Signature : Propos recueillis et traduit de l’anglais par Jérôme Coignard - 13 juin 2014
Johannes Vermeer, La Jeune Fille à la Perle, vers 1665, Mauritshuis Royal Picture Gallery, La Haye.
Nommée directrice du Mauritshuis de La Haye en janvier 2008, cette spécialiste de l’art flamand et néerlandais a mené à bien la complète rénovation du musée.
Le musée Mauritshuis occupe un petit palais de style classique élevé en 1636-1644. Pouvez-vous nous en rappeler l'histoire ?
Cette maison a été construite pour Johann Maurits de Nassau-Siegen, un membre de la famille d'Orange qui se distingua par une brillante carrière militaire. Invité par la Compagnie des Indes occidentales à se rendre au Brésil dont il devint gouverneur, il était absent de La Haye pendant presque toute la période de construction de sa résidence. Le bâtiment du musée a donc une histoire très différente de celle de sa collection. Ils ne furent réunis qu'en 1822, lorsque les peintures, jusque-là exposées dans la Galerie du prince Guillaume V, y furent transférées.
Que sait-on de la manière dont étaient présentés les tableaux dans le Mauritshuis de 1822 ?
Au rez-de-chaussée du musée se trouvait un cabinet d'antiquités et de curiosités. Les peintures étaient présentées au premier étage. Les tableaux étaient accrochés de manière très différente de l'usage actuel, couvrant les murs du sol au plafond. Nous avons conservé ce type de présentation dans la Galerie Prince Guillaume V. Après rénovation, nous présentons aujourd'hui au Mauritshuis moins de tableaux qu'à l'origine. Nous n'avons plus la même conception quant à la meilleure façon de regarder les tableaux.
Le Mauristshuis avait déjà connu une importante rénovation au début des années 1980. Pourquoi cette nouvelle campagne de travaux était-elle devenue nécessaire ?
Je dois rendre hommage à mon prédécesseur Hans Hoeting qui avait fait à l'époque un travail remarquable dans des conditions très difficiles. Trente-cinq ans plus tard, les technologies ont beaucoup évolué, notamment en matière de climatisation. Concernant l'aspect extérieur du bâtiment, nous sommes intervenus sur deux points. D'une part, les fenêtres, avec leurs vitres trop minces, devaient être changées. Dans les années 80, ils avaient conservé un modèle datant du XIXe siècle, avec six carreaux. Nous sommes revenus au modèle du XVIIe siècle, à quatre carreaux, en nous inspirant d'un dessin de Pieter Post d'après le projet de l'architecte Johann van Campen, daté de 1652. D'autre part, des analyses ont révélé qu'à l'origine, les couleurs des façades étaient beaucoup plus chaudes, à l'imitation du grès. Nous avons restitué ces couleurs.
Et pour les intérieurs du bâtiment historique, quel parti avez-vous adopté ?
Si, à l'extérieur, l'architecture a conservé son aspect du XVIIe siècle, l'intérieur avait été entièrement refait après l'incendie de 1704. Nous ignorons à quoi il ressemblait exactement. Nous avons donc pris pour inspiration le style du début du XVIIIe siècle. Nous avons remplacé les tentures des murs, usées et un peu trop brillantes, en respectant les couleurs choisies dans les années 1980, qui mettent en valeur les peintures : vert pour les Hollandais, rouge pour la cage d'escalier [où sont notamment présentés les portraits de militaires du XVIIe avec leurs cadres sculptés de trophées]. Nous avons introduit le bleu pour les primitifs et les Flamands. Quant au mobilier, les nouvelles vitrines s'inspirent de modèles du début du XIXe, époque de la création du musée, certains conservés à La Haye, d'autres à la National Gallery of Scotland. La dernière pièce du puzzle était l'éclairage. Les lustres des années 1980, très « branchés » à l'époque, étaient trop datés. Nous avons mené de longues recherches pour améliorer l'éclairage. Nous voulions une lumière à la fois claire et chaude. Nous avons opté pour des spots fixés sur rails, très respectueux de l'architecture. Les fixations sont britanniques, les ampoules LED viennent des États-Unis. Par ailleurs, pour donner de l'éclat à l'ensemble, nous avons fait exécuter à Murano une série de lustres sur un modèle vénitien du XVIIIe siècle. Enfin, nous avons encastré un nombre de tableaux de la collection en dessus-de-portes.
Avez-vous rencontré des problèmes particuliers de restauration en cours de chantier ?
Dans le Salon doré, dont le décor est postérieur à l'incendie de 1704, la série de peintures du Vénitien Antonio Pellegrini nécessitait une restauration. Nous avons découvert, au cours de leur nettoyage, en particulier sur les peintures du plafond, la présence d'un voile grisâtre qui altérait les couleurs. Nous avons donc mené des recherches dans le cadre d'un partenariat scientifique avec Royal Dutch Shell. Cette altération était en fait due aux émanations d'un ancien poêle à charbon qui, interagissant avec la couche picturale, avaient constitué une croûte grise sur la surface des toiles. Nous avons alors élaboré un gel spécifique qui nous a permis d'éliminer ce voile sans dommage pour la peinture. Restaurées, les toiles montrent la vivacité de la touche de Pellegrini et rendent justice à sa palette avec des roses, des bleus rococo.
La collection elle-même a-t-elle fait l'objet de restaurations notables ?
La collection très saine et bien tenue (c'est l'avantage d'un petit musée !) ne nécessitait pas d'intervention particulière. En revanche, nous travaillons actuellement sur Saül et David, tableau entré comme Rembrandt dans la collection [acheté chez Durand-Ruel en 1898 par Abraham Bredius, alors directeur du Mauritshuis, il a été légué par lui au musée]. C'était l'un des tableaux les plus aimés du Mauritshuis jusqu'à ce que les recherches sur Rembrandt mènent à sa désattribution... Ce tableau possède une histoire complexe. Il a été coupé en deux, sans doute en France, puis ces deux parties ont été réunies. Aujourd'hui, les experts de Rembrandt sont divisés, les uns penchant pour une attribution à un élève, les autres à Rembrandt lui-même. Il ne fait pas de doute que ce tableau provient de l'atelier de Rembrandt.
Le projet réalisé par Hans van Heeswijk Architects a permis d'aménager les nouveaux espaces nécessaires à la vie d'un musée d'aujourd'hui. Où avez-vous trouvé les espaces nécessaires ?
Dans les années 1980, la cour du musée avait été excavée grâce à des technologies très avancées, les espaces créés étant situés en dessous du niveau de l'eau. Un système d'ancres d'acier avait été mis au point pour que les murs résistent à la pression de l'eau. Nous avons utilisé cette « boîte » de béton dans le nouveau projet, en supprimant le niveau intermédiaire créé dans les années 1980 pour les réserves. Nous avons prolongé cet espace souterrain sous la rue qui longe le musée pour rejoindre la nouvelle aile, installée dans un ancien club privé, la Société De Witte. Cette opération a nécessité l'enfouissement en profondeur de toutes les canalisations et câbles existants. Une gageure !
On entrait jadis par une petite porte de service...
Dans les années 80, on avait dû renoncer à faire entrer le public par l'entrée principale. Celui-ci devait emprunter l'ancienne entrée de service sur le côté. Ce n'était pas idéal ! Dorénavant, le public franchit la grille principale pour se rendre dans le hall souterrain. Surprise, ce nouvel espace d'accueil très généreux est inondé de lumière naturelle grâce à un mur de verre ! Un ascenseur et un escalier donnent accès au bâtiment du XVIIe siècle et au magnifique bâtiment de la nouvelle aile.
Comment décririez-vous cette nouvelle aile ?
Nous avons eu une bonne surprise en débarrassant le bâtiment De Witte des cloisonnements et altérations entraînées par sa transformation en bureaux. Construit dans les années 1930, il conservait beaucoup d'éléments Art déco de grande qualité, des lambris, un escalier d'acajou, des vitraux... Avec ses hauts plafonds, il nous offre de très beaux espaces d'exposition. Auparavant, il fallait déménager la collection pour installer les expositions temporaires, au risque de décevoir beaucoup de visiteurs venus voir nos tableaux. Ces expositions temporaires sont importantes pour la vie du musée et permettent de faire progresser la recherche. La collection est maintenant installée de façon stable dans l'ancien bâtiment. Nous disposons, dans les espaces nouvellement aménagés, d'un service éducation avec des ateliers pour enfants ou pour adultes, d'un auditorium, d'une bibliothèque. Nos bureaux, autrefois situés dans un bâtiment séparé du musée, se trouvent au dernier étage.
Le Mauritshuis agrandi ne risque-t-il pas de perdre un peu de son âme ?
Malgré cette extension, notre intention est de conserver au Mauritshuis son caractère de petit musée. C'est l'une des grandes différences avec des musées comme le Louvre où on a la sensation qu'on ne pourra jamais tout voir. L'attrait du Mauritshuis, c'est d'être un musée à l'échelle d'une maison, en harmonie avec les tableaux que nous conservons. Il n'est pas écrasant. La collection comprend environ 800 tableaux. Les peintures hollandaises sont les plus nombreuses. Généralement de petit format, ce sont des peintures de genre, des portraits, des paysages, des sujets qui restent accessibles à un public d'aujourd'hui. C'était l'une des leçons de la série d'expositions internationales de la collection que nous avons organisées pendant la fermeture du musée pour travaux. Au Japon, aux États-Unis, en Italie, elle a reçu un accueil exceptionnel du public.
Le bâtiment rénové va-t-il permettre d'accroître le nombre de ses visiteurs ?
Nous pourrions dire : nous voulons autant de visiteurs que possible, et augmenter le nombre des entrées. Mais nous sommes un musée qui traite de qualité, pas de quantité. Qualité des collections, qualité des visiteurs. Le but n'est pas d'avoir le plus de visiteurs possible mais de s'assurer que chaque visiteur ait une bonne visite et se sente chez lui dans ce musée. Dans un premier temps, nous ouvrons sept jours sur sept (quoique le lundi soit un jour important pour assurer l'entretien), l'horaire de visite est prolongé jusqu'à 20h le vendredi. Ceci passe par la vente de tickets à l'avance. Nous avons développé une application pour smartphones et, grâce au wifi à l'extérieur du musée, le visiteur pourra préparer sa visite. La limite qui nous est imposée par la sécurité anti incendie est de 450 visiteurs maximum dans le bâtiment historique, 1200 visiteurs en tout, en incluant le hall et la nouvelle aile. Nous ne voulons pas de grandes foules.
Le Mauritshuis présente une collection de chefs d'oeuvre. Est-il encore possible aujourd'hui de l'enrichir ?
Oui, c'est l'une de mes missions. Notre but n'est pas de tout acheter mais de faire des acquisitions judicieuses. Ce n'est pas une collection encyclopédique. Elle se concentre sur les meilleurs exemples de la peinture de l'Europe du Nord de la période 1400-1800, des oeuvres de petit ou moyen format en harmonie avec le Mauritshuis. Ce serait merveilleux d'avoir un énorme Rubens mais nous n'avons pas la place ! Je pars du principe que si nous faisons une nouvelle acquisition, c'est pour l'accrocher au mur et donc prendre la place d'une autre oeuvre. Il ne faut pas faire d'erreurs. Depuis mon arrivée au musée [en janvier 2008], nous avons pu acquérir cinq oeuvres. Nous avons eu de très belles opportunités en matière de peinture flamande de cabinet, par exemple une fantastique nature morte de Clara Peeters, un paysage de Paul Bril. Pour les Hollandais, nous avons pu acheter un superbe bouquet de Dirck de Bray, artiste moins connu. Nous ne visons pas forcément les grands noms mais la qualité.
http://www.connaissancedesarts.com/peinture-sculpture/actus/entretien-avec-emilie-gordenker-directrice-du-mauritshuis-106593.php
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