEIGNER ?
    Office de tourisme de Troyes, tél. : 03 25 82 62 70 et www.tourisme-troyes.com

    EXPOSITION
    « A fleur de peau » au Musée d’art moderne de Troyes, 14, place Saint-Pierre. Tél. : 03 25 76 26 80. Tlj de 10 heures à 13 heures et de 14 heures à 18 heures Tarif : 5 € TR : 2,50 €. Gratuit pour les moins de 18 ans.

     http://www.figaroscope.fr/week_end/2007041700023920.html

  • Des trésors du marchand d’art Ambroise Vollard vendus aux enchères

    Parmi lesquelles un tableau fauve d'André Derain (1880-1954), peint en 1905, un paysage de Collioure qui, d'après les experts de Sotheby's, n'a sans doute jamais été vu par le grand public. Estimé de 9 millions à 14 millions de livres sterling (de 10 à 15 millions d'euros), il sera la vedette d'une vente impressionniste et moderne à Londres, le 22 juin. Les 139 autres œuvres – estimées prudemment à environ 3 millions d'euros – seront dispersées à Paris une semaine plus tard, le 29 juin.

    Ces ventes sont le dernier acte d'une aventure peu banale. Elle débuta en 1939, peu avant que Vollard ne se tue dans un accident de voiture. Le marchand confia à un collaborateur, Erich Slomovic, un ensemble hétéroclite comprenant le fameux Derain, mais aussi un portrait de Zola, alors très jeune, par son camarade de classe Paul Cézanne (estimé entre 500 000 et 800 000 euros, il pourrait intéresser les musées français, qui n'en possèdent aucun).

    On trouve encore des monotypes de Degas, dont un, particulièrement crapuleux, une nouba dans un bordel, est intitulé La Fête de la patronne. "Renoir, qui, comme Picasso, en posséda un exemplaire, disait qu'“il fallait avoir le génie de Degas pour donner à cette scène pornographique toute la noblesse et la dignité d'un bas-relief égyptien”", raconte, espiègle, Thomas Bompard, un des experts de Sotheby's.

    "UNE TRANCHE D'HISTOIRE"

    Son confrère de Sotheby's, Samuel Valette, renchérit: "Cette collection, c'est ce que les Anglo-Saxons nomment une “time-capsule”, une tranche d'histoire soigneusement préservée qui réapparaît soudain." Car en 1939, devant le conflit qui s'annonce, Erich Slomovic, dépose une partie des œuvres dans un coffre de la Société générale, et regagne son pays, la Yougoslavie, avec d'autres tableaux – environ 400 œuvres tout de même –, qui sont exposés à Zagreb en novembre 1940 et pour beaucoup sont encore conservés au Musée national de Belgrade.

    Erich Slomovic est arrêté par les nazis et meurt en déportation en 1942, à l'âge de 27 ans. Les tableaux, désormais sans maître, dorment au coffre. Les banquiers sont gens patients, mais ils finissent par trouver le temps long. Après avoir fait procéder à une première ouverture du coffre en 1946, ils en expédient le contenu dans un dépôt à Nantes, jusqu'en 1977, date à laquelle ils décident de se débarrasser du "coffre Vollard" – c'est ainsi que Sotheby's a décidé de nommer sa vente – pour régler la facture de la location de la chambre forte. Deux commissaires-priseurs, Lenormand et Dayen, mandatés par la banque envisagent une vacation à Drouot, en mars 1981.

    "A ce moment, expliquent les experts de Sotheby's, les ayants droit d'Ambroise Vollard ont découvert l'existence de cette collection, qu'ils ont revendiquée." Ceux de Slomovic aussi. L'affaire va jusqu'en Cour de cassation – c'est un cas d'école en matière de droit de propriété –, et la vente est annulée, non sans qu'un catalogue ait été imprimé.

    Le Derain y figure, en couverture et en couleurs, et c'est la première fois, de mémoire d'expert, qu'il est reproduit. Nonobstant, il ne figure pas au catalogue raisonné, édité en 1992. Pour les spécialistes, c'est un tableau mythique. "Le fauvisme a été pour nous l'épreuve du feu, disait Derain. Les couleurs devenaient des cartouches de dynamite, elles devaient décharger de la lumière."

    UN SIÈCLE D'AVANT-GARDE

    Posé sur un chevalet dans les locaux parisiens de Sotheby's, en face de l'Elysée, le tableau révèle ses couleurs, laissées dans le noir depuis plus de soixante-dix ans. Il n'a jamais été verni. La chose est rarissime. On en connaît quelques exemples dans les collections moscovites, au Musée Pouchkine notamment, mais la plupart du temps, les propriétaires, soucieux de protéger leur investissement des chiures de mouches, ont fait recouvrir les plus beaux tableaux d'un sombre mélange d'huile, de résine et de térébenthine, qui, avec le temps, s'encrasse et jaunit.

    Ici, non. La couleur est pure, peut-être un peu mate à cause de son long séjour à l'ombre, mais elle devrait rapidement retrouver sa vivacité d'origine. Si on osait un conseil à son futur propriétaire, c'est bien de la conserver ainsi. Parce que ce tableau est un morceau d'histoire.
    Lorsque Derain le peint, en 1905, il séjourne à Collioure avec Matisse. Sans le savoir, ils sont en train de préparer une révolution aussi importante que l'impressionnisme: la couleur pure et subjective détachée du motif et de la réalité. Les œuvres qu'ils exposent au Salon d'Automne, en octobre 1905, dans une salle qui entrera dans les livres sous le nom de "cage aux fauves", marquent le début d'un siècle d'avant-garde. Vlaminck, l'ami de Derain, est de la partie, comme Marquet, l'ami de Matisse.

    Ce tableau y a-t-il figuré? Rien ne permet de l'affirmer, ni de le nier. Derain y a montré quatre paysages peints à Collioure. Lesquels? Nul ne sait. Mais les dimensions du tableau correspondent à celles décrites au catalogue de 1905.

    Dans la vente de Sotheby's, figurent aussi deux photographies de Man Ray (1890-1976): ce diable de Vollard, à la veille de sa mort, s'intéressait toujours à ce que l'art a de plus moderne. Autre point réjouissant: si le Derain devrait être hors de prix, d'autres œuvres, des dessins de Jean-Louis Forain notamment, commencent à une estimation de 500 euros. Enfin, le Derain sera visible chez Sotheby's (76, rue du Faubourg-Saint-Honoré) lundi 26 et mardi 27 avril. Et c'est gratuit.

    Harry Bellet
  • Jean-Léon Gérôme, l'anti-Monet

    Par Eric Bietry-Rivierre
    21/10/2010 | Mise à jour : 18:29

    Pollice Verso (1872   Phoenix Art Museum)
    Pollice Verso (1872 Phoenix Art Museum)

    Le Musée d'Orsay met en évidence la modernité paradoxale de ce peintre ultra-académique. Une rétrospective drôle et haute en couleurs.

    Pour sa peinture léchée, Baudelaire l'avait hissé au rang de «premier des pointus». Dans la foulée, Zola l'avait habillé pour l'hiver. «Ici le sujet est tout, la peinture n'est rien: la reproduction vaut mieux que l'œuvre.» Cette carbonisation devait durer un siècle. Monsieur le peintre à rosette Jean-Léon Gérôme (1824-1904), académicien professeur, artiste parmi les mieux payés de son temps, ayant aggravé son cas en insultant Manet et en estimant que les impressionnistes déshonoraient la France.

    Aujourd'hui le revoilà tel un capitaine des pompiers émergeant de cendres. Il est accroché en majesté (impériale) au Musée d'Orsay. Les murs vert notaire, bleu Iznik ou rouge pompéien donnent le ton: irrésistiblement kitsch. Devant les toiles, les rires jaillissent aussi nombreux que les figurants peuplant ces très grands spectacles. Voici de fausses esclaves nues qui jouent les saintes-nitouches sous le regard de bachi-bouzouks ou d'héliastes égrillards. Voici des prostituées grecques qui se tordent comme des odalisques ingresques, déportées dans un lupanar de Pompéi. Autre ménagerie incongrue: un tigre s'étale dans l'Alhambra et quantité de fauves en peluche bouffent du chrétien dans les arènes. Lorsqu'ils sont en cage, ils reniflent un Amour atterri là le zizi à l'air.

    Bonaparte en Égypte joue les touristes à dos de chameau ou songe évidemment à Œdipe quand il découvre le Sphinx. De leur côté les coureurs d'Herculanum sprintent sous les remparts… du Caire ! Plus loin, c'est Versailles qui nous est conté. Louis XIV reçoit Molière dans un décor louis-philippard. Un saint Jean-Baptiste fait des poutounes au petit Jésus sur les genoux d'une Vierge plus bêtasse que raphaélite. Un Anacréon s'est costumé en Assurancetourix.

    On peut s'amuser sans fin à compter ces citations, amalgames et invraisemblances: malgré ces hilarants collages, Gérôme n'annonce pas le surréalisme. C'est un peintre résolument réactionnaire. Quand même ses pairs le trouvent too much, il se lâche. Peint dans une enseigne pour opticien un fox-terrier à monocle qui repose sur le jeu de mot facile «o pti chien». Ou multiplie les cages à oiseaux dans ses compositions histoire de faire causer les muets. Mais ce n'est pas du dadaïsme, ni même du zutisme.

    Durant toute sa carrière Gérôme a tenté de revivifier la peinture d'histoire. Son truc: n'en considérer que l'anecdote choc. On mesure combien il s'est fourvoyé. «Le grand genre meurt avec lui, c'est le dernier des raconteurs en peinture», estime Laurence des Cars, commissaire avec Dominique de Font-Réaux et Édouard Papet.

    Un lit de têtes coupées

    L'exposition a déjà été présentée à Los Angeles où l'artiste plaît depuis toujours en dépit de son ridicule. Des collectionneurs, tels Sean Connery ou Jack Nicholson, ont le sens de l'humour. Surtout, ils apprécient son côté hollywoodien. À ce propos, l'exposition rapproche les toiles les plus antiquisantes avec les grands péplums. Griffith, Cecil B. DeMille ou encore Ridley Scott ainsi que toute l'heroic fantasy de série B seraient redevables à l'art pompier. Il est vrai que Tamerlan à cheval au-dessus d'un lit de têtes coupées fait songer à Conan le Barbare. Et que Ben Hur n'est jamais loin des jeux du cirque décrits avec un soin sadique par Gérôme. Si celui-ci avait vécu plus vieux, nul doute qu'il aurait adoré le cinéma. Il supervisait déjà les reproductions photographiques, gravées ou même sculptées de ses œuvres.

    Le bilan de cette rétrospective? «Ce n'est ni une réhabilitation ni un plaidoyer» , se défendent les commissaires. À leur tête, Guy Cogeval, grand amateur, est moins affirmatif. Il fait valoir une «modernité paradoxale». On s'en convaincra surtout devant Consummatum est, une toile scandaleusement profane puisqu'elle montre la Crucifixion uniquement par les ombres des trois martyrs souffrant sur le Golgotha. Ou devant Le 7 décembre 1815, neuf heures du matin. L'exécution du maréchal Ney, quand ce dernier des héros napoléoniens gît face dans la boue. Ici aussi la messe est dite. Un monde a vécu.

    «Jean-Léon Gérôme, l'histoire en spectacle», jusqu'au 23 janvier. Musée d'Orsay, 1, rue de la Légion-d'Honneur, 75007 Paris. Catalogue Musée/Skira-Flammarion, 384 p., 49 €. Tél.: 01 40 49 48 14. www.musee-orsay.fr

     

  • Rétrospective. Après Monet au Grand Palais, Manet à Orsay.

    Manet, l’autre Monet

    L’impressionnisme est de retour. Après une foisonnante “Normandie impressionniste” l’été dernier et à peine terminée la rétrospective Monet au Grand Palais, quelques intéressantes redécouvertes surgissent, offrant un regard moins convenu sur un mouvement qu’on pensait pourtant bien exploré. Gustave Caillebotte et son frère Martial, super­be inconnu, fleurissent les cimaises du musée Jacquemart André  tandis que, dans quelques jours, l’Hôtel de Ville chantera “Paris au temps des impressionnistes” (lire nos articles dans "Valeurs actuelles") . Bonnard, superbe coloriste habité par la lumière, brouille les pistes à Giverny tandis que le grand Édouard, rebelle malgré lui et considéré par les impressionnistes comme un de leurs maîtres, ceint le musée d’Orsay de son grave et noir ruban.

    À son presque homonyme, Claude Monet, il cède définitivement la place de chef de file du mouvement pour incarner de façon plus large la “modernité”. Difficile, le cas Manet ? Curieusement le délai habituel de vingt ans qui sépare les grandes rétrospectives est ici largement dépassé. Sa dernière grande exposition remonte à 1983, pour le centenai­re de sa mort, manifestation orga­nisée par la très regrettée Françoise Cachin, grande spécialiste du sujet, décédée il y a quelques semaines.

    Cette nouvelle exposition sonne comme un hommage à l’ancienne directrice du musée d’Orsay, qui fut l’une des premières à reconsidérer la place du peintre dans l’histoire de l’art. « En lieu et place du supposé géniteur de la peinture pure, peinture sans sujet ni mémoire, peinture sans public ni prise sur l’Histoire, elle nous a confrontés à un tout autre Manet, affirme Guy Cogeval, l’actuel directeur. Non le fossoyeur de la gran­de tradition, ni le flâneur désinvolte, mais une per­sonnalité déterminée, tra­çant son chemin coûte que coûte et forçant les portes du Salon avec sa peinture à nulle autre pareille. Bref, l’un des rares artistes de sa génération à avoir su prolonger et renouveler la richesse de sens des vieux maîtres, tout en bousculant les anciens genres et en hissant la “vie moderne” à sa poésie propre. »

    Un anti-Monet ? Malgré l’amitié et le respect qui lia les deux hommes, tout les oppose. Le caractère, d’abord. Ma­net était un être affable et enjoué, à la barbe blonde et fleurie. Il fréquentait beaucoup ses amis et le monde. Le maî­tre de Giverny, à l’inverse, vécut le plus souvent replié sur lui-même, avec sa famille, menant ses recherches en solitaire.

    Mêmes dissemblances pour leur art, meneurs de deux révolutions diffé-rentes. D’un côté la gravité, le drame à l’espagnole, le nu provocateur, l’histoire. De l’autre la mer, la campagne et ses villages, observés jusqu’à l’obsession dans leur réalité lumineuse. Chez l’aîné, une peinture de figures aux grands aplats et aux tons sourds dominés par le noir. Chez le second, une palette chantante et un pinceau qui papillote.

    Quand Monet mène ses recherches, purement picturales, jusqu’aux frontières de l’abstraction, ouvrant la voie à Pollock ou Rothko, Manet, ancré dans la tradition, se fait le chroniqueur de ses contemporains avec les préoccupations de leur temps. Manet, grand inventeur du moderne ? C’est bien ce dont veut nous convaincre le brillant commissaire de l’exposition Stéphane Guégan, à tra­vers ses écrits et ces quelque 235 œuvres parmi lesquelles on note quel­ques intéressants inédits – trois fragments des Gitanos ont notamment été réunis grâce au Louvre Abou Dhabi.

    Plus qu’une rétrospective strictement linéaire et monographique, l’exposition construit son propos autour d’une dizaine de questions. Ce fils de haut fonctionnaire né en 1832, qui avait entrepris Navale avant d’adopter les pinceaux, nous y dévoile ses débuts chez Thomas Couture, grand peintre académique dont il n’oubliera jamais le réalisme. Il fréquente aussi le Louvre, où il copie les maîtres Delacroix et Velásquez.

    Suit son entrée dans “la bande à Baudelaire”, vers 1860, décisive pour celui qui, selon le poète, apporta à la peinture ce que Balzac fut au roman : le portrait, fût-il cruel, de la société de son temps. La maîtresse du poète lui-même, sa « lionne », peinte en pantin désarticulé, ouvre le bal, bientôt suivie de la Musique aux Tuileries où se laissent reconnaître Charles Baudelaire, Édouard Manet, sa maîtresse Victorine Meurent, Théophile Gautier et le baron Taylor. Une simple mise en appétit pour cette scandaleuse et mystérieuse partie carrée du Déjeu­ner sur l’herbe. Que font donc ces deux messieurs en redingote, au milieu d’un parc, au côté d’une femme entièrement déshabillée ? Il n’est jusqu’à l’empereur qui ne se soit posé la question, demandant, en cette année 1863, qu’on mon­tre tous les refusés en marge du Salon officiel.

    Toute sa vie, Manet eut cette curieuse obstination à vouloir exposer dans le cadre de cette institution, essuyant les échecs et les critiques les plus virulentes. Le comble sera atteint par son Olympia, cette courtisane avec sa ser­vante et son symbolique chat noir, qui défie le spectateur de son regard appuyé. Les aguicheuses et moralisantes Vierges de Cranach, au moins, avaient le prétexte de la mythologie et un physique plus que louable. Tel n’est pas le cas de cette jeune femme en mules, aux chairs réalistes et qui, de surcroît, porte le bracelet de la mère de l’artiste !

    Manet, c’est le scandale. C’est aussi l’Espagne, dont il su­bit l’influence (le Torero mort), quel­ques sujets religieux et d’innombrables natures mortes. Excellent por­traitiste (la Femme au perroquet), il laisse aussi quelques franches toiles impressionnistes pour s’intéresser toujours plus à l’histoire de son temps.

    Proche de Zola puis de Mallarmé, grand observateur des événements de la Commune, il se fera le témoin des dérives de la politique étrangère de Napoléon III en représentant l’exécution de Maximilien, l’empereur du Me­xique, avant que de peindre le Combat du “Kearsarge” et de l’“Alabama”, épi­sode de la guerre de Sécession, ou l’Évasion de Rochefort, sa dernière œuvre, inachevée. Le Courbet de l’impressionnisme ?   Valérie Collet

    À voir
    Manet, inventeur du moderne, musée d’Orsay, Paris VIIe, du 5 avril au 3 juillet. Tél. : 01.40.49.48.14.
    Manet, une inquiétante étrangeté, un DVD de Hopi Lebel en collaboration avec Stéphane Guégan, RMN-Grand Palais-FTE, 52 minutes, 22 euros.

    À lire
    Catalogue de l’exposition sous la direction de Stéphane Guégan, Musée d’Orsay-Gallimard, 336 pages, 280 illustrations, 42 euros.
    Manet, “J’ai fait ce que j’ai vu”, de Françoise Cachin, Galli­mard, coll. “Découvertes”, 176 pages, 13,20 euros.
    Manet, de James Henry Rubin, Flammarion, 416 pages, 49 euros.

    Photo © Musée d'Orsay

    http://www.valeursactuelles.com/culture/actualit%C3%A9s/manet-l%E2%80%99autre-monet20110501.html

  • Les trésors disputés d'Ambroise Vollard

    Par Béatrice De Rochebouet
    22/06/2010 | Mise à jour : 17:09 Réagir

    Arbres à Collioure (1905), d'André Derain, qui sera vendu à Londres mardi soir, est estimé entre 10 et 15 millions d'euros. (DR)
    Arbres à Collioure (1905), d'André Derain, qui sera vendu à Londres mardi soir, est estimé entre 10 et 15 millions d'euros. (DR)

    Après des années de procédures, l'héritage de ce grand marchand crée l'événement, dès ce mardi soir, à Londres, puis à Paris, chez Sotheby's. 

    Du talent, du culot et du flair peuvent permettre de se retrouver à la tête d'un trésor ! La rencontre entre Erich Chlomovitch, petit Belgradois d'origine juive, et Ambroise Vollard, fils de notaire réunionnais devenu l'une des figures les plus emblématiques de l'art moderne, tient du miracle. Comment cet inconnu se retrouva-t-il le propriétaire légal et légitime de plusieurs centaines d'œuvres venant de la collection Vollard ? Le voile est en partie levé avec la dispersion le 29 juin, chez Sotheby's, à Paris, de 140 pièces dont un paysage d'André Derain, de la période fauve, vendu, dès ce soir, à Londres, pour une coquette estimation de 9 à 14 millions de livres, soit 10,6 à 16,6 millions d'euros.

     

    L'histoire commence en 1928. Alors âgé de 13 ans, le garçonnet solitaire passe ses nuits à dévorer un livre sur Renoir rédigé par l'homme qui a organisé les premières expositions de Cézanne, Matisse, Maillol et Picasso. «Lorsque je serai grand, j'aimerais être comme vous», écrit, plein d'enthousiasme, Eric Chlomovitch, à Ambroise Vollard. Et ce dernier, tout heureux, de répondre:«Étudiez, travaillez, formez-vous et lorsque vous serez grand et que vous viendrez à Paris, j'aurai grand plaisir à vous recevoir.»

     

    Sept ans plus tard, ce fils de tailleur juif yougoslave frappe à la porte du légendaire marchand. Séduit par son goût éclairé, Vollard l'engage le soir même. Pendant cinq ans, il va le former et lui présenter les plus grands artistes de son temps. En juillet 1939, revenant à Paris d'un séjour passé dans sa maison de campagne de Tremblay-sur-Mauldre, Vollard trouve la mort dans un accident de voiture. Deux mois plus tard, la guerre éclate. La collection est dispersée dans le chaos sans que le nombre d'œuvres accumulées dans l'hôtel particulier de la rue de Marignac ne soit jamais vraiment connu. Certains l'estiment à 5.000, d'autres à 10.000.

     

    En 1911, Vollard qui n'a pas d'héritiers directs laisse un testament. C'est alors que Lucien Vollard, son frère, confie sur les conseils d'un autre marchand, Lucien Fabiani, près de 600 œuvres à Chlomovitch. Ce dernier regagne la Yougoslavie avec un trésor de 48 Renoir, 29 Degas, 12 Vlaminck, 11 Bonnard, 11 Redon, des bronzes de Maillol et de nombreuses aquarelles de Gauguin, Cézanne, Pissaro qui seront exposées en partie à Zagreb en 1940 avant de dormir définitivement dans les caves du musée de Belgrade.

     

     

    «Mon raseur sympathique»  

     

    Avant de regagner son pays, le jeune Yougoslave met aussi en sécurité un ensemble d'œuvres dans un coffre de la Société générale à Paris. Erich Chlomovitch étant mort en déportation en 1942 avec son père et son frère, après avoir été arrêté par les nazis à Bacina, au sud de Belgrade, nul ne connaît l'existence du coffre jusqu'à ce qu'il ne soit ouvert le 7 novembre 1980. Trente-deux ans plus tôt, le coffre en déshérence avait déjà été forcé, mais les banquiers jugeant le contenu sans grande importance l'avait refermé aussitôt (Le Figaro du 26 avril) .

     

    Pour régler les arriérés des frais de garde, une vente par les commissaires-priseurs Lenormand et Dayen est alors envisagée, les 19 et 20 mars 1981, à Paris, pour une estimation de 5 millions de francs. Un catalogue est imprimé comprenant le fameux paysage de Collioure de Derain mais aussi le portrait historique de Zola, alors très jeune, peint vers 1862-1864 par son camarade de classe Paul Cézanne ou encore l'autoportrait de Renoir dédicacé par l'artiste à «Ambroise Vollard, mon raseur sympathique». T rois actions en référé - par l'État yougoslave, la famille Chlomovitch et les héritiers Vollard estimant qu'Erich se serait emparé illégalement des œuvres chez Vollard - aboutissent à son interdiction.

     

    Le procès va durer quinze ans au terme desquels les Chlomovitch sont déboutés en 1996. Seules quelques photos et archives dédicacées à Erich leur reviennent. Ce qui reste est aujourd'hui vendu par les héritiers Vollard sans que le mystère sur l'acquisition de ce trésor par Erich Chlomovitch ne soit vraiment élucidé.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    http://www.lefigaro.fr/culture/2010/06/22/03004-20100622ARTFIG00449-les-tresors-disputes-d-ambroisevollard.php

    Autre note à ce sujet:

    http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2010/04/23/des-tresors-du-marchand-d-art-ambroise-vollard-vendus-aux-en3.html

  • Qu'en pensez-vous?

    Point de vue

    Affaire Dumas/Depardieu : amplifions les moyens du CNC en faveur de la diversité au cinéma, par Patrick Lozès

    Alexandre Dumas se décrivait lui-même dans ses Mémoires comme un "nègre aux cheveux crépus" qui parlait "avec un accent légèrement créole". Le choix de le faire incarner à l'écran par un acteur blanc, Gérard Depardieu, affublé pour l'occasion d'une perruque bouclée et d'une épaisse couche de fond de teint, est incompréhensible et grotesque.

    Imaginerait-on un instant de faire jouer Marguerite Duras par l'actrice noire Aïssa Maïga ou Emile Zola par l'acteur noir Jimmy Jean Louis ?

    Le choix des producteurs du film, Frank Le Wita et Marc de Bayser est grave, pour au moins deux raisons.

    Il aboutit, d'abord, à gommer de la vie d'Alexandre Dumas toute référence à sa couleur de peau et aux souffrances qu'il a endurées face au racisme de ses contemporains.

    Ces souffrances sont pourtant très présentes dans ses Mémoires et on connaît cet échange célèbre, rapporté par Daniel Zimmermann dans son Alexandre Dumas Le Grand. A une personne qui lui demandait, en le voyant : "Au fait, cher Maître, vous devez bien vous y connaître en nègres ?", Alexandre Dumas avait répondu : "Mais très certainement. Mon père était un mulâtre, mon grand-père était un nègre et mon arrière-grand-père était un singe. Vous voyez, Monsieur : ma famille commence où la vôtre finit."

    Dissimuler les souffrances provoquées par le racisme est certainement l'un des moyens les plus efficaces de le banaliser.

    Faire interpréter Alexandre Dumas par un blanc revient, en second lieu, à nier la vérité historique, en accréditant l'idée que les Noirs seraient d'une "immigration récente", alors qu'ils sont Français depuis des siècles. Alexandre Dumas était un descendant d'esclave. Cette partie de sa vie appartient, comme son œuvre, à notre patrimoine commun, à celui de nos enfants. Faire disparaître ce patrimoine, effacer cette mémoire, est irresponsable. La discrimination commence toujours par l'invisibilité, la négation de l'existence de l'autre dans notre récit national.

    Qu'un grand écrivain français ait souffert du racisme, qu'il ait été un descendant d'esclave, cela ne ferait pas une histoire pour le cinéma français ?

    On comprend mieux, dans ces conditions, pourquoi des acteurs de la diversité comme Jimmy Jean Louis doivent s'exiler pour faire carrière. Ces mêmes acteurs sont à l'affiche, aux Etats-Unis, de films et de séries qui rassemblent des dizaines de millions de téléspectateurs, et qui s'exportent massivement. Ce sont des stars de renommée internationale, qui jouent aux côtés de Leonardo Di Caprio ou Bruce Willis. Et on ne leur propose aucun rôle dans les superproductions françaises.

    Alors que des acteurs noirs figurent parmi les stars les mieux payées d'Hollywood, en France, des producteurs en sont encore à maquiller Gérard Depardieu pour lui faire interpréter un écrivain noir ! Mesure-t-on vraiment le ridicule auquel nous expose cette situation, au plan international ?

    On comprend d'autant moins ce retard que les acteurs noirs ne sont pas moins "bankables" que les acteurs blancs en France. Bien au contraire. La comédie Première étoile, réalisée par Lucien Jean-Baptiste, qui met en scène les déboires d'une famille noire partie en vacances au ski, a fait partie des succès du box office en 2009.

    Il est temps que les pouvoirs publics posent officiellement la question de la diversité dans le cinéma français. L'action entreprise par le CSA dans le domaine de la télévision, pour à la fois quantifier et qualifier l'action des chaînes en matière de diversité, par le biais d'un baromètre annuel, doit être imitée et appliquée au cinéma.

    Véronique Cayla, la présidente du Centre national de la cinématographie (CNC), affirmait récemment à propos de l'affaire Dumas : "Le métissage bien réel de la société française n'est reflété ni au cinéma ni à la télévision". Il est temps de donner au CNC les moyens d'agir dans le domaine de la diversité.

    Le CNC doit être habilité à produire des études portant sur la diversité dans le cinéma français, dont un premier état des lieux pourrait être publié à la fin de l'année 2010.

    On pourrait, également, imaginer que le CNC conditionne ses aides, et notamment l'avance sur recettes, au respect d'un contrat d'objectif en matière de diversité dans les films. Il est anormal que les films bénéficiant de l'aide publique ne soient pas ouverts à la diversité. Et puisqu'il est, avant tout, question de création, je voudrais conclure par cette phrase magnifique de Jean Renoir, qui dit absolument tout des débats que nous avons aujourd'hui : "Il faut toujours laisser la porte du plateau ouverte, parce qu'on ne sait jamais ce qui peut y entrer". En cette semaine où se déroule la cérémonie des Césars, commençons à laisser, enfin, les portes des plateaux de cinéma français ouvertes à la diversité.

    Patrick Lozès est fondateur et président du Cran. Dernier ouvrage paru Les Noirs sont-ils des Français à part entière ?, co-écrit avec Bernard Lecherbonnier. A dire vrai/Larousse, 2009.

    http://wwwo.lemonde.fr/opinions/article/2010/02/26/affaire-dumas-depardieu-amplifions-les-moyens-du-cnc-en-faveur-de-la-diversite-au-cinema-par-patrick-lozes_1311599_3232.html

  • La bibliothèque de Castres

    castres nuit.jpgJ'allais souvent dans cette bibliothèque pendant mes années de maîtrise à Toulouse car elle était plus grande que celle de la ville où j'habitais.

    C'est là que j'ai découvert Louisa Paulin (cf. note).

    La bibliothèque municipale
    2 avenue du Sidobre - 81100 CASTRES
     05 63 62 41 60
     05 63 51 39 43
    Michèle THEODOLIN

    “La bibliothèque publique est une force vivante au service de l’éducation, de la culture et de l’information et un moyen essential d’élever dans les esprits les défenses de la paix et de contribuer au progrès spirituel de l’humanité.” [Extrait du Manifeste de l’UNESCO sur la bibliothèque publique, 1994.].
     
    Le meilleur accueil vous est réservé à la bibliothèque municipale où des bibliothécaires, discothécaires, archivistes et animateurs vous aideront dans vos recherches. L’établissement est ouvert à tous gratuitement pour la consultation sur place des documents, notamment des journaux, des livres rares et anciens.
    Le catalogue des collections en prêt est informatisé et consultable sur écran et sur fiches pour les collections anciennes. Il recense les documents acquis par la bibliothèque centrale (localisation Sidobre) et son annexe (localisation Zola) ainsi que les collections documentaires du Musée Goya (localisation Goya).

    La Ville de Castres, par l’intermédiaire de la bibliothèque municipale, propose gratuitement des expositions, des rencontres, des concerts, des conférences, des lectures, … etc. en direction de tous les publics afin de promouvoir l’ensemble de ses collections documentaires.

     Les animations régulières organisées par la Bibliothèque :
    Concours d'écriture de nouvelles policières : Encres de crimes - Règlement du concours 2008

     Lire en Fête : Les bibliothèques municipales, annexe et centrale participent chaque année à l’opération nationale intitulée « Lire en Fête » qui a lieu en octobre le temps d’un week end. Avec l’association des Libraires Comme des Livres, la bibliothèque municipale s’expose au hall de l’Albinque pour mettre en valeur un thème renouvelé chaque année. Des jeux, des rencontres avec des auteurs ou illustrateurs ou encore journalistes ponctuent deux journées de découvertes et d’animations autour du livre.

    *Les journées « portes ouvertes » Cyber base : Chaque année en janvier, l’espace culture multimédia, dans le cadre du réseau Cyber base Castres-Mazamet, organise des journées portes ouvertes. Au programme : tour d’horizon sur les activités proposées telles que l’accès permis à Internet et à des logiciels libres et gratuits et les ateliers de sensibilisation et d’initiation qui accompagnent la prise en main de l’outil informatique et d’Internet.
     
    BIBLIOTHÈQUE CENTRALE

    2 avenue du Sidobre
     05 63 62 41 60
     05 63 51 39 43
    bibliotheque@ville-castres.fr

    Réalisée par l'architecte Roger TAILLIBERT, membre de l'Institut, les bâtiments sont baignés de lumière diffuse dans un cadre de verdure, proche du centre ville.


    La Bibliothèque Centrale regroupe dans un espace de 3200 m2 :

    Une section adulte et adolescents
    Une salle d'étude
    Un espace jeunesse
    Une discothèque-vidéothèque
    Un espace culture multimédia Cyber-base Midi-Pyrénées Castres-Mazamet
    Des halls d'exposition
    Un auditorium (199 places assises)
    - un auditorium pour les débats, rencontres et spectacles, stages et conférences à caractère culturel
    - un espace pour les expositions temporaires
    - Il est possible de recevoir le programme des animations organisées par la Bibliothèque sur simple demande
    Des magasins regroupant :
    - les Archives municipales
    - le fonds patrimonial comprend des imprimés du fonds local, des ouvrages du XVIe siècle jusqu’au début du XXe, dont plus de 5 000 livres rares et précieux.

    Heures d'ouverture :

    Espace de prêt Adultes et adolescents, Archives et Discothèque-vidéothèque
    - Mardi de 13h à 19h
    - Mercredi de 10h à 12h et de 14h à 18h
    - Jeudi de 14h à 18h
    - Vendredi de 10h à 12h et de 14h à 19h
    - Samedi de 10h à 12h et de 14h à 18h

    Espace de prêt Jeunesse
    - Mardi de 15h à 19h
    - Mercredi et samedi de 10h à 12h et de 14h à 18h
    - Jeudi et vendredi de 15h à 18h
    - Accueils de groupes et de classes sur rendez-vous
    - Les animations régulières menées par l'animatrice de la bibliothèque d'octobre à juin, hors vacances scolaires :
       * Petites matinées contées (comptines, jeux de doigts, jeux de langage, contacts ludiques avec le livre pour les enfants de 18 mois à 3 ans) : le premier et le troisième samedi de chaque mois de 10h00 à 10h30 ;
       * Raconte encore (raconter des histoires, découvrir l’album et rencontrer le conte pour des enfants de 3 à 5 ans) : tous les mercredis de 10h00 à 10h30 ;
       * L’atelier conte (pour les enfants de 6 à 12 ans) : le mercredi à 14h30 en lien avec les manifestations ponctuelles organisées par la bibliothèque

    Par ailleurs, l’animatrice intervient pour des lectures en PMI et à la Villégiale une fois par mois et accueille les crèches tous les mercredis avant les petites matinées contées à la bibliothèque centrale.

    Espace culture multimédia Cyber-base Midi-Pyrénées Castres-Mazamet
    - Mardi de 13h à 19h
    - Mercredi de 10h à 12h et de 14h à 18h
    - Samedi de 10h à 12h
    Les ateliers d'initiation sur inscriptions :
    - Vendredi de 17h à 19h
    - Samedi de 14h à 16h et de 16h à 18h
    - Un atelier libre une fois par mois sans inscription préalable 

    http://www.ville-castres.fr/_tourisme_site/index.php?clef=bibliotheque&titre=Bibliothèque%20municipale&id_menu=4&id_rubrique=0

    Photo de Castres la nuit.
     

  • À hauteur de ville, d’arbres et d’enfants…

    poésie ville.jpgImages et littérature vont parfaitement de pair. De la Ville lumière aux branches des arbres, en passant par le regard et le sourire des enfants, les auteurs contemporains, gourmands de la vie et à la curiosité inattendue, captent toutes les pulsations de la vie jusqu’aux angles les moins familiers, les moins soupçonnables.
    En devanture des librairies, trois ouvrages, en langue française, magnifiant le quotidien de Paris, la beauté des arbres, l’innocence de l’enfance. Pour soutenir et souligner des images captées sur le vif par l’œil de la caméra, les mots des poètes, des philosophes, des penseurs. Une randonnée particulière où, à travers les pages abondamment illustrées et commentées des livres, qui n’ont rien à voir avec les éditions de poche usuelles, se répand une lumière nourrissant à profusion l’esprit, le regard et un certain sens de l’esthétique…
    « Paris poète » de Catherine Aygaline
    La Ville lumière
    au fil des jours…

    Une ville mythique où la poésie a fleuri abondamment…Une ville incomparable dans sa légendaire beauté. Bien sûr, il s’agit de Paris, ville de tous les rêves, de tous les fantasmes, de tous les raffinements, de toutes les modernités, mais aussi de toutes les surprises. En hommage à la Ville lumière, ce volumineux ouvrage de Catherine Aygaline, intitulé tout simplement Paris poète (480 pages, Bibliothèque Hazan).Titre explicite qui en dit long sur son énoncé et son contenu.
    Ensemble conjugué de photos des artistes des XIXe et XXe siècles, et des extraits de poètes et d’écrivains amoureux d’une cité calfeutrée aux bords de la Seine. Promenade impromptue et nonchalante à travers une ville changeante, mobile, multiple où les mots des « taquineurs » de muse accompagnent, en toute finesse, malice ou lyrisme, des images amoureusement fixées par l’œil des caméras.
    Les cafés animés, une forêt de toits aux gouttières en zinc, les joyeux quais de la Seine, le pic de la tour Eiffel narguant les nuages, le dôme du Sacré-Cœur, Paris sous la neige, sous la pluie, avec un soleil radieux, Paris des bistrots où l’on se restaure sur le pouce, Paris des amoureux de Peynet, Paris nocturne, Paris au fil de l’eau, Paris entre les dédales des ruelles, Paris des kiosques et des tours, voilà une flânerie riche en découverte d’une capitale au charme insondable…
    Des textes soigneusement choisis servent de guide à des images captivantes, originales et pittoresques. Des textes signés Baudelaire, Verlaine, Apollinaire, Prévert, Éluard, Nerval, Queneau, Aragon, Breton, Soupault, Zola, Maupassant, Mauriac, Camus, Perec, Supervielle, Julien Green, Léo Ferré et bien d’autres…
    Pour saisir Paris dans sa singularité, son essence et son âme, une véritable traque à l’image. Des prises de vues inédites (depuis 1850) où la photographie a l’art de fixer à jamais la fragilité et l’éphémère du moment. Pour cela, le regard, la technicité et le talent de Nadar, Atget, Brassaï, Wols, Doisneau, Cartier-Bresson.
    Plus un subtil livre d’art qu’un ordinaire livre qu’on jette négligemment au chevet d’un lit…
    « À hauteur d’enfants » d’Olivier Föllmi, éditions de La Martinière
    Entre regards et sourires, des portraits saisissants…
    Une collection de plus qui consacre l’heureuse combinaison des images et de la littérature. Aux éditions de La Martinière, soigneusement présentées, Olivier Föllmi a saisi des centaines de portraits d’enfants. Au cours de ses voyages, le photographe a posé un regard tendre et ému sur le visage et le sourire des enfants. Du Tadjikistan à l’Inde, du Mexique à l’Argentine, de l’Éthiopie à la Namibie, ils sont là ces charmants galopins, espiègles, mutins, boudeurs, enjoués, surpris ou même mélancoliques… Pour accompagner cette farandole de portraits enfantins, des textes de poètes (Jacques Prévert, Pablo Neruda), d’écrivains (La Bruyère, Peter Handke, Julien Green, Saint-Exupéry), de philosophes (Gaston Bachelard...) ou de psychanalystes (Françoise Dolto...).
    Un monde où le « vert paradis » a les couleurs d’une certaine insouciance, toutes les promesses du bonheur mais aussi, parfois, comme une lueur fugace, l’inquiétude de la vie… Juste une citation (d’André Bazin) tirée de cet ouvrage : « L’enfant est le plus mystérieux, le plus passionnant, le plus troublant des phénomènes naturels. Une sorte d’animal privilégié que nous devinons habité des dieux. »
    « À hauteur d’arbres » de Frank Horvat, éditions de La Martinière
    Arbre, mon ami…
    L’esprit de Minou Drouet, elle qui a publiquement et poétiquement déclaré son amitié aux arbres, flotte sur ces pages vibrantes de la vie des feuillages et du rythme des saisons. Avec bien sûr des textes d’écrivains (Jules Renard, Jean Giono, Beckett, Paul Valéry, Paul Claudel, Julien Gracq) et philosophes (Gaston Bachelard, Mircea Eliade, Francis Ponge) qui ont scruté et magnifié la nature.
    Toujours aux éditions de La Martinière, Frank Horvat capte les poses majestueuses, sereines ou tourmentées des arbres, ces grands solitaires aux bords des routes, dans des parcs immenses ou en lisière des forêts….
    Érables, conifères ou bouleaux du Vermont, oliviers d’Italie, platanes de Provence, sapins de l’Ariège, chênes de Normandie, hêtres ou pommiers de la Suisse, frênes de la Lozère, tilleul de l’Île-de-France, mélèzes du Val d’Aoste, autant de photos (70 en tout) pour jeter la lumière sur la multiplicité et les variétés des arbres des villes, des forêts et des campagnes…
    Échevelé, dénudé, squelettique, ébouriffé, lisse dans son feuillage dense et ramassé, épanoui, ratatiné, agressif, pacifique, menaçant, ombrageux ou protecteur, l’arbre se décline ici sur tous les tons et toutes les dimensions. Des photos aux couleurs vives ou estompées où les arbres, inondés de soleil, battus par le vent ou saupoudrés de neige, n’ont rien à envier aux tableaux impressionnistes ou réalistes. Un livre à (s’)offrir en guise d’une promenade fleurant le rêve, l’évasion, la détente et surtout le murmure des feuilles au gré de toutes les saisons…

    Edgar DAVIDIAN

    * Livres disponibles à la librairie al-Borj.

    http://www.lorient-lejour.com.lb/page.aspx?page=article&id=380585

    Cette note a été selectionnée par Lartino:

    http://www.lartino.fr/hauteur-ville-arbres-enfants-pn1137.html

  • Gabriele D'Annunzio

    Gabriele D'AnnunzioÉcrivain italien (Pescara 1863-Gardone Riviera 1938).

    Une œuvre aux influences multiples qui connaît une gloire littéraire précoce

    « Dans la récente tradition italienne D'Annunzio a un peu la place que tient Hugo dans sa postérité française, de Baudelaire au-delà ; il est présent chez tous car il a expérimenté toutes les possibilités linguistiques et prosodiques de notre temps. En ce sens ce serait un très mauvais signe que de ne rien lui devoir » (Eugenio Montale, 1956). Issu de la nouvelle bourgeoisie italienne récemment insérée dans le concert politique et intellectuel européen, D'Annunzio sut répondre à son désir obsessionnel de modernité avec une exceptionnelle opportunité, aussi prompt à assimiler les courants les plus modernes de l'actualité culturelle qu'à devancer, au profit d'une carrière en perpétuelle ascension, les faveurs successives du public pour les genres les plus divers. Le mythe, savamment exploité, du personnage fit le reste.

    Avec le recueil poétique de Primo Vere (1879-1880) succédant à l'Ode a re Umberto (1879), D'Annunzio connaît la gloire littéraire dès l'âge de seize ans. Il s'y distingue aussitôt par une prodigieuse virtuosité imitative (son modèle est alors la prosodie « barbare » de Carducci) alliée à une exaltation panique de la vie, qui caractérise également Canto novo (1882), Intermezzo di rime (1883), Elegie romane (1892) ; tandis que ses premières proses (Terra vergine, 1882, Novelle di San Pantaleone, 1886, incluses en 1902 dans les Novelle della pescara) témoignent de l'influence sur le jeune D'Annunzio du naturalisme français (Maupassant, Zola) et du Verga vériste de Vita dei campi et des Novelle rusticane, que D'Annunzio surpasse cependant en sauvagerie et en sensualité dans son évocation de la vie primitive des Abruzzes, sa terre natale. Dès la fin de 1881, il s'est transféré à Rome, où il déserte bientôt l'université pour les salons, à la recherche des succès que lui valent ses amours adultères, ses performances sportives (duels et croisières) et sa verve de chroniqueur mondain (en particulier dans la Tribuna, 1884-1888). Ses lectures parnassiennes et préraphaélites lui inspirent Isaotta Guttadauro ed altre poesie (1886) et le diptyque l'Isotteo et La Chimera (1890). Puis il emprunte au Huysmans de À rebours (1884) l'idéal d'une vie conçue comme une œuvre d'art, et l'exprime dans le roman autobiographique Il Piacere (1889), bric-à-brac d'éclectisme formel et de snobisme culturel. Le mimétisme expérimental de D'Annunzio se poursuit, d'abord à l'enseigne de Dostoïevski, avec Giovanni Episcopo (1891), confession romancée d'un criminel, puis sous le signe de Wagner et de Nietzsche, dans l'Invincibile (1890) et Il Trionfo della morte (1894), transpositions romanesques des amours de l'auteur et de Barbara Leoni où s'esquisse de façon décisive la double évolution des œuvres ultérieures, d'une part vers une écriture d'un lyrisme de plus en plus raffiné, et d'autre part vers la célébration du mythe nietzschéen du surhomme. Le Poema paradisiaco (1893) et L'Innocente (roman, 1892), œuvres d'un mysticisme plus intime, ne représentent à cet égard qu'une parenthèse dans l'itinéraire formel et intellectuel que jalonnent Le Vergini delle rocce (1896) et surtout Il Fuoco (1900). Dans ce dernier roman, D'Annunzio exalte sa passion pour la célèbre tragédienne Eleonora Duse (1858-1924), rencontrée au retour d'un bref séjour à Naples (1891-1893), et en compagnie de laquelle il mène de 1898 à 1909 une existence fastueuse dans sa villa (la « Capponcina ») de Settignano, près de Florence. La Duse suscite en D'Annunzio une féconde vocation théâtrale, qui coïncide avec le début d'une éclatante carrière de tribun politique. En 1897, un héroïque discours électoral le conduit à la Chambre sur les bancs de l'extrême droite ; ce qui ne l'empêche pas de s'allier, en 1900, à l'extrême gauche pour renverser le gouvernement de Luigi Pelloux. Le théâtre de D'Annunzio met en scène des individus d'exception, artistes ou hommes d'action, dans une atmosphère de carnage et de luxure : Sogno d'un mattino di primavera (1897), La Città morta (1898). Francesca da Rimini (1902), tragédie historique, ouvre le cycle du théâtre en vers, auquel se rattachent les deux mythes pastoraux des Abruzzes : La Figlia di lorio (1904) et La Fiaccola sotto il moggio (1905) ; Piu che l'amore (1906) et La Nave (1908) reviennent à la prose. D'Annunzio a également écrit des livrets d'opéra : Fedra (1909, musique de I. Pizzetti), le Martyre de saint Sébastien (1911, écrit en français, musique de C. Debussy), Parisina (1913, musique de P. Mascagni) ; et un scénario de cinéma : Cabiria (1914).

    Célébration du mythe du surhomme et héroïsme national

    En 1899, D'Annunzio conçoit les grandes lignes et publie les premières pièces de son chef-d'œuvre poétique : Laudi del cielo del mare della terra e degli eroi, qui devait compter sept livres empruntant chacun son titre aux différentes pléiades. Seuls les cinq premiers ont vu le jour : Maia (1903), dont Laus vitae exalte à travers Ulysse le mythe du surhomme ; Elettra (1904) et, la même année, les splendides méditations lyriques d'Alcyone, où D'Annunzio chante la mer et l'été, la campagne et les rivages toscans, dans une langue somptueuse alliant le faste mythologique à la faveur du souvenir ; en revanche, Mérope (Le Canzoni della gesta d'oltremare, 1911-1912, consacrées à la campagne de Libye) et Astérope (Canti della guerra latina, 1914-1918, parus seulement en 1933) trahissent la grandiloquence du chantre héroïque et nationaliste dont D'Annunzio assume officiellement le rôle à l'approche de la guerre. Il quitte alors en effet la France, où il a dû s'exiler pour échapper à ses trop nombreux créanciers (Paris, Arcachon, 1910-1915), et se range bruyamment dans le parti de la guerre. Il se signale par une longue série d'exploits culminant avec la prise de Fiume en septembre 1919. Héros national, il a droit de son vivant à un musée : sa luxueuse demeure de Gardone Riviera, sur le lac de Garde, bientôt dénommée « il Vittoriale degli Italiani ». Le régime fasciste l'accable d'honneurs pour prévenir son indiscipline, et fonde en 1926 l'« Istituto nazionale per la pubblicazione di tutte le opere di G. D'Annunzio ». Au moment même où sa gloire tapageuse accaparait l'attention, D'Annunzio s'abandonnait à une inspiration plus recueillie, faite de souvenirs et de sensations, dans une prose subtile jusqu'à l'impressionnisme : Forse che si, forse che no (1910), sans doute son chef-d'œuvre romanesque, Contemplazione della morte (1912), La Leda senza cigno (roman, 1916), Notturno (1921), œuvres auxquelles il faut ajouter les différents recueils d'un monumental journal intime : les 3 volumes des Faville del maglio (1924-1928, mais remontant jusqu'en 1911) et les Cento e cento e cento e cento pagine del libro segreto di Gabriele D'Annunzio tentato di morire (1935).

    http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Gabriele_DAnnunzio/115616

  • Cure de jouvence pour les Femmes au jardin de Monet

    Claude Monet, Femmes au jardin, vers 1866. Huile sur toile, 255 x 205 cm. Paris, musée d’Orsay. En cours de restauration par le C2RMF. © OPM

    Claude Monet, Femmes au jardin, vers 1866. Huile sur toile, 255 x 205 cm. Paris, musée d’Orsay. En cours de restauration par le C2RMF. © OPM

     
     

    Cure de jouvence pour les Femmes au jardin de Monet
    Le soleil tombait droit sur les jupes d'une blancheur éclatante ; l'ombre tiède d'un arbre découpait sur les allées, sur les robes ensoleillées, une grande nappe grise. Rien de plus étrange comme effet. Il faut aimer singulièrement son temps pour oser un pareil tour de force, des étoffes coupées en deux par l'ombre et le soleilÉmile Zola

     

    Aujourd’hui conservée au musée d’Orsay, cette vision bucolique documentant la genèse de l’impressionnisme a désormais pris ses quartiers au cœur du pavillon de Flore du Louvre, où le Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF) travaille à lui offrir une nouvelle jeunesse. O.P.-M.

     
     
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     INSOLITE

     
     
    Le marché de l’art s’en met plein les Pokemon
     

    Le marché de l’art est décidément surprenant et sans limite. Le mardi 15 juin à 14 heures, chez Ivoire Troyes, une exceptionnelle collection de cartes Pokemon et Magic mise en vente par le petit Maxime L. (11 ans à l’âge de son premier achat et 33 ans aujourd’hui) a vu une carte de Dracaufeu s’envoler à près de 12 000 € ; tandis que chez Millon, le 25 juin, un ensemble de 102 cartes faisant partie de la première édition sortie en France a été adjugé 55 640 € au petit X (un homme d’affaires de plus de 70 ans, resté anonyme) – des prix encore timides par rapport au marché américain, où certaines cartes ont dépassé les 400 000 $J.F.

     

    Pokemon, set de base de la première édition en français. Dracaufeu Holo. Note PSA P. Population : 158 exemplaires en français. Estimation : 2 500-3 000 €. Adjugé : 11 904 € (frais inclus). © Ivoire Troyes

     
     
     

     DÉCOUVERTE

     
     
     

    Troyes (Aube), parking Cathédrale, vitraux d'Udo Zembok et Atelier Parot, 2007. © Studio OG.

     
     

    Sur la route du vitrail

    En attendant l’ouverture de la Cité du Vitrail à Troyes au printemps prochain, le département de l’Aube lance La Route du Vitrail, une Web application invitant à découvrir 65 édifices civils ou religieux disséminés aux quatre coins du territoire dont les vitraux méritent le détour. On retiendra notamment, à Troyes même, l’église Sainte-Madeleine et son décor chatoyant typique du XVIe siècle qui a servi de modèle pour de nombreuses églises champenoises et bourguignonnes et le parking Cathédrale aux 87 ogives habillées en 2007 par Udo Zembok ; à Ervy-le-Châtel, l’église Saint-Pierre-ès-Liens et sa verrière, unique en France, consacrée aux Triomphes de Pétrarque (XVIe siècle) ; à Fontaine-les-Grès, l’église Sainte-Agnès et ses étonnants vitraux en verre ondulé armé réalisés par Jean-Claude Vignes dans les années 1950. À la ville ou à la campagne, ancien ou contemporain, figuré ou abstrait : la chasse aux trésors est ouverte ! L’application est accessible depuis le site Internet www.route-vitrail.fr ou en téléchargement gratuit sur smartphone. S.D.-G.

     
     
     
     
     
     

     DONATION

     
     
     

    Nef du musée d'Orsay. © Flickr - Yann Caradec

     
     

    « Orsay Grand Ouvert »
    Dans le cadre du projet « Orsay Grand Ouvert » visant à transformer le musée et notamment à redéployer ses collections, le groupe Dassault offre 2 millions d’euros en hommage à Nicole Dassault, qui fut entre 2003 et 2016 administratrice de la SAMO (la société des amis du musée d’Orsay). Cette somme sera attribuée en priorité au réaménagement des salles dédiées aux arts décoratifs du Second Empire, une période que Nicole Dassault affectionnait tout particulièrement. La future galerie qui portera son nom devrait être inaugurée en mars 2022N.d’A.

     
     
     

     EXPOSITIONS

     
     
     

    Georges Bruyer, 24 estampes sur la guerre, 1917. Xylographie. © Meaux, musée de la Grande Guerre

     
     
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    Mes essais

    tirés de mes recherches universitaires
    ISBN:978-2-9531564-2-3

    Notes récentes

    ISBN :978-2-9531564-9-2

    Novembre 2024

    Les « œuvres de guerre » de Georges Bruyer
    En 2015, le musée de la Grande Guerre, à Meaux, a bénéficié d’un important don de la part des héritiers de Georges Bruyer (1883-1962) : 400 dessins, estampes et peintures réalisés pendant la Première Guerre mondiale ont rejoint les collections de cette institution remarquable. L’exposition « Georges Bruyer. Graver la guerre », à voir jusqu’au 3 janvier 2022, est née de la volonté de faire connaître ces « œuvres de guerre », dues à un homme qui fut soldat autant qu’artiste.
    Lorsqu’il est mobilisé, Bruyer a déjà acquis une certaine notoriété. Les œuvres qu’il réalise durant le conflit montrent sa maîtrise d’une grande variété de techniques, de la peinture à l’huile au dessin, en passant par l’eau-forte et la gravure sur bois. L’exposition ouvre sur ces dernières, sans doute ses créations les plus connues. Parue en 1917, la série « 24 estampes sur la guerre » raconte dans un style simple et graphique usant d'une palette en camaïeux de gris et de bleus la vie quotidienne des poilus : l’attente entre les combats, les corvées, les assauts diurnes ou nocturnes… D’autres feuilles, dessinées en 1914, montrent la dure vie des soldats et l’enlisement rapide de la gue

  • De Cabourg à Honfleur. Les écrivains les pieds dans l'eau

    La Côte fleurie et les bains de mer ont quelque chose à voir avec la littérature. Les plus grands écrivains y ont pris du bon temps et trouvé l'inspiration. Des natifs - Flaubert, Alphonse Allais - aux hôtes de marque - Dumas, Proust, Zola, Duras -, voici pourquoi et comment ils ont aimé ces cieux et ce rivage.

     

    Vous êtes en vacances sur les plages de la Côte fleurie, vous voulez épater vos amis avec le souvenir du passage de people vraiment haut de gamme? Nous avons une recette très simple. Vous les emmenez sur la plage de Trouville; vous poussez une marche sur un petit kilomètre en direction de Villerville et vous désignez le premier espace herbeux que vous apercevez, sur la falaise, en disant: «Arrêtons-nous un instant, c'est ici que venait Flaubert.»«Flaubert?» s'esbaudissent vos amis (qui sont bon public), « et comment le sais-tu?» Et vous, d'une voix sobre et élégante: «L'après-midi, on s'en allait avec l'âne, au-delà des Roches Noires, du côté d'Hennequeville (...). Presque toujours on se reposait dans un pré, ayant Deauville à gauche, Le Havre à droite et en face la pleine mer. Elle était brillante de soleil, lisse comme un miroir, tellement douée qu'on entendait à peine son murmure, des moineaux cachés pépiaient, et la mute immense du ciel recouvrait tout cela.»Le texte est tiré d'«Un coeur simple», le plus émouvant des «Trois contes», la belle histoire de Félicité, la pauvre servante de Pont-L'Evêque. Il fut écrit il y a près d'un siècle et demi, et vos amis le constateront avec vous: sinon les ânes, qui se font rares, rien n'a changé ici. Vous avez compris l'idée. Tous les ans à pareille époque, les magazines se ruent sur les bords de mer pour y traquer les starlettes du moment. Nous avons décidé, à l'«Observateur», de relever d'un cran cette habitude paresseuse. Les célébrités dont nous allons vous parler n'ont gagné aucun télécrochet sur M6, elles n'ont pas épousé de footballeurs et ne peuplent que rarement les pages de «Voici» ou de «Gala». Celles du Lagarde et Michard leur suffisent: ce sont nos grands écrivains. Y songe-t-on assez? On les imagine toujours trempant leur plume d'oie dans le sombre encrier de leur génie. On oublie trop qu'eux aussi, comme vous et moi (les jours de courage), ont trempé leurs pieds émus dans les eaux vivifiantes de la Manche.

     

    Soyons fair-play. Nous parlons ici d'écrivains en villégiature au pays d'Auge. Nombre d'entre eux n'ont pas eu à y venir, puisqu'ils y sont nés ou qu'ils y avaient de solides attaches familiales. Il serait indélicat de ne pas les mentionner au passage. Pont-l'Evêque a donné au monde Robert de Fiers dont le nom ne vous dit peut-être rien, et c'est bien dommage: avec son compère Gaston de Caillavet, ce boulevardier a donné vers le début du XXe siècle quelques comédies à hurler de rire. Gide, avant d'acheter son cher Cuverville, sa propriété sise non loin de Fécamp, venait au domaine de famille de La Roque-Baignard, petit village près de Cambremer, dont il fut même le maire, peu avant 1900. Et comment oublier Honfleur, qui mériterait le label d'«Athènes de l'estuaire» tant les gloires des arts et des lettres y pullulent? Boudin le peintre, Satie le musicien, bien sûr, mais tant d'autres. Dans quelques pages, Patrice Delbourg nous dit tout d'un fils de pharmacien nommé Allais. N'oublions pas le délicat Henri de Régnier (1864-1936), poète symboliste, ou Lucie Delarue-Mardrus (1874-1945) dont on ne lit plus guère les poèmes et les romans, mais dont on honorera au moins un vers, qui n'est pas si mal: «L'odeur de mon pays était dans une pomme...» Et que dire des Honfleurais d'adoption - même brève? Baudelaire passe plusieurs mois, en 1859, à la «maison joujou», la propriété achetée par le général Aupick, beau-père détesté, heureusement mort depuis deux ans. Il cherche à s'éloigner des démons qui le tourmentent, l'alcool, les mauvais plaisirs, pour se concentrer sur ce qui deviendra l'édition définitive des «Fleurs du mal».

     

    Stendhal, lui, y passe à peine, dans les années 1830, et sans le vouloir vraiment. Il espérait attraper le bateau du Havre, qui vient d'appareiller. Il trouve la petite ville très laide - il faut dire que le port, si brillant un ou deux siècles avant, n'en finit plus de décliner -, mais, charmé par sa longue promenade dans les environs, il lance un pari sur l'avenir: avec les progrès des chemins de fer, Paris n'est plus qu'à dix heures! Bientôt les riches se presseront ici. Son intuition n'est vraie qu'à moitié. Contrairement à ce qu'il pressentait, le beau monde ne fera pas construire dans les coteaux ombreux qui bordent l'estuaire mais sur la côte. Il viendra y chercher un agrément incroyable, une nouveauté décoiffante, un plaisir auquel nul n'avait encore pensé: la mer.

    LA FOLIE DES BAINS DE MER
    Le point nous paraît incroyable. C'est ainsi: jusqu'au XXe siècle, l'Océan, c'est le danger, les vents mauvais, les pirates, la menace d'invasion: n'oublions pas que l'Anglais est en face. Il existe des ports, bien sûr, mais on y construit le plus souvent dos au rivage. Et sur ces vastes étendues sableuses battues par les vagues que l'on nomme toujours «la grève», aucun Parisien ne s'aventure jamais, sinon quelques intrépides, comme Charles Mozin, un joli petit peintre de 19 ans. Nous sommes en 1825, il est lui aussi en voyage à Honneur, il cherche des points de vue originaux, il aime marcher. Il longe la côte, passe Villerville et ses pêcheuses de moules et, ébloui, pose un beau jour son chevalet devant quelques pauvres masures groupées à l'embouchure de la Touques. Le lieu lui semble d'un pittoresque accompli.

    Trouville est, écrit Alexandre Dumas, «à peu près aussi ignoré que l'île de Robinson Crusoé».

    Vous l'avez compris, nous voilà à Trouville. Son goût est sûr, le lieu va plaire. D'abord, il convoque ses amis rapins, Corot, Huet. Rapidement la réputation s'étend. Un beau jour de l'été 1832 débarque un autre Parisien d'envergure, Alexandre Dumas. «Débarque» est à prendre au sens littéral. Depuis Honneur, les chemins sont si boueux qu'en carriole, il faut cinq heures. Sa compagne et lui ont donc opté pour le seul autre moyen possible, un canot conduit par «quatre vigoureux rameurs» qui ont donné loisir aux passagers d'être ébloui par le paysage: à droite «océan infini», à gauche des falaises «gigantesques». Ce sont celles de Villerville; ceux qui les connaissent goûteront le sens de l'exagération du père des «Trois Mousquetaires». L'endroit, écrira-t-il, est «à peu près aussi ignoré que l'île de Robinson Crnsoé», et les indigènes qui y demeurent parlent un patois si étrange qu'il faut communiquer par signes. Le séjour est néanmoins enchanteur. Chez la Mère Ozeraie, on sert à chaque repas les délices du cru, crevettes, côtelettes de pré-salé, sole, et l'homme profite du séjour pour faire une folie: aller se baigner. Voilà bien l'invention nouvelle qui va révolutionner ce que l'on n'appelle pas encore les vacances. Le bain de mer! Celui de Dumas est un mauvais exemple. Il y est allé à l'antique, nu comme une statue de Praxitèle. Les temps sont puritains, ce plaisir qui nous semble si naturel n'entre dans les moeurs que par des voies plus détournées. Ce sont les médecins anglais qui, à la fin du XVIIIe siècle, ont réussi à convaincre la haute société que cette pratique était souveraine pour soigner les «maladies des glandes», terme commode, il recouvrait n'importe quoi. De retour d'émigration, les aristocrates français vont rapporter cette curieuse coutume sur cette rive de la Manche. La mode en sera définitivement lancée à Dieppe en 1824, quand la duchesse de Berry elle-même, belle-fille de Charles X, mère de l'héritier du trône, coiffée d'une toque, vêtue d'une robe, chaussée de bottines, accompagnée de son médecin, soutenue par deux «maîtres baigneurs» et lorgnée par la foule massée sur le rivage, fait quelques mouvements dans l'eau, «à la lame», c'est-à-dire à marée montante, la seule qui, dit-on, soit vraiment curative. Une nouvelle folie est née. Elle n'est pas simple à pratiquer, on l'a compris, mais c'est à elle que la côte normande devra sa fortune, et la littérature quelques-uns de ses grands chocs.

    N'est-ce pas pour une baigneuse que le petit Flaubert, âgé de 15 ans, en 1836, en vacances avec ses parents dans un Trouville presque sauvage encore (on n'y trouve que deux auberges), ressentira son premier grand frisson? Elle se nomme Elsa Schlesinger, elle est mariée mais distraite: de retour du bain, elle oublie sa cape sur la rive. Le jeune Gustave la rend au mari et ne se remettra jamais de son amour fou pour la femme. Trouville si, qui d'année en année se métamorphose. On construit des bains, un casino, des hôtels, les planches. L'île de Robinson devient la station en vogue. Toute la capitale s'y presse bientôt. On y chantera: «Sur la plage, allons prendre l'air / Contemplons l'océan tranquille / Ah! si Paris avait la mer / Ce serait, un petit Trouville.» Evidemment, les anciens dépriment: «Comme je vous remercie de détester le Tronville moderne. Pauvre Tronville!» Bien des gens pensent cela aujourd'hui. Ils en ont bien le droit, on leur rappellera simplement que c'est ce qu'écrivait Flaubert en 1875. Mais les autres adorent. Michelet trouve que l'air est plus doux et meilleur pour la poitrine qu'à Dieppe ou au Havre. Les Goncourt, en 1867, y trouvent matière à leur mauvaise humeur: les enfants sont trop bruyants, les cloches de l'église font trop de bruit («elles sont pires qu'à Rome»), ils doivent faire table d'hôte avec des «femmes à barbe» et il faut changer le matelas, parce que l'un des frères s'est transformé «en saint Sébastien des puces». Mais quoi de meilleur, pour ces mauvais coucheurs de légende, que de pouvoir râler? Du coup, ils reviennent l'année suivante. Un peu plus tard, dans les années 1890, Proust y vient, une fois au Frémont - cette vieille maison hélas! presque en ruine aujourd'hui, sur les hauteurs de la ville -, ensuite aux Roches noires. Mais, finalement, il met le cap au sud, comme le fait pour nous Fabrice Pliskin, parti sur ses traces à Cabourg.

    L'INVENTION DU BRONZAGE
    Il est vrai que, sur la côte, le vieux peut paradis de Mozin et Dumas a des rivales. Zola, en 1875, a cherché des bains de mer pour tenter de redonner un peu de santé à sa pauvre épouse. Il va à Saint-Aubin et est médusé, si l'on ose écrire, par la mer: «C'est tout autre chose que la Méditerranée, c'est à la fois très laid et très grand.» En revanche, sa femme va vite mieux, et la pêche aux crevettes les enchante, surtout les crevettes rouges, incroyables, que l'on prend aux grandes marées. Et Deauville n'en finit pas de monter. Morny, le demi-frère de Napoléon III, l'a lancée. Son grand galop de chic, de courses, de roulette, de vrais princes et de fausses gloires, de Bottin mondain et de demi-mondaines n'en finit plus.

    Lancé par le duc de Morny, demi-frère de Napoléon III, Deauville n'en finit pas de monter.

    Dans les années 1910, une styliste encore peu connue, Gabrielle Chanel, a installé une boutique à côté du casino. Bientôt elle lancera une coutume qui paraît aussi incongrue que la baignade cent ans plus tôt: le bronzage. La saison compte tellement, maintenant, à l'ombre du Normandy, que «Comoedia», le journal culturel du moment, envoie pour la couvrir quelques talents prometteurs de la littérature. Par un bel été, accompagné du peintre André Rouveyre, chargé des croquis d'illustration, voici un pigiste nommé Apollinaire. Il est ravi. Leur hôtel pullule de jolies filles. Il va déjeuner à Villerville chez Alfred Savoir, un auteur dramatique «judéo polono français» qu'il trouve «sot pour un Juif, superficiel comme beaucoup de Polonais, mais gentil», mais il sent qu'il ne déplaît pas à sa «petite femme», polonaise également, tout comme il l'est lui-même, ne l'oublions pas. Ensuite, un verre chez Tristan Bernard, «laid et exquis». Tout est au mieux cette année-là, sinon le millésime: nous sommes en 1914. Le devoir les appelle, il faut rentrer fissa à Paris pour voir ce qui s'y passe. D'autres, ce même mois d'août, préfèrent le chemin inverse. Prudent, Guitry arrive au Normandy mais - juré, craché - c'est uniquement pour des raisons médicales: son médecin lui a conseillé le calme. L'hôtel bruit d'une faune pittoresque: une femme porte un jour de la zibeline, un autre du chinchilla, mais elle a tous les jours «une gueule de putois». Et le richissime comte Greffulhe arrive avec trois Rolls Royce, une pour lui, une pour ses malles et son valet de chambre, et une pour son «entremettier et son cuisinier» - cet homme n'aime pas voyager sans son confort. Le reste de la guerre sera moins drôle, tous les hôtels sont transformés en hôpitaux. Mais les années 1920 y seront aussi folles qu'ailleurs. Le peintre Foujita peint des robes à même la peau des femmes, et se fait tatouer une montre-bracelet sur le poignet, qui, à n'en pas douter, est juste deux fois par jour. Mistinguett débarque en auto de Villerville où elle a sa villa. La sublime Suzy Solidor traîne son chic altier sur les planches. Il faut attendre 1958, toutefois, pour croiser un nouvel événement littéraire essentiel et très simplement codé: par un fameux peut matin du 8 août, à huit heures, avec les 80 000 francs gagnés dans la nuit grâce au même chiffre magique évidemment, Sagan achète son fameux «manoir du Breuil», sa belle maison d'Equemauville. Il avait abrité d'autres plumes avant elle, c'est là que Guitry épousa une de ses femmes, mais la magie du huit ne devait pas fonctionner encore, comme chacun sait, il ne se maria que cinq fois. En 1963, encore un placement immobilier appelé à la postérité: Marguerite Duras achète son appartement dans un hôtel vendu en petit morceau, les Roches noires, et bientôt Didier Jacob nous en dira tout (p. X).

    Et pour nous, cette promenade écrite sur la Côte des lettres s'achève. Est-ce à dire que les écrivains d'aujourd'hui n'y viennent plus? Allons! De Jérôme Garcin à Patrick Rambaud, de François Bott à Christine Orban, pour ne citer qu'eux, il faudrait plutôt dire qu'ils y viennent tous. Mais pourquoi, lecteurs, devrions-nous faire le travail à votre place? Vous voilà ici, comme eux, pour l'été. Vous aussi, vous les croiserez un jour ou l'autre devant la lieutenance de Honneur, sur le marché de Trouville, les planches de Deauville, les chemins du pays d'Auge ou dans les salons de thé de Cabourg. Demandez-leur de vous raconter leur Normandie. Ils le feront de bon coeur. Même les écrivains, parfois, prennent des congés, et quoi de plus agréable, quand on est en vacances, que de bavarder entre vacanciers?

     

     

    François Reynaert
    Le Nouvel Observateur

    Source:http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/supplement/p2228_2/articles/a350711.html

  • Chagall, un ange passe

    Le Musée du Luxembourg invite Paris à retrouver la magie du peintre russe au temps de sa jeunesse et à se souvenir de son talent original «entre guerre et paix», don dilué au fil des années et du succès.

    <:figure class="fig-photo fig-photo-norwd" itemscope itemtype="http://schema.org/ImageObject"><i>Le Salut</i>, 1914. Chagall raconte dans son autobiographie, <i>Ma vie </i>(1958), qu'il évite l'enrôlement dans les troupes grâce au frère de sa fiancée. Le peintre magique de Paris (<i>La Chambre jaune</i>, 1911, avec son basculement, sa vache sur le plancher, sa porte ouverte sur un village éclairé par la lune) est employé dans un bureau de Saint-Pétersbourg. Il observe le désarroi des familles, le va-et-vient des soldats. Dans cette petite huile sur carton si moderne, le visage du soldat est infusé de rouge et le gradé a la pâleur grotesque du cinéma muet.

     
    • Chagall est mort sous les fleurs, comme Albine, l'héroïne de Zola dans La Faute de l'abbé Mouret, qui se suicide en s'asphyxiant avec les fleurs coupées du Paradou accumulées dans la chambre aux Amours. Chagall, le jeune peintre instinctif de Vitebsk, a souffert lui aussi de trop d'amour. Overdose énorme comme un ciel rouge d'opéra (1964). Au point que son succès international, si sonnant et trébuchant, a brouillé sa légende et bousculé son piédestal. Saisons après saisons, les grandes ventes d'art moderne de Londres et surtout de New York finissaient irrémédiablement sur un bouquet géant, corail et dru, volant comme le fantôme d'un grand peintre sur un fond éternellement azur. D'où la gageure et l'intérêt de dresser autrement le portrait d'un artiste presque centenaire qui fut intensément doué, rêveur à tous les âges de la vie et au final indifférent aux diktats de son époque (La Madone au traîneau, 1947, venue du Stedelijk Museum d'Amsterdam avec son tourbillon de cheveux en feu et son enfant auréolé).

    • En s'adjoignant le titre de Tolstoï, l'exposition Chagall entre guerre et paix, au Musée du Luxembourg à Paris, ne joue pas seulement sur les mots. La vie de bien des artistes de ce XXe siècle cataclysmique pourrait revendiquer ce titre d'épopée. Mais Chagall, né Moïshe Zakharovitch Chagalov, en 1887, à Liozna, près de Vitebsk en Biélorussie, incarne plus qu'un autre les aléas de l'Europe en guerre. Malgré le contingentement imposé aux Juifs, il part à Saint-Pétersbourg en 1906 étudier auprès de Léon Bakst. Puis à Paris en 1911-1912 s'imprégner de cet art moderne qui réunit les Delaunay, Soutine, Blaise Cendrars, Apollinaire. Puis à Berlin se frotter à l'avant-garde de Der Sturm. Quand il revient en Russie en 1914, il y reste prisonnier huit ans du fait des circonstances, mais ce sort lui permet de se confronter au grand Malevitch. Son repli vers l'Ouest, en 1920, obéit au danger comme à l'amour de la France et de ses bouquets peints (notre héritage!). Seule la guerre le contraint en 1941 à l'exil à New York, pays des grands formats et des grandes causes proclamées. Son retour en 1949 vers la Riviera aux soleils aveuglants finit un scénario dense comme un roman russe.

      Marc Chagall.

      Marc Chagall. Crédits photo : © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ®© The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence

       

      Une approche du temps arrêté

      Mince, les joues creuses, le nez aquilin et la taille fine pincée dans le costume du jeune homme qui connaît la grande ville, Chagall pose devant un shtetl aux petites maisons basses de bois. Cet Autoportrait devant la maison, 1914, est une huile sur carton marouflé sur toile, matière fluide qui accentue le charme évanescent du jeune peintre au front vert amande et la douceur de la scène primitive. Ce tableau rare sort de sa collection privée pour ouvrir les retrouvailles avec l'œuvre. Toute sa vie, Chagall reviendra par le pinceau à Vitebsk, monde clos qui résiste en bloc à l'adversité, garde son identité par ses ruelles sombres, ses habitants identifiables comme un costume traditionnel, ses animaux domestiqués en famille et sa mignonne architecture de jouet face à l'impériale grandeur russe (La Guerre, 1943, avec son mort couché dans la neige, les bras en croix, dans la rue centrale de Vitebsk).

      <i>Au-dessus de Vitebsk</i>, 1915-1920. Le Musée de Grenoble et le Centre Pompidou ont montré en 2011 la beauté des années russes du jeune Chagall. Habillé de sombre comme la pauvreté, son vieux Juif errant plane dans les airs «au-dessus des maisons», comme le décrit un proverbe yiddish (Polanski reprendra le thème dans Le Bal des vampires en 1967). L'église orthodoxe avec ses bulbes peints et ses pans cubistes, la barrière émeraude qui tend vers la maison rubis (les deux couleurs de l'amour conjugal), la neige universelle qui efface laideur et différences font de ce trésor du MoMA un tableau surnaturel, mélancolique et tendre.

      Au-dessus de Vitebsk, 1915-1920. Le Musée de Grenoble et le Centre Pompidou ont montré en 2011 la beauté des années russes du jeune Chagall. Habillé de sombre comme la pauvreté, son vieux Juif errant plane dans les airs «au-dessus des maisons», comme le décrit un proverbe yiddish (Polanski reprendra le thème dans Le Bal des vampires en 1967). L'église orthodoxe avec ses bulbes peints et ses pans cubistes, la barrière émeraude qui tend vers la maison rubis (les deux couleurs de l'amour conjugal), la neige universelle qui efface laideur et différences font de ce trésor du MoMA un tableau surnaturel, mélancolique et tendre. Crédits photo : © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ®© The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence

       

      <i>Les Amoureux en vert</i>.

      Les Amoureux en vert. Crédits photo : © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL © RMN / Gérard Blot

       

      L'amour, toujours. Par sa brillance, Les Amoureux en vert, 1916-1917, donne à l'amour conjugal la couleur des pierres précieuses. Le rubis à la robe de Bella aux seins ronds et à la taille qui se creuse. L'émeraude au fond uni, travaillé comme une sculpture abstraite. Le bonheur est beau et lancinant comme Bella et Ida à la fenêtre, 1916, où la composition fait basculer la fenêtre et son univers au bleu très doux, comme un bateau qui tangue. Vue de la fenêtre à Zaolchie, près de Vitebska cette approche du temps arrêté propre à la littérature russe, aux notables à la campagne de Tchekhov, désœuvrés et immobiles. Cette introduction paisible donne tout son sens au charivari qui va suivre (La Nuit verte, 1952, avec Chagall veuf au visage grenat et Bella la défunte au visage solaire).

      Une sale farce

      <i>Le Soldat blessé</i>.

      Le Soldat blessé. Crédits photo : © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL © The State Tretyakov Gallery, Moscou

       

      La guerre est-elle une sale farce? Le Soldat blessé dessiné d'une encre très expressionniste en 1914 cligne presque de l'œil comme un Dybbouk (un «esprit» malicieux en yiddish). Le Vieux et La Vieille, qui s'enfuient, semblent sortir d'une estampe japonaise. La maîtrise de cette main qui dessine magnifiquement en 1920, pour Deuil du poète David Hofstein en hommage aux pogroms de 1919 en Ukraine, ne s'oublie pas. Entre guerre et paix, Chagall puise sans fin dans ces sources à la fois graphiques et poétiques, les surcharge et les restitue comme des rêves déballés en vrac sur le divan. L'Exode est à ce titre un incroyable tableau de 1952-1966 qui mêle crucifixion d'un Christ jaune comme chez Gauguin, Shoah avec son peuple gris uni par le sacrifice, Moïse embrassant les tables divines, mariée en blanc, chèvres, shtetl en feu et Vierge à l'enfant (130 x 162,3 cm!). Cette salle du syncrétisme religieux alterne gros monuments et petits bijoux, comme ces deux petites Crucifixion de 1940 (une huile sur toile du Philadelphia Museum of Art, une aquarelle du Moderna Museet de Stockholm). Cela fera oublier toutes les fleurs de Provence.

       


       

       

      Chagall entre guerre et paix, jusqu'au 21 juillet, Musée du Luxembourg (Paris VIe). www.museeduluxembourg.fr

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  • Henry James,”Le Tour d'écrou”, Angleterre,1898 (qui a inspiré Peter Straub dans ”Julia”)

    Roman fantastique

    Voici le chef d'oeuvre de l'écrivain américain le plus européen qui adopta la nationalité anglaise peu avant sa mort. Il est vrai que lorsqu'on lit Le tour d'écrou, on a vraiment une impression de vieille Angleterre un peu à la manière d'Hitchcock dans son film Rebecca : vieille bâtisse isolée, présence de fantômes etc...

    Voici l'atmosphère : un soir au coin du feu, un homme raconte une histoire de revenants à une assemblée de vieilles femmes...Cette histoire lui a été racontée par l'"héroïne" de l'histoire :

    Une jeune femme de la campagne vient s'occuper de deux charmants enfants orphelins, Flora et Miles. C'est leur oncle, qui ne souhaite pas s'en occuper, qui a recruté cette jeune femme. Il lui donne un ordre : ne le déranger sous aucun prétexte...La jeune femme part donc dans une vieille bâtisse à la rencontre de ses hôtes ; elle y rencontre une vieille gouvernante charmante, Mrs Grose, ainsi que deux charmants bambins qui la charment dès le premier instant : visages d'anges, intelligence et douceur....Mais bien vite, la jeune femme est perturbée par une présence inquiétante qu'elle a remarqué sur une tour à côté de la maison. Mrs Grose lui révèle qu'il s'agit de Quint, l'ancien valet, un personnage sinistre ....qui est mort l'année dernière. Une deuxième silhouette surgit quelques jours plus tard...Petit à petit, la jeune fille découvre que Miles et Flora semblent subir l'influence de ces présences fantomatiques...Elle est prête à tout pour les sauver.

    Ce petit livre est considéré comme le chef d'oeuvre de la nouvelle fantastique, tout comme Le Horla de Maupassant. Comme dans cette nouvelle, une fine analyse psychologique donne toute son ampleur au texte; tout est vécu de l'intérieur, dans l'esprit de la jeune gouvernante, sans que l'auteur ne fasse part de son jugement. Hallucinations? Présence réelle? Le lecteur ne peut à aucun moment savoir....La jeune femme passe de la psychose à la lutte contre les présences. Nous admirons son sang-froid et surtout sa détermination à sauver les deux enfants qu'elle adore.

    Peu importe la présence des fantômes...Ce qui compte, c'est le ressenti des personnages et leur lutte contre les présences maléfiques.

    Henry James excelle autant dans la description des états d'âme de la gouvernante que dans la description des deux enfants, mi-anges, mi-démons. Il ressort de l'écriture une tension extrême qui culmine à la chute inattendue du roman mais chut !

    Si vous avez aimé l'atmosphère du film Les autres d'Amenabar et les vieilles bâtisses anglo-saxonnes, vous tomberez sous le charme !

    http://passiondeslivres.over-blog.com/article-4446350.html

    Article emprunté à Sylvie dans son blog de critiques de livres.

    Henry James:

    medium_henry_james.jpg

    Henry James naît à New York le 15 avril 1843, second des cinq enfants (William, né en 1842, Garth Wilkinson, né en 1845, Robertson, né en 1846, et Alice née en 1848) d'Henry James senior et de Mary Robertson Walsh. La fortune acquise par son grand-père, émigré irlandais arrivé aux États-Unis en 1789, avait mis la famille à l'abri des servitudes de la vie quotidienne. Son frère aîné, William James, deviendra professeur à Harvard et se fera connaître pour sa philosophie pragmatiste. Malgré des liens solides avec Henry, la rivalité entre les deux frères créa toujours des conflits psychiques latents.

    Après un séjour de 5 ans en Europe, la famille s'établit, en 1860, en Nouvelle-Angleterre où elle demeura pendant la guerre civile. En septembre 1862, Henry James s'inscrit à la faculté de droit de Harvard, rapidement abandonnée face au désir d'être « tout simplement littéraire ». En 1864, il publie anonymement sa première nouvelle, ainsi que des comptes-rendus critiques destinés à des revues. The story of a Year, sa première nouvelle signée, parait dans le numéro de mars 1865 de l'Atlantic Monthly.

    De février 1869 au printemps 1870, James voyage en Europe, d'abord en Angleterre, puis en France, en Suisse et en Italie. De retour à Cambridge, il publie son premier roman Watch and Ward (Le regard aux aguets). De mai 1872 à mars 1874, il accompagne sa sœur Alice et sa tante en Europe où il écrit des comptes rendus de voyage pour The Nation. Il commence à Rome l'écriture de son deuxième roman Roderick Hudson, publié à partir de janvier 1875 dans l'Atlantic Monthly, qui inaugure le thème "international" de la confrontations des cultures d'une Europe raffinée et souvent amorale et d'une Amérique plus frustre, mais plus droite.

    Après quelques mois à New York, il s'embarque à nouveau pour l'Europe le 20 octobre 1875. Après un séjour à Paris, où il se lie d'amitiés avec Tourgueniev et rencontre Flaubert, Zola, Maupassant et Daudet, il s'installe, en juillet 1876, à Londres. Les cinq années qu'il y passe seront fécondes: outre de nombreuses nouvelles, il publie The American (1877), The Europeans (1878), un essai sur les poètes et romanciers français (French Poets and Novelists, 1878)... Daisy Miller, publié en 1878, lui vaut la renommée des deux côtés de l'atlantique. Après Washington Square (1880), The Portrait of a Lady est souvent considéré comme une conclusion magistrale de la première manière de James.

    Sa mère décède en janvier 1882, alors que James séjourne à Washington. Il revient à Londres en mai et effectue un voyage en France (d'où naîtra, sous le titre A Little Tour in France, un petit guide qui servira à plusieurs générations de voyageurs dans les régions de la Loire et du Midi). Il rentre de façon précipitée aux États-Unis où son père meurt le 18 décembre, avant son arrivée. Il revient à Londres au printemps 1883. En 1884, sa sœur Alice, névrotique, le rejoint à Londres où elle décèdera le 6 mars 1892.

    En 1886, il publie deux romans, The Bostonians (Les Bostoniennes) et The Princess Casamassima, qui associent à des thèmes politiques et sociaux (féminisme et anarchisme) la recherche d'une identité personnelle. Suivirent deux courts romans en 1887, The Reverberator et The Aspern Papers (Les papiers de Jeffrey Aspern), puis The Tragic Muse en 1888.

    Bien que devenu un auteur au talent reconnu, les revenus de ses livres restaient modestes. Il décide alors, dans l'espoir d'un succès plus important, de se consacrer au théâtre. En 1891, une version dramatique de The American rencontre un petit succès en province, mais reçoit un accueil plus mitigé à Londres. Il écrira ensuite plusieurs pièces qui ne seront pas montées. En 1895, la première de Guy Domville finit dans le désordre et les huées.

    Après cet échec, il revient au roman, mais en y appliquant, peu à peu, les nouvelles compétences techniques acquises au cours de sa courte carrière dramatique. En 1897, il publie The Spoils of Poynton (Les dépouilles de Poyton) et What Maisie Knew (Ce que savait Maisie). Puis viennent les derniers grands romans: The Wings of the Dove (1902), The Ambassadors (1903) et The Golden Bowl (1904).

    En 1903, James a soixante ans et un « mal du pays passionné » l'envahit. Le 30 août 1904, il débarque à New York, pour la première fois depuis vingt ans. Il quitte les États-Unis le 5 juillet 1905, après avoir donné de nombreuses conférences à travers tout le pays. Ses impressions seront réunies dans un volume intitulé The American Scene.

    Avant son retour en Angleterre, il met au point, avec les Éditions Scribner, le projet d'une édition définitive de ses écrits, The Novels and Tales of Henry James, New York Edition, qui comportera, à terme, vingt-six volumes. Entre 1906 et 1909, il travaille à l'établissement des textes, n'hésitant pas à apporter des corrections significatives à ses œuvres les plus anciennes, et rédige dix-huit préfaces qui donnent des vues pénétrantes sur la genèse des ses œuvres et ses théories littéraires. Le manque de succès de cette entreprise l'affecte durablement.

    En 1915, déçu par l'attitude des États-Unis face à la guerre qui fait rage sur le continent, il demande et obtient la nationalité britannique. Il a une attaque cardiaque le 2 décembre, suivie d'une seconde le 13. Il reçoit l'ordre du Mérite le jour de l'an 1916 et meurt le 28 février.

    Henry James fut un écrivain prolifique. Il écrivit dix-neuf romans, plus d'une centaine de nouvelles, quelques pièces de théâtre (qui ne furent, pour la plupart, jamais jouées) et de nombreux récits de voyage. Ce fut aussi un critique littéraire de premier plan. Il entretint tout au long de sa vie une correspondance importante (plusieurs milliers de lettres), en particulier avec d'autres écrivains célèbres (Robert Louis Stevenson, Joseph Conrad, Edith Wharton,...).

    La liste qui suit est loin d'être exhaustive !

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Henry_James

  • C'est le premier parc à thème littéraire

    Entrez dans le monde de Dickens !

     

    L'écrivain y a vécu : c'est donc à Chatham que vient de s'ouvrir un grand parc consacré à l'auteur d' « Oliver Twist ». Tout y est du Londres misérable du XIX e siècle, catins et pickpockets compris. Visite guidée

     

    Il pleut sur Chatham, ville peu riante du Kent à quarante minutes de train de Londres, où l'écrivain anglais le plus connu après Shakespeare a passé les premières et les dernières années de sa vie. La navette pour les docks n'est pas bien signalée. Mais enfin voici Dickens World, annoncé en lettres blanches sur fond bleu étoilé, un parc d'attractions consacré à l'univers de l'auteur d' « Oliver Twist ».

    On vous promet une plongée dans le ventre fangeux de l'Angleterre du début du XIX e, ses égouts, ses odeurs et ses rats. Dans le train, pendant que défilait un paysage de cataclysme postindustriel fait d'usines désaffectées, on s'était pris à rêver d'un Zola World, avec descente aux enfers sponsorisée par Gervais ( e ) ou d'un Hugo Land avec sa parade de misérables et son train fantôme où les Thénardier feraient peur aux enfants. « A partir de ce point, plus que trois heures d'attente » : la première semaine, victime de son succès, Dickens World, inauguré en mai dernier, a refusé du monde et à la Pentecôte, particulièrement humide, 15 000 personnes y ont trouvé refuge.

    A priori, rien de franchement de mauvais goût ne nous attend : Dickens World a reçu l'approbation de la vénérable Dickens Fellowship ( fondée en 1902, 6 000 membres dans le monde ). Thelma Grove, ancienne secrétaire générale, a suivi le projet comme consultante. « Des descendants de Dickens m'ont appelée un jour, effrayés par ce qui se tramait ; j'ai participé aux réunions et j'ai été agréablement surprise » , raconte cette orthophoniste à la retraite. L'idée de ressusciter le Londres miséreux de l'ère victorienne est née dans les années 1970 dans la tête de Gerry O'Sullivan Beare, un concepteur de parcs à thèmes qui s'est battu pendant trente ans pour lever des fonds. Il est mort l'année dernière, avant l'inauguration. En 2005, grâce à Kevin Christie, un homme d'affaires spécialisé dans le cinéma, ont été enfin réunis les 500 financiers privés et les quelque 91 millions d'euros nécessaires à la création de ce complexe de loisirs de 12 000 m 2, qui englobe un parking, des restaurants et un multiplexe.

    Dans la pénombre, on distingue d'abord des maisons décrépies et, sous les réverbères, une place de quartier sordide, avec son usurier et son épicerie. On guette les rongeurs, mais de mauvaises odeurs, point. Une affiche jaunie détaille la ration quotidienne des cachots de Marshalsea, la prison londonienne où John Dickens, le père de Charles, qui travaillait au bureau de la paie sur les docks, fut emprisonné pour dettes. A 12 ans, Charles Dickens trimait déjà à la Warren's Blacking Factory, dont la façade glauque est reconstituée à l'entrée. Des journées à coller des étiquettes sur des pots de cirage pour 6 shillings par semaine : l'expérience changera définitivement sa vision du monde.

    Faquins, prostituées, chasseurs de rats, tous les personnages dickensiens sont là. A peine a-t-on posé le pied dans ces ruelles sombres qu'un certain Bill, pickpocket en haillons, vous subtilise votre carnet de notes. C'est l'un des 60 employés qui paradent en costume pour 6 livres de l'heure. Mike, le maître de la sévère pension Dotheboys, coiffe d'un bonnet d'âne les élèves-visiteurs qui ne gagnent pas assez de « Dickens points » au quiz. Derrière leurs pupitres en bois à écrans tactiles, les cancres rigolent... Tony, un autre employé portant beau avec son haut de forme, un amoureux de Dickens, a trouvé là un moyen agréable d'arrondir sa retraite. « Mettez-vous bien à l'avant , sinon vous ressortirez trempés ! » , prévient Tony. C'est par les soupiraux reconstitués de Marshalsea que commence l'attraction phare de Dickens World, « la Croisière des Grandes Espérances. », une quinzaine de minutes en bateau, des égouts douteux - un colorant marron, nous assure-t-on - jusqu'aux toits de la ville, traversée du cimetière comprise. « Aujourd'hui , tout est loisirs ! », s'enthousiasme Kevin Christie, le patron de Dickens World. Il espère atteindre les 300 000 visiteurs par an et attend d'ailleurs un coup de pouce décisif du passage dans quelques jours du Tour de France à deux pas d'ici.

    « Cela mettra notre région
    , qui en a besoin, sur la carte du monde » , se réjouit aussi Louise Dale, une infirmière. D'autres se montrent plus circonspects et craignent la saturation de ce coin du sud-est de l'Angleterre où l'on ne compte plus les références à l'auteur. « On a déjà un Dickens World : c'est Rochester ! » Chaque année, en juin, un festival y voit parader les dickensophiles, venus parfois d'Australie, du Japon ou d'Amérique un pays fou de l'écrivain : 60 % des visiteurs du Musée Dickens ( 1 ) de Londres sont américains.

    A l'étage, un film retrace l'épopée américaine de Charles, à qui l'acteur Gerald Dickens, l'arrière-arrièrearrière-petit-fils, prête sa voix. C'est le moment pédagogique de Dickens World, l'occasion d'apprendre, mais toujours en s'amusant ( la tête d'un condamné à mort vous arrive en pleine figure ...).« On a une idée fausse de Dickens ; on en fait quelqu'un de plus sérieux et intellectuel qu'il n'était . Il écrivait pour tous, était lu par tous, y compris les enfants . C'était une personnalité flamboyante, un showman plein d'humour » , explique l'écrivain Lucinda Hawksley, la cousine de Gerald.

    Dans le « Monde de Dickens », tout n'est pas parfait. Des techniciens vont et viennent, le bruit des perceuses couvre parfois la voix des apparitions dans la maison hantée où, devant un hologramme de chaise vide, les Mitchell attendent en vain que le fantôme veuille bien se montrer. Et le Britannia Theatre, un show de personnages mécaniques, n'est toujours pas opérationnel. « Les actionnaires ont mis la pression pour que l'on ouvre le 25 mai » , souffle une employée. « C'est un work in progress , concède Kevin Christie. On n'a jamais dit qu'on serait aussi spectaculaire qu'un Disneyland ; on n'a jamais promis qu'on serait aussi instructif qu'un musée . » L'ambition ici ? « S'amuser en acquérant quelques connaissances. » Le risque ? Décevoir l'amateur de sensations fortes et énerver le puriste.

    Dans son bureau à Londres, Andrew Xavier, le jeune directeur du Musée Dickens, se montre conciliant : « Tout ce qui peut contribuer à diffuser la vie et l'oeuvre de Dickens auprès des jeunes générations , qui, en juillet, vont se précipiter sur le dernier “ Harry Potter” , est le bienvenu. »
    « Dickens ? Bien sûr , j'ai vu tous ses films » , assure Billy, élève d'Ashford. On lui dédie ce mini-scoop : Robert Zemeckis, le réalisateur de « Roger Rabbit », prépare une adaptation du « Conte de Noël ». Que Hollywood vole au secours de Dickens, ça tombe bien : on annonce l'ouverture en 2009 d'un parc Harry Potter à Orlando, en Floride.

    ( 1 ) 48, Doughty Street, dans le quartier de Bloomsbury.

    Dickens World :
    Leviathan Way, Chatham Maritime,
    dans le Kent. Renseignements : www.dickensworld.co.uk.
    Pour y aller :
    Trains pour Chatham à partir de Victoria Station, Charing Cross et London Bridge. Entrée : 12,50 livres pour les adultes ; 7,50 livres pour les enfants.

     



    Marie-Hélène Martin

    Le Nouvel Observateur - 2226 - 05/07/2007

    Source:http://artsetspectacles.nouvelobs.com/p2226/a349248.html

  • ”Des mystifications littéraires”, de Jacques Finné : écrivains farceurs ou faussaires

    L'histoire des lettres abonde en mystifications, plus ou moins subtiles, plus ou moins drôles, auxquelles Jacques Finné consacre un ouvrage érudit, fruit d'innombrables lectures : 500 pages bien tassées, nourries de notes, qu'un style caustique évite de rendre indigestes. Si l'auteur puise beaucoup d'exemples dans la littérature fantastique, dont il est un spécialiste, aucun genre ni aucun siècle ne sont oubliés. Ce traducteur émérite, passionné de masques, ordonne sa moisson avec beaucoup de soin : parties, sections, chapitres, sous-chapitres... Cette classification très soignée n'empêche pas le lecteur d'être un peu désorienté, avec le sentiment d'avoir plusieurs livres dans la main.

    Mille et une traductions

    Mystifier, c'est faire passer pour vrai ce qui ne l'est pas. Prosper Mérimée, farceur à ses heures, publia en 1827 un Choix de poésies illyriques recueillies dans la Dalmatie, la Bosnie, la Croatie et l'Herzégovine. Ce recueil de vingt-huit ballades, accompagnées de commentaires historiques et de notes philologiques fut très bien accueilli, et même traduit en russe par Pouchkine. On ne voulut pas croire l'auteur de Colomba quand il affirma que c'était une blague. La supercherie ne fut officiellement établie qu'en... 1908 par un spécialiste des langues slaves.

    Un linguiste écossais, James MacPherson, s'amusa, lui, à se venger des critiques littéraires qui avaient méprisé son oeuvre en publiant entre 1762 et 1765 une masse de poésies attribuées à Ossian, "barde gaélique du IIIe siècle". Le mystificateur fut complètement dépassé par le succès de cette publication, raconte Jacques Finné : "il mit en branle un vaste mouvement d'intérêt pour les littératures celtiques et, surtout, une prise de conscience d'une nation gaélique qui devait engendrer de terribles conséquences".

    Avec Les Mille et Une Nuits, nous changeons de registre. Là, il s'agit d'un produit délicieusement frelaté. Jacques Finné passe en revue les traductions successives de ce texte oriental, d'origine inconnue, en montrant comment il n'a cessé d'être trahi, avec de bonnes ou de mauvaises intentions. Galland, homme de cour, a donné un texte admirable de clarté, de beauté et de pudeur. Le puritain Lane en a rédigé une version expurgée, pour bigotes, tandis que Mardrus a allongé et pimenté les passages érotiques, les jugeant trop fades. A l'inverse, le méticuleux Littmann s'est employé à traduire mot à mot, illustrant une vieille boutade machiste : "La traduction littéraire ressemble à une femme : belle, elle est infidèle ; fidèle, elle n'est point belle."

    On reste dans l'orientalisme avec l'affaire Elissa Rhaïs, mais pour parler cette fois d'un nègre caché. En 1919, une musulmane née en Algérie débarque à Paris avec ses enfants et son secrétaire, Raoul Dahan. Elle va publier, en deux décennies, douze romans qui feront d'elle la coqueluche des salons parisiens. Jusqu'au jour où l'on s'apercevra qu'elle n'a pas vraiment vécu dans un harem, n'est pas musulmane mais juive, que ces livres n'ont pas été écrits par elle mais par son secrétaire... Elissa Rhaïs, de son vrai nom Leila Rosine Boumendil, est d'ailleurs illettrée, comme va le découvrir avec stupéfaction son éditeur, Plon. Le plus beau, souligne Jacques Finné, est que Leila se persuada peu à peu qu'elle avait écrit elle-même ces romans et que, dans la foulée, Raoul finissait par les considérer comme les oeuvres de sa maîtresse...

    Jacques Finné ne consacre pas moins d'une centaine de pages à l'Américain Howard Phillips Lovecraft (1890-1937), qui tient une place unique dans les mystifications littéraires, comme créateur et comme gourou. Ses récits surnaturels ont fait de lui un démiurge. C'est l'inventeur d'Abdul Alhazred, auteur présumé du Necronomicon, pour lequel le British Museum reçoit encore des demandes de prêt et se voit accusé de dissimuler des grimoires maudits. A cette "source de mystifications" se sont "voluptueusement abreuvés une vingtaine d'assoiffés - sans parler des touristes de passage", souligne l'auteur. C'est la souris qui accouche d'une montagne.

    Dans l'assiette du voisin

    Naturellement, une bonne partie du livre de Jacques Finné est réservée au plagiat. Autrement dit, aux voleurs de mots ou d'idées, ces auteurs qui picorent en cachette dans l'assiette du voisin, par paresse, désir de gagner du temps, cupidité ou envie. Il définit ainsi ce délit: "Une citation sans permission, sans guillemets et sans référence."

    Certains genres (polar, science-fiction, fantastique...) s'y prêtent particulièrement. Et, après les facilités de la photocopie, c'est désormais Internet qui pousse à la faute des auteurs indélicats. D'innombrables textes circulent sur la Toile. Il suffit de copier-coller puis d'arranger un peu...

    Si le plagiat remonte à la plus haute Antiquité, les procès pour plagiat ne se sont multipliés qu'au XXe siècle. Auparavant, ces affaires ne donnaient lieu qu'à des discussions de salon, un échange de noms d'oiseaux dans les journaux ou des transactions privées. Le XIXe siècle n'a connu qu'un seul procès retentissant, en 1842, à propos d'un plagiat posthume du Manuscrit trouvé à Saragosse de Jean Potocki, qui reste l'une des grandes énigmes de la littérature.

    Le plagiat manque d'une vraie définition légale. Est-ce seulement pour cela que"ce geste odieux" trouve rarement "la punition qu'il mérite" ? La renommée de certains coupables leur confère "une forme d'immunité littéraire", remarque Jacques Finné. Les exceptions sont rares. Ainsi, Henry Troyat fut condamné pour "contrefaçon partielle" à propos de son livre sur Juliette Drouet, paru en 1996.

    "Le plagiat est la base de toutes les littératures, excepté de la première, qui d'ailleurs est inconnue", disait Giraudoux. Jorge Luis Borges va plus loin : "Toutes les oeuvres sont l'oeuvre d'un seul auteur, qui est intemporel et anonyme." Jacques Finné commente avec scepticisme : "Toute oeuvre littéraire n'existerait pas en soi, mais appartiendrait à un Grand Tout illimité où les notions de temps et d'attribution sont illusoires." C'est, selon lui, un encouragement au plagiat.

    Encore faut-il s'entendre sur les mots. Rien n'interdit de partir d'un chef-d'oeuvre pour en faire un autre, en s'y référant explicitement. Personne ne songerait à traîner en justice Michel Tournier, lecteur de Robinson Crusoé, pour avoir écrit Vendredi ou les limbes du Pacifique, lui qui a dit : "Je suis comme la pie voleuse. Je ramasse à droite et à gauche tout ce qui me plaît pour l'entasser dans mon nid. Le problème, c'est de remuer toutes ces choses hétéroclites jusqu'à ce qu'il en sorte un livre."

    En refermant l'ouvrage de Jacques Finné, on a envie de prolonger le débat. Toute fiction n'est-elle pas illusion, avec la complicité du lecteur ? Un romancier n'a pas besoin de tricher pour autant. Où s'arrête la fiction ? Où commence la mystification ?


    DES MYSTIFICATIONS LITTÉRAIRES de Jacques Finné. José Corti, "Les essais", 518 p., 25 €.

     

    Robert Solé
  • HISTORIQUE: L’Absinthe enfin de retour… Fin de la Prohibition !

    décembre 21, 2010 par Michel Godet  
    Publié dans en Caves ...

     

    Après une petite centaine d’années d’incertitudes, l’état français signe la fin de la prohibition de l’Absinthe. Une histoire vieille de 95 années d’allers et de retours, d’incompréhensions, mais aussi de « Jésuitisme administratif »  autrement appelé hypocrisie !

    Si chère à Zola en particulier dans l’Assommoir, l’Absinthe fût accusée de tous les maux, en particulier celui de rendre fou pour ne parler que de Baudelaire ou de Van Gogh ou encore celui d’être abortive, n’en déplaise aux faiseuses d’anges. Cette fée verte pour certains était devenue un démon rouge pour d’autres, qui ont recueilli au tout début du XXè siècle plus de 400 000 signatures en vue l’interdiction de sa fabrication et de sa commercialisation. Il est vrai qu’à l’époque (1908) un lobby antialcoolique fort puissant demandait aussi, outre l’interdiction de l’Absinthe, la limitation du nombre de débits de boissons et la suppression du privilège de bouilleurs de crus !


    Cette bronca a eu raison du spiriteux en France dès 1915 (et en Suisse de 1910  à 2005), mélangeant donc dans l’inconscient populaire la lutte contre l’alcoolisme et les effets secondaires de la thuyone (principale molécule de l’huile essentielle d’absinthe) et de la fenchone (contenue dans le fenouil), deux composantes de l’absinthe titrant toujours entre 45 et 90° !

    Aujourd’hui, celle qui a été en son temps l’apéritif le plus populaire de France, remplacée par les pastis et autres boissons anisées, retrouve enfin droit de cité après 95 années de prohibition. Comme si le pastis avait le goût de l’absinthe, la couleur de l’absinthe sans être de l’absinthe …

    C’est Michel Rocard qui autorise, de facto par décret en 1988, la re-production de l’absinthe en réglementant la présence quantitative de thuyone, sans pour autant abolir le Loi de 1915 !

    Imbroglio administratif comme on sait en créer en France, étouffé par un autre subterfuge administratif qui autorise l’appelation « Spiriteux aromatisé à la plante d’absinthe » ! je ne parle pas des Suisses qui demandaient de leur côté à être les seuls à pouvoir utiliser cette « marque » !

    Je récapitule en toute simplicité ! :

    l’Absinthe est interdite suite à une Loi de 1915

     Un décret en 1988 autorise et réglemente la présence de thuyone sans abroger le décret précédant

    Le spiriteux est donc produit sous l’appelation: « Spiriteux aromatisé à la plante d’absinthe »

    Le 17 décembre 2010 dernier, le Parlement français abroge enfin la Loi de 1915

    (Pour des questions de navette parlementaire, la promulgation officille interviendra dans les jours ou semaines à venir)

    Fin de l’histoire, jusqu’au prochain épisode.

    Vous voyez donc vous qui êtes incrédules que le Père n’est pas une ordure et qu’il existe bel et bien, puisque tout cela nous arrive une semaine avant Noël.

    En mettant fin à cette hypocrisie, le Parlement évite ainsi de pénaliser les producteurs français.

    VERSINTHE :  L’Absinthe, la passion de la Liquoriste de Provence

    Toutefois, le vrai retour de l’absinthe dans les verres date en fait d’avril 1999, lorsque Pascal Rolland, PDG de la Liquoristerie de Provence a lancé sa marque «Versinthe ».

    « A cause de la Loi, on ne pouvait faire figurer seul le terme « absinthe » mais, « aux plantes d’absinthe ». Un subterfuge qui pénalisait toutefois nos absinthes à l’exportation et nous obligeait à détenir deux stocks. » (Pascal Rolland)

    C’est en avril 1999 que Pascal Rolland, PDG de la Liquoristerie de Provence, lance la première absinthe légale depuis 1915, avec la Versinthe. Pendant presque 3 ans, Versinthe sera la seule Absinthe en France.

    La formule est en tout point identique aux meilleures Absinthes de l’époque. Elle respecte toutefois la législation qui limite le taux de thuyone à 35 ppm (la thuyone est une substance active que l’on extrait de l’Absinthe quand on la fait macérer).

    Pour Versinthe, l’aventure commence. Dès les premiers mois, elle s’exporte dans tous les pays d’Europe, où il a fallu parfois affronter les autorités, comme en Allemagne et en Italie. « Nos produits ont été saisis puis relâchés après analyse et constatation de la conformité des produits».

    En 2000, au Canada, le premier container est bloqué à Québec. En effet, ils détectent à l’analyse de la thuyone, ce qui est logique, mais pour eux la tolérance serait zéro. Pascal Rolland contacte des avocats qui font valoir qu’il n’y a aucune législation sur les taux de thuyone au Canada. Dans ce cas la loi prévoit que la législation du pays d’origine s’applique. C’est donc la loi Française qui permet de débloquer la situation. Pascal Rolland devra même négocier avec le chimiste du département de la santé du Canada un taux de thuyone qui semble raisonnable pour les expéditions à suivre et qui sera provisoirement fixé à 5 ppm.

    Versinthe se développe et s’exporte de plus en plus, le Japon puis la Chine viennent consacrer son développement. Versinthe gagne près de 20 médailles dans plus de 5 pays (France, USA, Angleterre, Chine …) pour devenir une référence sur le marché.

    En 2005, la Suisse, puis les Etats Unis en 2008, finissent par autoriser l’Absinthe sur leur territoire adoptant à chaque fois les mêmes normes que celles définies en France.

    Entreprise du Patrimoine Vivant

    En 2007, la Liquoristerie de Provence se voit attribuer le prestigieux label «Entreprise du Patrimoine Vivant » pour avoir réintroduit l’Absinthe. Si la France a été pionnière dans le retour de l’Absinthe, elle est désormais à la traîne. « En effet, nous sommes le seul pays où il faut encore étiqueter « aux Plantes d’absinthe » alors qu’à l’export, nous étiquetons « ABSINTHE ». Cela pénalise la France puisque cela nous oblige à détenir deux stocks ».

    C’est en 2010 que les producteurs Suisses tentent de spolier la France en déposant une demande d’IGP sur l’Absinthe. Si elle est acceptée, les Suisses seront alors les seuls à pouvoir utiliser l’appellation Absinthe, alors que la production principale se fait en France.

    Cette tentative absurde et pernicieuse provoque la colère des producteurs français qui vont s’appuyer sur la Fédération Française des Spiritueux pour faire opposition, et aussi alerter le gouvernement sur l’absurdité de ne pas légiférer pour rétablir en France l’appellation Absinthe.

    Le parlement et le gouvernement réagissent et c’est finalement l’abrogation de la loi de 1915 confirmée par le sénat qui permet :

    1. de sortir de l’hypocrisie,
    2. de créer une définition légale de l’Absinthe et donc d’assainir un marché qui a été envahi par de vulgaires copies.

    En effet, profitant du vide juridique et de la méconnaissance du public, des opérateurs peu scrupuleux se sont mis à proposer de fausses absinthes (sans anis, de couleur vert fluo, noire et même parfois rouge). Tout cela nécessite un éclaircissement et c’est le rôle leader de Versinthe que d’expliquer ce qu’est une vraie Absinthe.

    2010 : le repas gastronomique Français (dont nous faisons partie puisque sont nommément désignés l’apéritif et le digestif), obtient son inscription au patrimoine culturel immatériel mondial de l’humanité par l’UNESCO. Cette inscription conforte et met en valeur notre labellisation comme « Entreprise du Patrimoine Vivant ».

    Dossier réalisé par Michel Godet avec Michèle Piron-Soulat

    Pour lire la suite de cet article

  • Jeanne Moreau dans le tourbillon de la vie

    Propos recueillis par Dominique Borde et Marie-Noëlle Tranchant
    31/01/2008 | Mise à jour : 18:39 |

    Crédits photo : ASSOCIATED PRESS

    À l'occasion de ses soixante ans de carrière la comédienne fait l'objet d'une grande rétrospective à la Cinémathèque française.» VIDÉO INA - L'interview de Jeanne Moreau par Marguerite Duras (Marguerite Duras, un rôle magistralement interprété par Jeanne Moreau en 1981 dans «Cet Amour-là», de Josée Dayan)

    Quelle actrice! Quelle femme! Avec Jeanne Moreau tout se confond en soixante années d'une carrière de plus de cent films, de dizaines de pièces, de téléfilms, d'écrits et d'interventions. D'Ascenseur pour l'échafaud au Procès, de La Reine Margot au Journal d'une femme de chambre, des Liaisons dangereuses aux Valseuses, elle n'a pas arrêté de tourner, de parler. Non pas d'elle mais des autres, de ses rencontres, Malle, Truffaut, Losey, Welles, de son métier, de ses découvertes, du futur. Car elle est toujours tournée vers l'avenir. Aujourd'hui, alors que le festival Premiers Plans d'Angers vient de la fêter, la Cinémathèque française lui rend hommage du 6 février au 3 mars en programmant plus d'une cinquantaine de films (le 9 à 17 heures une rencontre sera organisée salle Henri-Langlois avec Serge Toubiana). Elle qui n'aime pas se retourner sur le passé a toutefois accepté de réagir à certains mots, certains noms qui ont jalonné sa vie et ses rôles.

    Enfance «J'écris beaucoup de discours sur les autres souvent à l'occasion de remises de décorations, et ce qui m'intéresse, c'est de chercher l'enfant qui est en eux. Ma nature s'est dessinée dès que j'ai commencé à écrire… à quatre ans. Mon oncle m'envoyait des lettres et j'ai vite compris que la lecture, c'est la liberté. J'avais un petit copain que je terrorisais, son père était médecin et avait une grande bibliothèque. C'est là que j'ai découvert La Faute de l'abbé Mouret de Zola à 7 ans. Et je puisais aussi dans la «Bibliothèque verte » et la collection des «Contes et légendes.»

    Temps «Je le vis comme un trésor. Cela permet d'avancer, de faire des progrès, de découvrir des tas de choses. La vie a une fin inéluctable, on a juste le temps qu'il faut pour aller à la découverte. Dans la rétrospective de la Cinémathèque, j'ai tenu à faire figurer des films de mes débuts, pour qu'on voie l'évolution.»

    Vocation «Le choc s'est produit en voyant l'Antigone d'Anouilh pendant l'Occupation. Elle incarnait l'insoumission de celle qui acceptait de mourir pour rétablir le droit divin contre Créon, la force de l'État. La vocation a une dimension presque sacrée. C'est un engagement et c'est vrai pour beaucoup de comédiens. Une vocation ce n'est pas une envie. C'est quand on sait qu'on doit faire cela et pas autre chose. C'est intraduisible avec des mots, comme la musique. C'est ce que me disait encore hier Barenboïm. Sur scène, c'est comme un orchestre, on s'écoute les uns les autres et on écoute la résonance en soi. On est traversé, on n'y est pour rien. Je me compare à un tuyau d'arrosage !»

    Star «Je ne me vis absolument pas comme une star. Je n'y ai jamais pensé et je n'ai aucun souci de mon image. J'ai débuté au cinéma avec les grandes stars de l'époque, comme Fernandel dans Meurtre, ou Gabin dans Gas Oil, et cela s'est passé très naturellement. Ils se sont montrés simples et gentils. Je me souviens de Gabin : on l'entendait venir de loin. Mon enthousiasme l'amusait. Il disait: “Il y en a une qui chante ! Elle est contente de faire du cinéma ! Ça te plaît, hein ?” Oui, ça me plaisait…»

    Louis Malle «Il y avait en lui une insatisfaction profonde, une quête désespérée, comme une cassure. Il venait d'une famille bourgeoise et essayait d'en sortir. Comme Truffaut, il avait cet amour des femmes. Tous les grands cinéastes quand ils choisissent une héroïne et aussi un héros sont dans une relation amoureuse, parce qu'ils emprisonnent une personne, la mette à leur service. Un tournage, c'est une intimité incroyable, une accélération du temps et des émotions.»

    Scandale «Les Amants, Eva, Jules et Jim ont fait scandale à l'époque et quand dans la rue, on me traitait de putain après Eva, je comprends ce qu'on voulait dire. Mais ce n'est pas mon métier de me cacher…»

    François Truffaut «Il me l'a dit après, avec Jules et Jim il voulait laisser son empreinte. J'avais une image assez dramatique, j'étais la pensive, la fatale. Là il m'a voulu joyeuse. Mais nous nous sommes brouillés quand j'ai réalisé mon premier film, Lumière. Je lui ai envoyé mon scénario et il me l'a renvoyé, complètement annoté.

    Ce n'était plus mon film mais le sien et je le lui ai renvoyé. Bien plus tard, nous nous sommes revus et il m'a dit: “Les plus grandes rivalités ne sont pas entre actrices comme je le croyais mais entre réalisateurs”.»

    Luis Bunuel «Nous avions deux projets qui n'ont pas abouti : Au-dessous du volcan et Le Moine. C'était un homme adorable… Bien après sa mort quelqu'un m'a envoyé des photos de sa maison à Mexico, entièrement vide. C'était déchirant. Là-bas il avait un bar bien rempli avec un plan du métro de Paris affiché au mur.»

    Écriture «J'aime écrire mais je n'ai pas toujours le temps nécessaire au milieu de toutes mes activités. Là je vais partir pour Berlin présenter le film d'Amos Gitaï One Day you'll Understand, et avant j'enregistre en français, en anglais, en italien, les textes qui accompagnent le musée itinérant commandé par Karl Lagerfeld. Un parcours initiatique vocal pour suivre sept cents pièces conçues par une architecte iranienne.»

    La politique «On ne peut pas la regarder de loin parce qu'elle a des conséquences directes sur notre vie quotidienne. Aujourd'hui, il y a une accumulation de décisions quelquefois contradictoires qui accroissent un sentiment d'instabilité. Les gens sont très anxieux pour leur avenir, pour la pérennité du travail. Celui-ci n'est pas seulement un moyen de gagner sa vie, c'est aussi l'accomplissement d'un individu, une façon d'exister. En province où je me rends souvent, l'inquiétude est palpable.

    Bien sûr que les choses doivent changer. Mais la familiarité ne veut pas dire la compréhension, et la compassion fugitive ne veut pas dire que l'on s'intéresse vraiment aux autres!»

    Politique spectacle «Il ne faut pas mélanger les deux. Dire que les politiciens font du cinéma, c'est dire du mal du cinéma.»

    Hommages «C'est agréable mais encombrant ! L'abondance embarrasse et arrête.»

    Jeunesse «J'ai tourné jeune avec de jeunes réalisateurs : Orson Welles qui était un roi en exil, Losey qui fuyait le maccarthysme, Tony Richardson qui incarnait la nouvelle vague anglaise. J'ai souvent fait des premiers films et j'en vois aussi beaucoup. D'où mon intérêt pour le festival Premiers Plans d'Angers consacré aux réalisateurs débutants. J'ai lancé il y a quatre ans les Ateliers d'Angers où on sélectionne des réalisateurs pour leur permettre de faire leur premier long-métrage. Cette année, il y en aura sept que nous prenons en charge pendant dix jours en les mettant en rapports avec toutes les techniques (son, décors, images, régie). J'aime éveiller leurs possibilités. Certains trouveront leur voie soit dans l'écriture, soit dans la photographie. Angers, c'est la pouponnière de Cannes.»

    Les films préférés «Je n'en ai pas. Je suis faite de tout ce que j'ai fait. Je ne porte pas de jugement. C'est au public de décider. Pour moi, toutes les expériences ont été enrichissantes. On apprend autant en tournant avec des metteurs en scène insuffisants, car même quand on est déçu on doit donner le maximum. Je suis un petit soldat!»

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  • Sa Majesté la Pléiade

    est des honneurs qui ne se refusent pas. Julien Gracq opposa une fin de non-recevoir au jury du prix Goncourt qui avait célébré en 1951 Le Rivage des Syrtes. Jean-Paul Sartre déclina, lui, en 1964, le prix Nobel de littérature. Mais aucun des deux ne refusa d'être publié dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade.

    Intégrer ce catalogue, c'est intégrer une famille qui compte parmi ses membres Voltaire, Pascal, Balzac, Hugo, Rimbaud, Proust... Une sorte de passeport pour l'éternité. Comme le dit Hugues Pradier, le directeur éditorial de la collection depuis 1997, «s'il est difficile d'entrer dans la Pléiade, il est encore plus rare d'en sortir». On comprend mieux dès lors l'énergie que mirent certains, pareils à des courtisans s'en allant quérir un titre à grand renfort de courbettes, pour obtenir ce précieux sésame de leur vivant, plutôt que de laisser le temps décider d'une éventuelle pos térité.

    Qu'on songe seulement, alors que la Pléiade vient de lui consacrer un cinquième volume (lire page 81), à la pugnacité d'un Louis-Ferdinand Céline. Pendant des années, l'écrivain harcela de courriers et d'invectives Gaston Gallimard. Voir sa lettre du 24 octobre 1956 : «Cher ami. Les vieillards, vous le savez, ont leurs manies. Les miennes sont d'être publié dans la Pléiade (...). Je n'aurai de cesse, vingt fois que je vous le demande. Ne me réfutez pas que votre conseil, etc., etc. tout alibis, comparses, employés de votre ministère (...) MM. Soupe qui se lavent les pieds et jouent de la trompette, entre deux vacances et treize maladies. C'est vous la Décision. Vous avez donc la bonté de me faire part de votre décision. Ministre et homme d'affaires... celle que je vous propose est excellente. (...) La Pléiade et pas dans vingt ans, quand je serai mort ! non ! tout de suite ! cash !» Il lui faudra se montrer encore patient et envoyer d'autres missives en forme de mis siles («Vous n'aurez pas mon prochain livre, c'est tout, si je ne suis pas à la Pléiade dans trois mois, le reste est bla-bla et fa tigue...», écrit-il un an plus tard) avant d'obtenir gain de cause. Mais celui qui suppliait d'être«pléiadé avant d'être décédé» n'aura pas gain de cause : il meurt en 1961, quelques mois avant la parution du Voyage et de Mort à crédit en Pléiade.

    André Gide joue les entremetteurs

    Etrange fortune que celle de ce missel littéraire. Son succès ne se dément pas depuis son origine. Il faillit pourtant lui être fatal. Nous sommes en 1933. Au 6 rue Tournefort, à Paris, Jacques Schiffrin, fondateur et propriétaire des Editions de la Pléiade, est au bord de la ruine. SonBaudelaire, paru en 1931 dans une forme inédite pour l'époque (11 x 17,5 cm), sous une reliure souple pleine peau dorée à l'or fin, sonEdgar Poe (encore du Baudelaire, puisqu'il s'agit des œuvres en prose de Poe traduites par le poète), sonRacine et la dizaine d'autres titres qu'il publie se vendent comme des petits pains. Mais il ne parvient pas à faire face aux nouvelles commandes. Les ouvrages de la collection qu'il vient d'inaugurer (inspirée par ses voyages à l'étranger, elle consiste à publier pour la première fois en France les grands classiques dans des volumes luxueux de poche) lui coûtent une fortune à éditer. Il est à court de liquidités et confronté à des problèmes de logistique insolubles. Heureusement, André Gide est là. L'auteur de La Porte étroite suit de près les initiatives de ce Russe, élégant et cultivé, fraîchement débarqué à Paris. Il se lie d'amitié avec lui, lui confie plusieurs manuscrits et l'invite volontiers à Cuverville, où il profite des leçons de piano de Youra Guller, la première épouse de l'éditeur. Quand paraît le premier volume de la Biblio thèque de la Pléiade, il lui écrit :«Votre petit Baudelaire me ravit : c'est une merveille de présentation. L'appareil critique à la fin du volume est précieux. C'est décidément votre Baudelaire que je prendrai dans ma valise comme compagnon de voyage, de préférence à toute autre édition.»

    Face à la perspective d'une banqueroute des Editions de la Pléiade, Gide insiste lourdement auprès de Gaston Gallimard pour que ce dernier rachète l'affaire. Gaston hésite. Il est perplexe face à cette maison à la politique de tirages limités, et qui fonctionne à contre-courant des usages de l'édition française. Finalement, il obtempère. Il n'aura jamais à le regretter : chaque année, bon gré mal gré, la Pléiade assure près de 20 % du chiffre d'affaires de Gallimard. Ni le départ, en novembre 1940, de Schiffrin contraint à l'exil par la première loi sur le statut des Juifs, ni les changements et les successions au sommet de la maison de la rue Sébastien-Bottin, ni les polémiques ne viendront contredire son succès. Si certains se plaisent à moquer les choix commerciaux de la Pléiade, l'absence supposée de risque que prend la maison, Hugues Pradier défend le contraire. Et de citer la publication, en 2005, de 22 romans de Ramuz «que personne ne nous demandait, à l'exception de sa famille et de quelques spécialistes de l'écrivain suisse» et qui fut un beau succès. La Pléiade a une fonction «légitimante». Elle est devenue une «bibliothèque de l'admi ration», selon l'expression d'André Malraux.

    Aujourd'hui, Gallimard continue de publier onze volumes par an qu'il écoule en moyenne à 300 000 exemplaires. Sa recette est immuable : un «miracle sans cesse renouvelé d'un objet matériel qui se marie à un objet intel lectuel», comme la décrit son directeur éditorial. Proust, Camus, Céline, Tolstoï, Verlaine, Flaubert, Zola, Stendhal et Balzac figurent parmi les best- sellers de la collection. Au firmament : Saint-Exupéry, dont les œuvres complètes atteignent les 400 000 ventes. Sans compter les albums offerts chaque année pendant la quinzaine de la Pléiade par les libraires. Tirés à 40 000 exemplaires, ils sont très recherchés par les collectionneurs. Aux enchères, les premiers albums datant des années 60 peuvent atteindre les 400 ou 500 euros. Parmi les plus courus : L'Anthologie sonore de la Pléiade.

    Tranche dorée à l'or fin 24 carats

    Au-delà des garanties littéraires qu'assure cette collection bientôt octogénaire, les bibliophiles apprécient ces ouvrages fabriqués avec un soin digne de la haute couture. Impression sur papier bible de 36 grammes, format et typographie inchangés, couverture souple à la tranche dorée à l'or fin (24 carats) : pour réaliser ce travail d'artisan, Gallimard fait appel depuis toujours aux mains expertes des ateliers Babouot, à Lagny-sur-Marne. C'est ici qu'est découpé, assemblé et cousu en cahiers le papier bible, avant d'être emboîté sous la couverture en cuir véritable. Preuves du soin tout particulier mis à faire de cette collection un produit de luxe, les 50 000 peaux de mouton que nécessite la production annuelle de la Pléiade sont envoyées depuis la Nouvelle-Zélande. Les grands es paces, l'absence de fil de fer barbelé, qui pourrait déchirer le cuir, assurent des couvertures sans défaut. Avantage ? Rendre presque impossible leur contre façon. Il existe de rares tenta tives asiatiques : de très gros sières imitations, en vérité.

    La Pléiade se porte bien, ne souffre pas de la concurrence. Si bien qu'Antoine Gallimard n'hésite plus aujourd'hui à publier des textes plus difficiles, ouvrant sa collection à la littérature extra-européenne. Il a bien quelques regrets qu'il s'attache à transformer en espoirs : Beckett, par exemple. Jérôme Lindon, le patron des Editions de Minuit, lui oppose toujours une fin de non-recevoir... En attendant, il a lancé un volume consacré à Drieu La Rochelle. Sans craindre la polémique.

    http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2010/01/23/01006-20100123ARTFIG00281--sa-majeste-la-pleiade-.php

  • Italie, le Grand Tour : dans le miroir de la photographie au XIXe siècle par Giovanni Fanelli et Barbara Mazza

    Publié le par Aurore Mosnier

     

    Aimez-vous les vieilles pierres, et les lieux chargés d’Histoire ? Avez-vous déjà eu la chance de visiter l’Italie ? Vous êtes-vous déjà imaginé déambuler dans les rues de Rome il y a un siècle ? Si vous avez répondu par l’affirmative à l’une de ces questions, la présentation de l’ouvrage qui va suivre va sans doute vous intéresser.

    J’ai récemment eu la chance d’être invitée à l’Institut culturel italien afin de découvrir Italie, le Grand Tour par deux auteurs italiens : Giovanni Fanelli (professeur d’histoire de l’architecture à l’Université de Florence, directeur de collections) et Barbara Mazza (docteur en histoire de l’architecture et de l’urbanisme, directrice photo).

    Couverture Italie, le Grand Tour

    Couverture Italie, le Grand Tour

    Le Grand Tour, c’est ce voyage initiatique de deux à trois ans, effectué par les élites européennes à travers le continent afin de parfaire leur éducation au XVIIIe et XIXe siècles. La principale destination de ce voyage était bien sûr l’Italie pour son foyer artistique foisonnant, l’occasion pour les jeunes voyageurs de parfaire leur éducation classique. C’est à ce voyage initiatique à travers des photographies d’époque par des artistes réputés (Leopoldo Alinari, Alphonse Bernoud, Robert Macpherson, Robert Rive, Giorgio Sommer…) que nous convie cet ouvrage.
    Neuf destinations vous attendent : Turin, Gênes, Milan et les grands lacs, Venise et la Vénétie, Bologne, Florence et la Toscane, Rome, Naples et la Campanie, la Sicile.

    Ces séries ont été réalisées en Italie au moment même des débuts de la photographie, aux origines de la discipline. Il s’agit alors de capturer une Italie de jadis qui n’existe plus mais dont l’âme perdure. En plus des légendes accompagnant les photographies, le texte est émaillé de citations d’auteurs du XIXe siècle ayant eux-mêmes effectué leur Grand Tour. S’élèvent tour à tour les voix d’Alexandre Dumas, Théophile Gautier, Henry James, Emile Zola… qui apportent le langage littéraire aux supports visuels. L’occasion pour le lecteur de découvrir les débuts des fouilles archéologiques de Pompéi et Herculanum, Venise et ses canaux ou les jardins de la Villa Médicis, d’explorer ce qui dans l’Italie d’hier se retrouve dans l’Italie d’aujourd’hui.

    Turin – La Piazza Vittorio Emanuele I et le pont sur le Pô

    Sur l’axe du pont, au-delà de la place (aujourd’hui, Piazza Vittorio Veneto), on remarque l’enfilade de la Via Pô jusqu’à la Piazza Castello et la colline. Sur le pont, on repère les voies typiques de passage pavées.

    Turin - La Piazza Vittorio Emmanuelle I et le pont sur le Pô - Atelier de Giacomo Brogi, vers 1870 ; tirage sur papier albuminé, stéréoscopie. Détail. © Barbara Mazza - Giovanni Fanelli

    Turin – La Piazza Vittorio Emmanuelle I et le pont sur le Pô – Atelier de Giacomo Brogi, vers 1870 ; tirage sur papier albuminé, stéréoscopie. Détail. © Barbara Mazza – Giovanni Fanelli

    « Quelles places austères et solennelles ! Et le style du palais, sans prétention ; les rues propres et graves -, et tout bien plus digne que je ne m’y attendais ! Les plus beaux cafés que j’ai jamais vus ! Avec un climat si variable, ces arcades semblent correspondre à une nécessité ; elles sont si spacieuses qu’elles ne vous accablent pas. Soirées sur le pont du Pô : magnifique ! Par-delà le Bien et le Mal ! »

    Friedrich Nietzsche, Lettre à Peter Gast, 7 avril 1888, lettre 247.

     

    Le lac de Côme – Le Port de Bellagio

    Au XIXe siècle, Bellagio devint un lieu de villégiature à la mode pour l’aristocratie lombarde et internationale. Au premier plan s’alignent de petites embarcations lacustres recouvertes d’une toile tendue sur une armature en bois en arc de cercle. La nav ou navet, bateau à fond plat de forme évasée, utile au transport de marchandises ou à la pêche, était dotée d’un mât pour supporter une voile rectangulaire, hissée lorsque le vent était favorable. Il naviguait néanmoins le plus souvent l’aide de rames, sa coque glissant aisément sur la surface de l’eau, tandis que le mât était placé à l’horizontale au-dessus de l’armature cintrée.

    Le Lac de Côme - Le port de Bellagio - Carlo Bosetti, vers 1885 ; tirage sur papier albuminé, 19,5 x 25. Détail. © Barbara Mazza - Giovanni Fanelli

    Le Lac de Côme – Le port de Bellagio – Carlo Bosetti, vers 1885 ; tirage sur papier albuminé, 19,5 x 25. Détail. © Barbara Mazza – Giovanni Fanelli

     

    Venise – La Ca’d’Oro

    Pour certains, les gondoles auraient été peintes en noir suite à une épidémie de peste survenue en 1630 et qui fit cinquante mille victimes ; pour d’autres, afin de freiner leur ornementation de plus en plus luxueuse, une ordonnance fut émise au XVIe siècle imposant à toutes le noir.

    Venise - La Ca' d'Oro - Robert Rive, vers 1870 ; tirage sur papier albuminé, 19,5 x 25,5. © Barbara Mazza - Giovanni Fanelli

    Venise – La Ca’ d’Oro – Robert Rive, vers 1870 ; tirage sur papier albuminé, 19,5 x 25,5. © Barbara Mazza – Giovanni Fanelli

    « Le gondolier incline soit davantage au gracieux -c’est selon-, lorsqu’il se tient dans « la deuxième position » d’un maître à danser, mais en s’autorisant dans le redressement de la taille une liberté de mouvement que désapprouverait ce technicien. […] Rien ne saurait être plus beau que la façon ample et ferme avec laquelle, de sa position avantageuse, il se lance par-dessus son terrible aviron. Cela possède la hardiesse d’un oiseau plongeur et la régularité d’un pendule. »

    Henry James, Venice, 1882, dans Italian Hours, 1909.

     

    Florence – L’Arno et le Ponte Santa Trinita

    Sommer compose avec une grande maîtrise de son art les éléments du tableau : le long ruban du quai de l’Arno, animé seulement par une charrette arrêtée au bord du trottoir, le Ponte Santa Trinita, le Ponte Vecchio et, dans le fond, la colline de San Miniato, baignés dans la lumière intense de midi.

    Florence - L'Arno et le Ponte Santa Trinita - Giorgio Sommer, vers 1865 ; tirage sur papier albuminé, 18 x 24,5. © Barbara Mazza - Giovanni Fanelli

    Florence – L’Arno et le Ponte Santa Trinita – Giorgio Sommer, vers 1865 ; tirage sur papier albuminé, 18 x 24,5. © Barbara Mazza – Giovanni Fanelli

    « Ma chambre d’hôtel donnait sur le fleuve et était toute la journée inondée de soleil. Il y avait sur les murs un absurde papier peint orange ; l’Arno, d’une nuance à peine différente, coulait en bas, et sur l’autre rive s’élevait la rangée des maisons jaunâtres, d’une extrême antiquité, moisissant et s’effritant, saillant et se bombant au-dessus du courant. […] Tout cet éclat et tout ce jaune étaient un perpétuel délice ; cela faisait partie du charme indéfini de la couleur dont Florence semble partout se parer où que vous posiez les yeux à partir du fleuve, de ses ponts et de ses quais. »

    Henry James, Italy Revisited, 1877, dans Italian Hours, 1909.

     

    Rome – Le jardin de la Villa Médicis

    A la limite orientale de la terrasse qui s’étend devant la Villa Médicis, l’enfilade de statues, de sarcophages, de bancs et de pins suit le tracé des murs d’Aurélien. Au premier plan, à la marge droite, l’imposante statue de Minerve est mise en rapport en fonction d’un calcul précis avec la colonne sur piédestal que l’on aperçoit à l’arrière-plan à gauche. Les éléments verticaux se découpent sur un ciel dégagé, dans la lumière estivale de la mi-journée. Au centre, la présence discrète d’un vieil homme assis sur un banc créé un contrepoint symboliquement fort entre la jeunesse éternelle de la Minerve de marbre et la vie contemporaine soumise à l’érosion du temps. La statue de Minerve fait partie de l’ambitieux programme voulu par le cardinal Alessandro dei Medici qui fit l’acquisition du terrain en 1576. Amateur d’antiquités, il avait conçu la villa et le jardin comme un ensemble théâtral et scénographique d’œuvres d’art antiques. De Bonis a également réalisé ce cadrage en format horizontal.

    Rome - Le jardin de la Villa Médicis - Adriano De Bonis, vers 1855-1860 ; tirage sur papier albuminé, 25 x 19,5. © Barbara Mazza - Giovanni Fanelli

    Rome – Le jardin de la Villa Médicis – Adriano De Bonis, vers 1855-1860 ; tirage sur papier albuminé, 25 x 19,5. © Barbara Mazza – Giovanni Fanelli

     

    Naples – La via Pallonetto di Santa Lucia

    La rue monte, par larges marches, de Santa Lucia à Monte di Dio. De part et d’autre, il basso, l’habitation typiquement napolitaine : une pièce unique pour une famille entière, dépourvue quasiment de toute installation hygiénique, directement ouverte sur la rue, étouffante l’été, humide l’hiver lorsqu’elle était chauffée par un brasier ou simplement par les fourneaux de la cuisine, à peine différente d’une grotte.

    Naples - La Villa Pallonetto di Santa Lucia - Giorgio Sommer, vers 1885 ; tirage sur papier albuminé, 25 x 20. Détail. © Barbara Mazza - Giovanni Fanelli

    Naples – La Villa Pallonetto di Santa Lucia – Giorgio Sommer, vers 1885 ; tirage sur papier albuminé, 25 x 20. Détail. © Barbara Mazza – Giovanni Fanelli

     

    Palerme – Charrette sicilienne

    Au loin, la silhouette du Monte Pellegrino. Les charrettes appartenaient aussi bien au quotidien sicilien qu’au mythe folklorique de l’île. Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, elles commencèrent à être décorées et devinrent ainsi une expression paradigmatique de l’art populaire, ici, mis en valeur par la retouche de couleurs.

    Palerme- Charrette sicilienne - Giorgio Sommer, vers 1870 ; tirage sur papier albuminé colorié à la main, 20 x 25. © Barbara Mazza - Giovanni Fanelli

    Palerme- Charrette sicilienne – Giorgio Sommer, vers 1870 ; tirage sur papier albuminé colorié à la main, 20 x 25. © Barbara Mazza – Giovanni Fanelli

    « Ces charrettes, de petites boîtes carrées haut perchées sur des roues jaunes, sont décorées de peintures naïves et bizarres qui représentent des faits historiques ou particuliers, des aventures de toute espèce, des combats, des rencontres de souverains, mais, surtout, les batailles de Napoléon Ier et des Croisades. Une singulière découpure de bois et de fer les soutient sur l’essieu ; et les rayons de leurs roues sont ouvragés aussi. La bête qui les traine porte un pompon sur la tête et un autre au milieu du dos, et elle est vêtue d’un harnachement coquet et coloré, chaque morceau de cuir étant garni d’une sorte de laine rouge et de menus grelots. Ces voitures peintes passent par les rues, drôles et différentes, attirent l’œil et l’esprit, se promènent comme des rébus qu’on cherche toujours à deviner. »

    Guy de Maupassant, La Vie errante, 1890.

     

    Cet ouvrage n’est pas simplement une collection de jolies photos d’une Italie révolue. Il est un puissant évocateur de mémoire. En le lisant, je me suis promenée en compagnie d’Oscar Wilde parmi les ruines de Taormine, projetée parmi les scientifiques ayant mis à jour Pompéi et j’ai songé à Stendhal et à son fameux syndrome. Italie, le Grand Tour m’a fait remonter le temps mais il m’a également surprise en me ramenant dans mon propre siècle. Quel étonnement de découvrir que, de nos jours, la Piazza della Signoria à Florence n’a pas changée ou si peu. Seul le style vestimentaire des touristes semble marquer le passage du temps. Un livre à l’image de la photographie de couverture : un instantané, un instant fugace mais suspendu à travers le temps.

    Italie, le Grand Tour : dans le miroir de la photographie au XIXe siècle
    de Giovanni Fanelli & Barbara Mazza aux Editions Nicolas Chaudun
    26 x 24 cm / 356 pages

    ,
     http://aurorartandsoul.com/2014/03/05/italie-le-grand-tour-dans-le-miroir-de-la-photographie-au-xixe-siecle-par-giovanni-fanelli-et-barbara-mazza/

     

  • Vincent Van Gogh, artiste génial ou produit de consommation?

     

    Portrait de l'artiste au chevalet © Amsterdam, Van Gogh Museum (Fondation Vincent van Gogh).

    Portrait de l'artiste au chevalet © Amsterdam, Van Gogh Museum (Fondation Vincent van Gogh). Crédits photo : Patrice Schmidt

    FIGAROVOX - A l'occasion de la de la superbe exposition du Musée d'Orsay consacrée à Van Gogh et de la parution du magnifique numéro du Figaro Hors- Série, FigaroVox publie l'éditorial de Michel De Jaeghere.

    Michel De Jaeghere est journaliste et écrivain. Il est le directeur du Figaro Hors-Série et du Figaro Histoire


    Crédits photo : MOSSE BARBAUX Patricia

    Il est bien vrai qu'il fut une âme de feu. Possédé par le désir de produire une œuvre qui, le hissant au-dessus du médiocre, le sauverait du désespoir. La volonté de réinventer une écriture qui, par-delà la surface des choses, donnerait à voir ce qui n'est visible que par le cœur. Dévoré par le projet de faire sentir, dans ses toiles, les convulsions qui animent la nature, d'y traduire la ferveur de ses émotions par la franchise du trait, le pathétique d'une touche lourdement appliquée, d'y explorer le fond des âmes.

    Vrai aussi que sa vie est fascinante, qu'elle accumule les caractères de l'artiste voué à la malédiction, tant la douleur y semble avoir été omniprésente, les échecs répétés, les zones de noirceur et d'ombre en singulier contraste avec le caractère solaire de quelques-unes de ses toiles: la pauvreté, l'alcool, la solitude, la faim, les crises d'aliénation, le suicide comme point final à un interminable chemin de croix. Et la gloire, posthume, arrivée trop tard pour consoler l'inconsolable. La spéculation désormais sans limites sur les œuvres d'un peintre qui n'avait, de son vivant, réussi à vendre qu'un seul de ses tableaux, et que poussa en définitive à la mort volontaire le sentiment d'être une charge pour les siens.

    «L'histoire des grands hommes ressemble à un drame, écrivit un jour Van Gogh à son frère Theo dans une lettre étrangement prémonitoire. Dans la plupart des cas, ils ont disparu au moment où on rendait publiquement hommage à leur œuvre, et de leur vivant ils ont été en butte à l'hostilité de leurs adversaires, ils ont dû surmonter bien des difficultés pour tenir le coup. Chaque fois que j'entends parler d'un hommage public aux mérites d'un tel ou d'un tel, je me représente nettement les figures effacées, sombres, de ces hommes qui avaient peu d'amis - et je les trouve ainsi, dans leur simplicité, plus grands et plus navrants.»

    N'empêche: avec Van Gogh, la légende finirait, si l'on n'y prenait garde, par occuper tout l'espace. Par nous faire oublier que ce qui compte, à l'épreuve du temps, ce n'est pas la tragédie de son existence, mais le talent visionnaire du peintre.

    Nous le voulons hagard, demi-fou, inventant un monde dans les transes d'une semi-inconscience.

    Parce que sa peinture est brutale, dans sa volonté d'atteindre, par la naïveté, à la poésie de la vie quotidienne, parce qu'elle est immédiatement accessible, avec ses contrastes violents, ses couleurs éclatantes, on a brodé autour du roman noir de sa vie la plus trompeuse des fables: celle qui met en scène, en Van Gogh, un être fruste, un dément saisi par un génie qu'il aurait eu lui-même quelque peine à maîtriser et à comprendre. Sa folie, ses colères, ses désordres, son regard halluciné sur le tournoiement du ciel nous parlent violence et passion. Ils donnent à son destin un relief, un piquant, où notre curiosité trouve à s'attarder un instant. Nous n'avons que faire des témoignages qui le montrent curieux, jovial ou plein d'humour, de son sens aigu de l'observation, de sa facilité à se lier, de son honnêteté scrupuleuse, de sa générosité exemplaire. Nous ne nous intéressons pas aux goûts littéraires d'un homme qui parlait quatre langues, avait lu Hugo, Balzac, Zola, Michelet, Diderot ou Voltaire et se révèle, dans sa correspondance, comme un savoureux prosateur ; nous ne voulons rien savoir de l'empreinte en lui d'une religion sans pardon, rien entendre de ses protestations d'admiration pour Rembrandt, Hals, Chardin, Delacroix ou Rubens. Nous le voulons hagard, demi-fou, inventant un monde dans les transes d'une semi-inconscience.

    Il nous justifie d'avoir transformé Van Gogh en produit de grande consommation.

    On comprend que le musée d'Orsay ait choisi de donner pour fil rouge à la splendide exposition qu'il lui dédie aujourd'hui le court essai que lui avait consacré, en 1947, Antonin Artaud. Scandalisé par la lecture du commentaire du Dr Beer, qui avait diagnostiqué en Van Gogh, post mortem, une schizophrénie «du type dégénéré», Artaud, qui avait fait lui-même pendant neuf années l'expérience de l'enfermement parmi les aliénés, y avait pourfendu l'idée selon laquelle Vincent aurait été un peintre fou, dont la peinture ne nous fascinerait par son inventivité, sa puissance, que parce qu'elle serait, in fine, l'expression d'une maladie mentale. Dans un texte écrit d'un seul jet, une langue incantatoire, où les mots se bousculent pour scander la pensée, lui donner un tour passionné, oratoire ; où l'autoportrait perce jusque dans la chaleur du plaidoyer, il avait clamé avec une force, une violence qui n'avaient pas altéré en lui la finesse, le bonheur d'expression, que le ressort du génie de Van Gogh, ce peintre «le plus vraiment peintre de tous les peintres», résidait au contraire dans la «lucidité supérieure» qui lui avait fait voir «plus loin, infiniment et dangereusement plus loin que le réel immédiat et apparent des faits». Qu'il avait été, avant tout, le poète de «la couleur roturière des choses», l'«organiste d'une tempête arrêtée», le seul qui ait «absolument dépassé la peinture, l'acte inerte de représenter la nature pour (…) faire jaillir une force tournante, un élément arraché en plein cœur».

    Artaud ne s'était pas contenté, pourtant, de cette défense de l'œuvre peinte. En désignant Van Gogh comme «le suicidé de la société», il avait soutenu en outre qu'il avait été, à sa propre image, victime de contemporains incapables de mesurer l'ampleur de son talent, et dont la sottise et l'indifférence l'avaient conduit à sa fin. Vraie ou fausse, la thèse ne manquera pas de recueillir l'adhésion du grand nombre. Elle est pour nous d'autant plus séduisante qu'elle nous renvoie de nous une image rassurante. Les imbéciles n'avaient rien compris à un génie qui les dépassait de trop haut pour qu'ils soient capables d'en saisir le caractère novateur. Nous n'avons plus de ces aveuglements: nous lui parlons à hauteur d'âme. Le contraste nous offre l'occasion de nous rengorger de la supériorité que nous avons acquise, en un peu plus d'un siècle. Il nous justifie d'avoir transformé Van Gogh en produit de grande consommation.

    « Plus j'y réfléchis, disait-il, plus je sens qu'il n'y a rien de plus réellement artistique que d'aimer les gens. »

    Vincent Van Gogh

    La question est de savoir si le peintre que nous admirons a quelque chose de commun avec celui qui signait de son seul prénom: Vincent. Sa sincérité et son exigence. Son goût du travail bien fait et son amour des humbles. «Plus j'y réfléchis, disait-il, plus je sens qu'il n'y a rien de plus réellement artistique que d'aimer les gens.» La formule l'aurait fait expulser des foires de l'art contemporain, elle aurait fait de lui la risée des plateaux de télévision.

    En tête du beau livre qu'il vient de consacrer au suicide de Van Gogh, Et Vincent s'est tu…, Benoît Landais place en exergue un autre passage de cette même correspondance: «Ce que Victor Hugo dit à propos d'Eschyle: “On tua l'homme, puis on dit: ‘élevons pour Eschyle une statue en bronze'” me revient à l'esprit chaque fois que j'entends parler d'exposition d'œuvres d'un tel, et je ne prête plus guère d'attention à la statue en bronze, non que je désapprouve l'hommage public, mais parce que j'ai alors une arrière-pensée: on tua l'homme.» Le moins que nous devions à l'œuvre de Van Gogh, c'est de ne pas la laisser éclipser par la statue de bronze que lui ont élevée les marchands.

    En vente en kiosque et sur Figarostore: Le Figaro Hors Série, 114 pages, 8, 90 euros

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      FIGAROVOX - A l'occasion de la de la superbe exposition du Musée d'Orsay consacrée à Van Gogh et de la parution du magnifique numéro du Figaro Hors- Série, FigaroVox publie l'éditorial de Michel De Jaeghere.

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  • Victor Baltard et les Halles centrales de Paris.

    La pratique urbaine de l'architecture: Victor Baltard et les Halles centrales de Paris.

    Christopher Mead, Université du Nouveau Mexique

    Christopher Mead

    Je voudrais commencer par remercier le Musée d'Orsay, et en particulier Alice Thomine-Berrada, de m'avoir invité à faire cette conférence à l'occasion de l'exposition consacrée à Victor Baltard. C'est une heureuse coïncidence que cette exposition ait lieu la même année que la parution de mon livre consacré à la carrière municipale de Victor Baltard, Faire le Paris Moderne : les halles centrales de Victor Baltard et la pratique urbaine de l'architecture. Je remercie Alice Thomine- Berrada aussi pour sa traduction habile de ma conférence.

    Conçues par Victor Baltard, les Halles centrales de Paris furent construites en plusieurs phases successives entre 1854 et 1874. Jusqu'à leur démolition en 1971, les Halles sont restées, au cœur de Paris, comme la preuve matérielle de la transformation de la ville et de sa modernisation sous la direction de Georges Eugène Haussmann, préfet de la Seine de 1853 à 1870. Premier bâtiment public dans la ville à être construit entièrement en fer, brique, verre et bois, les halles ont été un moment significatif dans l'histoire de l'architecture industrielle au dix-neuvième siècle. En même temps, les halles furent un instrument de renouvellement urbain, qui transforma un quartier médiéval délabré de Paris en un ensemble, raisonné et ordonné, de pavillons et de rues. Industrielles et utilitaires, les Halles centrales illustraient une conception radicalement nouvelle de l'architecture, qui a rompu, en apparence, avec la tradition et les modèles historiques du développement urbain, pour répondre aux nouvelles réalités économiques et nouveaux modes de fonctionnement de la ville. Comme Bertrand Lemoine l'a expliqué en 1980, les pavillons de Baltard et son système de rues couvertes étaient des machines industrielles qui "s'inscrivent […] dans un système autonome, complet, indépendant de la ville sur laquelle elles s'implantent comme un corps étranger."
    Mais est-ce que les Halles centrales étaient réellement sans rapport avec la ville historique dans laquelle elles ont été construites ? C'est la question que j'aborde dans mon livre sur Victor Baltard. J'y défends l'idée que les Halles centrales n'étaient pas étrangères à Paris, mais qu'elles ont en réalité emprunté leurs caractéristiques formelles et spatiales de constructions publiques aux espaces et formes urbaines de la ville elle-même. Dans cette conférence, je vais résumer ce raisonnement. Je vais d'abord distinguer les approches fonctionnelles et typologiques des halles. Ensuite, je considérerai comment Baltard a combiné urbanisme et architecture dans une conception qui a réconcilié la forme traditionnelle de la ville avec l'industrialisation radicale du dix-neuvième siècle.

     

    Victor Baltard et Félix CalletHalles centrales, 1854-74. Vue perspective© Musée d'Orsay / Patrice Schmidt

    Une grande part de l'histoire des Halles centrales a été comprise et expliquée en termes d'utilité, en tant qu'abris métalliques industriels dont la forme résultait directement de la fonction. Suivant l'expression des architectes modernes, la forme suit la fonction. Les dix pavillons et les rues couvertes qui composaient le marché à l'origine, ont servi en tant qu'espace spécialisé pour commercialiser et distribuer la nourriture dans une métropole croissant rapidement. Les halles étaient à la fois organisées suivant des zones, correspondant chacune à un pavillon séparé pour les différentes catégories de nourriture et intégrées par leurs rues dans un efficace réseau de transport. Appartenant au même système de circulation qui a innervé la ville de boulevards et de gares, les Halles centrales concentraient les produits alimentaires sur un site pour les distribuer de nouveau à travers la ville. Armand Husson— économiste saint-simonien, fonctionnaire municipal, et participant avec Baltard à l'organisation des halles —donna une évaluation quantifié du système dans son livre, Les Consommations de Paris, édité en 1856 et réédité en 1875.

    Avant 1872, lorsque la population de Paris atteignit presque 2 millions, Husson calcula que des Parisiens consommaient chaque année plus de 1 million de kilogrammes de produits alimentaires solides et presque 600 millions de litres de liquides. Pour satisfaire cet appétit, presque 5 millions de milliers de tonnes de marchandises étaient livrées quotidiennement par le train aux huit gares de chemin de fer de Paris. Husson évaluait que chaque jour 4500 chariots, tirés par des chevaux ou manuellement, étaient utilisés en moyenne pour transporter la nourriture dans la ville, la livrant d'abord aux Halles centrales, et la distribuant ensuite à travers Paris dans les marchés locaux, les magasins, et les restaurants.

    Victor Baltard et Félix CalletLes Halles centrales : vue intérieure du pavillon n°4© Musée d'Orsay / Patrice Schmidt
    Charles GarnierNouvel Opéra (1861-75) : façade principale © Musée d'Orsay / Patrice Schmidt
     

    En 1873, Emile Zola recourait à une métaphore déjà en usage avant 1854, lorsqu'il décrivait les Halles centrales comme le "ventre de Paris" dans son roman éponyme. Mais il s'agissait d'un ventre mécanisé de la Révolution Industrielle, "une usine moderne [ …] quelque chaudière destinée à la digestion du peuple, gigantesque ventre de métal, boulonné, rivé, fait de bois, de verre et de fonte, d'une élégance et d'une puissance de moteur mécanique." L'ère de la machine était arrivée et avec cela une nouvelle et étrange sorte d'architecture. La différence avec les bâtiments traditionnels était claire. Les monuments publics contemporains comme le nouvel opéra de Charles Garnier respectaient les conventions du classicisme français, revêtant leur structure de décors sculptés et de références aux ordres classiques, cachant l'usage important du métal derrière des façades de maçonnerie.
    L'architecture fonctionnelle des Halles centrales se dégageait de ces conventions, ne gardant que la nudité de sa structure : mur-rideau en brique, bois et verre, maintenus par une structure apparente de fonte et de fer, qui couvrait environ 40.000 mètres carrés d'espace intérieur fluide sous un toit continu, protecteur.

    En rendant floues les frontières habituelles, entre la rue et la construction, l'intérieur et l'extérieur, le public et le privé, les halles combinèrent des pavillons et des rues en un seul système, transparent et raisonné. A partir de ce moment, les constructions n'étaient plus des objets finis, fermés, enserrés par des murs de maçonnerie opaques et isolés les uns des autres par des rues et des places. Les halles rompaient avec la conception classique de l'architecture comme un tout unifié, limité et indépendant. L'architecture devenait un système additif et ouvert de répétition, d'unités interchangeables qui, de la structure aux espaces, pouvaient être prolongées indéfiniment jusqu'à ce que les demandes fonctionnelles du programme aient été satisfaites.

    Charles François Bossu, dit MarvilleVue d'une rue couverte des halles© Musée d'Orsay / Patrice Schmidt

    Cette approche utilitariste était dominante jusqu'à la démolition des Halles centrales en 1971. Depuis leur origine, l'utilisation des halles s'était complexifiée du fait de leur emplacement au cœur de Paris. Le quartier historique des Halles accueillait le marché depuis le douzième siècle. Mais le marché des Champeaux, qui était à l'origine dans un champ à l'extérieur de la ville, se trouva peu à peu absorbé dans la métropole en croissance, transformant ce site périphérique en un emplacement central. Dans une ville qui devenait rapidement plus grande, plus peuplée et saturée au dix-neuvième siècle, cette centralité a compliqué le fonctionnement des Halles : la nourriture transportée dans Paris chaque jour de l'extérieur de la ville, devait d'abord être apportée dans le centre encombré, avant d'être redistribué à chaque coin de la ville. Les Halles étaient déjà condamnées à l'obsolescence à la fin du dix-neuvième siècle, quand la réfrigération rendait moins nécessaire le besoin de distribuer la nourriture à la ville tous les jours. Avant les années '50, le quartier des Halles était déjà la cible des urbanistes, qui voulurent supprimer ce qui était devenu une zone de trafic de drogue et de prostitution.

    Ce n'est que la nostalgie qui a retardé jusqu'à 1969 la décision de remplacer les Halles centrales, par un nouveau centre d'échange commercial à Rungis, un centre situé en périphérie de la ville où les camionnettes de livraison bénéficiaient d'un accès facile grâce au périphérique. Pendant quelques années brèves, de 1969 jusqu'à 1971, les Halles centrales devinrent un espace multifonctionnel pour des spectacles, des expositions et des événements culturels. Leur démolition en 1971 laissa derrière elles un vide correspondant aux dix îlots, rempli, incomplètement et de façon peu satisfaisante, par le désordre urbain d'une station de métro, d'un centre commercial, et d'un parc.

    Victor Baltard et Félix Calletcentrales (1854-74) : plan général© Musée d'Orsay / Patrice Schmidt

    La démolition des Halles centrales a provoqué un vif débat entre fonctionnalistes et défenseurs de l'environnement, un débat qui peut être comparé dans son importance à celui provoqué aux États-Unis par la démolition en 1963 de Penn Station à New York. Les fonctionnalistes soutenaient que les pavillons méritaient d'être détruits, parce qu'ils ne répondaient plus, depuis longtemps, à leur usage pratique. Les défenseurs de l'environnement répondaient que les pavillons étaient beaucoup plus que des structures utilitaires répondant à une simple fonction : bien au contraire, ils constituaient des espaces parfaitement flexibles qui pouvaient être adaptés à de multiples utilisations. Malheureusement, ce débat survint trop tardivement pour sauver les Halles, bien qu'il ait vraiment contribué au changement d'attitude de l'administration, et qu'il permit la sauvegarde, puis la transformation de la Gare d'Orsay, autre relique inutile de la Révolution Industrielle qui devait être détruite. Plus immédiatement, le débat a initié un réexamen critique de la signification historique des Halles centrales. Ce réexamen critique se déroula en trois étapes.

    D'abord, en 1977, Françoise Boudon et une équipe de chercheurs considérèrent les Halles centrales comme la partie d'un "système d'architecture urbaine" qui forma le développement du quartier des Halles du douzième au vingtième siècle. Selon Boudon, les Halles centrales ont radicalement transformé le quartier alors même que "la topographie ancienne contrarie à tout moment le systématisme du nouvel urbanisme". Ensuite, en 1980, Bertrand Lemoine a complété l'histoire urbaine de Boudon par une histoire architecturale qui a documenté les différentes propositions pour les nouvelles halles, du dix-huitième siècle au projet définitif de Baltard. Pour Lemoine, les marchés pouvaient être compris formellement, autant comme des pavillons individuels séparés par des rues, que comme un espace urbain unique qui transformait les rues en espace intérieur et où chaque pavillon était ouvert comme un espace public. Ensuite, en 1994, David Van Zanten étudia les trois phases finales de planification des halles, entre 1845 et 1854, pour retracer de quelle façon les plans de plus en plus réguliers furent le résultat d'un processus de spéculation, d

  • J'ai terminé hier soir:Les douze amours de Laurent Fabius

    Laurent Fabius devant "La cathédrale de Rouen. Le portail et la tour d'albane, temps gris", Claude Monet, 1894. ©C.Helie Gallimard Laurent Fabius devant "La cathédrale de Rouen. Le portail et la tour d'albane, temps gris", Claude Monet, 1894. ©C.Helie Gallimard

    Propos recueillis par

    L'homme politique analyse dans un livre passionnant* les tableaux qui, selon lui, ont "fait la France".

    La France compte un historien de l'art de plus ! En ciselant ce Cabinet des douze (Gallimard), l'ancien Premier ministre Laurent Fabius a voulu démontrer qu'il n'était pas seulement une voix, mais aussi un oeil. Démonstration réussie : son livre se lit comme une variation aboutie sur la peinture française, que ce fils et petit-fils d'antiquaires connaît bien. N'a-t-il pas grandi à l'ombre d'une des plus belles toiles de Georges de La Tour ? Du XVIIe à nos jours, en bref, des frères Le Nain à Soulages, en passant par Hergé, l'ouvrage fouille avec soin ce vieux grenier qu'est la peinture française.

    Des thèmes sont habilement soulignés, comme les loisirs, le travail, le portrait des puissants, voire les affiches électorales ; pointe aussi une certaine nostalgie à l'endroit du XVIIIe, le "siècle de l'esprit", et une vraie admiration pour Georges Clemenceau, plutôt appréhendé comme le grand ami de Monet et des impressionnistes que comme l'un des auteurs du traité de Versailles. Quoi qu'en dise l'auteur, l'ouvrage est, en définitive, bien plus politique qu'il n'y paraît au premier regard.

    Le Point : Presque tous les artistes qui constituent le "cabinet des douze" sont français ?

    Laurent Fabius : Pas tous. Hergé est belge. Picasso, franco-espagnol. Et je fais de nombreuses références à des artistes étrangers. D'un côté, je souligne l'absence de frontières dans l'art, dont c'est une des bénédictions. De l'autre, il existe tout de même certains tropismes français à travers les siècles. Par exemple, l'impressionnisme est français, comme l'est une certaine peinture du sourire et de l'insouciance. Ma thèse est que notre pays, avec ses valeurs et sa mémoire, est autant représenté par ses peintres et par ses musées que par ses chefs d'Etat, ses paysages, ses auteurs ou ses industries.

    Pourquoi, chez vous, une telle proximité avec le XVIIIe siècle ?

    Parce que c'est le siècle de l'esprit. Quelle liberté ! Dans le chapitre que je consacre à Voltaire et au pastel qu'en compose Quentin de La Tour, j'établis un parallèle entre les deux personnalités. Le choix par Voltaire d'un portraitiste alors inconnu est étonnant. A partir de ce beau portrait, Voltaire organise tout un plan média. Et les deux personnalités finissent par se rapprocher : leurs échanges sont représentatifs d'une liberté d'esprit, d'une impertinence qui ont fait le tour du monde à une époque où la France était la puissance dominante.

    Vous accordez une grande part à l'émotion ?

    Oui, à l'émotion et à la sensation. Quand je pénètre dans une salle de musée ou une galerie, c'est l'émotion qui me guide vers tel tableau ou telle sculpture. Ensuite vient la réflexion. Et quand l'oeuvre est de grande qualité, une troisième dimension s'ajoute, celle de la recherche plus érudite. Une oeuvre me plaît profondément lorsqu'elle est capable de passer ces trois phases : l'émotion, la réflexion, le regard initié. Leur addition exclut toute lassitude.

    La peinture française aurait évité les représentations du peuple ?

    En tout cas, les couches les plus modestes de la population ont longtemps été absentes des images. A l'exception notable des frères Le Nain. Et notre peinture, à la différence des Allemands, est peu représentative de notre histoire industrielle, pourtant riche. Sans doute parce que ces oeuvres ont été conçues pour une certaine clientèle qui n'était pas spécialement intéressée par les scènes populaires. Ensuite, les impressionnistes ont associé leur art à la représentation de moments heureux de l'existence ou de la société. Avec des variantes : Pissarro, de conviction anarchiste, privilégie à Rouen la rive gauche de la Seine, ses toiles laissent découvrir des cheminées d'usine, alors que Monet ou Gauguin, dans le même cadre et à la même époque, ne voient pas et ne peignent pas la même chose... La Seine-loisir côtoie la Seine-travail. Mais le peuple reste peu présent, y compris dans les toiles représentant des usines. La France n'a donc pas eu son Menzel, ce peintre allemand qui a su magnifiquement illustrer la révolution industrielle wilhelmienne. Daumier, lui, a préféré se concentrer sur les petits métiers de Paris. Le créateur qui s'est penché en France sur la condition ouvrière, c'est plutôt un écrivain, Zola.

    Le face-à-face de Monet avec la cathédrale de Rouen vous en impose ?

    Les 28 "Cathédrale" de Monet font partie de la mémoire picturale française la plus établie. Mais il faut mesurer ce qu'en 1892-1894 leur peinture comportait d'audace. Rien n'est plus difficile à faire entrer dans un format moyen que cette façade gothique et verticale. Surtout, il y a l'audace intellectuelle de Monet, le renversement d'approche qu'il opère. Ce n'est plus l'objet qui importe, mais la lumière, la couleur, le regard du sujet. La série qu'il peint est nacrée le matin, orangée à midi, bleuâtre le soir, avec plus de 70 000 touches dans un seul tableau. Ce culot et cette maîtrise me fascinent, comme ils ont fasciné son grand ami Clemenceau. On connaît le mot célèbre du Tigre face aux peintures de Monet : "C'est la révolution sans fusil." Quand on commence à connaître une époque, à sentir ses artistes, à communier avec leurs toiles - et c'est ce que j'aime aussi dans la peinture - se crée une sorte d'intimité avec les personnalités et les décors. J'imagine Monet face à la cathédrale, cloîtré dans son atelier de planches, souffrant, pestant, s'acharnant : "Je dois finir mon grand oeuvre !" Il faut lire la correspondance facétieuse et fraternelle entre ces deux géants octogénaires, Clemenceau et Monet. "Nous sommes fous tous les deux, écrit Clemenceau, mais pas de la même folie ; et c'est pourquoi nous nous aimerons jusqu'au bout."

    Pourquoi Caillebotte plutôt que Manet ?

    J'admire l'un et l'autre, mais j'ai réservé Manet pour un futur travail plus spécifique et choisi d'analyser la France des villes en partant de Caillebotte. Celui-ci avait tout contre lui. Pensez donc : bourgeois, mécène envers ses amis impressionnistes, sportif, rendant service à chacun. Et, en plus, un talent extraordinaire ! Comment voulez-vous plaire dans ces conditions ? Ce n'est pas un hasard si l'institut d'Art de Chicago a fait de " Rue de Paris, temps de pluie " son symbole. Le musée de Giverny a récemment exposé deux splendides Caillebotte, dont un rameur avec haut-de-forme, véritable scène de cinéma, avec des effets de contre-plongée. Les rames se reflètent subtilement dans l'eau : la qualité vaut " Impression, soleil levant ". L'oeuvre de Caillebotte que j'ai choisie pour mon " cabinet des douze ", " Le pont de l'Europe ", est une des premières toiles dans lesquelles la ville devient pleinement sujet du tableau. La gare Saint-Lazare, les poutrelles de fonte en gros plan, les fumées vaporeuses, des personnages de dos qui symbolisent l'anonymat urbain : plusieurs décennies à l'avance, il y a un côté Magritte.

    Vous goûtez Renoir et son image du bonheur ?

    Oui, je ne partage pas la réserve pincée que certains manifestent envers lui. Certes, je n'éprouve pas une passion pour le Renoir de la fin, mais je me délecte par exemple de " La danse à la ville " et de " La danse à la campagne ". J'aime cette époque. Et puis " Le déjeuner des canotiers ", porte-drapeau de l'idéal français du bonheur et de l'insouciance, est une toile magnifique. La terrasse où se côtoient ses amis célèbre le brassage social et forme une sorte de nacelle flottante. On y ressent physiquement le bonheur. L'Américain Duncan Phillips ne s'est pas trompé : ce tableau qu'il achète pour sa collection a pulvérisé à l'époque tous les records.

    Surprise : vous identifiez Picasso à la guerre plutôt qu'aux femmes ?

    On connaît surtout les oeuvres de Picasso consacrées à ses compagnes et à ses proches. On connaît aussi " Guernica ". Mais là, j'ai choisi pour réfléchir au traitement de la guerre un autre aspect, une toile conservée au MoMa de New York, " Femme se coiffant ". La scène traditionnellement la plus intimiste, la plus douce, nimbée d'une dimension érotique, Picasso la transforme en un symbole implacable de la violence et de la lutte contre le nazisme. J'essaie de montrer comment ce tableau, par ses formes torturées, constitue un acte de résistance. J'analyse aussi comment, dans l'histoire de notre peinture, ce thème de la guerre a successivement été traité. Longtemps, à travers des scènes de batailles, nos peintres ont glorifié la geste des combats, l'héroïsme, les charges de cavalerie : c'est l'époque de Van der Meulen ou de Jean-Antoine Gros. Gustave Doré aborde le thème d'une façon originale, Fernand Léger aussi. Les choses changent radicalement avec le second conflit mondial. Quand les horreurs atteignent leur comble, le moment vient où on ne peut plus peindre la guerre et où on se demande même s'il est possible de continuer à peindre. L'une des raisons du succès de l'abstraction tient probablement au fait que la guerre a rendu la figuration impossible. Dans ce parcours changeant, la toile de Picasso constitue un temps fort, par le contraste entre l'intimité de la scène et la violence du traitement, évocateur de tous les tourments d'un conflit bientôt mondialisé. La sculpture a, elle aussi, cherché à rendre compte de la guerre, notamment Giacometti : sous la peau de beaucoup de ses figures, je sens affleurer le squelette.

    Vous écrivez à propos de l'art contemporain : " La plupart des oeuvres - en majorité anglo-saxonnes - qui désormais triomphent internationalement sont des machines à fabriquer des excréments, des animaux en morceaux rangés dans des caissons de formol ou des fleurs en plastique géantes "...

    Oui, j'appelle cela par dérision l' "ESS" : l'école snobo-spéculative. Il me semble que cette école ne manque pas de disciples parmi certaines oeuvres récentes. Cela n'empêche pas, heureusement, que beaucoup d'artistes français contemporains possèdent et montrent un très grand talent.

    Vous appréciez le travail de Soulages ?

    Je l'apprécie et je l'admire. Nous n'habitons pas loin l'un de l'autre et je suis de près son travail. Il s'exprime admirablement sur son art tout en étant économe de ses mots. Surtout, son traitement pictural de la lumière est révolutionnaire. Il rompt avec une tradition de plus de cinq cents ans dans laquelle la lumière vient de l'intérieur du tableau plutôt que de l'extérieur. Soulages, lui, appelle la lumière au lieu de nous en protéger. Il veut qu'elle révèle le tableau, le peintre et le spectateur à eux-mêmes. L'aime-t-on parce qu'il est révolutionnaire ou parce qu'il est classique ? En tout cas, son oeuvre, particulièrement celle des quinze dernières années, nous force à réfléchir sur l'art et sur nous. Si j'avais un pronostic à formuler sur les grands artistes qui marqueront notre temps, je citerais Soulages et Zao Wou-Ki. Tous deux ont à la fois assimilé l'héritage pictural de plusieurs siècles et expriment la rupture qui marque les vrais créateurs. Matisse avait parfaitement résumé cela : "Un grand peintre est celui qui trouve des signes personnels et durables pour exprimer plastiquement l'objet de sa vision."

    * " Le cabinet des douze, regards sur des tableaux qui font la France ", de Laurent Fabius (Gallimard, 220 p., 22,50 E). Parution le 9 septembre.

    http://www.lepoint.fr/culture/les-douze-amours-de-laurent-fabius-26-08-2010-1228983_3.php

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