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  • Sa Majesté la Pléiade

    est des honneurs qui ne se refusent pas. Julien Gracq opposa une fin de non-recevoir au jury du prix Goncourt qui avait célébré en 1951 Le Rivage des Syrtes. Jean-Paul Sartre déclina, lui, en 1964, le prix Nobel de littérature. Mais aucun des deux ne refusa d'être publié dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade.

    Intégrer ce catalogue, c'est intégrer une famille qui compte parmi ses membres Voltaire, Pascal, Balzac, Hugo, Rimbaud, Proust... Une sorte de passeport pour l'éternité. Comme le dit Hugues Pradier, le directeur éditorial de la collection depuis 1997, «s'il est difficile d'entrer dans la Pléiade, il est encore plus rare d'en sortir». On comprend mieux dès lors l'énergie que mirent certains, pareils à des courtisans s'en allant quérir un titre à grand renfort de courbettes, pour obtenir ce précieux sésame de leur vivant, plutôt que de laisser le temps décider d'une éventuelle pos térité.

    Qu'on songe seulement, alors que la Pléiade vient de lui consacrer un cinquième volume (lire page 81), à la pugnacité d'un Louis-Ferdinand Céline. Pendant des années, l'écrivain harcela de courriers et d'invectives Gaston Gallimard. Voir sa lettre du 24 octobre 1956 : «Cher ami. Les vieillards, vous le savez, ont leurs manies. Les miennes sont d'être publié dans la Pléiade (...). Je n'aurai de cesse, vingt fois que je vous le demande. Ne me réfutez pas que votre conseil, etc., etc. tout alibis, comparses, employés de votre ministère (...) MM. Soupe qui se lavent les pieds et jouent de la trompette, entre deux vacances et treize maladies. C'est vous la Décision. Vous avez donc la bonté de me faire part de votre décision. Ministre et homme d'affaires... celle que je vous propose est excellente. (...) La Pléiade et pas dans vingt ans, quand je serai mort ! non ! tout de suite ! cash !» Il lui faudra se montrer encore patient et envoyer d'autres missives en forme de mis siles («Vous n'aurez pas mon prochain livre, c'est tout, si je ne suis pas à la Pléiade dans trois mois, le reste est bla-bla et fa tigue...», écrit-il un an plus tard) avant d'obtenir gain de cause. Mais celui qui suppliait d'être«pléiadé avant d'être décédé» n'aura pas gain de cause : il meurt en 1961, quelques mois avant la parution du Voyage et de Mort à crédit en Pléiade.

    André Gide joue les entremetteurs

    Etrange fortune que celle de ce missel littéraire. Son succès ne se dément pas depuis son origine. Il faillit pourtant lui être fatal. Nous sommes en 1933. Au 6 rue Tournefort, à Paris, Jacques Schiffrin, fondateur et propriétaire des Editions de la Pléiade, est au bord de la ruine. SonBaudelaire, paru en 1931 dans une forme inédite pour l'époque (11 x 17,5 cm), sous une reliure souple pleine peau dorée à l'or fin, sonEdgar Poe (encore du Baudelaire, puisqu'il s'agit des œuvres en prose de Poe traduites par le poète), sonRacine et la dizaine d'autres titres qu'il publie se vendent comme des petits pains. Mais il ne parvient pas à faire face aux nouvelles commandes. Les ouvrages de la collection qu'il vient d'inaugurer (inspirée par ses voyages à l'étranger, elle consiste à publier pour la première fois en France les grands classiques dans des volumes luxueux de poche) lui coûtent une fortune à éditer. Il est à court de liquidités et confronté à des problèmes de logistique insolubles. Heureusement, André Gide est là. L'auteur de La Porte étroite suit de près les initiatives de ce Russe, élégant et cultivé, fraîchement débarqué à Paris. Il se lie d'amitié avec lui, lui confie plusieurs manuscrits et l'invite volontiers à Cuverville, où il profite des leçons de piano de Youra Guller, la première épouse de l'éditeur. Quand paraît le premier volume de la Biblio thèque de la Pléiade, il lui écrit :«Votre petit Baudelaire me ravit : c'est une merveille de présentation. L'appareil critique à la fin du volume est précieux. C'est décidément votre Baudelaire que je prendrai dans ma valise comme compagnon de voyage, de préférence à toute autre édition.»

    Face à la perspective d'une banqueroute des Editions de la Pléiade, Gide insiste lourdement auprès de Gaston Gallimard pour que ce dernier rachète l'affaire. Gaston hésite. Il est perplexe face à cette maison à la politique de tirages limités, et qui fonctionne à contre-courant des usages de l'édition française. Finalement, il obtempère. Il n'aura jamais à le regretter : chaque année, bon gré mal gré, la Pléiade assure près de 20 % du chiffre d'affaires de Gallimard. Ni le départ, en novembre 1940, de Schiffrin contraint à l'exil par la première loi sur le statut des Juifs, ni les changements et les successions au sommet de la maison de la rue Sébastien-Bottin, ni les polémiques ne viendront contredire son succès. Si certains se plaisent à moquer les choix commerciaux de la Pléiade, l'absence supposée de risque que prend la maison, Hugues Pradier défend le contraire. Et de citer la publication, en 2005, de 22 romans de Ramuz «que personne ne nous demandait, à l'exception de sa famille et de quelques spécialistes de l'écrivain suisse» et qui fut un beau succès. La Pléiade a une fonction «légitimante». Elle est devenue une «bibliothèque de l'admi ration», selon l'expression d'André Malraux.

    Aujourd'hui, Gallimard continue de publier onze volumes par an qu'il écoule en moyenne à 300 000 exemplaires. Sa recette est immuable : un «miracle sans cesse renouvelé d'un objet matériel qui se marie à un objet intel lectuel», comme la décrit son directeur éditorial. Proust, Camus, Céline, Tolstoï, Verlaine, Flaubert, Zola, Stendhal et Balzac figurent parmi les best- sellers de la collection. Au firmament : Saint-Exupéry, dont les œuvres complètes atteignent les 400 000 ventes. Sans compter les albums offerts chaque année pendant la quinzaine de la Pléiade par les libraires. Tirés à 40 000 exemplaires, ils sont très recherchés par les collectionneurs. Aux enchères, les premiers albums datant des années 60 peuvent atteindre les 400 ou 500 euros. Parmi les plus courus : L'Anthologie sonore de la Pléiade.

    Tranche dorée à l'or fin 24 carats

    Au-delà des garanties littéraires qu'assure cette collection bientôt octogénaire, les bibliophiles apprécient ces ouvrages fabriqués avec un soin digne de la haute couture. Impression sur papier bible de 36 grammes, format et typographie inchangés, couverture souple à la tranche dorée à l'or fin (24 carats) : pour réaliser ce travail d'artisan, Gallimard fait appel depuis toujours aux mains expertes des ateliers Babouot, à Lagny-sur-Marne. C'est ici qu'est découpé, assemblé et cousu en cahiers le papier bible, avant d'être emboîté sous la couverture en cuir véritable. Preuves du soin tout particulier mis à faire de cette collection un produit de luxe, les 50 000 peaux de mouton que nécessite la production annuelle de la Pléiade sont envoyées depuis la Nouvelle-Zélande. Les grands es paces, l'absence de fil de fer barbelé, qui pourrait déchirer le cuir, assurent des couvertures sans défaut. Avantage ? Rendre presque impossible leur contre façon. Il existe de rares tenta tives asiatiques : de très gros sières imitations, en vérité.

    La Pléiade se porte bien, ne souffre pas de la concurrence. Si bien qu'Antoine Gallimard n'hésite plus aujourd'hui à publier des textes plus difficiles, ouvrant sa collection à la littérature extra-européenne. Il a bien quelques regrets qu'il s'attache à transformer en espoirs : Beckett, par exemple. Jérôme Lindon, le patron des Editions de Minuit, lui oppose toujours une fin de non-recevoir... En attendant, il a lancé un volume consacré à Drieu La Rochelle. Sans craindre la polémique.

    http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2010/01/23/01006-20100123ARTFIG00281--sa-majeste-la-pleiade-.php

  • Italie, le Grand Tour : dans le miroir de la photographie au XIXe siècle par Giovanni Fanelli et Barbara Mazza

    Publié le par Aurore Mosnier

     

    Aimez-vous les vieilles pierres, et les lieux chargés d’Histoire ? Avez-vous déjà eu la chance de visiter l’Italie ? Vous êtes-vous déjà imaginé déambuler dans les rues de Rome il y a un siècle ? Si vous avez répondu par l’affirmative à l’une de ces questions, la présentation de l’ouvrage qui va suivre va sans doute vous intéresser.

    J’ai récemment eu la chance d’être invitée à l’Institut culturel italien afin de découvrir Italie, le Grand Tour par deux auteurs italiens : Giovanni Fanelli (professeur d’histoire de l’architecture à l’Université de Florence, directeur de collections) et Barbara Mazza (docteur en histoire de l’architecture et de l’urbanisme, directrice photo).

    Couverture Italie, le Grand Tour

    Couverture Italie, le Grand Tour

    Le Grand Tour, c’est ce voyage initiatique de deux à trois ans, effectué par les élites européennes à travers le continent afin de parfaire leur éducation au XVIIIe et XIXe siècles. La principale destination de ce voyage était bien sûr l’Italie pour son foyer artistique foisonnant, l’occasion pour les jeunes voyageurs de parfaire leur éducation classique. C’est à ce voyage initiatique à travers des photographies d’époque par des artistes réputés (Leopoldo Alinari, Alphonse Bernoud, Robert Macpherson, Robert Rive, Giorgio Sommer…) que nous convie cet ouvrage.
    Neuf destinations vous attendent : Turin, Gênes, Milan et les grands lacs, Venise et la Vénétie, Bologne, Florence et la Toscane, Rome, Naples et la Campanie, la Sicile.

    Ces séries ont été réalisées en Italie au moment même des débuts de la photographie, aux origines de la discipline. Il s’agit alors de capturer une Italie de jadis qui n’existe plus mais dont l’âme perdure. En plus des légendes accompagnant les photographies, le texte est émaillé de citations d’auteurs du XIXe siècle ayant eux-mêmes effectué leur Grand Tour. S’élèvent tour à tour les voix d’Alexandre Dumas, Théophile Gautier, Henry James, Emile Zola… qui apportent le langage littéraire aux supports visuels. L’occasion pour le lecteur de découvrir les débuts des fouilles archéologiques de Pompéi et Herculanum, Venise et ses canaux ou les jardins de la Villa Médicis, d’explorer ce qui dans l’Italie d’hier se retrouve dans l’Italie d’aujourd’hui.

    Turin – La Piazza Vittorio Emanuele I et le pont sur le Pô

    Sur l’axe du pont, au-delà de la place (aujourd’hui, Piazza Vittorio Veneto), on remarque l’enfilade de la Via Pô jusqu’à la Piazza Castello et la colline. Sur le pont, on repère les voies typiques de passage pavées.

    Turin - La Piazza Vittorio Emmanuelle I et le pont sur le Pô - Atelier de Giacomo Brogi, vers 1870 ; tirage sur papier albuminé, stéréoscopie. Détail. © Barbara Mazza - Giovanni Fanelli

    Turin – La Piazza Vittorio Emmanuelle I et le pont sur le Pô – Atelier de Giacomo Brogi, vers 1870 ; tirage sur papier albuminé, stéréoscopie. Détail. © Barbara Mazza – Giovanni Fanelli

    « Quelles places austères et solennelles ! Et le style du palais, sans prétention ; les rues propres et graves -, et tout bien plus digne que je ne m’y attendais ! Les plus beaux cafés que j’ai jamais vus ! Avec un climat si variable, ces arcades semblent correspondre à une nécessité ; elles sont si spacieuses qu’elles ne vous accablent pas. Soirées sur le pont du Pô : magnifique ! Par-delà le Bien et le Mal ! »

    Friedrich Nietzsche, Lettre à Peter Gast, 7 avril 1888, lettre 247.

     

    Le lac de Côme – Le Port de Bellagio

    Au XIXe siècle, Bellagio devint un lieu de villégiature à la mode pour l’aristocratie lombarde et internationale. Au premier plan s’alignent de petites embarcations lacustres recouvertes d’une toile tendue sur une armature en bois en arc de cercle. La nav ou navet, bateau à fond plat de forme évasée, utile au transport de marchandises ou à la pêche, était dotée d’un mât pour supporter une voile rectangulaire, hissée lorsque le vent était favorable. Il naviguait néanmoins le plus souvent l’aide de rames, sa coque glissant aisément sur la surface de l’eau, tandis que le mât était placé à l’horizontale au-dessus de l’armature cintrée.

    Le Lac de Côme - Le port de Bellagio - Carlo Bosetti, vers 1885 ; tirage sur papier albuminé, 19,5 x 25. Détail. © Barbara Mazza - Giovanni Fanelli

    Le Lac de Côme – Le port de Bellagio – Carlo Bosetti, vers 1885 ; tirage sur papier albuminé, 19,5 x 25. Détail. © Barbara Mazza – Giovanni Fanelli

     

    Venise – La Ca’d’Oro

    Pour certains, les gondoles auraient été peintes en noir suite à une épidémie de peste survenue en 1630 et qui fit cinquante mille victimes ; pour d’autres, afin de freiner leur ornementation de plus en plus luxueuse, une ordonnance fut émise au XVIe siècle imposant à toutes le noir.

    Venise - La Ca' d'Oro - Robert Rive, vers 1870 ; tirage sur papier albuminé, 19,5 x 25,5. © Barbara Mazza - Giovanni Fanelli

    Venise – La Ca’ d’Oro – Robert Rive, vers 1870 ; tirage sur papier albuminé, 19,5 x 25,5. © Barbara Mazza – Giovanni Fanelli

    « Le gondolier incline soit davantage au gracieux -c’est selon-, lorsqu’il se tient dans « la deuxième position » d’un maître à danser, mais en s’autorisant dans le redressement de la taille une liberté de mouvement que désapprouverait ce technicien. […] Rien ne saurait être plus beau que la façon ample et ferme avec laquelle, de sa position avantageuse, il se lance par-dessus son terrible aviron. Cela possède la hardiesse d’un oiseau plongeur et la régularité d’un pendule. »

    Henry James, Venice, 1882, dans Italian Hours, 1909.

     

    Florence – L’Arno et le Ponte Santa Trinita

    Sommer compose avec une grande maîtrise de son art les éléments du tableau : le long ruban du quai de l’Arno, animé seulement par une charrette arrêtée au bord du trottoir, le Ponte Santa Trinita, le Ponte Vecchio et, dans le fond, la colline de San Miniato, baignés dans la lumière intense de midi.

    Florence - L'Arno et le Ponte Santa Trinita - Giorgio Sommer, vers 1865 ; tirage sur papier albuminé, 18 x 24,5. © Barbara Mazza - Giovanni Fanelli

    Florence – L’Arno et le Ponte Santa Trinita – Giorgio Sommer, vers 1865 ; tirage sur papier albuminé, 18 x 24,5. © Barbara Mazza – Giovanni Fanelli

    « Ma chambre d’hôtel donnait sur le fleuve et était toute la journée inondée de soleil. Il y avait sur les murs un absurde papier peint orange ; l’Arno, d’une nuance à peine différente, coulait en bas, et sur l’autre rive s’élevait la rangée des maisons jaunâtres, d’une extrême antiquité, moisissant et s’effritant, saillant et se bombant au-dessus du courant. […] Tout cet éclat et tout ce jaune étaient un perpétuel délice ; cela faisait partie du charme indéfini de la couleur dont Florence semble partout se parer où que vous posiez les yeux à partir du fleuve, de ses ponts et de ses quais. »

    Henry James, Italy Revisited, 1877, dans Italian Hours, 1909.

     

    Rome – Le jardin de la Villa Médicis

    A la limite orientale de la terrasse qui s’étend devant la Villa Médicis, l’enfilade de statues, de sarcophages, de bancs et de pins suit le tracé des murs d’Aurélien. Au premier plan, à la marge droite, l’imposante statue de Minerve est mise en rapport en fonction d’un calcul précis avec la colonne sur piédestal que l’on aperçoit à l’arrière-plan à gauche. Les éléments verticaux se découpent sur un ciel dégagé, dans la lumière estivale de la mi-journée. Au centre, la présence discrète d’un vieil homme assis sur un banc créé un contrepoint symboliquement fort entre la jeunesse éternelle de la Minerve de marbre et la vie contemporaine soumise à l’érosion du temps. La statue de Minerve fait partie de l’ambitieux programme voulu par le cardinal Alessandro dei Medici qui fit l’acquisition du terrain en 1576. Amateur d’antiquités, il avait conçu la villa et le jardin comme un ensemble théâtral et scénographique d’œuvres d’art antiques. De Bonis a également réalisé ce cadrage en format horizontal.

    Rome - Le jardin de la Villa Médicis - Adriano De Bonis, vers 1855-1860 ; tirage sur papier albuminé, 25 x 19,5. © Barbara Mazza - Giovanni Fanelli

    Rome – Le jardin de la Villa Médicis – Adriano De Bonis, vers 1855-1860 ; tirage sur papier albuminé, 25 x 19,5. © Barbara Mazza – Giovanni Fanelli

     

    Naples – La via Pallonetto di Santa Lucia

    La rue monte, par larges marches, de Santa Lucia à Monte di Dio. De part et d’autre, il basso, l’habitation typiquement napolitaine : une pièce unique pour une famille entière, dépourvue quasiment de toute installation hygiénique, directement ouverte sur la rue, étouffante l’été, humide l’hiver lorsqu’elle était chauffée par un brasier ou simplement par les fourneaux de la cuisine, à peine différente d’une grotte.

    Naples - La Villa Pallonetto di Santa Lucia - Giorgio Sommer, vers 1885 ; tirage sur papier albuminé, 25 x 20. Détail. © Barbara Mazza - Giovanni Fanelli

    Naples – La Villa Pallonetto di Santa Lucia – Giorgio Sommer, vers 1885 ; tirage sur papier albuminé, 25 x 20. Détail. © Barbara Mazza – Giovanni Fanelli

     

    Palerme – Charrette sicilienne

    Au loin, la silhouette du Monte Pellegrino. Les charrettes appartenaient aussi bien au quotidien sicilien qu’au mythe folklorique de l’île. Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, elles commencèrent à être décorées et devinrent ainsi une expression paradigmatique de l’art populaire, ici, mis en valeur par la retouche de couleurs.

    Palerme- Charrette sicilienne - Giorgio Sommer, vers 1870 ; tirage sur papier albuminé colorié à la main, 20 x 25. © Barbara Mazza - Giovanni Fanelli

    Palerme- Charrette sicilienne – Giorgio Sommer, vers 1870 ; tirage sur papier albuminé colorié à la main, 20 x 25. © Barbara Mazza – Giovanni Fanelli

    « Ces charrettes, de petites boîtes carrées haut perchées sur des roues jaunes, sont décorées de peintures naïves et bizarres qui représentent des faits historiques ou particuliers, des aventures de toute espèce, des combats, des rencontres de souverains, mais, surtout, les batailles de Napoléon Ier et des Croisades. Une singulière découpure de bois et de fer les soutient sur l’essieu ; et les rayons de leurs roues sont ouvragés aussi. La bête qui les traine porte un pompon sur la tête et un autre au milieu du dos, et elle est vêtue d’un harnachement coquet et coloré, chaque morceau de cuir étant garni d’une sorte de laine rouge et de menus grelots. Ces voitures peintes passent par les rues, drôles et différentes, attirent l’œil et l’esprit, se promènent comme des rébus qu’on cherche toujours à deviner. »

    Guy de Maupassant, La Vie errante, 1890.

     

    Cet ouvrage n’est pas simplement une collection de jolies photos d’une Italie révolue. Il est un puissant évocateur de mémoire. En le lisant, je me suis promenée en compagnie d’Oscar Wilde parmi les ruines de Taormine, projetée parmi les scientifiques ayant mis à jour Pompéi et j’ai songé à Stendhal et à son fameux syndrome. Italie, le Grand Tour m’a fait remonter le temps mais il m’a également surprise en me ramenant dans mon propre siècle. Quel étonnement de découvrir que, de nos jours, la Piazza della Signoria à Florence n’a pas changée ou si peu. Seul le style vestimentaire des touristes semble marquer le passage du temps. Un livre à l’image de la photographie de couverture : un instantané, un instant fugace mais suspendu à travers le temps.

    Italie, le Grand Tour : dans le miroir de la photographie au XIXe siècle
    de Giovanni Fanelli & Barbara Mazza aux Editions Nicolas Chaudun
    26 x 24 cm / 356 pages

    ,
     http://aurorartandsoul.com/2014/03/05/italie-le-grand-tour-dans-le-miroir-de-la-photographie-au-xixe-siecle-par-giovanni-fanelli-et-barbara-mazza/

     

  • Vincent Van Gogh, artiste génial ou produit de consommation?

     

    Portrait de l'artiste au chevalet © Amsterdam, Van Gogh Museum (Fondation Vincent van Gogh).

    Portrait de l'artiste au chevalet © Amsterdam, Van Gogh Museum (Fondation Vincent van Gogh). Crédits photo : Patrice Schmidt

    FIGAROVOX - A l'occasion de la de la superbe exposition du Musée d'Orsay consacrée à Van Gogh et de la parution du magnifique numéro du Figaro Hors- Série, FigaroVox publie l'éditorial de Michel De Jaeghere.

    Michel De Jaeghere est journaliste et écrivain. Il est le directeur du Figaro Hors-Série et du Figaro Histoire


    Crédits photo : MOSSE BARBAUX Patricia

    Il est bien vrai qu'il fut une âme de feu. Possédé par le désir de produire une œuvre qui, le hissant au-dessus du médiocre, le sauverait du désespoir. La volonté de réinventer une écriture qui, par-delà la surface des choses, donnerait à voir ce qui n'est visible que par le cœur. Dévoré par le projet de faire sentir, dans ses toiles, les convulsions qui animent la nature, d'y traduire la ferveur de ses émotions par la franchise du trait, le pathétique d'une touche lourdement appliquée, d'y explorer le fond des âmes.

    Vrai aussi que sa vie est fascinante, qu'elle accumule les caractères de l'artiste voué à la malédiction, tant la douleur y semble avoir été omniprésente, les échecs répétés, les zones de noirceur et d'ombre en singulier contraste avec le caractère solaire de quelques-unes de ses toiles: la pauvreté, l'alcool, la solitude, la faim, les crises d'aliénation, le suicide comme point final à un interminable chemin de croix. Et la gloire, posthume, arrivée trop tard pour consoler l'inconsolable. La spéculation désormais sans limites sur les œuvres d'un peintre qui n'avait, de son vivant, réussi à vendre qu'un seul de ses tableaux, et que poussa en définitive à la mort volontaire le sentiment d'être une charge pour les siens.

    «L'histoire des grands hommes ressemble à un drame, écrivit un jour Van Gogh à son frère Theo dans une lettre étrangement prémonitoire. Dans la plupart des cas, ils ont disparu au moment où on rendait publiquement hommage à leur œuvre, et de leur vivant ils ont été en butte à l'hostilité de leurs adversaires, ils ont dû surmonter bien des difficultés pour tenir le coup. Chaque fois que j'entends parler d'un hommage public aux mérites d'un tel ou d'un tel, je me représente nettement les figures effacées, sombres, de ces hommes qui avaient peu d'amis - et je les trouve ainsi, dans leur simplicité, plus grands et plus navrants.»

    N'empêche: avec Van Gogh, la légende finirait, si l'on n'y prenait garde, par occuper tout l'espace. Par nous faire oublier que ce qui compte, à l'épreuve du temps, ce n'est pas la tragédie de son existence, mais le talent visionnaire du peintre.

    Nous le voulons hagard, demi-fou, inventant un monde dans les transes d'une semi-inconscience.

    Parce que sa peinture est brutale, dans sa volonté d'atteindre, par la naïveté, à la poésie de la vie quotidienne, parce qu'elle est immédiatement accessible, avec ses contrastes violents, ses couleurs éclatantes, on a brodé autour du roman noir de sa vie la plus trompeuse des fables: celle qui met en scène, en Van Gogh, un être fruste, un dément saisi par un génie qu'il aurait eu lui-même quelque peine à maîtriser et à comprendre. Sa folie, ses colères, ses désordres, son regard halluciné sur le tournoiement du ciel nous parlent violence et passion. Ils donnent à son destin un relief, un piquant, où notre curiosité trouve à s'attarder un instant. Nous n'avons que faire des témoignages qui le montrent curieux, jovial ou plein d'humour, de son sens aigu de l'observation, de sa facilité à se lier, de son honnêteté scrupuleuse, de sa générosité exemplaire. Nous ne nous intéressons pas aux goûts littéraires d'un homme qui parlait quatre langues, avait lu Hugo, Balzac, Zola, Michelet, Diderot ou Voltaire et se révèle, dans sa correspondance, comme un savoureux prosateur ; nous ne voulons rien savoir de l'empreinte en lui d'une religion sans pardon, rien entendre de ses protestations d'admiration pour Rembrandt, Hals, Chardin, Delacroix ou Rubens. Nous le voulons hagard, demi-fou, inventant un monde dans les transes d'une semi-inconscience.

    Il nous justifie d'avoir transformé Van Gogh en produit de grande consommation.

    On comprend que le musée d'Orsay ait choisi de donner pour fil rouge à la splendide exposition qu'il lui dédie aujourd'hui le court essai que lui avait consacré, en 1947, Antonin Artaud. Scandalisé par la lecture du commentaire du Dr Beer, qui avait diagnostiqué en Van Gogh, post mortem, une schizophrénie «du type dégénéré», Artaud, qui avait fait lui-même pendant neuf années l'expérience de l'enfermement parmi les aliénés, y avait pourfendu l'idée selon laquelle Vincent aurait été un peintre fou, dont la peinture ne nous fascinerait par son inventivité, sa puissance, que parce qu'elle serait, in fine, l'expression d'une maladie mentale. Dans un texte écrit d'un seul jet, une langue incantatoire, où les mots se bousculent pour scander la pensée, lui donner un tour passionné, oratoire ; où l'autoportrait perce jusque dans la chaleur du plaidoyer, il avait clamé avec une force, une violence qui n'avaient pas altéré en lui la finesse, le bonheur d'expression, que le ressort du génie de Van Gogh, ce peintre «le plus vraiment peintre de tous les peintres», résidait au contraire dans la «lucidité supérieure» qui lui avait fait voir «plus loin, infiniment et dangereusement plus loin que le réel immédiat et apparent des faits». Qu'il avait été, avant tout, le poète de «la couleur roturière des choses», l'«organiste d'une tempête arrêtée», le seul qui ait «absolument dépassé la peinture, l'acte inerte de représenter la nature pour (…) faire jaillir une force tournante, un élément arraché en plein cœur».

    Artaud ne s'était pas contenté, pourtant, de cette défense de l'œuvre peinte. En désignant Van Gogh comme «le suicidé de la société», il avait soutenu en outre qu'il avait été, à sa propre image, victime de contemporains incapables de mesurer l'ampleur de son talent, et dont la sottise et l'indifférence l'avaient conduit à sa fin. Vraie ou fausse, la thèse ne manquera pas de recueillir l'adhésion du grand nombre. Elle est pour nous d'autant plus séduisante qu'elle nous renvoie de nous une image rassurante. Les imbéciles n'avaient rien compris à un génie qui les dépassait de trop haut pour qu'ils soient capables d'en saisir le caractère novateur. Nous n'avons plus de ces aveuglements: nous lui parlons à hauteur d'âme. Le contraste nous offre l'occasion de nous rengorger de la supériorité que nous avons acquise, en un peu plus d'un siècle. Il nous justifie d'avoir transformé Van Gogh en produit de grande consommation.

    « Plus j'y réfléchis, disait-il, plus je sens qu'il n'y a rien de plus réellement artistique que d'aimer les gens. »

    Vincent Van Gogh

    La question est de savoir si le peintre que nous admirons a quelque chose de commun avec celui qui signait de son seul prénom: Vincent. Sa sincérité et son exigence. Son goût du travail bien fait et son amour des humbles. «Plus j'y réfléchis, disait-il, plus je sens qu'il n'y a rien de plus réellement artistique que d'aimer les gens.» La formule l'aurait fait expulser des foires de l'art contemporain, elle aurait fait de lui la risée des plateaux de télévision.

    En tête du beau livre qu'il vient de consacrer au suicide de Van Gogh, Et Vincent s'est tu…, Benoît Landais place en exergue un autre passage de cette même correspondance: «Ce que Victor Hugo dit à propos d'Eschyle: “On tua l'homme, puis on dit: ‘élevons pour Eschyle une statue en bronze'” me revient à l'esprit chaque fois que j'entends parler d'exposition d'œuvres d'un tel, et je ne prête plus guère d'attention à la statue en bronze, non que je désapprouve l'hommage public, mais parce que j'ai alors une arrière-pensée: on tua l'homme.» Le moins que nous devions à l'œuvre de Van Gogh, c'est de ne pas la laisser éclipser par la statue de bronze que lui ont élevée les marchands.

    En vente en kiosque et sur Figarostore: Le Figaro Hors Série, 114 pages, 8, 90 euros

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  • Victor Baltard et les Halles centrales de Paris.

    La pratique urbaine de l'architecture: Victor Baltard et les Halles centrales de Paris.

    Christopher Mead, Université du Nouveau Mexique

    Christopher Mead

    Je voudrais commencer par remercier le Musée d'Orsay, et en particulier Alice Thomine-Berrada, de m'avoir invité à faire cette conférence à l'occasion de l'exposition consacrée à Victor Baltard. C'est une heureuse coïncidence que cette exposition ait lieu la même année que la parution de mon livre consacré à la carrière municipale de Victor Baltard, Faire le Paris Moderne : les halles centrales de Victor Baltard et la pratique urbaine de l'architecture. Je remercie Alice Thomine- Berrada aussi pour sa traduction habile de ma conférence.

    Conçues par Victor Baltard, les Halles centrales de Paris furent construites en plusieurs phases successives entre 1854 et 1874. Jusqu'à leur démolition en 1971, les Halles sont restées, au cœur de Paris, comme la preuve matérielle de la transformation de la ville et de sa modernisation sous la direction de Georges Eugène Haussmann, préfet de la Seine de 1853 à 1870. Premier bâtiment public dans la ville à être construit entièrement en fer, brique, verre et bois, les halles ont été un moment significatif dans l'histoire de l'architecture industrielle au dix-neuvième siècle. En même temps, les halles furent un instrument de renouvellement urbain, qui transforma un quartier médiéval délabré de Paris en un ensemble, raisonné et ordonné, de pavillons et de rues. Industrielles et utilitaires, les Halles centrales illustraient une conception radicalement nouvelle de l'architecture, qui a rompu, en apparence, avec la tradition et les modèles historiques du développement urbain, pour répondre aux nouvelles réalités économiques et nouveaux modes de fonctionnement de la ville. Comme Bertrand Lemoine l'a expliqué en 1980, les pavillons de Baltard et son système de rues couvertes étaient des machines industrielles qui "s'inscrivent […] dans un système autonome, complet, indépendant de la ville sur laquelle elles s'implantent comme un corps étranger."
    Mais est-ce que les Halles centrales étaient réellement sans rapport avec la ville historique dans laquelle elles ont été construites ? C'est la question que j'aborde dans mon livre sur Victor Baltard. J'y défends l'idée que les Halles centrales n'étaient pas étrangères à Paris, mais qu'elles ont en réalité emprunté leurs caractéristiques formelles et spatiales de constructions publiques aux espaces et formes urbaines de la ville elle-même. Dans cette conférence, je vais résumer ce raisonnement. Je vais d'abord distinguer les approches fonctionnelles et typologiques des halles. Ensuite, je considérerai comment Baltard a combiné urbanisme et architecture dans une conception qui a réconcilié la forme traditionnelle de la ville avec l'industrialisation radicale du dix-neuvième siècle.

     

    Victor Baltard et Félix CalletHalles centrales, 1854-74. Vue perspective© Musée d'Orsay / Patrice Schmidt

    Une grande part de l'histoire des Halles centrales a été comprise et expliquée en termes d'utilité, en tant qu'abris métalliques industriels dont la forme résultait directement de la fonction. Suivant l'expression des architectes modernes, la forme suit la fonction. Les dix pavillons et les rues couvertes qui composaient le marché à l'origine, ont servi en tant qu'espace spécialisé pour commercialiser et distribuer la nourriture dans une métropole croissant rapidement. Les halles étaient à la fois organisées suivant des zones, correspondant chacune à un pavillon séparé pour les différentes catégories de nourriture et intégrées par leurs rues dans un efficace réseau de transport. Appartenant au même système de circulation qui a innervé la ville de boulevards et de gares, les Halles centrales concentraient les produits alimentaires sur un site pour les distribuer de nouveau à travers la ville. Armand Husson— économiste saint-simonien, fonctionnaire municipal, et participant avec Baltard à l'organisation des halles —donna une évaluation quantifié du système dans son livre, Les Consommations de Paris, édité en 1856 et réédité en 1875.

    Avant 1872, lorsque la population de Paris atteignit presque 2 millions, Husson calcula que des Parisiens consommaient chaque année plus de 1 million de kilogrammes de produits alimentaires solides et presque 600 millions de litres de liquides. Pour satisfaire cet appétit, presque 5 millions de milliers de tonnes de marchandises étaient livrées quotidiennement par le train aux huit gares de chemin de fer de Paris. Husson évaluait que chaque jour 4500 chariots, tirés par des chevaux ou manuellement, étaient utilisés en moyenne pour transporter la nourriture dans la ville, la livrant d'abord aux Halles centrales, et la distribuant ensuite à travers Paris dans les marchés locaux, les magasins, et les restaurants.

    Victor Baltard et Félix CalletLes Halles centrales : vue intérieure du pavillon n°4© Musée d'Orsay / Patrice Schmidt
    Charles GarnierNouvel Opéra (1861-75) : façade principale © Musée d'Orsay / Patrice Schmidt
     

    En 1873, Emile Zola recourait à une métaphore déjà en usage avant 1854, lorsqu'il décrivait les Halles centrales comme le "ventre de Paris" dans son roman éponyme. Mais il s'agissait d'un ventre mécanisé de la Révolution Industrielle, "une usine moderne [ …] quelque chaudière destinée à la digestion du peuple, gigantesque ventre de métal, boulonné, rivé, fait de bois, de verre et de fonte, d'une élégance et d'une puissance de moteur mécanique." L'ère de la machine était arrivée et avec cela une nouvelle et étrange sorte d'architecture. La différence avec les bâtiments traditionnels était claire. Les monuments publics contemporains comme le nouvel opéra de Charles Garnier respectaient les conventions du classicisme français, revêtant leur structure de décors sculptés et de références aux ordres classiques, cachant l'usage important du métal derrière des façades de maçonnerie.
    L'architecture fonctionnelle des Halles centrales se dégageait de ces conventions, ne gardant que la nudité de sa structure : mur-rideau en brique, bois et verre, maintenus par une structure apparente de fonte et de fer, qui couvrait environ 40.000 mètres carrés d'espace intérieur fluide sous un toit continu, protecteur.

    En rendant floues les frontières habituelles, entre la rue et la construction, l'intérieur et l'extérieur, le public et le privé, les halles combinèrent des pavillons et des rues en un seul système, transparent et raisonné. A partir de ce moment, les constructions n'étaient plus des objets finis, fermés, enserrés par des murs de maçonnerie opaques et isolés les uns des autres par des rues et des places. Les halles rompaient avec la conception classique de l'architecture comme un tout unifié, limité et indépendant. L'architecture devenait un système additif et ouvert de répétition, d'unités interchangeables qui, de la structure aux espaces, pouvaient être prolongées indéfiniment jusqu'à ce que les demandes fonctionnelles du programme aient été satisfaites.

    Charles François Bossu, dit MarvilleVue d'une rue couverte des halles© Musée d'Orsay / Patrice Schmidt

    Cette approche utilitariste était dominante jusqu'à la démolition des Halles centrales en 1971. Depuis leur origine, l'utilisation des halles s'était complexifiée du fait de leur emplacement au cœur de Paris. Le quartier historique des Halles accueillait le marché depuis le douzième siècle. Mais le marché des Champeaux, qui était à l'origine dans un champ à l'extérieur de la ville, se trouva peu à peu absorbé dans la métropole en croissance, transformant ce site périphérique en un emplacement central. Dans une ville qui devenait rapidement plus grande, plus peuplée et saturée au dix-neuvième siècle, cette centralité a compliqué le fonctionnement des Halles : la nourriture transportée dans Paris chaque jour de l'extérieur de la ville, devait d'abord être apportée dans le centre encombré, avant d'être redistribué à chaque coin de la ville. Les Halles étaient déjà condamnées à l'obsolescence à la fin du dix-neuvième siècle, quand la réfrigération rendait moins nécessaire le besoin de distribuer la nourriture à la ville tous les jours. Avant les années '50, le quartier des Halles était déjà la cible des urbanistes, qui voulurent supprimer ce qui était devenu une zone de trafic de drogue et de prostitution.

    Ce n'est que la nostalgie qui a retardé jusqu'à 1969 la décision de remplacer les Halles centrales, par un nouveau centre d'échange commercial à Rungis, un centre situé en périphérie de la ville où les camionnettes de livraison bénéficiaient d'un accès facile grâce au périphérique. Pendant quelques années brèves, de 1969 jusqu'à 1971, les Halles centrales devinrent un espace multifonctionnel pour des spectacles, des expositions et des événements culturels. Leur démolition en 1971 laissa derrière elles un vide correspondant aux dix îlots, rempli, incomplètement et de façon peu satisfaisante, par le désordre urbain d'une station de métro, d'un centre commercial, et d'un parc.

    Victor Baltard et Félix Calletcentrales (1854-74) : plan général© Musée d'Orsay / Patrice Schmidt

    La démolition des Halles centrales a provoqué un vif débat entre fonctionnalistes et défenseurs de l'environnement, un débat qui peut être comparé dans son importance à celui provoqué aux États-Unis par la démolition en 1963 de Penn Station à New York. Les fonctionnalistes soutenaient que les pavillons méritaient d'être détruits, parce qu'ils ne répondaient plus, depuis longtemps, à leur usage pratique. Les défenseurs de l'environnement répondaient que les pavillons étaient beaucoup plus que des structures utilitaires répondant à une simple fonction : bien au contraire, ils constituaient des espaces parfaitement flexibles qui pouvaient être adaptés à de multiples utilisations. Malheureusement, ce débat survint trop tardivement pour sauver les Halles, bien qu'il ait vraiment contribué au changement d'attitude de l'administration, et qu'il permit la sauvegarde, puis la transformation de la Gare d'Orsay, autre relique inutile de la Révolution Industrielle qui devait être détruite. Plus immédiatement, le débat a initié un réexamen critique de la signification historique des Halles centrales. Ce réexamen critique se déroula en trois étapes.

    D'abord, en 1977, Françoise Boudon et une équipe de chercheurs considérèrent les Halles centrales comme la partie d'un "système d'architecture urbaine" qui forma le développement du quartier des Halles du douzième au vingtième siècle. Selon Boudon, les Halles centrales ont radicalement transformé le quartier alors même que "la topographie ancienne contrarie à tout moment le systématisme du nouvel urbanisme". Ensuite, en 1980, Bertrand Lemoine a complété l'histoire urbaine de Boudon par une histoire architecturale qui a documenté les différentes propositions pour les nouvelles halles, du dix-huitième siècle au projet définitif de Baltard. Pour Lemoine, les marchés pouvaient être compris formellement, autant comme des pavillons individuels séparés par des rues, que comme un espace urbain unique qui transformait les rues en espace intérieur et où chaque pavillon était ouvert comme un espace public. Ensuite, en 1994, David Van Zanten étudia les trois phases finales de planification des halles, entre 1845 et 1854, pour retracer de quelle façon les plans de plus en plus réguliers furent le résultat d'un processus de spéculation, d

  • J'ai terminé hier soir:Les douze amours de Laurent Fabius

    Laurent Fabius devant "La cathédrale de Rouen. Le portail et la tour d'albane, temps gris", Claude Monet, 1894. ©C.Helie Gallimard Laurent Fabius devant "La cathédrale de Rouen. Le portail et la tour d'albane, temps gris", Claude Monet, 1894. ©C.Helie Gallimard

    Propos recueillis par

    L'homme politique analyse dans un livre passionnant* les tableaux qui, selon lui, ont "fait la France".

    La France compte un historien de l'art de plus ! En ciselant ce Cabinet des douze (Gallimard), l'ancien Premier ministre Laurent Fabius a voulu démontrer qu'il n'était pas seulement une voix, mais aussi un oeil. Démonstration réussie : son livre se lit comme une variation aboutie sur la peinture française, que ce fils et petit-fils d'antiquaires connaît bien. N'a-t-il pas grandi à l'ombre d'une des plus belles toiles de Georges de La Tour ? Du XVIIe à nos jours, en bref, des frères Le Nain à Soulages, en passant par Hergé, l'ouvrage fouille avec soin ce vieux grenier qu'est la peinture française.

    Des thèmes sont habilement soulignés, comme les loisirs, le travail, le portrait des puissants, voire les affiches électorales ; pointe aussi une certaine nostalgie à l'endroit du XVIIIe, le "siècle de l'esprit", et une vraie admiration pour Georges Clemenceau, plutôt appréhendé comme le grand ami de Monet et des impressionnistes que comme l'un des auteurs du traité de Versailles. Quoi qu'en dise l'auteur, l'ouvrage est, en définitive, bien plus politique qu'il n'y paraît au premier regard.

    Le Point : Presque tous les artistes qui constituent le "cabinet des douze" sont français ?

    Laurent Fabius : Pas tous. Hergé est belge. Picasso, franco-espagnol. Et je fais de nombreuses références à des artistes étrangers. D'un côté, je souligne l'absence de frontières dans l'art, dont c'est une des bénédictions. De l'autre, il existe tout de même certains tropismes français à travers les siècles. Par exemple, l'impressionnisme est français, comme l'est une certaine peinture du sourire et de l'insouciance. Ma thèse est que notre pays, avec ses valeurs et sa mémoire, est autant représenté par ses peintres et par ses musées que par ses chefs d'Etat, ses paysages, ses auteurs ou ses industries.

    Pourquoi, chez vous, une telle proximité avec le XVIIIe siècle ?

    Parce que c'est le siècle de l'esprit. Quelle liberté ! Dans le chapitre que je consacre à Voltaire et au pastel qu'en compose Quentin de La Tour, j'établis un parallèle entre les deux personnalités. Le choix par Voltaire d'un portraitiste alors inconnu est étonnant. A partir de ce beau portrait, Voltaire organise tout un plan média. Et les deux personnalités finissent par se rapprocher : leurs échanges sont représentatifs d'une liberté d'esprit, d'une impertinence qui ont fait le tour du monde à une époque où la France était la puissance dominante.

    Vous accordez une grande part à l'émotion ?

    Oui, à l'émotion et à la sensation. Quand je pénètre dans une salle de musée ou une galerie, c'est l'émotion qui me guide vers tel tableau ou telle sculpture. Ensuite vient la réflexion. Et quand l'oeuvre est de grande qualité, une troisième dimension s'ajoute, celle de la recherche plus érudite. Une oeuvre me plaît profondément lorsqu'elle est capable de passer ces trois phases : l'émotion, la réflexion, le regard initié. Leur addition exclut toute lassitude.

    La peinture française aurait évité les représentations du peuple ?

    En tout cas, les couches les plus modestes de la population ont longtemps été absentes des images. A l'exception notable des frères Le Nain. Et notre peinture, à la différence des Allemands, est peu représentative de notre histoire industrielle, pourtant riche. Sans doute parce que ces oeuvres ont été conçues pour une certaine clientèle qui n'était pas spécialement intéressée par les scènes populaires. Ensuite, les impressionnistes ont associé leur art à la représentation de moments heureux de l'existence ou de la société. Avec des variantes : Pissarro, de conviction anarchiste, privilégie à Rouen la rive gauche de la Seine, ses toiles laissent découvrir des cheminées d'usine, alors que Monet ou Gauguin, dans le même cadre et à la même époque, ne voient pas et ne peignent pas la même chose... La Seine-loisir côtoie la Seine-travail. Mais le peuple reste peu présent, y compris dans les toiles représentant des usines. La France n'a donc pas eu son Menzel, ce peintre allemand qui a su magnifiquement illustrer la révolution industrielle wilhelmienne. Daumier, lui, a préféré se concentrer sur les petits métiers de Paris. Le créateur qui s'est penché en France sur la condition ouvrière, c'est plutôt un écrivain, Zola.

    Le face-à-face de Monet avec la cathédrale de Rouen vous en impose ?

    Les 28 "Cathédrale" de Monet font partie de la mémoire picturale française la plus établie. Mais il faut mesurer ce qu'en 1892-1894 leur peinture comportait d'audace. Rien n'est plus difficile à faire entrer dans un format moyen que cette façade gothique et verticale. Surtout, il y a l'audace intellectuelle de Monet, le renversement d'approche qu'il opère. Ce n'est plus l'objet qui importe, mais la lumière, la couleur, le regard du sujet. La série qu'il peint est nacrée le matin, orangée à midi, bleuâtre le soir, avec plus de 70 000 touches dans un seul tableau. Ce culot et cette maîtrise me fascinent, comme ils ont fasciné son grand ami Clemenceau. On connaît le mot célèbre du Tigre face aux peintures de Monet : "C'est la révolution sans fusil." Quand on commence à connaître une époque, à sentir ses artistes, à communier avec leurs toiles - et c'est ce que j'aime aussi dans la peinture - se crée une sorte d'intimité avec les personnalités et les décors. J'imagine Monet face à la cathédrale, cloîtré dans son atelier de planches, souffrant, pestant, s'acharnant : "Je dois finir mon grand oeuvre !" Il faut lire la correspondance facétieuse et fraternelle entre ces deux géants octogénaires, Clemenceau et Monet. "Nous sommes fous tous les deux, écrit Clemenceau, mais pas de la même folie ; et c'est pourquoi nous nous aimerons jusqu'au bout."

    Pourquoi Caillebotte plutôt que Manet ?

    J'admire l'un et l'autre, mais j'ai réservé Manet pour un futur travail plus spécifique et choisi d'analyser la France des villes en partant de Caillebotte. Celui-ci avait tout contre lui. Pensez donc : bourgeois, mécène envers ses amis impressionnistes, sportif, rendant service à chacun. Et, en plus, un talent extraordinaire ! Comment voulez-vous plaire dans ces conditions ? Ce n'est pas un hasard si l'institut d'Art de Chicago a fait de " Rue de Paris, temps de pluie " son symbole. Le musée de Giverny a récemment exposé deux splendides Caillebotte, dont un rameur avec haut-de-forme, véritable scène de cinéma, avec des effets de contre-plongée. Les rames se reflètent subtilement dans l'eau : la qualité vaut " Impression, soleil levant ". L'oeuvre de Caillebotte que j'ai choisie pour mon " cabinet des douze ", " Le pont de l'Europe ", est une des premières toiles dans lesquelles la ville devient pleinement sujet du tableau. La gare Saint-Lazare, les poutrelles de fonte en gros plan, les fumées vaporeuses, des personnages de dos qui symbolisent l'anonymat urbain : plusieurs décennies à l'avance, il y a un côté Magritte.

    Vous goûtez Renoir et son image du bonheur ?

    Oui, je ne partage pas la réserve pincée que certains manifestent envers lui. Certes, je n'éprouve pas une passion pour le Renoir de la fin, mais je me délecte par exemple de " La danse à la ville " et de " La danse à la campagne ". J'aime cette époque. Et puis " Le déjeuner des canotiers ", porte-drapeau de l'idéal français du bonheur et de l'insouciance, est une toile magnifique. La terrasse où se côtoient ses amis célèbre le brassage social et forme une sorte de nacelle flottante. On y ressent physiquement le bonheur. L'Américain Duncan Phillips ne s'est pas trompé : ce tableau qu'il achète pour sa collection a pulvérisé à l'époque tous les records.

    Surprise : vous identifiez Picasso à la guerre plutôt qu'aux femmes ?

    On connaît surtout les oeuvres de Picasso consacrées à ses compagnes et à ses proches. On connaît aussi " Guernica ". Mais là, j'ai choisi pour réfléchir au traitement de la guerre un autre aspect, une toile conservée au MoMa de New York, " Femme se coiffant ". La scène traditionnellement la plus intimiste, la plus douce, nimbée d'une dimension érotique, Picasso la transforme en un symbole implacable de la violence et de la lutte contre le nazisme. J'essaie de montrer comment ce tableau, par ses formes torturées, constitue un acte de résistance. J'analyse aussi comment, dans l'histoire de notre peinture, ce thème de la guerre a successivement été traité. Longtemps, à travers des scènes de batailles, nos peintres ont glorifié la geste des combats, l'héroïsme, les charges de cavalerie : c'est l'époque de Van der Meulen ou de Jean-Antoine Gros. Gustave Doré aborde le thème d'une façon originale, Fernand Léger aussi. Les choses changent radicalement avec le second conflit mondial. Quand les horreurs atteignent leur comble, le moment vient où on ne peut plus peindre la guerre et où on se demande même s'il est possible de continuer à peindre. L'une des raisons du succès de l'abstraction tient probablement au fait que la guerre a rendu la figuration impossible. Dans ce parcours changeant, la toile de Picasso constitue un temps fort, par le contraste entre l'intimité de la scène et la violence du traitement, évocateur de tous les tourments d'un conflit bientôt mondialisé. La sculpture a, elle aussi, cherché à rendre compte de la guerre, notamment Giacometti : sous la peau de beaucoup de ses figures, je sens affleurer le squelette.

    Vous écrivez à propos de l'art contemporain : " La plupart des oeuvres - en majorité anglo-saxonnes - qui désormais triomphent internationalement sont des machines à fabriquer des excréments, des animaux en morceaux rangés dans des caissons de formol ou des fleurs en plastique géantes "...

    Oui, j'appelle cela par dérision l' "ESS" : l'école snobo-spéculative. Il me semble que cette école ne manque pas de disciples parmi certaines oeuvres récentes. Cela n'empêche pas, heureusement, que beaucoup d'artistes français contemporains possèdent et montrent un très grand talent.

    Vous appréciez le travail de Soulages ?

    Je l'apprécie et je l'admire. Nous n'habitons pas loin l'un de l'autre et je suis de près son travail. Il s'exprime admirablement sur son art tout en étant économe de ses mots. Surtout, son traitement pictural de la lumière est révolutionnaire. Il rompt avec une tradition de plus de cinq cents ans dans laquelle la lumière vient de l'intérieur du tableau plutôt que de l'extérieur. Soulages, lui, appelle la lumière au lieu de nous en protéger. Il veut qu'elle révèle le tableau, le peintre et le spectateur à eux-mêmes. L'aime-t-on parce qu'il est révolutionnaire ou parce qu'il est classique ? En tout cas, son oeuvre, particulièrement celle des quinze dernières années, nous force à réfléchir sur l'art et sur nous. Si j'avais un pronostic à formuler sur les grands artistes qui marqueront notre temps, je citerais Soulages et Zao Wou-Ki. Tous deux ont à la fois assimilé l'héritage pictural de plusieurs siècles et expriment la rupture qui marque les vrais créateurs. Matisse avait parfaitement résumé cela : "Un grand peintre est celui qui trouve des signes personnels et durables pour exprimer plastiquement l'objet de sa vision."

    * " Le cabinet des douze, regards sur des tableaux qui font la France ", de Laurent Fabius (Gallimard, 220 p., 22,50 E). Parution le 9 septembre.

    http://www.lepoint.fr/culture/les-douze-amours-de-laurent-fabius-26-08-2010-1228983_3.php

  • Quelques définitions(Pour Elisabeth)

     

    BALADE, subst. fém.
     
    Fam. Flânerie, promenade sans but précis. Être, aller en balade; faire une balade :
    1. Le jour baissait, elles [Pauline et Nana] faisaient un dernier tour de balade, elles rentraient dans le crépuscule blafard, au milieu de la foule éreintée.
    Zola, L'Assommoir, 1877, p. 713.
    2. Dans l'après-midi du dimanche, les voisins partaient faire une balade à bicyclette, ils allaient se baigner à une dizaine de kilomètres de là...
    E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs, 1945, p. 227.
    3. Le dimanche (...) la famille s'offrait le cinéma ou une petite balade très bourgeoise.
    H. Bazin, La Tête contre les murs, 1949, p. 210.
    P. ext. Sortie, excursion vers des lieux relativement proches.
    1re attest. 1855 (d'apr. Esn. 1966); déverbal de balader* étymol. 3. [balad]. Homon. ballade. Fréq. abs. littér. : 28.
    BBG. − Darm. 1877, p. 50. − Guiraud (P.). Le Jargon de la Coquille. Cah. Lexicol. 1967, t. 11, no 2, p. 46, 52. − Ritter (E.). Les Quatre dict. fr. Rem. lexicogr. B. de l'Inst. nat. genevois. 1905, t. 36, p. 356. − Sain. Lang. par. 1920, p. 226.
     
    VOYAGE, subst. masc.
    I. − [À propos d'un animé]
    A. − Déplacement que l'on fait, généralement sur une longue distance, hors de son domicile habituel. Le premier [l'Espagnol] veut de grands voyages, le second [l'Anglais] des voyages importants, le troisième [l'Allemand] des voyages utiles, le quatrième [le Hollandais] des voyages lucratifs, et le cinquième [le Français] des voyages rapides (Joubert, Pensées, t. 1, 1824, p. 393).
    1. Déplacement considéré en fonction de la nécessité que l'on a de se rendre dans un lieu déterminé. Synon. parcours, route, trajet. Quand il était secrétaire à Rome (...), il avait à Paris une maîtresse dont il était éperdu et il trouvait le moyen de faire le voyage deux fois par semaine pour la voir deux heures (Proust, J. filles en fleurs, 1918, p. 563). Il souffrait d'un point douloureux entre les omoplates. Pourtant, ce long voyage en chemin de fer ne l'avait pas fatigué outre mesure; il avait pu s'allonger, une partie de la nuit (Martin du G., Thib., Épil., 1940, p. 774).
    SYNT. Voyage aller, retour, aller retour; voyage en autocar, en diligence, en voiture; voyage par avion, par mer, par terre; court, long voyage; voyage fatigant, harassant; pendant le voyage; fatigue du voyage; coût, frais, prix du voyage; voyage à Paris, dans la capitale; voyage Paris-Lyon; voyage de deux cents kilomètres; être à un jour de voyage de...; cheval, voiture de voyage.
    Fam. Valoir le voyage. Valoir le déplacement, le détour. À côté du ksar, il y a un bordj ressemblant à un château-fort du Moyen-Âge qui borde une magnifique palmeraie (...): vous verrez, ça vaut le voyage! (B. Biehler, Véto sans frontières, Dijon, éd. des Grands Ducs, 1988, p. 548).
    Spécialement
    MAR. Voyage au long cours*. Voyage au cabotage. Parcours effectué sans s'écarter des côtes. (Dict. xixe et xxe s.).
    TRANSP. V. circulaire1.
    2. Déplacement que l'on fait dans un but précis (généralement politique, économique, scientifique, religieux...).
    a) Long périple effectué jadis par les grands voyageurs qui se déplaçaient par terre ou par mer pour aller à la découverte et à la conquête de contrées nouvelles. Synon. expédition, pérégrination. Les voyages de Cook, de Magellan; un grand, long, lointain voyage; voyage d'exploration, de découverte(s). En rédigeant un plan de navigation pour le voyage de découvertes dont la conduite est confiée à M. de La Pérouse, on a eu pour objet de lui faire suivre, dans les différentes mers, des routes qui n'ayent été suivies par aucun des navigateurs qui l'ont précédé (Voy. La Pérouse, t. 1, 1797, p. 58). Christophe Colomb (...) découvrait l'Amérique en quatre voyages successifs. Il apportait ainsi aux hommes de science un vaste champ de recherches (Hist. sc., 1957, p. 1450).
    Voyage de circumnavigation*.
    b) Déplacement fait par des savants dans le cadre de leur spécialité (écrivains, géographes, ethnologues, etc.) dans un but d'études, d'observation et de recherche. Voyage scientifique; carnet, journal, littérature, notes, récit, relation de voyage. Les voyages d'Hérodote sont certains et racontés par lui-même. La tradition nous a transmis le souvenir de ceux de Platon, de Pythagore et de Démocrite (Berthelot, Orig. alchim., 1885, p. 147).
    P. méton., vieilli. Relation d'un voyage important et intéressant le public. Je crois que j'écrirai un voyage. Je veux que ceux qui le liront parcourent avec moi tout le monde soumis à l'homme (Senancour, Obermann, t. 2, 1840, p. 170). Je lis le voyage d'un voltairien en Orient. C'est affreux. Oh, la vilaine chose que l'esprit dans un pays de soleil! (Goncourt, Journal, 1864, p. 41).
    c) Vx. Déplacement à des fins religieuses. Synon. pèlerinage. Au Moyen âge (...) les foires, les réunions d'affaires (...) sont des fêtes religieuses (...); les voyages sont des pèlerinages; les guerres sont des croisades (Renan, Avenir sc., 1890, p. 471).
    d) Déplacement effectué dans le cadre d'une activité institutionnelle, rémunérée ou non. Voyage d'études, d'inspection, d'information; frais de voyage. Ses absences se firent de plus en plus fréquentes au repas du soir (...), et sous prétexte de voyages d'affaires, Ricordi (...) était le plus souvent absent (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 126).
    Voyage de stimulation. ,,Voyage offert par une entreprise commerciale ou tout autre organisme pour récompenser ou stimuler un salarié ou un distributeur. Synon. voyage-récompense`` (Tourisme Loisirs 1982).
    En partic. Activité d'un voyageur de commerce. J'ai pour ami d'enfance Andoche Finot, le fils du chapelier de la rue du Coq, le vieux qui m'a lancé dans le voyage pour la chapellerie (Balzac, C. Birotteau, 1837, p. 155).
    e) Déplacement d'un personnage officiel dans l'exercice de ses fonctions. Voyage officiel? demanda l'ami de Clemenceau. Vous venez inaugurer une statue, créer une loge ou décorer un peintre mort?Pas du tout, je viens faire une démarche auprès d'un indigène qui ne se dérange pas (Fargue, Piéton Paris, 1939, p. 36).
    f) Exploration de l'espace par des savants. Voyage dans l'espace; voyage orbital, spatial; voyage sur/vers la lune; voyage cosmique. L'homme ne s'est déplacé dans l'atmosphère qu'après avoir trouvé le moteur à explosion, et le moteur à réaction lui ouvre la possibilité de voyages interplanétaires (Ruyer, Cybern., 1954, p. 122).
    3. Déplacement fait par des particuliers dans un but d'agrément, de loisirs, de dépaysement, de découverte. Synon. circuit, périple.
    a) Parcours organisé par un/des particulier(s) et prévoyant des étapes de repos et de découverte (culturelle, géographique, etc.). Nous quittons la France, et peut-être même l'Europe (...); nous allons faire un voyage d'agrément! (Dumas père, Demois. St-Cyr, 1843, II, 10, p. 138). Il faisait en compagnie de son père un voyage en automobile à travers la France. Ses lettres, fort détaillées, me décrivaient les régions qu'il visitait (Lacretelle, Silbermann, 1922, p. 104).
    SYNT. Voyage autogéré, individuel, en famille; voyage touristique, de tourisme; voyage pour se distraire; voyage en France, en Europe, en Italie; compagnon de voyage; préparatifs de voyage; faire voyage (vieilli); achever, ajourner, continuer, entreprendre, interrompre, poursuivre, remettre, retarder un/son voyage; souhaiter bon voyage (à qqn); faire un (bon) voyage; être du voyage; partir en voyage; raconter son voyage.
    Voyage en mer (maritime), en bateau. Synon. croisière. Me voici à New-Haven, d'où, conformément à ma promesse, je vous envoie les détails de ce petit voyage maritime, ainsi que ceux du séjour que j'ai fait dans cette ville (Crèvecœur, Voyage, t. 2, 1801, p. 310).
    Voyage de noces. Voyage qu'effectuent généralement les jeunes mariés juste après la célébration du mariage. Les fiançailles arrangeraient les choses, distrairaient le couple; ensuite, un voyage de noces balayerait cette gêne définitivement (Cocteau, Enfants, 1929, p. 154).
    b) P. méton. Ensemble de services et de prestations assurés par un organisme spécialisé qui permettent aux clients de voyager pour leur agrément et sans soucis, le plus souvent en groupe, sur un parcours établi à l'avance. La formule des voyages collectifs qui, à l'origine, avait surtout un but de pèlerinage, s'est largement étendue et a permis de toucher une clientèle de plus en plus vaste, surtout parmi les jeunes (M. Benoist, Pettier, Transp. mar., 1961, p. 32).
    SYNT. Agence, bureau, club, marchand, organisateur de voyage(s); vendre des voyages ; voyage organisé, en (de) groupe(s), à forfait; voyage à thème.
    c) ÉDUC. NAT. Voyage (scolaire, de fin d'année). Voyage proposé aux élèves de l'enseignement général pour clôturer une année d'étude. Le grand rêve des enfants, c'est de partir en voyage avec le professeur (Mme Séjournant, Cahiers pédag., 15 avr. 1955, p. 542 ds Foulq. 1971).
    Voyage échange. Voyage effectué par une classe dans le but de rencontrer une autre classe généralement éloignée et qui permet des échanges entre les élèves et leurs correspondants (d'apr. Éduc. 1979).
    d) Loc. adj. De voyage. Propre au voyage; nécessaire à la personne qui voyage. Argent, articles, carte, couverture, guide, habit, jeu, malle, manteau, montre, nécessaire, trousse, toilette de voyage. Je vis (...) un jeune homme blond, grand, pâle, vêtu d'un costume de voyage qu'il semblait ne pas avoir quitté depuis quelques jours (Dumas fils, Dame Cam., 1848, p. 29). C'est Zéléda, dit-il. J'ai vu son sac de voyage dans le couloir du premier (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p. 106).
    BANQUE. Chèque* de voyage. Synon. traveller's* chèque.
    4. En voyage
    a) Loc. adv. Pendant le voyage, lorsqu'on voyage. Il faut avoir (...) une lime, des pinces, une boussole et trois marteaux, passés dans une ceinture qui se dissimule sous la redingote et « vous préserve ainsi de cette apparence originale, que l'on doit éviter en voyage » (Flaub., Bouvard, t. 1, 1880, p. 88). En voyage, mon plaisir est de regarder et de ne rien voir (Renard, Journal, 1901, p. 680).
    b) Loc. verb. Être, partir en voyage. Être absent de, quitter son domicile pour un certain temps. Elle partit pour Rouen (...), afin d'aller chez tous les banquiers dont elle connaissait le nom. Ils étaient à la campagne ou en voyage (Flaub., Mme Bovary, t. 2, 1857, p. 149). Se mettre en voyage (vieilli). Se mettre en route. Une soif d'existence brûlante, une curiosité de notre merveilleux enfer, avait pris et enfiévré, tout à coup, ce chasseur, là-bas!... Il s'était mis en voyage: et il était là, tout simplement (Villiers de L'I.-A., Contes cruels, 1883, p. 312).
    c) Loc. adj. Une espèce de paysan à cheval (...), en costume complet de brigand de mélodrame ou de bourgeois corse en voyage (Mérimée, Colomba, 1840, p. 33).
    5. En partic. Séjour hors de sa résidence habituelle. Cette tentative vint à la suite d'une gageure qu'avait faite à Fontainebleau, pendant un voyage de la cour, un gentilhomme anglais (Jouy, Hermite, t. 4, 1813, p. 202).
    6. Au plur. ou au sing. coll. [Corresp. à supra 2 et 3] Agrément, amour, dépaysement, joie du/des voyage(s); avoir le goût, la passion du/des voyage(s); ado
  • Théodore Botrel

    Charles Le Goffic, pourtant partial envers ses compatriotes, disait, de Botrel, que son œuvre sonnait creux à maints endroits, que sa langue était pauvre, qu'il avait une certaine prétention à l'élégance littéraire. - Il ajoute cependant qu'il était la chanson faite homme, que sa chanson était mâle, patriote, fortifiante, nostalgique... en précisant... quelquefois.

    Léon Durocher, pourtant né à Pontivy, en Bretagne lui aussi, fut plus sévère et alla jusqu'à l'appeler le "Breton de Montmartre".

    Certains l'ont accusé d'opportunisme, d'exploitation, d'avoir inventé de toutes pièces un folklore plus vrai que vrai et d'avoir profité de la naïveté d'un public qui croyait en son costume et en ses fausses chansons chouannes.

    La vérité est qu'il fut un peu tout cela et, au départ, probablement pire, mais il a écrit et créé des chansons qui sont passées dans le répertoire de chanteurs et chanteuses aussi disparates que Mayol, Eugénie Buffet, Paul Delmet, André Claveau et Charlus et qu'il a été, pendant un long moment, chanté dans toute la francophonie.

    Ses tournées au Canada français, en 1903 et 1922 furent triomphales. - Lors de sa deuxième visite, plus de cinq milles personnes l'attendaient à la gare et, pendant des années, ses chansons ont fait, au Québec, partie de tous les manuels de "bonnes chansons".

    Il est né à Dinan le 14 septembre 1868 et fut élevé par sa grand-mère à Parson, hameau dépendant de Saint-Méen, ses parents étant partis faire fortune à Paris. Comme ces derniers ne firent pas précisément fortune, le jeune Théodore dut les rejoindre à l'âge de sept ans pour faire ses études chez des congréganistes avant d'être mis en apprentissage chez un serrurier d'où il passa, la vocation tardant, chez un éditeur de musique puis un joaillier et enfin chez un avoué lettré où il devient saute-ruisseau, ce qui le mit en rapport avec le milieu théâtral.

    "Comme tout à coup, écrit-il dans ses mémoires inachevées, mon éducation m'apparut précaire! Oh! Il me fallait coûte que coûte la compléter. Et je me fis inscrire aux cours du soir des Associations polytechniques et philotechniques de mon quartier... Chaque soir, donc, ma journée finie, j'allais à mes conférences de 8 heures et 1/2 et de 9 heures et 1/2... [Mais] le cours postscolaire suivi le plus régulièrement par moi était celui de lecture et de déclamation. Il était fait rue Caumartin par un étrange professeur, sans grande allure mais non sans talent, nommé Marius Lainé, haut comme trois pommes, légèrement bossu, longs cheveux "à la Mendès", toujours vêtu d'une sévère redingote de notaire... Au théâtre, il eût été le plus quelconque des acteurs. Comme professeur, il était incomparable."

    Vers seize ou dix-sept ans, il fait partie d'une petite troupe d'amateurs, l'Amicale des anciens de Saint-Augustin, et y fait même jouer sa toute première pièce, Le poignard, qui était encore au répertoire des patronats en 1925; un petit mélo historique, un peu noir, mais très moral, sans personnage féminin il va sans dire.

    Les petits cafés où l'on chante, où l'assistance est formée des familles du quartier, l'attirent et il y dépose ses premiers textes que certains artistes s'aventurent à créer dont "Le petit bois de Kéramour", "Le duel d'oiseaux" et "La chanson de Pascalou" qu'une gloire locale, Juana, mit à son répertoire.

    À dix-huit ans, sa première chanson imprimée paraît :"Au son du biniou". - Elle n'a aucun succès. - Un autre Biniou, paru des années auparavant - en 1856 pour être plus précis (paroles de Hyppolyte Guérin, musique d'Émile Durand) - était déjà connu.

    Décidé de faire carrière dans les chemins de fer ou à la Banque de France, il s'engagea pour cinq ans, au 4ième de ligne, à Rennes pour son service militaire : un pré-requis.

    Cette "formalité" complétée, il revient à Paris et entre tout de suite au P.L.M. [*] pour assurer son "côté matériel". Parallèlement, il suit des cours de diction, s'enrôle dans la troupe du Théâtre-Libre où, sous le nom de sa mère, Fechter, il crée divers rôles secondaires à côté d'Antoine qui allait devenir si célèbre (voir à Dranem) tout en continuant d'écrire pour l'Amicale des anciens de Saint-Augustin : "Nos bicyclettes", "Monsieur l'Aumônier"...

    Des chansons ? - Il en a des dizaines mais personnes pour les chanter. Delmet, alors au Chien-Noir avec d'autres dissidents du Chat Noir (voir à Rodolphe Salis), s'intéresse quelque peu à lui et compose la musique de deux d'entre elles : "Les mamans" et "Quand nous serons vieux". - Succès mais succès d'estime.

    Un soir - il a 25 ans -, un des artistes n'est pas au rendez-vous. - Le directeur du Chien Noir, Victor Meusy, le pousse sur scène en annonçant : "Le chansonnier breton, Théodore Botrel, dans ses œuvres." - Son tour de chant dut avoir un certain succès car quelques jours plus tard, il y est engagé à raison de cinq francs par soir. Pour rendre ses prestations plus réalistes, il revêt le bargou-braz, ce costume breton qui l'identifiera à jamais. - Il y chante "La ronde des châtaignes", "Les pêcheurs d'Islande" puis "La Paimpolaise" (mise en musique par Émile Feautrier) qu'il vend à un éditeur parisien pour la modique somme de 20 francs.

    Un jeune débutant, tout frais de Toulon, s'intéresse à cette Paimpolaise et la met à son répertoire non sans voir changé quelques mots. - Ce débutant s'appelle Mayol. - Voir plus loin.

    Cette chanson allait assurer la gloire, et de Mayol, et de Botrel, et allait rester au répertoire du premier jusqu'à sa mort en 1941. - Enregistrée par lui en 1903, elle fut reprise par Henri Weber la même année puis par André Maréchal en 1904, François Viannec en 1908, etc., etc. - Botrel en fit lui-même une première version en 1907 et une dernière, peu de temps avant de prendre sa retraite (définitive) en 1922.

    De cette Paimpolaise jusqu'à sa mort survenue en 1925, Botrel allait composer des centaines de chansons ayant pour thèmes l'amour, la vieillesse, les charmes, la misère... du pays breton. Se sont insérés dans le lot des chants patriotiques, des chansons pour relever le moral des troupes, des prières, de petits mélodrames, bref : toute la panoplie du compositeur qui tient absolument à être chanté par tout le monde, y compris par ces dames des congrégations religieuses, les membres du gouvernement et les enseignants. - Rien de comique dans les chansons de Botrel : il fait sérieux.

    Il connut un grand succès, non seulement en France mais dans toute la francophonie - on le publiait encore, au Québec, en 1958 - mais son œuvre n'a pas fait de rejetons.

    Elle est disparue avec lui non pas sans avoir survécu quatre, cinq autres décennies.

    Botrel est inhumé à Pont-Aven en Bretagne.


    Parmi ses titres les plus connus


    Et, parmi son œuvre écrite

    Poèmes, contes et théâtre

    • Les Alouettes : poésies (1903-1912)
    • Coups de clairon : chants et poèmes héroïques (1903)
    • Contes du lit-clos : récits et légendes bretonnes en vers (1910)
    • Le Grenadier breton : un acte historique en vers (1910)

    Souvenirs

    • Les Souvenirs d'un barde errant (consultables ici)
      préface de de Charles Le Goffic (1926)
      Republié chez Yves Salmon en 1988.

    Recueils de chansons

    • Chansons de Théodore Botrel extraites de La Fleur-de-Lys - 1899
    • Les contes du lit-clos - 1899
    • Chansons de Théodore Botrel : extraites des chansons de Jacques-la-Terre et de Jean-La-Vague - 1901
    • Chansons en sabots : suite de Chansons de chez nous - 1902
    • Chansons en dentelle - 1905
    • Les chansons de Jean-qui-chante : (Romances à chanter et poésies à dire) - 1907
    • Autres chansons de Jean-qui-chante - 1910
    • Chansons des clochers à jour - 1911
    • Les alouettes - 1912
    • Chansons de la veillée -1913
    • Chansons de route (1er janvier - 31 août 1915) avec une préface d'Eugène
    • Tardieu - 1915
    • Les chants du Bivouac (1er août - 31 décembre 1914) - 1915
    • Chansons de la route - deuxième série - 1916
    • Chants de bataille et de victoire - 1919

    Pour mémoire

    De 1903 à 1958 et ce sans interruption, la maison d'édition Beauchemin [Montréal, Québec] publia divers volumes de chansons de Théodore Botrel sous le titre de "Chansons de Botrel pour l'école et le foyer". - Les textes en annexe, cités ci-dessus, proviennent de ces éditions.

    À la même maison d'édition, parut, en 1922, une plaquette dédié aux communautés locales intitulée : "Théodore Botrel, poète chrétien" de Louis Bouhier (1867-1949), auteur d'une chanson, en 1920, intitulée "Dieu soit béni !" (traduite en anglais sous le nom de "Divine Praises") d'après un air de l'abbé Abel Soreau, sans doute de sa "Passion de Notre Sauveur Jésus Christ", créée une vingtaine d'années auparavant par les élèves de l'école Saint-Stanislas (Nantes). - Ce qui donne une idée de ce qu'a pu être l'influence de Botrel au Québec d'avant 1939. - D'aucuns diraient même d'avant la Révolution Tranquille des années '60.


    Un album photo

    Ce barde errant
    Philippe Bervas - Préface d'Anatole Le Braz
    Éditions Ouest-France, 2000


    Et pour terminer

    Botrel, barde breton et Jean Rameau, barde berrichon

    (Merci à Olivier Ledin des Pyrénées Atlantiques)


    Extraits sonores

    On écoutera de Botrel deux titres :

    • "La Paimpolaise" (Botrel et Feautrier) -1923

    Disque Pathé n° PAT00291PN

     

    • "Le petit Grégoire" (Botrel) - 1906 ou 1908

    Cylindre - Marque inconnu


    Petits formats

    (de la collection de Jean-François Petit)

    Ce copyright concerne mes textes et mes photos. Si vous souhaitez utiliser un de mes textes ou photos, merci de me contacter au préalable par e- mail et de citer mon nom et le mon adresse URL... comme je m'efforce de le faire pour les créations des autres.

    Mes essais

    tirés de mes recherches universitaires
    ISBN:978-2-9531564-2-3

    Notes récentes

    ISBN :978-2-9531564-9-2

    Mars 2025

  • Balade sur les traces de grandes figures féminines à Paris

    Carte sur les traces des figures féminines à Paris

    Artistes, philosophes ou scientifiques, découvrez les lieux où toutes ces femmes marquèrent l'Histoire

    Ecrivaines, philosophes, scientifiques ou artistes... nombreuses sont les femmes qui au fil des siècles marquèrent l'Histoire et firent de Paris la ville qu'elle est aujourd'hui. A travers ce parcours, découvrez le portrait de certaines des plus illustres femmes qui ont exprimé leurs talents de bien des manières et continuent aujourd'hui d'inspirer dans le monde entier.

    Colette - 9 rue de Beaujolais

    Dernier lieu de résidence de l'écrivaine Colette, le Palais-Royal est décrit comme une petite province dans Paris par cette femme de lettres française mais aussi actrice et journaliste. Elle se fait connaître par son roman Claudine et devient la deuxième femme élue à l'académie Goncourt en 1945. Femme libre engagée, elle œuvrera pour la liberté des femmes et écrits de nombreux ouvrages sur la bisexualité.

     

     

    Anne-Sophie Pic, La Dame de Pic, 20 rue du Louvre

    Anne Sophie Pic

    Fille et petite-fille de chefs triplement étoilés au Michelin, Anne-Sophie Pic tient ici son restaurant La Dame de Pic depuis 2012. En 2007, elle gagne une étoile au Michelin et est élue "cheffe de l'année" par les guides Michelin. Elle fait partie des rares cheffes à avoir reçu les 3 étoiles.

     

    Niki de Saint Phalle - Fontaine Stravinsky, Place Igor Stravinsky

    Fontaine Stravinsky, sculpture de Niki de Saint Phalle, Paris © OTCP - Amélie Dupont

    Artiste peintreplasticienne et sculptrice franco-américaine Niki de Saint Phalle est membre du groupe des Nouveaux réalistes. Elle devient mondialement connue avec ses tableaux de la collection "Tir", série de tableaux en peinture et plâtre réalisée dans les années 60. En 1971 elle se marie avec Jean Tinguely et réalise avec lui la Fontaine Stravinsky créée dans le cadre de la construction du Centre Pompidou.

     

     

     Marie Antoinette - Conciergerie, 2 Boulevard du Palais

    Traitresse étrangère, martyr de la révolution française, icône de mode et désormais reine pop, la reine Marie Antoinette continue de déchainer les passions plus de 200 ans après sa mort. Considérée comme l'une des reines les plus connues au monde, elle va avec son mari le roi Louis XVI marquer l'Histoire par son destin hors du commun et sa triste fin. C'est à la Conciergerie, prison révolutionnaire que Marie-Antoinette va passer les dernières semaines de sa vie. La reine sera jugée à quelques mètres de sa cellule dans le Tribunal Révolutionnaire et y rédigera sa dernière lettre testament avant d'être finalement décapitée sur la Place de la Concorde.

     

     

    Simone Signoret - 15 Place Dauphine

    Auteure et actrice française Simone Signoret tourne avec les plus grands. Elle est la seconde actrice française à recevoir l’oscar de la meilleure actrice en 1960, puis le César de la meilleure actrice en 1977. Populaire auprès des français, elle tiendra de nombreux rôles tout au long de sa carrière et n’hésitera pas à affirmer ses idées politiques en signant par exemple le Manifeste des 121 en 1960, déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie. Mariée à Yves Montand ils passeront une partie de leur vie dans l’ancienne librairie « la Roulotte » au 15 place Dauphine. Tous deux reposent aujourd’hui au Père-Lachaise.



     

    Coccinelle – 75 bis rue des Martyrs

    Coccinelle

    Jacqueline, Charlotte Dufresnoy, dite Coccinelle était l’égérie du cabaret de Madame Arthur. C’est à cette adresse qu’elle a débuté sa carrière dans le monde du spectacle en 1953, avant de s’illustrer dans d’autres cabarets parisiens. Première célébrité a changé officiellement d’état civil, elle est un véritable symbole du combat pour la reconnaissance des droits des personnes trans. Une promenade à son nom a été inaugurée en mai 2017, située entre le numéro 2 et le 16 du terre-plein du boulevard de Clichy.

     

    Sophie Germain - 13 Rue de Savoie

    Passionnée par les mathématiques elle lit dès l'enfance Newton et Euler et entreprend de devenir mathématicienne. Sophie Germain s'invente alors un pseudonyme : Antoine-Auguste Le Blanc pour pouvoir accéder à l'école polytechnique de Paris, alors exclusivement réservée aux hommes. Elle travaille essentiellement sur la théorie des nombres (théorème de Fermat) et faits de très nombreuses découvertes dont le fameux théorème Sophie Germain. Elle vécue ici de longue années jusqu'à sa mort en 1831.

     

    Sarah Bernhardt - 5 Rue de l'École de Médecine

    Rendez-vous au 5 rue école de Médecine, lieu de résidence de Sarah Bernhardt. Qualifiée de « monstre sacré » par Jean Cocteau, Sarah Bernhardt aura une carrière internationale, influencera la mode, la littérature et les arts décoratifs de son époque. Elle sera directrice de théâtre à la Renaissance puis au théâtre des Nations qu'elle nomme le théâtre Sarah Bernhardt. Femme engagée elle prend le parti d'Émile Zola dans l'affaire Dreyfus et s'engage contre la peine de mort. Amputée d'une jambe en 1915, elle ne se produira plus qu'assise, très populaire, la France lui consacre des funérailles nationales lors de sa mort en 1923.

     

     

    Marie Curie - Institut Curie 1 Rue Pierre et Marie Curie

    Physicienne et chimiste Marie Curie mène des recherches sur un nouveau phénomène qu’elle nommera radioactivité. Ses recherches mèneront également à la découverte de deux nouveaux éléments le radium et le polonium avec son mari Pierre Curie. Après avoir reçu le prix Nobel de physique en 1903, l'Université de Paris et l'Institut Pasteur édifient un nouveau bâtiment en son nom : le Laboratoire Curie, composante de l'Université de la Sorbonne, désormais l'Institut Curie. Elle y exercera le métier de professeure de physique pendant près de 20 ans, et sera la première femme à donner des cours à des étudiants. En 1911, elle décroche le Nobel de Chimie. Elle repose aujourd’hui avec son mari au Panthéon. C'est à cet Institut que sa fille Irène Curie et Frédéric Joliot découvriront la radioactivité artificielle en 1934.

     

     

    Françoise Sagan - 34 Rue Guynemer

    Dans cet appartement, face au jardin du LuxembourgFrançoise Sagan détestant la solitude et grande généreuse organisait des réceptions où elle invitait ses amis Orson Welles, Ava Gardner ou encore Georges Pompidou. Devenue célèbre avec son premier roman, Bonjour tristesse en 1954 alors qu'elle n'a que 18 ans, Françoise Sagan connait un destin de grande écrivaine et dramaturge avec plus d'une cinquantaine de romans, de nouvelles, de pièces de théâtre et de chansons.

     

    Olympe de Gouges - 18 - 20 Rue Servandoni

    Olympe de Gouges

    Auteure de la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en 1791 rédigée au 18 rue Servandoni, Olympe de Gouges est féministe et réformiste. Elle milite pour l'abolition de l'esclavage et réclame des refuges pour les plus vulnérables. Véritable engagée, elle plaide notamment pour le droit au chômage des ouvriers et le droit au divorce pour les femmes. Elle sera la deuxième femme après Marie-Antoinette à être décapitée lors de la Révolution Française.

     

    Simone de Beauvoir - Le Café de Flore

    Le Café de Flore était considéré comme le quartier général de plusieurs grands esprits dont Simone de Beauvoir. Avec son mari Jean-Paul Sartre, elle fait de ce lieu leur siège social et considère le café comme chez eux. Ici, les journées de Simone de Beauvoir seront consacrées à ses écrits, devenue l'une des auteures les plus lues du monde, elle obtient le prix Goncourt pour son roman "Les Mandarins" en 1954.

    Théoricienne du mouvement féministe avec son livre "Le Deuxième Sexe", Simone de Beauvoir participe dans les années 70 au mouvement de la libération de la femme.

     

    Sonia Delaunay - 16 rue Saint Simon

    Sonia Delaunay

    Artiste peintre d’origine ukrainienne, Sonia Delaunay et son mari Robert vécurent et créèrent au 16 rue de St-Simon. Le fauvisme inspire ses premières créations avec notamment le célèbre tableau « Philomène », conservé aujourd’hui au centre Pompidou. Artiste reconnue de son vivant, Sonia Delaunay se verra offrir une rétrospective de son œuvre au musée du Louvre en 1964 et la distinction d’officier de la Légion d’honneur en 1975. 

    Elle laisse après sa mort en 1979, une œuvre riche comprenant aussi bien des tableaux, des tissus imprimés, des livres d'artistes, des robes de haute couture, des objets d’art… Sonia Delaunay se disait incapable de définir sa forme d’art. Discriminée par les critiques d’art de l’époque moderne, le style Delaunay est aujourd’hui mondialement reconnu.

     

    Madame de Staël - 102 rue de Grenelle

    Madame de Staël

    Cette adresse est le lieu de résidence à partir de 1798 de Madame de Staël, grande romancière du mouvement romantique. Germaine de Staël joue un rôle politique avec ses livres "Delphine" en 1802 et "Corinne ou l’Italie" en 1807 qui dénoncent les conditions de la femme du 18e siècle.

    Pour la plupart des hommes politiques et écrivains de l'époque, elle est décrite comme empiétant les domaines réservés aux hommes.

     

    Romy Schneider - 11 rue Barbet-de-Jouy

    Connue du grand public pour son rôle de Sissi l’impératrice, Romy Schneider tourne avec les plus grands : Visconti, Tavernier, Welles, Sautet. Engagée pour les droits de la femme, Romy Schneider milite dans les années 70 pour un avortement libre et signe le Manifeste des 343 pour l'avortement précisant avoir elle-même avorté.

    Elle vit à Paris, rue Barbet-de-Jouy jusqu’à sa mort prématurée à 43ans en 1982, après avoir connu une grande carrière internationale. Romy Schneider reçoit en 2008 un César d'honneur pour l'ensemble de sa carrière.

     

     

    Simone Veil - 11 Place Vauban

    Simone Veil

    Le 11 place Vauban était le lieu où Simone Veil vécut avec son mari Antoine et leurs enfants. Son discours pour le droit à l'IVG marquera l’histoire puisque le 17 janvier 1975, "la loi Veil" fut adoptée légalisant l'interruption volontaire de grossesse.

    Femme politique émérite, Simone Veil repose aujourd’hui au 

  • Blaise Pascal, saint ou rebelle ?

     

    Gaspard-Marie Janvier<i> (à gauche)</i> et Xavier Patier dans l'église Saint-Étienne-du-Mont, à Paris où repose Blaise Pascal.

    Gaspard-Marie Janvier (à gauche) et Xavier Patier dans l'église Saint-Étienne-du-Mont, à Paris où repose Blaise Pascal. Crédits photo : Sébastien SORIANO/Le Figaro

    INTERVIEW - Janséniste, l'auteur des Penséeset des Provinciales était-il hérétique ? Les écrivains Xavier Patier et Gaspard-Marie Janvier débattent.

    Pascal n'était pas un petit ange. Adolescent prodige en mathématiques, il était prétentieux et péremptoire. Il devint ensuite, entre 20 et 30 ans, un catholique tourmenté, mondain, avide, ambitieux, qui fréquentait les salons, se déplaçait en carrosse. Jusqu'à la fameuse nuit du 23 novembre 1654 qui le surprit alors qu'il disait n'avoir plus aucun attachement pour les choses de Dieu. D'après Xavier Patier, qui vient de publier Blaise Pascal, la nuit de l'extase *, il devient alors un saint. Un avis que ne partage pas complètement Gaspard-Marie Janvier, qui a rencontré Pascal dans sa première vie de mathématicien et prépare maintenant une thèse sur les Pensées et la Bible.

    Xavier Patier, vous rêvez que Pascal soit canonisé. Mais n'était-il pas hérétique, puisque janséniste?

    Xavier PATIER.-Certes non! La question théologique dans la querelle de Port-Royal était au fond un prétexte: l'enjeu était politique. Il y avait des relents de Fronde chez les Messieurs de Port-Royal, et le jeune Louis XIV s'en est très vite rendu compte. C'était aussi une dispute de grands orgueilleux.

    Gaspard-Marie JANVIER.- Je ne suis pas d'accord. Entre les Jésuites et les jansénistes de cette époque, ce sont vraiment deux visions du monde et de la religion chrétienne qui s'affrontent. L'une donne le pouvoir à l'homme, l'autre le laisse à Dieu. Pour caricaturer un peu, c'est le théâtre de Corneille contre celui de Racine. Ce n'est pas un hasard si ceux qu'on appelait les «Messieurs de Port-Royal» ont quitté les fonctions éminentes qu'ils occupaient dans l'administration royale. Imaginez les énarques allant s'installer dans la vallée de Chevreuse pour s'occuper à des tâches humbles et au salut du monde!

    Quel était le fond du débat?

    G.-M. J.- Tout part d'une controverse de saint Augustin contre un moine irlandais appelé Pélage, au Ve siècle. Pélage dit que Dieu a donné une bonne fois pour toutes une grâce suffisante à tous les hommes et qu'ensuite c'est à chacun par ses œuvres de mériter son salut. Augustin répond que c'est faire l'homme plus puissant que Dieu. Il affirme que Dieu seul sauve par sa grâce, laquelle ne peut être qu'efficace, c'est-à-dire suivie d'effet. L'Église a déclaré Pélage hérétique et adopté les positions d'Augustin. Fin XVIe, début XVIIe, certains théologiens jésuites espagnols reprennent les thèses pélagiennes, ce qui fait réagir un théologien hollandais appelé Jansénius qui écrit un gros manuel d'augustinisme, aussitôt soutenu par les gens de Port-Royal et attaqué par les Jésuites. En appelant leurs adversaires augustiniens des «jansénistes», les Jésuites créent une hérésie imaginaire, qui n'a d'ailleurs jamais été déclarée telle. Ce n'est ni une secte, ni un parti, ni une école: ce sont des personnalités diverses qui se rejoignent dans leur adhésion à un certain augustinisme.

    X. P.- Hérésie imaginaire, en effet! Je maintiens que c'étaient des querelles de corneculs comparables à celles des radicaux-socialistes et des radicaux de gauche, ou de la CGT et de la CGTU! Pascal, en revanche, lorsqu'il commence à écrire Les Provincialespour défendre son ami Arnauld, est animé par un authentique amour de la vérité contre des adversaires de mauvaise foi.

    G.-M. J.- Pour défendre ceux qu'on appelle «les jansénistes», Pascal commence à rédiger, en janvier 1656, des lettres fictivement adres­sées à un ami provincial qui ne serait pas au courant des affaires parisiennes. Elles paraissent en feuilleton et rencontrent un succès extraordinaire. Le texte pratique une naïveté feinte et féroce. Tout le monde se gausse des Jésuites. Pascal les ridiculise ad vitam aeternam, ce qui évidemment ne se pardonne pas. On peut avancer que si Pascal invente une forme géniale d'écriture polémique, ses Provinciales ont eu des conséquences politiques catastrophiques. Les Jésuites, qui sont très influents, n'auront de cesse de faire éradiquer Port-Royal de la carte. Un demi-siècle plus tard, les religieuses sont expulsées, l'abbaye et son cimetière rasés, les morts profanés, sur ordre de Louis XIV.

    X. P.- Zola n'aurait pas écrit son «J'accuse» de la même manière sans Les Provinciales. Les éditos de Serge July non plus n'auraient pas été les mêmes! Pascal est le premier des indignés.

    Grâce, prédestination: ces grands mots au cœur des Provinciales ont disparu des Pensées. Pourquoi?

    G.-M. J. - Il y a deux manières de parler de l'action divine: ou bien on se met du point de vue de Dieu, on cherche à comprendre sa logique et sa volonté, cela donne des discours de théologie rationnelle qui restent des manières de faire penser Dieu selon les catégories de la pensée humaine. Pascal s'y est essayé dans ses Écrits sur la grâce, restés inachevés, ainsi que dans  Les Provinciales, sur un mode vulgarisé de «journalisme théologique». Dans les Pensées, il cherche un autre langage pour parler aux gens de son époque. De sorte qu'il n'emploie aucun des gros mots théologiques qui font controverse, mais aborde la religion du point de vue le plus empirique et irréfutable: il y a des hommes qui recherchent Dieu, d'autres non, il en est qui ont la foi et pas d'autres. La soi-disant prédestination se fait ainsi toute seule: chacun est libre de croire ou de ne pas croire.

    X. P. - Le fond de l'augustinisme n'est pas la prédestination, en effet, mais le libre arbitre. Tous les hommes ne cherchent pas Dieu, mais Dieu cherche tous les hommes. Pascal a prouvé que l'observation du monde ne permet pas de trancher en faveur de l'existence ou non de Dieu: il y a de la beauté mais aussi de la violence. Il a fait l'expérience physique qu'on n'accède à Dieu que par le Christ. Il dit que la foi est du domaine de l'expérience amoureuse. Pendant la nuit de novembre 1654, le géomètre n'a pas fait une découverte: il a fait une rencontre.

    Blaise Pascal (1623-1662), gravure anglaise.

    Blaise Pascal (1623-1662), gravure anglaise. Crédits photo : Rue des Archives/©The Granger Collection NYC/Rue

    Pascal n'est-il pas fidéiste, doctrine condamnée par l'Église selon laquelle la raison n'a aucun rôle à jouer dans la connaissance de Dieu?

    G.-M. J. - Bien sûr que Pascal n'est pas fidéiste! Il considère certes que notre raison est corrompue par notre finitude, qui nous empêche de remonter à l'infini jusqu'aux principes ; pour autant, il affirme que la religion ne peut être contraire à la raison.

    X. P.- Pascal écrit que deux excès sont à éviter: «exclure la raison, n'admettre que la raison». On ne saurait être plus clair.

    G.-M. J. - L'interlocuteur de l'argument du pari se laisse convaincre par sa raison qu'il est plus intéressant de croire en Dieu. Il demande alors comment faire. Pascal lui répond: abêtissez-vous! Autrement dit, agenouillez-vous. Mais s'il s'abaisse trop, il le relève: «S'il se vante, je l'abaisse, s'il s'abaisse, je le vante.»

    X. P.- À celui qui veut avoir la foi, Pascal répond: allez à la messe, allez-y comme tout le monde, passez dans le confessionnal comme tout le monde et lisez votre paroissien comme tout le monde. C'est très simple. Mais les sages et les savants ne veulent pas aller au confessionnal comme tout le monde.

    Pascal écrit qu'il faut se haïr, ce qui choqua Bernanos.

    X. P.- Il y a un énorme malentendu. Bernanos a lu Pascal en diagonale. Le «moi haïssable» de Pascal, c'est le moi dévoyé qui se déifie lui-même. Pascal s'adresse à un libertin, et au libertin qui est en lui, c'est pour cela qu'il tape très fort. Pascal n'était pas un austère. Il écrit que, dans la vie spirituelle, on ne quitte un plaisir que pour un plaisir plus grand. Celui qui n'a rien compris à Pascal, c'est Claudel. Claudel est un conservateur. Il aime le pouvoir, il aime les Jésuites, Louis XIV et la Sorbonne!

    G.-M. J. - Attention au contexte! Quand Pascal écrit que «le moi est haïssable», c'est haïssable par autrui. Mon moi est «incommode aux autres» précise-t-il. Voilà une belle leçon pour se modérer en société! Quant à ce côté rabat-joie qu'on reproche à Pascal et aux jansénistes, il repose également sur un malentendu théologique. Les augustiniens pensent que Dieu, qui connaît l'homme et sait qu'il n'agit toujours qu'en vue de son plaisir, dispense sa grâce sous forme d'une «délectation victorieuse». Sous l'effet de la grâce, le plaisir à agir saintement devient tel que tous les autres plaisirs, à côté, sont de la gnognotte!

    Pascal dit que la religion chrétienne est celle qui connaît le mieux la nature de l'homme: à la fois sa misère et sa grandeur.

    G.-M. J. - Quand Pascal parle de la misère de l'homme, c'est un constat anthropologique, non un jugement moral. Pascal n'est pas un moraliste. Il constate empiriquement que l'homme est un monstre contradictoire. Sa seule manière de résoudre cette contradiction est de suivre le Christ. La caractéristique du jansénisme, c'est le retour à la notion de péché originel, qui porte l'idée qu'il faut regarder l'homme à la fois dans sa misère et dans sa grandeur. Là est la trouvaille de saint Augustin: le péché originel n'est pas une affaire morale mais un défaut de structure: qu'on le comprenne ou pas, l'homme est fichu comme ça. Il est capable du meilleur comme du pire. C'est cela qu'oublient de préciser les déclarations des droits de l'homme.

    X. P.- Pascal n'a pas intégré la morale dans son logiciel. Quand le pape François dit au sujet des homosexuels: «Qui suis-je pour les juger?», c'est très pascalien!

    G.-M. J. - C'est aussi très jésuite! (Rires.)

    Pascal n'est pas non plus un dogmatique?

    G.-M. J. - Il renvoie dos à dos le scepticisme et le dogmatisme, mais s'il devait pencher d'un côté, ce serait du côté sceptique. Il dit que la maladie naturelle de l'homme, c'est de croire qu'il possède directement la vérité.

    Pascal est un génie. Est-il pour autant un saint, au regard des deux critères retenus pour canoniser quelqu'un: son rayonnement spirituel et ses vertus?

    X. P.- Pascal est devenu un saint dans la nuit de novembre 1654, où il vit une espèce d'effusion de l'Esprit. Il découvre quelque chose qu'il savait mais qui lui était resté théorique, que le christianisme est la religion de l'amour: il se découvre aimé. Dans la lumière de Dieu qui l'éclaire cette nuit-là, ce scientifique imbu de sa supériorité désire se soumettre à Jésus, ce sceptique ressent une immense certitude, ce pessimiste est fasciné par la grandeur de l'âme humaine, ce cérébral éprouve un sentiment. Ce sont les mots qu'il emploie dans le compte rendu qu'il fait au matin de cette expérience, le fameux texte du «Mémorial». Pascal ne dit rien à personne, mais sa sœur remarque qu'il a une mine de «pénitent réjoui». Pascal ne devient pas parfait, mais il devient heureux. Il a compris qu'à la suite du Christ la sainteté consiste à se laisser aimer. Quant à son rayonnement spirituel, il est indéniable: des générations entières ont été converties par Pascal. Et puis, à l'ère du numérique, la France a besoin d'un saint scientifique. L'inventeur de la calculatrice serait aujourd'hui un geek, j'en suis sûr. Un saint geek! Il faudrait aussi à la France un saint qui a montré que l'État devient obscène quand il devient arbitraire - c'est ça, l'histoire de Port-Royal contre le pouvoir.

    G.-M. J. - Quand on veut répondre à quelqu'un qui se trompe, on doit lui montrer d'abord en quoi il a raison. Vous avez raison… en ce que Pascal a sans doute des qualités qui lui permettraient d'être canonisé. Je pense à saint Thomas d'Aquin, qui n'avait pas fait de miracle et dont Jean XXII disait: «Autant d'articles, autant de miracles.» Pour Pascal, on pourrait dire: «Autant de fragments, autant de miracles.» Oui, Pascal a eu un rayonnement spirituel exceptionnel. Pour autant, le canoniser ne me paraît pas opportun. Le premier miracle est qu'il soit encore dans les programmes scolaires. Sa canonisation fournirait une trop belle occasion de le mettre à l'index! Par ailleurs, il faut un consensus pour une canonisation. Or Pascal est encore assimilé au jansénisme et l'Église n'a pas révisé ses positions sur le jansénisme, qui sert toujours de repoussoir. Autre réticence, au chapitre de l'héroïsme des vertus: la vie même de Pascal ne me paraît pas exemplaire. Les Provinciales ne sont pas vraiment une œuvre de charité…

    X. P.- Il y a des saints qui sont d'abominables râleurs, des saints doux, et des saints violents, des saints qui grondent. Il y a tous types de caractères de saints. Ça n'est donc pas la question. La sainteté s'est exprimée chez Pascal par ce qu'il avait de meilleur: son intelligence qu'il a mise au service ni d'une théorie ni d'un clan, mais au service de l'amour de Dieu.

    Faudrait-il au moins lui offrir une sépulture digne de son génie?

    X. P.- Il est bien dans son caveau discret sous le tabernacle de l'église Saint-Étienne-du-Mont.

    G.-M. J.- Ne lui faisons pas de monument! Et, par pitié: ne nous le mettez pas au Panthéon…

    * «Blaise Pascal, la nuit de l'extase», de Xavier Patier, Cerf, coll. «Épiphanie», 175 p., 17 €.

  • Jules Renard (5e)

    biographie.jpgJules Renard est né le 22 février 1864 à Châlons-du-Maine (Mayenne) où son père, entrepreneur de travaux pour le chemin de fer, s'était provisoirement installé. C'est le cadet de trois enfants. Sa soeur Amélie est née en 1859 et son frère Maurice en 1862. A l'époque de sa naissance, ses parents, François Renard et Anne-Rosa Colin, ne s'entendent définitivement plus et sa venue n'a pas été souhaitée.

    biographie.jpg

    Lorsque Jules Renard a deux ans, sa famille s'installe à Chitry-les-Mines, dans la Nièvre, village d'origine de son père et dont ils deviendront maire tous les deux.

    André-Paul Antoine décrit ainsi les membres de la famille Renard :

    « Grand chasseur, taciturne, bourru, se consolant d'un mariage mal assorti par des aventures prudentes sous couleur de veiller à ses affaires, François Renard ressemblait trait pour trait à M. Lepic. Quant à Mme François Renard, son fils ne se cachait nullement de l'avoir portée toute vive sur la scène et dans les Cloportes. Jules Renard s'était toujours mal entendu avec son frère aîné Maurice, nonchalant, assez égoïste, qui n'aimait véritablement que son village de Chitry et mourut beaucoup plus tard d'une angine de poitrine qui le terrassa dans son bureau. Par contre, pendant toute son engance, Jules Renard partagea avec sa soeur Amélie une tendre affection. C'est elle qui lui envoyait à Paris, quand il y vint faire ses études, de menus subsides et des cadeaux utiles. Amélie avait épousé un négociant en rubans de Saint-Etienne et ravitaillait le jeune homme en cravates. Elle était sa confidente. Très pieuse, elle ne le comprenait pas très bien, mais l'aimait. Quant à sa mère, Jules Renard en a laissé dans Poil de Carotte, dans les Cloportes et dans la Bigote, un portrait certainement retouché mais féroce. Au cours des répétitions de Poil de Carotte, il avait alors trente-six ans, il avouait que personne le l'impressionnait encore autant qu'elle. Et l'espèce de haine que Jules Renard lui vouait semblait en grande partie justifiée. Les yeux brillants, la voix dure, Anne-Rosa Renard était d'une volubilité presque maladive. Aigre, fantasque, exagérée, elle sombrait tout à coup dans des crises de larmes incompréhensibles. Elle exaspérait tout le monde. Elle n'aima jamais Jules Renard, dont elle avait certainement gâché l'enfance, provoquant chez lui un réflexe de contradiction mentale et de défense qui le marqua à jamais. »

    André-Paul Antoine, Antoine père et fils, cité in Jules Renard, vu par ses contemporains, Association des Amis de Jules Renard



    A 8 ans, il part avec son frère aîné en pension à Nevers. Il fait de bonnes études au lycée qui ne s'appelait pas encore Jules Renard et, à 17 ans, il part pour Paris afin de préparer le baccalauréat et le concours d'entrée à l'Ecole normale supérieure. Il devient bachelier ès lettres mais renonce au concours de l'Ecole normale. Voici la description que fait de lui un condisciple du lycée Charlemagne :

    « C'était un grand garçon roux, solide, au front bombé, à la physionomie originale et fine, aux yeux aigus, mais taciturne et peu enclin aux confidences. Il m'empruntait, avec un soin constant, les livres profanes que j'apportais du dehors, mais il me les rendait sans mot dire. Comme un coeur trompé que l'expérience a rendu méfiant, il décourageait les approches. Déjà, il m'intriguait par son mystère. »

    Ernest Raynaud - La mêlée symboliste (1900-1910)



    Il obtient le baccalauréat mais n'a aucune envie de rentrer à Chitry et reste à Paris, où il vit d'une pension que lui fait son père. C'est une période difficile, ponctuée de difficultés financières et de nombreux appels à l'aide à son père, son frère, et sa soeur qui vit à Saint-Etienne avec son mari. Il espère un temps décrocher une place aux Chemins de fer de l'Est et multiplie en vain les démarches pour y parvenir. Finalement, il va travailler quelques mois à la Société de magasinage et de crédit, et comme precepteur des trois fils du romancier Auguste Lion.

    « Le baccalauréat obtenu, Renard resta à Paris sous couleur de se préparer à l'Ecole normale. Il occupait une chambre garnie, rue Jean-Lantier. Il vivait chichement d'une maigre rente de son père, qui dirigeait une entreprise de travaux publics, dans la Nièvre et présidait, comme maire, aux destinées de son village. M. Renard père venait quelquefois à Paris. C'était un homme simple, à la belle barbe blanche, comme on en voit aux portraits de Garibaldi, et qui donnait l'impression de la vigueur. Il parlait peu. Je l'ai vu demeurer des heures entières au milieu de la société la plus animée, sans ouvrir la bouche. Il se contentait de fumer sa pipe, les yeux repliés en lui-même. Il devait finir tragiquement. Son commerce déclinant, il diminua, et, je crois bien, suspendit tout à fait la rente de son fils. Jules Renard accepta, pour vivre, une place de comptable chez un charbonnier en gros, rue Vivienne, mais il n'entendait rien à la comptabilité (du moins à ce qu'il avouait), et finit par quitter cet emploi, dénué d'agrément. »

    Ernest Raynaud - La mêlée symboliste (1900-1910)

     

    Durant cette époque, il lit beaucoup et commence à fréquenter le monde des lettres. Il se lie avec Danièle Davyle, pensionnaire de la Comédie-Française, qui récite son poème Les Roses dans les salons et les théâtres.

    Il fait connaissance avec le couple Galbrun, les Vernet de l'Ecornifleur et part avec eux en vacances à Barfleur, à charge pour lui d'écrire un livre sur l'ameublement.

    Il publie ses poèmes à compte d'auteur sans le moindre succès. Crime de village, recueil de nouvelles, ne trouve pas d'éditeur.

    Il commence la rédaction de son journal et de son roman Les Cloportes, qui ne sera publié qu'en 1919. On y fait connaissance de l'agréable famille Lérin, qui est une répétition générale avant l'entrée en scène des Lepic.

    Le 4 novembre 1885, il part faire une année de service militaire à Bourges, elle aussi ponctuée de problèmes financiers.



    En 1888, il épouse Marie Morneau (Marinette), mariage qui lui apporte une certaine sécurité matérielle, et le couple s'installe dans un immeuble de la rue du Rocher, près de la gare Saint-Lazare, dont la mère de sa femme est propriétaire. Il a des relations très difficiles avec sa belle-mère. C'est « une irresponsable à gifler ». De même, sa propre mère multipliera les avanies vis-à-vis de Marinette. Il écrit d'ailleurs dans son journal que c'est ce qui l'a poussé à écrire Poil de carotte.

    « En 1888, Jules Renard fit un mariage d'amour qui lui apportait en même temps quelque aisance. Les deux époux s'installèrent rue du Rocher. C'était un spectacle touchant que celui de leur tendresse. Mme Renard, jeune - elle avait à peine seize ans, - intelligente, vertueuse, agréable, enveloppait son mari d'une affection vigilante. Elle paraît les chose de sa grâce enjouée et saine. Renard demeura fidèle et rangé. Dès qu'on entrait, on se sentait baigné d'une atmosphère tranquille. Une vertu pacifiante fleurissait autour de la lampe. Cette intimité bourgeoise avait son charme et reposait des intérieurs d'artistes, ordinairement traversés de fracas et d'orages. On en emportait une impression de bonheur. »

    Ernest Raynaud - La mêlée symboliste (1900-1910)

     

    Crime de village, dédié à son père, paraît à compte d'auteur.

    En 1889, naissance de son fils Jean-François (Fantec).

    Cette année-là, il participe à la fondation du Mercure de France, revue littéraire dont il est le principal actionnaire. Il y publie des critiques et une partie des textes qui seront regroupés dans Sourires pincés (1890). Le cercle de ses relations s'élargit et il commence à avoir ses entrées dans le monde de la presse.

    Il entreprend en 1890 la rédaction de L'Ecornifleur et publie Sourires pincés et Les Petites Bruyères. Il sort beaucoup, fréquente les théâtres et les banquets littéraires, malgré le peu de goût qu'il manifeste dans son Journal pour "le monde", et il se lie avec plusieurs auteurs dont Alphonse Allais, Marcel Schwob, Alfred Capus, Courteline, les Goncourt, Alphonse Daudet.

    En 1892, publication de L'Ecornifleur. Le roman est bien accueilli par la critique et permet à son auteur d'enfin se faire connaître. Il écrit au Gil Blas, au Figaro, à l'Echo de Paris, et au Journal.

    Naissance de sa fille Julie-Marie (Baïe).

    Coquecigrues et La Lanterne sourde paraissent en 1893 et confirment sa réputation. Il rencontre Tristan Bernard, qui restera son ami sa vie durant.

    Il est élu à la Société des gens de lettres en 1894 et publie Le Vigneron dans sa vigne (qui sera complété en 1901) et Poil de Carotte.

    L'année suivante, sa première pièce, La Demande, écrite avec Georges Docquois, est jouée à Boulogne. Il s'agit d'une pièce en un acte tirée de la nouvelle publiée dans Sourires pincés. Publication par le Gil Blas de X..., roman impromptu, écrit avec Georges Auriol, Tristan Bernard, Courteline et Pierre Veber, dont chacun a écrit un chapitre à tour de rôle.



    Jules Renard s'installe avec sa famille à Chaumot, à 2 km de Chitry, dans un ancien presbytère construit en 1776, qu'il baptise « la Gloriette ». Il y passeront plusieurs mois chaque année, jusqu'en 1909.

    Il a du mal à se faire accepter par des gens qui l'ont connu enfant, mais y progresse petit à petit, grandement aidé en cela par sa femme :

    « Tout petit, je passais pour une mauvaise tête. Il faut maintenant que, dans mon cher pays, je me fasse une réputation de bonté. »

    « La pauvreté. C'est ma femme qui est bonne. Moi, j'ai du plaisir à m'envelopper d'épines. On s'y trompe. Le curé dit : « Le diable a épousé un ange ». Cela fait l'affaire de mon goût pour l'ironie et des pauvres. Ils acceptent mieux ce que leur donne ma femme, parce qu'ils s'imaginent qu'elle donne à mon insu. Ils ont l'air de me faire une bonne farce. « Ce n'est pas lui qui nous donnera ! » disent-ils. Et ils tendent la main sans pudeur. Ils se vengent de ma dureté. L'aumône qu'ils acceptent est un peu volée. »

    Journal

     

    Dans son village et tout autour, il prend des notes sur tout et tout le monde. Rien n'est trop petit ni trop insignifiant pour receler de l'intérêt. Il regarde, il écoute, et rend par de merveilleuses petites touches la vie des hommes et de la nature. Il est soucieux de vérité, de trouver le mot juste, la phrase concise qui laissera à son sujet toute sa poésie... ou son manque de poésie (« Il faut aimer la nature et les hommes malgré la boue », « Vieille ferme, murs qui suent du sang noir de fumier. »).

    « Sans aucune aide, sans éclairage théâtral ni lanterne magique, mais en plein jour, et en n'osant que de petits mots biens simples, il s'approchait des fleurs les plus fragiles ou de la plus insaisissable des alouettes, et il cueillait le parfun de l'une, ou prenait au filet la chanson de l'autre... et nous recevions cela tout frais de la Nièvre, un beau matin. Il y ajoutait un sourire, quelquefois. »

    « Il veut la vérité. Sans rechercher la poésie mais en la laissant se dégager elle-même de ses phrases qu'il épure autant qu'il est possible. Il les ponce, il les polit, il ne les lâche pas tant qu'elles n'ont pas exprimé le plus en disant le moins. »

    Marcel Boulenger, Opinions choisies, cité in Jules Renard, vu par ses contemporains, Association des Amis de Jules Renard



    Il fait la connaissance de Lucien Guitry en 1896 et publie les Histoires naturelles et de la Maîtresse, avec des illustrations de Vallotton.

    Le Plaisir de rompre est joué pour la première fois en 97, par Jeanne Granier et Henry Mayer, et remporte un vif succès.

    Cette année-là, son père, malade, se tue d'un coup de fusil. Ce suicide l'impressionne énormément : « Je serais un coupable et un sot si je ne savais pas dégager de cette mort la belle leçon qu'elle nous donne. » « Je ne peux plus lire. Que vaut la plus belle des phrases après une belle action ? » « J'ai déjà la peur de ne jamais avoir le courage de faire comme mon père. »

    Il engage le couple Chalumeau (Philippe et Ragotte dans son oeuvre) pour l'entretien de la maison de famille, qu'occupe sa mère, et de la Gloriette.

    1898, l'affaire Dreyfus. Jules Renard s'indigne de la condamnation de Zola. Il exprime longuement sa colère et son écoeurement dans son journal et publie dans Le Cri de Paris des Chroniquettes, textes non signés.

    Le 14 mars, Le Pain de ménage est joué par Marthe Brandès et Lucien Guitry : c'est un succès.

    Il publie les Bucoliques.

    Il fait une conférence sur Michelet à Chaumot.

    En 1899, publication des Histoires naturelles illustrées par Toulouse-Lautrec.

    Le pain de ménage est joué au Théâtre des Mathurins.

    Il fait une conférence sur Molière à Corbigny.

    Décès de son frère, d'une angine de poitrine. Il écrit à Tristan Bernard : « Je pleure parce que nous nous sommes bien mal aimés ».

    Il est élu conseiller municipal à Chaumot et demande à Léon Blum de lui indiquer « un livre pratique où je m'instruirais dans mes nouvelles fonctions » et « une édition claire des codes. »

    Il est (enfin) nommé chevalier de la légion d'honneur, ce qu'il attendait impatiemment et dont il est très fier. Il va pouvoir commencer à pester contre sa croix, qui l'encombre et qui le fait remarquer à son corps défendant, mais il ne paraît jamais avoir l'idée de la mettre tout simplement dans sa poche avec son mouchoir par-dessus.

    Il publie une édition augmentée du Vigneron dans sa vigne.

    Il fait la connaissance de Jean Jaurès.

    La première de Poil de carotte au Théâtre-Antoine est un triomphe. Le Plaisir de rompre est reçu à la Comédie Française. Le Gymnase reprend Le Pain de ménage.

    Il fait une conférence à Chaumot sur Victor Hugo.

    Il commence à écrire une série de chroniques dans l'Echo de Clamecy, hebdomadaire républicain. « Je ne désire pas, selon l'expression usitée, faire de la politique, je désire faire de la morale , je dirai à ceux qui voudront bien me lire : Voilà ce qui se passe à la mairie, à l'école, voilà quelle est la vie publique de notre petit pays, qu'en pensez-vous ? ».

    En 1903, première de Monsieur Vernet, adaptation de L'écornifleur. La pièce est bien accueillie par le public, moins bien par la presse.

    Il fait à Clamecy une conférence sur le rire et une sur Molière, qu'il répète à Cosne-sur-Loire.

    En 1904, parution du premier numéro de l'Humanité et il y participe en publiant La Vieille. Il collaborera à l'Humanité tout au long de cette année 1904.



    Le 15 mai 1904, il est élu maire de Chitry sur la liste républicaine, après une campagne éprouvante face à l'hostilité « des châteaux, des fermes, des curés, des bigotes ».

    « On traitait, comme il le mérite, Poil de Carotte. Ca devenait une élection littéraire. Me confier des enfants, à moi ! »

    « On parle, avec mystère et perfidie, d'une certaine personne de ma famille qui n'oserait avouer ni son nom, ni son emploi. Qu'est-ce que ça signifie ? L'un des miens tiendrait-il une maison ?
    D'ailleurs mon père exploitait ses ouvriers, ce qui explique pourquoi je suis si riche et si avare.
    Sur un papier rouge semé la nuit, dans les cours, sous les portes, je lis : « Les paysans sont des imbéciles. On ne peut rien leur faire comprendre ! Paroles de Jules Renard à une interview de l'Echo de Paris. »

    « Que d'insultes ! Et le conseil de me faire baptiser au sécateur est une des plus propres. »



    Pour lui, ce qui importe plus que tout, c'est la lutte contre contre l'ignorance, qui maintient les paysans dans des conditions pénibles qu'ils supportent avec résignation. Cela l'amènera à se battre contre le clergé local, qu'il accuse de ne rien faire pour améliorer la situation des paysans mais plutôt d'en tirer parti pour conserver son influence dans les campagnes.

    « Je donnerai des conseils, des conseils républicains, à la commune. N'importe qui, mieux que moi, établirait un budget ou réparerait un chemin. Mon rôle sera d'expliquer et de faire aimer la République. Je dirai, aux plus attardés, que la République ne vole ni ne brûle personne ».

    Il fera agrandir les bâtiments de l'école, construire un préau et instaurera la gratuité des fournitures scolaires.

    Il donne une conférence au banquet de l'Amicale des instituteurs de la Nièvre, sur Poil de Carotte.



    Parution des Histoires naturelles illustrées par Pierre Bonnard.

    L'invité ou Huit jours à la campagne est joué au Théâtre de la Renaissance, avec un succès mitigé. Ravel met en musique quelques unes des Histoires naturelles, ce qui le laisse parfaitement indifférent : c'est Marinette et Baïe qui sont chargées d'assister à la première.

    Pressé par des besoins d'argent, il donne des critiques dramatiques à Messidor. Son élection à l'Académie Goncourt lui permettra de s'en affranchir.

    Réélection à Chitry en 1908.

    Parution de Nos frères farouches, Ragotte.

    Il termine Le cousin de Rose, pièce tirée d'une des nouvelles de Ragotte, et qui ne sera pas jouée.

    La Gloriette est mise en vente et Jules Renard envisage de s'installer dans la maison de Chitry.

    Première de La Bigote en 1909. La pièce choque par son anticléricalisme.

    Sa mère meurt en tombant dans le puits de son jardin.

    Jules Renard quitte le Mercure de France à la suite de la publication d'un article de Rachilde sur Ragotte.



    Jules Renard meurt le 22 mai 1910 à 46 ans, des suites d'une artériosclérose. Il est enterré civilement le 24 à Chitry-les-Mines
  • A rebours, quand l’écrivain se relit

    Noro Rakotobe-D’Alberto

    La Relecture de l’œuvre par ses écrivains mêmes, Tome I, Tombeaux et testaments, Tome II, Se relire contre l’oubli ? XXe siècle, sous la direction de Mireille Hilsum, « Les cahiers de Marge » n° 2 et 3 Paris, Éditions Kimé, 2007, 240 et 272p.

    Les deux tomes de La Relecture de l’œuvre par ses écrivains mêmes dirigés par Mireille Hilsum rassemblent les vingt-neuf études issues d’une journée d’étude et d’un colloque organisés à l’université de Jean Moulin en 2005 et 2006. Le premier tome s’attache aux auteurs du XVIIIe à la première moitié du XXe siècle, de Rousseau à Robert Musil. Le second se consacre à la relecture liée spécifiquement à l’édition au XXe. Se relire pour un écrivain le renvoie au temps de la genèse de l’œuvre et l’oblige à se repositionner par rapport à ce qu’il fut, dans un contexte différent, en tenant compte de la réception de l’œuvre, de ce que lui-même est devenu. Le sujet concerne autant le rapport à soi ressaisi dans des temporalités différentes et que le rapport à autrui, lecteur et critique. Il pose la question de la création, de la fabrique littéraire tout autant à travers l’élaboration du péritexte, préface, notes, postfaces et autres lieux où l’auteur entre en dialogue, qu’à travers le remaniement d’un texte. C’est une activité hautement ambivalente qui oscille entre rejet, mélancolie et émerveillement, nostalgie.

    Le premier tome, Tombeaux et testaments, s’ouvre sur une introduction de Mireille Hilsum qui pose les enjeux de la relecture. Il regroupe quatorze articles organisés autour de quatre pôles : I. Vieillir, relire, II. La scène et le livre, III. Refaire / défaire, IV. Se relire ou non. Le second recueil, Se relire contre l’oubli ? XXe siècle comporte quinze articles également précédés d’une préface de Mireille Hilsum. Ce second opus, s’organise en trois parties dont le deuxième se subdivise en trois chapitres : I Relecture et édition, II Relecture et histoire littéraire, chapitre 1 : se souvenir ou non ?, chapitre 2 : relecture et création, chapitre 3 : l’âge des anonymes, III Relire la poésie.

    La relecture ressuscite le passé et ce retour provoque des réactions ambivalentes. Certains artistes y voient l’occasion, de redéfinir leur ethos d’écrivain ou leur idéologie. Laurent Mattiusi s’attache à la façon dont Nietzsche à travers le texte Ecce Homo, se pose comme un génie, placé sous le patronage de Dionysos, le dieu des Mystères. David Vrydaghs s’attache au cas d’Emergences-Résurgences d’Henri Michaux. Le poète revient sur la supériorité du peintre sur l’écrivain. La fonction cathartique de la peinture, plus adéquate pour parler de soi, est soulignée.

    Modifier ses positions est parfois nécessaire face à une évolution du contexte ou de soi. Pour Aude Déruelle, Balzac en réécrivant les Chouans superpose plusieurs versions qui rendent le texte ambigu sur le plan politique et axiologique. Le palimpseste oriente le texte in fine vers le légitimisme quand les textes antérieurs demeuraient plus indéchiffrables et reflétaient davantage « l’opacité des signes et l’errance du sens » (Tome I, p. 183) caractéristiques du contexte historique agité. Proust adopte une posture de circonstance dans Pastiches et mélanges selon Françoise Leriche. La priorité qui motive ce travail de mise en recueil de divers textes publiés pour les journaux et revues est à mettre en rapport avec les visées académiques de Proust. Ces textes dressent opportunément l’ethos d’un écrivain conservateur en phase avec la société de l’après-guerre. Pour Laurent Mattiusi, Michel Foucault manifeste l’évolution de sa pensée en supprimant dans la réédition la préface de l’Histoire de la folie. Sa pensée est désormais plus nietzschéenne. Il tient surtout à se poser non plus tant comme sujet que comme auteur qui refuse d’imposer une grille de lecture.

    Relire conduit donc à réactualiser d’anciennes postures, à recontextualiser un ancien soi. Cette opération s’opère entre renoncement, mélancolie et pragmatisme éditorial. Il s’agit d’aller à la rencontre d’un public dont la réception doit être prise en compte. Pour Bérengère Voisin, l’édition de New York des œuvres de Henry James constitue « une ultime tentative de séduction » (Tome II, p. 25) du lectorat. L’auteur s’implique de façon passionnelle dans la relecture de ses œuvres. Revenir en arrière, c’est se replonger dans le plaisir de la création. Mais la réédition est liée à une stratégie commerciale qui vise à réorganiser l’œuvre, permettre une réévaluation par le biais notamment du choix des photographies illustrant l’œuvre. Séduire à nouveau et même restaurer l’image de soi, c’est ce à quoi s’efforce Lamartine selon Aurélie Loiseleur. Le recueil des Méditations que le poète commente est mythifié en tant qu’entreprise de refondation de l’œuvre. Il faut se revaloriser face aux attaques, aux adversités littéraires, politiques. Crébillon relecteur d’Ah quel conte ! souhaite aussi, selon Régine Jomand-Baudry, restaurer un ethos auctorial écorné. Il s’attache en outre plus fondamentalement à renouveler le genre du conte qui devient le laboratoire d’expérimentations littéraires, inachèvement, intégration de formes hétérogènes, métadiscours…

    Le travail sur le style manifeste en effet l’évolution de l’écrivain. Flaubert relisant et réécrivant l’Éducation sentimentale réoriente le texte sur le plan esthétique davantage vers le modèle de Bouvard et Pécuchet que celui de Mme Bovary pour Stéphanie Dord – Crouslé. La parataxe notamment place le monde « sous le signe du hasard et de la discontinuité ». (Tome I, p. 201) Cioran qui dirige la traduction roumaine de Des Larmes et des Saints selon Nicolas Cavaillès épure le texte et le mène vers une esthétique plus classique que l’original.

    La relecture reste le moment privilégié d’établir un dialogue constant avec ses lecteurs. Le discours poursuit un but clairement apologétique pour un Rousseau vieillissant qui se partage, selon Michel O’Dea, entre méditation et combat infini pour se défendre contre les ennemis. Beaumarchais utilise ses préfaces comme des boucliers contre la critique et tente d’orienter la réception de ses textes. Pour Christelle Bahier-Porte, elles permettent, en outre, au dramaturge d’établir des mises au point théoriques sur le statut de l’auteur et sur le projet de rénovation d’un théâtre qui prend le roman comme horizon. Champfleury aussi redéfinit sa pratique en se relisant selon Gilles Bonnet. Il s’agit de se poser comme le « mimographe » (Tome I, p.88), l’ « inventeur de la pantomime réaliste, logique et vraisemblable » (Tome I, p.89). Andréas Pfersmann étudie les marges de Henri Matisse, Roman d’Aragon. Celles-ci, par le biais des notes notamment, permettent à Aragon de présenter Matisse à la fois comme personnage et « co-auteur ». (Tome II, p.61) L’écrivain rapporte les commentaires sur le texte que le peintre a pu livrer de son vivant. Ces remarques portent également sur Aragon lui-même. Ils proposent en outre une lecture de l’œuvre non linéaire.

    Le retour sur l’œuvre passée est donc orienté vers le lecteur ou vers sa propre pratique, vers soi. Jean-Louis Jeannelle étudie la façon dont divers écrivains tentent de se ressaisir à travers leurs Mémoires, d’Elie Wiesel à Simone de Beauvoir, de Régis Debray à André Malraux.La relecture peut en effet jouer le rôle d’un point de départ, d’un tremplin vers de nouvelles créations plus fécondes ou au contraire celui d’une origine fantasmée qui échappe à jamais. Pour Philippe Jaccottet, le poème fini, lié à une émotion particulière est rejeté dans une étrangeté intrinsèque. Lionel Verdier souligne que pour le poète, relire relève d’une quête impossible d’un centre qui se dérobe. Les Écrits minuscules de Pierre Michon, selon Laurent Demanze, témoignent également de la frustration qu’entraîne l’entreprise de relecture en ce sens que le récit premier, mythifié, fétichisé et pétrifié reste la « ligne asymptotique » vers laquelle tendre indéfiniment. La répétition échoue, elle ne peut devenir une reprise satisfaisante. Françoise Genevray souligne que lorsque Georges Sand se relit, ce n’est pas tant pour commenter l’œuvre passée que pour se projeter dans l’œuvre à venir. L’oubli est préférable à un mouvement de rétrospection qui briserait l’élan créateur. « Eviter de relire », ce serait « donner une chance à Corambé1 de revenir » (Tome I, p. 196).

    D’autres auteurs en revanche, se relisent pour faire avancer la création, réagencer la matière narrative, faire surgir d’autres possibles narratifs. Goethe, auquel s’intéresse Martin Raether, retravaille inlassablement les motifs aquatiques qui lui permettent de juguler de façon cathartique ses tendances destructrices. Jean Giono d’Angelo au Hussard sur le toit, revient sur ses méthodes de travail selon Alain Schaffner. Il remanie la matière narrative tout en l’enrichissant de nouveaux épisodes. Dans le cas de Diderot auquel s’intéresse à nouveau Michel O’Dea, revenir sur l’œuvre écrite permet essentiellement de reprendre des textes antérieurs. Le Rêve de d’Alembert doit être reconstitué d’après des bouts de manuscrits retrouvés. La Lettre sur les aveugles permet de marquer l’évolution de la pensée par une mise à distance partielle. La Religieuse est à la fois remanié et doté d’une préface importante sur le plan théorique puisqu’y est abordé la question de l’illusion romanesque. André du Bouchet réagence également des textes antérieurs dans le recueil L’Ajour. Ce travail d’  « ajourage », véritable travail plastique pour Anne Malaprade « rétablit la lumière dans « l’obscurité des pré-textes sans pour autant résoudre l’énigme du réel » (Tome II, p. 215). L’accent est mis sur la matérialité d’un texte « assoiffé de ruptures » qui tente de faire circuler « ce dont l’être humain manque : l’air, le vent, le souffle. » (Tome II, p. 217)

    Réécrire les textes s’opère parfois de façon plus radicale par des réorientations génériques ou la mise en place d’expérimentations littéraires. Jean-Marie Seillan revient sur les trois états du texte de Zola, L’Attaque du moulin. Les transformations génériques font passer le texte de la relation d’une simple anecdote historique à un quasi manifeste et pour finir à un livret d’opéra. Les changements de statut s’accompagnent du passage du naturalisme au lyrisme. La réception polémique de son roman contre la guerre d’Algérie qui actualise la notion originale de « sensure » (Tome II, p. 133), (« [dénaturer] les mots en vouant un culte à l’information quantitative qui dévalue le langage et véhicule un savoir vidé de toute substance critique (Tome II, p. 133)) pousse Bernard Noël à transformer Le Château de Cène en pièce de théâtre. Mais le réel, le procès, s’invitent dans les marges du texte selon Anne Malaprade.

    La relecture qui oscille entre création et déconstruction, oubli et célébration nostalgique se joue fondamentalement entre clôture et inachèvement, morcellement et totalisation, élaboration de l’œuvre monument. Olivier Catel assimile la composition de la Vie de Rancé à une « esthétique de la mosaïque » (Tome I, p. 137). Chateaubriand dans une œuvre plus autobiographique que réellement biographique peut enfin mettre en œuvre ce qu’il admire tant dans les beaux-arts, le « sublime de la religion » (Tome 1, p. 150). Le texte met le point d’orgue à la création par l’auteur de sa cathédrale littéraire, en revenant à travers l’autocitation et l’intratextualité sur le reste de l’œuvre monumentale.

    Florence Godeau pose la question de la modernité à travers celle de l’ouverture de l’œuvre, de son inachèvement à travers Marcel Proust et Robert Musil  La critique rappelle le débat qui oppose les critiques proustiens sur l’achèvement ou non de l’œuvre. Jean-Yves Tadié souligne l’achèvement fondamental d’une « œuvre cathédrale » (Tome I, p. 218) conçue comme un tout. D’autres critiques soulignent la relecture et les corrections incessantes auxquels se livraient l’auteur de la Recherche. L’impossibilité de revenir sur les trois derniers romans publiés de façon posthume inscrit l’œuvre dans l’inachèvement. Pour Musil, la question se pose autrement, s’il corrige également ses textes d’une façon inlassable, en butte à des circonstances extérieures qui l’oblige à échelonner la publication de ses textes, en revanche, il porte le projet d’un livre intrinsèquement ouvert, un « Livre-mobile, dont les feuillets auraient pu être lus de manière plus ou moins aléatoire ». (Tome I, p. 225) Pour Roland Barthes, la question éminemment moderne de l’inachèvement se pose aussi. Laurent Demanze s’intéresse au retour incessant sur soi d’un sujet mélancolique. La relecture permet de fictionnaliser le sujet. Différents masques se mettent en place et permettent de le morceler.

    Le dernier mot est laissé au poète Esther Tellerman qui revient sur sa propre pratique et assimile la relecture à une zone vide « entre-deux-morts » (Tome II, p. 253). C’est un moment qui se situe entre fécondité et dépossession. Il est mélancolique et heureux à la fois.

    Publié sur Acta le 21 janvier 2008
    Notes :
    1 Voir pour cette figure de Corambé l’étude de Pierre Laforgue, Corambé. Identité et fiction de soi chez George Sand, Paris, Kliencksieck, 2003.
  • Un livre de Nathalie Heinich

    Le premier plan du Citizen Kane d’Orson Welles s’ouvre sur un préambule en forme de signe paradoxal (à la fois menace et curiosité de l’interdit) : « No Trepassing » (défense d’entrer) qui va enserrer toute la problématique de l’œuvre : où se trouve la vérité dans l’espace de la vie et du palace de Kane ?
    Nathalie Heinich, dans son livre L’Élite artiste, à la manière de Welles, met en garde les visiteurs égarés en sanctuarisant d’emblée le terrain de la sociologie et précisant ce qu’elle n’est pas : « [...] Ce livre a trait à l’art (peinture et sculpture, littérature, musique), mais on n’y trouvera rien sur la création artistique et les œuvres : seul nous intéressera le statut des créateurs. Il s’agit d’une question sociologique à part entière qui n’a pas à être subordonnée, ni même articulée, à des problématiques esthétiques » (p. 11). Et elle définit ce que le livre sera : « Par "statut" des créateurs, il faut entendre non seulement leur situation réelle, mais aussi leur rôle imaginaire et leur place symbolique » (p. 11). Nathalie Heinich élabore son approche sociologique « à partir de » l’art. La sociologie de l’art qu’elle avance est à prendre donc dans son sens ablatif et non pas dans son sens génitif (l’art comme objet de la sociologie). Elle clarifie cette pensée : « [...] ce ne sont pas les théories du statut d’artiste ou de la création qui retiendront principalement notre attention, dans la tradition de l’histoire des idées, mais l’expérience ordinaire et les valeurs de sens commun. C’est pourquoi seront mis avant tout à contribution les fictions (romans, nouvelles, pièces de théâtre) et les témoignages d’époque (Mémoires, journaux, correspondances, pamphlets), complétés par les données scientifiques existantes (statistiques, études morphologiques, histoire des institutions). » (p. 12)

    Le parcours qu’elle se fixe nous amène à suivre les fluctuations du statut de l’artiste de la période démocratique post-révolutionnaire à « presque-nos-jours ». Le « presque » est volontairement employé car la problématique actuelle du statut de l’artiste et de son devenir symbolisée par la lutte pour la préservation du régime de l’intermittence est absente du livre. Mais la sociologue nous répondrait sûrement que le périmètre d’investigation qu’elle s’est fixé n’invite pas le politique et qu’elle s’est attachée à suivre l’artiste dans ce que son statut lui confère encore de singularité élitaire, non dans sa diversité sociale. Nathalie Heinich concentre son étude sur la multiplicité des figures de l’artiste qui se construisent dès le XIXe siècle dans les œuvres littéraires, en s’attachant tout particulièrement à la formation de l’identité bohème. La force et l’attrait du livre résident dans son approche méthodologique. Nathalie Heinich « expose » sous la plume de Balzac, Flaubert, Zola, Musset et bien d’autres les différentes représentations du peintre : l’homme de la page, l’écrivain représentant, « croquant », « portraiturant » l’homme de la toile, le peintre. Welles usera du même procédé mais inversé : génie de l’image, dans son devenir-artiste de légende, il décrit la fulgurante ascension d’un Kane démiurge, virtuose des mots et de l’écrit, entrepreneur éclairé de son temps (l’entrepreneur, voilà encore une figure atypique de l’artiste qui fera carrière et qu’évoque l’auteure à travers ce qu’elle appelle le processus d’« artification » traduisant la revendication d’autres créateurs à être considérés comme des « artistes »). C’est essentiellement à travers ces figures littéraires du peintre (abondantes, précises et variées) que l’auteure construit sa pensée. Elle fait naître de cette riche matière citationnelle le portrait d’un artiste qui n’est plus un artisan ou un professionnel mais avant tout un être d’exception placé sous le régime de la singularité, le régime vocationnel.

    Dans une première partie : « Singularité : la vocation de l’excentricité » et dans l’introduction qui précède, l’auteure réserve une place prépondérante à Balzac, à travers Le Chef-d’œuvre inconnu ; l’œuvre apparaissant comme révélatrice des mutations décrites par la sociologue. De fait, Balzac ignore, dans son œuvre, les apprentissages (modèle artisanal), l’enseignement (modèle professionnel), pour privilégier une transmission propre au régime vocationnel. La sociologue décrypte avec justesse l’enthousiasme, la compulsion et le délire dépeints par Balzac et associés à l’imagerie de la vocation : « Forme atténuée de possession mystique, cet enthousiasme, typiquement romantique, fait du travail artistique une affaire purement individuelle (c’est l’art en personne), fulgurante (c’est la convulsion du génie, opposée à la lente maturation de la technique), élective (seuls y ont droit ceux qui sont nés doués), et quasi pathologique, singularisée jusqu’à la folie. » (p. 17)
    L’auteure nous décrit aussi avec force détails comment possession, pulsion, incorporation et spiritualisation des qualités, passion, religion, mysticisme viendront s’agréger à la figure de l’artiste. Le talent n’est plus acquis mais inné : il est vocation et don. Nathalie Heinich résume bien le changement charnière qu’elle déclinera tout au long du livre : « Marginalité de la bohème, mystère de l’initiation, enthousiasme d’un geste créateur plutôt que reproducteur, magie transcendant la technique, don inné, maître faisant fonction de médium plus que de professeur, souffle divin passé dans le corps de l’artiste [...] : ainsi s’explicite sous la plume de Balzac, pour la première fois dans l’histoire de la littérature, le paradigme de l’artiste romantique » (p. 19-20). À travers l’œuvre de Balzac, le paradigme vocationnel prend le dessus, et l’idée de l’art pour l’art s’affirme, une autonomisation du champ artistique se produit qui s’écarte de la mission qui consistait à rendre compte du réel. Nathalie Heinich focalise son attention sur la figure bohème, visitant l’excentricité du dandy, les cercles enchantés des jeunes créateurs et la misère des artistes qui vivent mal de leur art. Van Gogh viendra incarner la bohème désespérée du génie méconnu et condamné au malheur. Il livre de cette expérience une remarque saisissante : « Ils sont plus à plaindre qu’un cheval de fiacre ou qu’une fille de joie, ceux-là qu’on appelle : les vieux rapins. » Chamfleury présente les choses avec plus de légèreté dans ses Souvenirs et portraits de jeunesse : « obligé tout jeune de gagner sa vie, lancé dans la Bohème, Fauchery en avait étudié le code dont quelques articles sont à signaler.1° Un loyer ne doit jamais être payé. 2° Tout déménagement s’effectue par la fenêtre. 3° Tailleurs, bottiers, chapeliers, restaurateurs appartiennent tous à la famille de Monsieur Crédit. » Dans ces portraits, il est toutefois difficile de trancher entre mythe et réalité de la condition bohème, « Aussi n’est-ce pas au sociologue de décider de la bonne réponse, en se substituant aux acteurs dans le rôle du pourvoyeur de vérité sur les valeurs : son rôle consiste à déployer l’éventail des indicateurs permettant de déterminer en quoi la vie de bohème fut en partie une réalité et en partie une représentation idéalisée ; puis à comprendre les raisons qui poussent les acteurs à adopter plutôt telle représentation du phénomène ou telle autre » (p. 38). L'auteure revient à nouveau sur la démarche méthodologique à travers une définition de la réalité : « Les trois dimensions de la réalité – le réel des situations vécues, l’imaginaire tel que le véhiculent les mises en forme fictionnelles, le symbolique des significations plus ou moins conscientes – ne peuvent se réduire les unes aux autres, car elles possèdent leur nécessité et leur cohérence propre » (p. 39). Dans le régime de singularité qui s’installe dès le XIXe siècle, les valeurs changent : le don remplace l’apprentissage ou l’enseignement, l’inspiration le labeur soigné et régulier, l’innovation l’imitation des canons et le génie le talent et le travail. Voilà qui est illustré par Musset en 1852 dans Histoire d’un merle blanc : « C’est quelque chose, me dis-je, que d’être un merle blanc : cela ne se trouve point dans le pas d’un âne. J’étais bien bon de m’affliger de ne pas rencontrer mon semblable : c’est le sort du génie, c’est le mien ! Je voulais fuir le monde, je veux l’étonner ! » (p. 42). Dans cette période post-révolutionnaire, Nathalie Heinich montre aussi les contradictions attachées à la condition d’artiste : garder une singularité faite parfois de privilèges et s’inscrire dans une période qui a aboli ces mêmes privilèges. Nathalie Heinich évoque aussi une des conséquences de l’attirance croissante vers les métiers artistiques : la paupérisation. Elle montre également la fin du système étatico-académique au profit d’un système marchand-critique. L’homme de lettres se transforme : « dès les Lumières, et culminant avec le romantisme, se produit une "mutation anthropologique de la condition littéraire", où celui qui n’est plus seulement philosophe ou poète mais "écrivain" fait de la littérature un "magistère moderne", un "sacerdoce laïc" ; ce passage d’une définition "traditionnelle" à une définition "charismatique" de l’activité littéraire, dans le langage de Max Weber, fait de l’"homme de génie" une nouvelle incarnation du prophète, un "être providentiel d’une essence supérieure", à la fois "élu et maudit", que symbolisera le Zarathoustra de Nietzsche » (p. 76). Dans cette première partie, l’auteure montre bien l’évolution progressive vers un art qui s’autonomise. Les frères Schlegel, hérauts du romantisme allemand, résument cette pensée : « Est artiste celui qui a son centre en soi-même. » L’auteure précise aussi comment, au XIXe siècle, le littérateur, le romancier discrédite la singularité picturale : le peintre est toujours un raté. Elle souligne aussi que la figure de l’artiste maudit est absente de la fiction du XIXe siècle car elle s’incarne dans des êtres réels : Van Gogh transforme l’incapacité en génie, la méconnaissance en reconnaissance, incarne à lui seul l’archétype de l’artiste maudit.

    Dans une deuxième partie « Faire groupe : comment être plusieurs quand on est singuliers », l’auteure confronte la singularité de l’artiste à l’effet de génération, aux fraternités, à l’avant-garde et à l’émergence d’une identité collective des créateurs. Elle se demande s’il est justifié de parler d’une génération romantique et apporte un éclairage sociologique à la notion de génération : « Or la notion de génération implique non seulement l’écart temporel, mais aussi le partage d’une expérience commune inscrite dans des événements historiques » (p. 134). Et à travers Balzac, l’auteure pointe bien le désir d’une unité chez certains artistes. Pour ce faire, elle cite l’ouvrage de Pierre Barbéris, Le Monde de Balzac, Arthaud, 1973, p. 441 : « L’un des moyens d’échapper à l’isolement social et de retrouver une fraternité, c’est la bande, fût-elle en lutte ouverte avec la société. Balzac a été hanté par le mythe de la bande, la bande unie par un pacte et tournée vers l’affirmation de soi, vers l’action, la bande qui retrouve la morale et refait, en mineur, la société. » (p. 156)

    Dans une troisième partie : « Excellence : une nouvelle élite », l’auteure va montrer comment, au XIXe siècle, le poète va remplacer l’aristocrate déchu au sommet de la hiérarchie. Les artistes deviennent les héritiers de l’aristocratie de l’Ancien Régime. À travers Stello d’Alfred de Vigny (un texte où il est question de religion, d’aristocratie et d’art), on sent bien le glissement des valeurs de l’Ancien Régime vers des valeurs post-révolutionnaires. La vocation remplace la naissance. Le poète incarne une valeur démocratique ; il tire sa valeur de ses capacités personnelles et non d’une position héritée de naissance. L’auteure confirme cette mutation avec citation à l’appui : « pour ces nouveaux élus de la vocation, la promesse de vie éternelle n’est plus suspendue à une eschatologie religieuse mais à la postérité que confère la renommée ("la postérité a remplacé les ancêtres", note Joseph Joubert en 1797 dans ses carnets) ». L’artiste-écrivain est aussi sacralisé ; il devient, avec le romantisme, un interprète et un guide, il est au centre du monde de l’esprit. Le poète n’est plus en position de « renonçant », « d’être hors du monde » mais il est aussi « être dans le monde », même si c’est à la marge, sur les sentiers de la vie de bohème. Et si l’aristocratie symbolisait le passé, l’artiste est signe de postérité. Le glissement de valeurs est bien décrit par l’auteure : « C’est pourquoi vont de pair la marginalisation volontaire des jeunes héritiers et l’idéalisation des valeurs artistiques par déplacement des valeurs aristocratiques, transformant le privilège de naissance en don inné, le nom en signature et renom, l’élite du pouvoir en élite de la création et cercle initiatique de la bohème, ou encore l’interdiction du travail roturier en dévalorisation des gains pécuniaires au profit d’une rémunération immatérielle – la gloire » (p. 213-214). Le monde de l’art, à partir du romantisme, va osciller entre populisme et aristocratisme ; ces deux valeurs se retrouvant dans un solide mépris de la bourgeoisie.
    Dans cette partie, l’auteure décrit avec précision le prestige progressif associé au statut de créateur. Elle cite Jules Janin : « C’est un beau mot, artiste ! C’est comme si l’on disait intelligent. » Elle apporte toutefois quelques réserves, en précisant par exemple que l’aristocratie de province reste réfractaire, gardant ses distances avec les artistes, comme le prouve cette anecdote : « La méfiance reste de mise, au risque de froisser les susceptibilités : ainsi Erik Satie se voit-il prié, au cours d’une soirée où l’on jouait ses œuvres, de quitter le buffet des invités pour celui des musiciens. » (p. 224)
    L’auteure décrit les figures de l’aristocrate-artiste et du dandy et s’efforce de donner une définition propre au terme d’élite. Face à la vision moniste (une vision restrictive, concentrée sur une catégorie dominante, issue du milieu politique, administratif ou des affaires) et la vision pluraliste (où l’élite perd son caractère substantiel en devenant une « saillance » à l’intérieur des différentes catégories sociales, engendrant une pluralité d’élites), l’auteure privilégie une troisième voie, inspirée de Norbert Elias : « La solution réside dans l’application à la notion d’élite d’un concept emprunté à Norbert Elias ; celui de configuration. Il désigne un espace de pertinence des relations d’interdépendance – ici, l’espace des relations entre individus occupant des positions éminentes [...]. L’accent est donc mis dans cette conception sur la dimension relationnelle, le fait que des gens se fréquentent effectivement [...] » (p. 258)

    La quatrième partie, « L’art en régime de singularité », pourrait se résumer en deux citations qui traduisent bien l’avènement de la vie de l’artiste comme sujet principal de l’œuvre d’art : « J’ai mis mon talent dans mon œuvre et mon génie dans ma vie », déclarait Oscar Wilde et l’on citera George Brummell, qui, selon ses mots, « fit de sa vie une œuvre d’art ». Le régime de singularité partage l’artiste idéal-typique en trois pôles : « le pôle du privilège, vécu au XIXe siècle dans la mondanité et le dandysme ; le pôle de la démocratie, fantasmé sinon réalisé dans l’engagement politique de l’avant-garde ; et le pôle de l’excentricité, incarné dans la bohème. » (p. 279) Pour l’artiste excentrique, elle déploie trois figures : 1. le saint, grandi par ses sacrifices, c’est Van Gogh ; 2. le génie, caractérisé par sa vitalité créatrice, sexuelle et génésique, c’est Picasso ; 3. le héros, qui se singularise par ses gestes légendaires, c’est Marcel Duchamp. Elle complète la galerie de portraits par Dalí, le bouffon ; Warhol, le dandy ; Beuys, le prophète. Tous ces artistes ont construit un « modèle » singulier qui échappe aux modèles : c’est le propre de la singularité. Après avoir montré tous les paradoxes à maintenir un statut d’artiste engagé (le seul ayant réussi dans cet exercice de style périlleux étant Picasso, Nathalie Heinich dresse un portrait en « mode mineur » de l’artiste privilégié ; cette partie, peu convaincante, s’attacherait à montrer l’aspiration de différentes catégories de créateurs à obtenir le statut d’artiste et d’auteur et ferait état de l’impunité dont pourraient bénéficier les artistes dans le domaine administratif, économique et juridique en se plaçant au-dessus des lois.
    Nathalie Heinich finit son ouvrage par cette question toute simple qui sous-tend toute la réflexion du livre : « Comment fonder l’inégalité en justice ? » ; voilà posée la question de l’élitisme démocratique. La sociologue ne tranchera pas. Les promenades littéraires à travers les différentes figures du peintre qu’elle nous offre forment une matière suffisamment riche pour se faire une idée. Il est à noter qu’une partie des thèmes abordés dans le livre étaient présents dans le Citizen Kane de Welles : la singularité de l’artiste, la destinée, le don, l’artification du journalisme, la critique toute-puissante, la marchandisation de l’art…, sans que l’on puisse toutefois percer les secrets du génie de Kane. Pour appréhender l’œuvre de Nathalie Heinich, il faut reconstituer son puzzle éclaté du statut de l’artiste pour espérer voir apparaître le bouton de rose de la vérité. Patience !

    Jean-Luc Deschamps, professeur d’anglais, comédien

     

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Mon premier recueil de poèmes

ISBN:978-2-9531564-1-6
ISBN :978-2-9531564-3-0

À propos

est une vitrine pour Ce que j'écris(1 ere partie du titre):...

ISBN :978-2-9531564-4-7
ISBN:978-2-9531564-0-9
ISBN :978-2-9531564-8-5
ISBN :978-2-9531564-5-4

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