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  • Dix petits nègres

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    Genre du livre

              Ce livre est un roman policier, basé sur plusieurs crimes plus mystérieux les uns que les autres.

    Epoque et durée de l’action

             L’action se déroule aux environs des années 1940 et durant l’été. Elle dure environ une semaine, entre le 8 août, arrivée des invités sur l’île et le 12 août, débarquement en bateau de Fred Naracott.

    Lieux

                Toute l’action se déroule sur l’île du nègre, excepté avant l’arrivée des hôtes au début de l’histoire, où ceux-ci se trouvent chacun à leur domicile.

                L’île du nègre est située en Angleterre, dans le Devon. C’est une région plaisante, aux collines vertes et à la terre rouge. Elle est communément appelée l’île du nègre car sa forme évoque une tête de noir aux lèvres négroïdes. Cette île est distante de 1500 mètres de Sticklehaven, petit village côtier.

            Au nord-ouest de cette île, des falaises descendent à pic dans la mer. La végétation y est pratiquement inexistante : seuls quelques coins de verdures subsistent. 

            Au centre de ce lieu est bâtie une magnifique maison blanche moderne. Celle-ci comprend plusieurs chambres, un salon, un vestibule et beaucoup d’autres pièces. La maison s’ouvre sur une vaste terrasse d’où débouche un chemin qui conduit à la mer.

    Personnages

    Edward Georges Amstrong

            E.G. Amstrong est un médecin très en vogue, d’une intégrité indiscutable et très compétent d’un point de vue professionnel. Il travaille à l’hôpital de Leithmore. Il a opéré d’une péritonite Louisa Mary Glees, le 14 mars 1924, alors qu’il était en état d’ivresse. Celle-ci est alors décédée sur le billard. Il a été invité sur l’île par Mr Owens, s’inquiétant de la santé de sa femme. Le juge Wargrave en a fait son complice pour simuler sa propre mort. Amstrong sera finalement tué par le juge qui le pousse du haut d’une falaise.

    Emily caroline Brent

              E.C. Brent est une vieille demoiselle âgée de 65 ans. Elle a reçu une éducation très stricte de son père, colonel de la vieille école. Elle ne se laisse démonter par l’opinion des autres et reste souvent impassible. Emily Brent reste très attachée à la religion et tricote beaucoup. Elle pousse au suicide une jeune femme enceinte, Béatrice Taylor, l’ayant chassée de chez elle. Elle a été invitée par une vieille amie avec qui elle a déjà passé des vacances et qui lui propose de renouveler cela sur l’île du nègre. Endormie, par du chloral mis dans sa tasse du petit déjeuner, Miss Brent est achevée par une piqûre d’abeille.

    William Henry Blore

            W.H. Blore est un officier de police qui dirige une agence de détectives à Plymouth. Celui-ci a pour pseudonyme Mr Davis, pour ne pas qu’on le reconnaisse en temps que policier, mais il annonce très vite sa véritable identité aux autres convives. Il a une allure militaire, des yeux gris et rapproché, une moustache et un visage sans aucune expression. Il est responsable de la mort d’un certain James Stephen Landor, décédé en prison le 10 octobre 1928 à Dartmoor. Contraint de faire un faux témoignage à son sujet, Mr Blore a fait condamner Landor aux travaux forcés à perpétuité où il a fini ses jours. Il a été invité sur l’île du nègre par Mr Owen pour veiller sur les bijoux de sa femme, où il succombera, le juge Wargrave l’ayant envoyé une pendule sur la tête.

    Véra Elizabeth Claythorne

            V.E. Claythorne est une femme assez jeune, nerveuse et rongée par le passé. Elle était la gouvernante de Cyril puis professeur de physique dans un établissement de troisième ordre. Elle a tué le jeune enfant le 11 août en le laissant se baigner assez loin pour qu’il se noie. Cyril était l’héritier d’une grosse fortune que convoite son oncle Hugo. Aimant ce dernier, elle décide se débarrasser du petit. Elle a été employée pour être la secrétaire de Mr Owen sur l’île du nègre. Véra tue lombard d’une balle en plein cœur et puis se pend avec une préalablement préparée par Wargrave.

    Philip Lombard

            P. Lombard est un capitaine fort, grand et aux petites moustaches. Il part souvent à l’étranger et a été mêlé à de multiples scandales. Mr Lombard a frôlé la prison par deux fois et a entraîné, en février 1932, la mort de 21 hommes. Ces hommes faisant partie d’une tribu indigène, il a pris leurs vivres alors qu’ils étaient perdus dans la brousse et les a laissé mourir de faim. Il a été pressenti par Isaac Morris qui lui a offert cent guinées pour venir sur l’île. Il est tué par Véra Claythorne d’un coup de revolver dans le cœur.

    John Gordon Macarthur

            J.G. Macarthur est un général qui a eu une conduite courageuse pendant la Grande Guerre. C’est un homme âgé aux cheveux gris coupés courts, à la moustache soignée et aux grands yeux gris-bleu fanés par les années. Se rendant compte que son épouse le trompe avec Arthur Richmond, officier de son régiment, il envoie ce dernier en reconnaissance et celui-ci se fait tuer par l’ennemi. Il est invité par Mr Owen pour évoquer, avec des amis de longue date, le bon vieux temps sur l’île du nègre. John Macarthur se fait tuer par le juge Wargrave d’une fracture du crâne.

    Anthony James Marston

            A.J. Marston est un chauffard de la pire espèce à qui l’on a retiré le permis de conduire par deux fois. Jeune homme d’un mètre quatre-vingt, il a les cheveux frisés, le visage bronzé et des yeux d’un bleu profond. Il a tué, le 14 novembre dernier, deux enfants John et Lucy Combes en les écrasant. Il a été condamné par la suite à une suspension de permis pendant un an. Son ami Badger Berkelery lui a donné rendez-vous sur l’île du nègre. Première victime de cette série de crime, Wargrave a mis du cyanure dans son verre de whisky.

    Lawrence John Wargrave

            L.J. Wargrave est en apparence un juge remarquable et honnête mais dans son for intérieur, il s’agit d’un être démentiellement diabolique puisqu’il est l’auteur de cette série de crime plus ingénieux les uns que les autres. Il souhaitait commettre un crime sensationnel, fantastique, où le problème serait insoluble. Il a conduit à la mort Edward Seton le 10 juin 1930. Celui-ci était accusé d’avoir assassiné une vieille femme. Seul le juge croyait en sa culpabilité. Il condamna alors Seton qui fut exécuté. Wargrave a reçu une lettre de Lady Constance Culmington pour l’inviter sur l’île du nègre. Seulement, il est évident que cette histoire a été montée de toute pièce par le juge. La folie l’amène à se suicider, après avoir tué les 9 hôtes, en mettant en place un processus habile qui actionne un revolver.

    Isaac Moris

            Isaac Moris s’occupe de l’achat de l’île, des vivres et de l’aménagement. Mandataire de Mr Owen, c’est un homme dangereux mais prudent bien que peu recommandable. Wargrave choisira Isaac comme dixième victime. Il le soupçonnait d’avoir initié la fille de l’un de ses amis à l’usage de la drogue. Il lui remet alors un cachet, le soir de son départ pour Londres, qui agit sur le suc gastrique, celui-ci souffrant d’indigestion. Ne se méfiant pas, Isaac Moris le prend.

    Fred Naracott

                F. Naracott conduit les invités sur l’île du nègre et leur apporte tous les matins le pain, le lait, et prend les commandes pour les fournisseurs.

    Sir Thomas Legge et Maine

            Tous deux policiers, le premier est le chef de la police. Ils s’occupent de l’affaire de l’île du nègre.

    Elmer Rolson

            E. Rolson est l’ancien propriétaire de l’île.

    Remarques :  Les personnages principaux ont tous été invités sur l’île du nègre par des moyens et des personnes différents mais, en réalité, c’est le juge Wargrave qui a écrit les lettres afin d’exécuter tout ces abominables crimes.

    Résumé

            Dix personnes venant de tous les coins de l’Angleterre et n’ayant aucun point commun entre elles, sont invitées à passer les vacances sur l’île du nègre. A leur arrivée, le propriétaire de l’île n’est pas au rendez-vous mais les invités n’y font guère attention. Le soir, avant d’aller dîner, ils prennent un apéritif. Un disque est placé sur un gramophone, les accusant chacun d’un crime. Tout le monde est étonné. Quelques temps plus tard, Antony Marston est s’étouffe en buvant un whisky et en meurt. La frayeur s’empare des invités mais plus encore lorsque l’on retrouve le corps du général Macarthur, le crâne fracturé. Tout le monde est pétrifié et il ne reste à présent plus que sept personnes sur l’île. Il ne peut donc s’agir d’un accident ; mais qui a bien pu tuer ces personnes ? Le mystère est de plus en plus profond lorsque, le surlendemain, est retrouvé le corps de Thomas Rogers, le crâne fendu par une hache. On s’aperçoit que tous ces crimes ont des liens avec une chanson de nourrice inscrite dans chacune des chambres ; on se rend compte également que les dix négrillons, trônant sur la table de la salle à manger disparaissent au fur et à mesure que les crimes surviennent. Il ne reste alors plus que six invités. A qui le tour ? La question reste sans réponse… Au petit déjeuner, Miss Brent meurt d’une piqûre ; puis dans la soirée, le juge Wargrave meurt d’une balle de revolver. Il ne reste plus que quatre personnes vivantes sur l’île. Des recherches sont faites pour savoir si quelqu’un se cache dans l’île mais aucune cachette n’est possible. Le meurtrier fait donc partie des quatre survivants. Le jour suivant, l’officier Blore est retrouvé, la tête fracassée par une pendule, sur la terrasse. Tous les crimes s’enchaînent. Le docteur Amstrong est retrouvé noyé. Il ne reste  à présent que Véra Claythorne et Philip Lombard. Chacun, pensant à la culpabilité de l’autre, Véra saisit le revolver de Philip et le tue. Finalement, des remords dans l’âme, Véra va se pendre. Qui a donc pu les tuer ? Le mystérieux est en fait le juge Wargrave. Il avait  pour complice le docteur Amstrong qui a simulé sa mort. Wargrave avait choisi ses victimes et son crime avait marché à merveille. Ne voulant pas être accusé mais n’ayant plus rien à faire de sa vie, il finit par se suicider. Auparavant, il se confesse en envoyant un message dans une bouteille et jeté à la mer, expliquant toute la mise en scène, espérant que les enquêteurs ne trouvent pas la solution de l’énigme.

    Thèmes

    1)  Thème principal

    Le crime  

            Le roman est basé sur une succession de crimes. Le juge Wargrave va élaborer tout un plan pour accomplir un crime diabolique. Il va tuer neuf personnes avant de se suicider. En procédant différemment pour chacune des victimes, il parvient à rendre ces meurtres de plus en plus surprenant : deux personnes seront tuées par empoisonnement, deux autres par balle ; une victime aura le crâne fracassé, bref, une multitude de crimes très variés. Tous ces assassinats se succèderont au rythme de la berceuse dont le texte se trouve dans chacune des chambres des invités de l’île.

    2) Thèmes importants 

    L'angoisse

            L’histoire baigne dans l’angoisse. Le premier crime aurait pu être un accident. Cependant, la succession des meurtres suivant démontre le contraire et les invités sont pris de frayeur. Se rendant compte que tous ces crimes ont un lien avec la chanson qui élimine les nègres les uns après les autres, les invités sont terrifiés. A qui le tour à présent ? La question se pose à chaque instant. De plus, on s’aperçoit que nul ne peut se cacher dans l’île, ce qui montre bien que le meurtrier se trouve parmi les hôtes… Mais qui est-ce ? Toutes les précautions possibles pour se protéger sont prises au moment de se coucher ; tous les soirs, chaque invité ferme sa porte à double tour et bloque sa porte avec une chaise placée contre la poignée. La terreur saisit les survivants les uns après les autres et ne cesse d’augmenter.

    L’ambition

            Wargrave, dès sa prime jeunesse, se complaisait à voir mourir ou infliger lui-même la mort. Depuis quelques années, il voulait commettre un crime, mais un crime sensationnel, fantastique : Wargrave nourrissait l’ambition de perpétrer un crime dont l’auteur serait anonyme. Il décide, par la suite de commettre non pas un seul et unique meurtre mais tout une série. Il se met alors en quête de victimes en se rappelant une chanson qui a bercé son enfance. Puis choisissant le lieu, la date, ce juge aux apparences irréprochables invite toutes les victimes et met en ordre leur mort. Sa ténacité et sa détermination lui ont finalement valu la réussite de ses sombres projets

    3) Thèmes mineurs

    La complicité

            Wargrave, tout en établissant son plan, choisit un complice qui simulera sa mort. Pour cela, il choisit le docteur Amstrong. Il place un petit emplâtre de boue rouge sur le plafond d’une chambre ; sa locataire monte normalement dans sa chambre pour se coucher et, une fois entrée dans celle-ci, elle pousse un hurlement de frayeur. Le reste des invités accourent alors pour s’informer de ce qui se passe et Wargrave en profite pour faire le mort. Le docteur Amstrong est alors chargé de confirmer le décès du juge. Par la suite, Wargrave se débarrasse d’Amstrong pour ajouter un peu plus de mystère encore.

    Citations

  • Himmler, grand criminel et petit mari

     

    Le Monde | 13.02.2014 à 10h30 • Mis à jour le 13.02.2014 à 18h18 | Par Elisabeth de Fontenay (philosophe)

     
     

    La famille Himmler avec une amie de Gudrun, à Gmund, vers 1935.

    Ingénieur agronome, éleveur de poulets, député, maître de la SS, chef de la police allemande, patron des Sonderkommando lors de l'opération « Barbarossa », supérieur d'Heydrich et d'Eichmann, ministre de l'intérieur du Reich, commandant de l'armée de réserve de la Wehrmacht…

    Heinrich Himmler, ayant endossé successivement tous ces rôles, peut être tenu pour le meurtrier du siècle. Responsable, avec Hitler bien sûr, des décisions dont on géra les modalités d'application à la conférence de Wannsee, il fut l'architecte de la « solution finale ». Rien ne définit mieux son idéal et son action que le fameux discours de Poznan du 4 octobre 1943 : « La plupart d'entre nous savent ce que cela signifie quand cent cadavres sont alignés les uns à côté des autres, quand il y en a cinq cents, quand il y en a mille. Avoir tenu bon face à cela (…) et être resté correct pendant ce temps-là, cela nous a rendus durs. C'est une page glorieuse de notre histoire, une page qui n'a jamais été écrite et qu'il ne faudra jamais écrire. »

    C'est de ce terrifiant acteur de l'histoire que paraît aujourd'hui la correspondance : ouvrage éditorialement unique, puisqu'il donne accès aux lettres qu'un dirigeant nazi de premier plan a échangées avec sa femme, Marga, entre 1927 et 1945. Lettres volées par des soldats américains, puis vendues et finalement échouées, les unes à Coblence, les autres à Tel-Aviv.

    Lire aussi « Le Monde des Livres » publie des lettres inédites de Himmler à sa femme

    NI SECRETS D'ALCÔVE NI SECRETS D'ETAT

    On aurait pu attendre de cette parution des confidences intimes et des révélations historiques. Or, on se trouve confronté à un ahurissant constat : non seulement on n'y découvre pas plus de secrets d'alcôve que de secrets d'Etat mais on voit, jour après jour, se dessiner les mœurs incroyablement kitsch d'un couple et s'effacer soigneusement le contexte de la terreur nazie dont l'époux porte la responsabilité. La déception est d'autant plus grande que l'éditeur a relié ces lettres par des notices historiques qui font éclater la sinistre contemporanéité des fadaises et des crimes. C'est pourtant cette déception qui fait l'immense intérêt du livre.

    On n'y trouve en effet que des échanges incultes, dépourvus de toute fantaisie amoureuse, remplis de tics de langage et de répétitions mécaniques. Le chef tout puissant qui organise le déplacement et l'élimination de populations entières – pour lui des « animaux humains » – afin d'installer à l'Est « les purs Germains », est un petit bourgeois falot qui compense ses absences en écrivant qu'il baise les « bonnes mains », la « chère bouche » de sa « pure et chère haute dame ». Cette correspondance sirupeuse est tellement dépourvue d'intimité qu'elle en paraît insincère même si, dans un premier temps, Himmler met du piment dans son couple en se proclamant « lansquenet », « homme très méchant » ou en se laissant traiter par sa femme de « garnement », de « fripouille », de « tête de mule », qualificatifs que du reste il lui retourne.

     

    Heinrich Himmler en tenue militaire, vers 1943.

    INQUIÉTANTE BÊTIFICATION

    Ces mots pour se faire peur ne cesseront pas quand l'épouse sera enceinte de la petite Gudrun, surnommée « Poupette », et l'inquiétante bêtification reprendra de plus belle : « Bonne petite bonne femme garnement aimée du fond du cœur (…) le méchant mari va très bien (…) et pense toujours à sa douce petite femme qui va devenir la petite mère de notre doux garnement ». Mais les niaiseries seront bientôt relayées par la chronique hautement hygiénique des maux d'estomac et d'intestins, des bains, des rasages, des changements de linge.

    Et le Reichsführther finira par signer pitoyablement « ton petit papa » les lettres envoyées à cette mère qu'il n'appellera plus que « Mamette » et qu'il aura, sans l'abandonner, délaissée au profit de sa secrétaire, non moins conforme à la norme des cheveux blonds et des yeux bleus, mais beaucoup plus jeune et avec laquelle, selon la doctrine de la double famille qu'il inculquait à ses SS, il produira deux spécimens de la prétendue race nordique.

    Il arrive malgré tout que surgissent des allusions faussement innocentes et valant sans doute dénégation. Quand, par exemple, Marga évoque un moment passé avec Hitler : « C'était gentil de discuter avec le Führer ». Et quand Himmler mentionne les villes où se perpètre ce que plus tard on nommera la Shoah par balles : « Mon voyage me mène à présent à Kovno, Riga, Vilnius, (…) Minsk ». Ou qu'il précise : « Dans les jours qui viennent je serai à Lublin, Zamosch, Auschwitz, Lemberg », signalant, de manière anodine, sa présence active sur les lieux de l'extermination.

    Partagé entre épouvante et fou rire, on cherche quelle discipline, quel axe de réflexion philosophique, éthique, politique pourrait fournir les moyens de penser l'énigmatique unité de cette personnalité et l'insignifiance de tels échanges, au regard de l'énormité des massacres. Le concept arendtien de «banalité du mal», s'il vaut peut-être pour Eichmann qui, jugé par un tribunal, cherchait à se disculper en se présentant comme un rouage ignorant du mécanisme totalitaire et de l'énormité criminelle de l'entreprise nazie, n'éclaire pas le cas Himmler tel qu'il apparaît à travers cette correspondance privée.

    LA « GENTILLESSE » AU SERVICE DE LA FUREUR GÉNOCIDAIRE

    Car ce qui reste inintelligible, c'est l'articulation entre, d'une part, la sentimentalité médiocre, convenue, de cet homme, et, de l'autre, le silence gardé sur la réalité criminelle de ses activités. L'analyse balance entre deux interprétations. Ou bien il y a chez Himmler une déficience d'affectivité, qui se manifeste aussi bien sur le théâtre des abominations que dans le « château fort » de son foyer, et il dissimulerait l'une sous des douceurs stéréotypées, l'autre par un silence presque sans faille. Ou bien il a voulu tenir à l'écart du pré carré domestique ce qu'il considérait comme des atrocités devant être commises pour la grandeur de la patrie allemande. Il l'aurait fait non pour épargner la sensibilité féminine mais sans doute parce que sa famille, même si Marga partageait son idéologie antisémite et devait se douter des exterminations qui se multipliaient sous son commandement, n'avait pas la vertu stoïque qu'il fallait pour porter le poids de son héroïsme.

    Mais on aurait scrupule à esquisser une psychologie sauvage face à ce qui semble moins un mystère propre à une « âme » allemande que l'abîme d'un homme totalement soumis à l'idéal, donné pour l'éthique la plus haute, de la terreur raciste. On ne doit pas déceler quelque pathologie schizoïde là où il n'y a rien d'autre que la défiguration d'une certaine normalité : un sens du devoir, de la « gentillesse », un « travail » méticuleux, un souci de « correction » mis au service de la fureur génocidaire.

    Lire l'entretien avec l'éditrice, petite-nièce du dirigeant nazi : « Himmler n'a jamais eu mauvaise conscience »

    • Elisabeth de Fontenay (philosophe)

     

     
     

    Monde des Livres

  • François BOUCHER (Paris 1703 - 1770) Jeux d’Enfants ou L’Automne

    François BOUCHER (Paris 1703 - 1770)   Jeux d’Enfants ou L’Automne

    François BOUCHER (Paris 1703 - 1770) Jeux d’Enfants ou L’Automne Toile, un dessus-de-porte 87 x 136 cm Provenance : Probablement Hôtel Derbais, Paris, rue Poissonnière ; Collection Ch. E. Riche, Paris ; Vente anonyme, Paris, Nouveau Drouot (Maître Renaud), 30 mars 1984, n°57, reproduit en couleur (François Boucher) ; Chez Maurice Segoura en 1986 ; Acquis chez ce dernier par les actuels propriétaires. Bibliographie : H. Voss, « François Boucher’s early development », dans Burlington Magazine, mars 1953, cité p. 89, reproduit fig. 57 (une deuxième version de L’Automne) ; A. Ananoff et D. Wildenstein, François Boucher, Paris et Lausanne, 1976, n°60/8 (copie) ; Catalogue de l’exposition, François Boucher, New York, Detroit et Paris, 1986-1987, cité p. 63 sous la note n°4, pp. 133 et 135 (François Boucher). Notre tableau est une œuvre fondamentale pour la connaissance du jeune Boucher. Peint vers 1732-1735, juste après son retour d’Italie, il est nourri de peinture vénitienne et de sa riche matière picturale et met en place tous les éléments d’un genre nouveau qui deviendra le style rocaille. Après une formation dans l’atelier de François Lemoyne, François Boucher est Grand Prix de l’Académie en 1723. N’étant pas l’un des favoris du duc d’Antin, Surintendant des Bâtiments du Roi, Boucher part pour Rome à ses frais de 1728 à 1731. à son retour, il reçoit sa première grande commande et livre à l’avocat François Derbais, en 1732, deux peintures de grandes dimensions, Venus demandant des armes à Vulcain et L’Aurore et Céphale (Toiles, 252 x 175 cm ; Louvre et Nancy)1. La matière pleine et onctueuse de ces tableaux, leurs couleurs claires pastel et leur facture toute d’assurance et de hardiesse se retrouvent dans notre tableau ; tout comme « la vive couleur, le relief et le Pinceau […] l’aimable invention » et « le traitement étonnamment libre de la plante au premier plan »2 que l’on retrouve dans L’Aurore et Céphale. Selon Alastair Laing, cette rupture radicale est inspirée des modèles italiens. Boucher rentre à Paris en 1731 avec en tête des exemples nouveaux inspirés du vénitien Sebastiano Ricci et du génois Giambattista Castiglione, notamment Cyrus allaité par une chienne (Toile, 218 x 316 cm ; Gênes, collection Durazzo Pallavicini)3 dans lequel nous retrouvons le putto grassouillet, la présence de la nature avec l’amoncellement de raisins et de feuilles de vignes fermant la composition et une grande liberté de la touche. Le sujet est tiré de la mythologie. François Boucher le renouvelle complètement. Le thème des Bacchanales remonte à l’antiquité (voir le Sarcophage de Giunio Basso ; Rome, musée de la civilisation romaine). François Duquesnoy, après la Renaissance, le remet à l’honneur. Dans sa Bacchanale de Putti (Rome, Galeria Spada) nous retrouvons en une composition en frise des putti jouant avec une chèvre entourés de feuilles de vignes et de grappes de raisins. Tout en respectant ce sujet classique, Boucher le traite différemment. Les putti deviennent des cupidons. Potelés et joufflus, ils ne sont plus répartis en frise devant et derrière la chèvre mais ils sont dans une composition pyramidale dont le sommet est le cupidon au thyrse. En faisant ainsi évoluer le thème classique des bacchanales vers celui plus moderne des jeux d’amours traités dans une matière onctueuse, avec des couleurs douces, dans un grand format, Boucher élève les représentations d’amours au rang de genre indépendant. Les collectionneurs vont contribuer à mettre ce nouveau genre à la mode, comme le duc de Rohan qui demande à François Boucher, entre autres artistes, de décorer l’Hôtel de Soubise en 1737. Nous proposons de voir dans notre tableau le dessus-de-porte qui ornait la salle de billard de l’hôtel particulier à Paris du juriste François Derbais. Avocat au Parlement, François Derbais est le fils du sculpteur marbrier Jérôme Derbais, actif pour la couronne entre 1668 et 1715. L’inventaire établi après décès de sa maison rue Poissonnière le 2 mars 1743 et retrouvé par Georges Brunel, précise qu’il possédait une importante collection de tableaux de Boucher. Dans la salle de billard se trouvaient un Enlèvement d’Europe et une Naissance de Bacchus (Toiles, 234 x 277 cm ; Londres, Wallace collection), ainsi qu’en pendant Aurore et Cephale et Venus demandant des armes à Vulcain. Cet ensemble était complété par deux paires de tableaux d’enfants, L’Amour oiseleur et L’Amour moissonneur, L’Amour nageur et L’Amour vendangeur (Fig. 1)4. Ces quatre tableaux ont été diffusés par l’estampe et il est difficile d’identifier les peintures originales. Boucher a parfois répété lui-même ses compositions et les graveurs y ont ajouté certains éléments. Il est intéressant de préciser que la collection Derbais contenait deux paires de Caravanes, peut-être de Castiglione. En effet, Boucher utilisait la collection de ses œuvres récentes dans la maison de Derbais pour relancer sa carrière après son retour d’Italie. La manière de dessiner nos Amours, « leurs corps allongés et creusés par quantité de fossettes et leurs cheveux [qui] s’effilochent en multiples petites mèches »5, appartiennent en propre à la période précoce de Boucher. Après 1740, « Boucher donnera aux putti de ses tableaux un caractère plus rond et plus ferme » créant définitivement son style. Notre tableau est une version plus élaborée de L’Automne ou Cinq Amours jouant avec une chèvre (Fig. 2. Toile, 72 x 72 cm ; dans une collection particulière) pendant de L’été ou Les Amours oiseleurs signé (Toile, 72 x 72 cm ; Providence, Museum of Art, Rhode Island School of Design)6. Dans notre tableau, la composition est rectangulaire et non carrée. Les enfants sont des cupidons. Boucher en ajoute trois, un par terre et deux autres qui soutiennent un panier de raisins dans le ciel. Il y a une abondance de raisins, de guirlandes et de feuilles de vigne. Les deux cupidons dans le ciel élèvent un panier de raisins, celui sur la chèvre porte un carquois de fruits, la chèvre est couronnée de vignes, le cupidon roux par terre s’empare de grappes et le petit enfant blond à gauche est le meneur au thyrse. Notre tableau a été célèbre et a servi de modèle à la gravure ornementale pour une feuille d’écran, Le Triomphe de Priape, réalisée par Duflos d’après Boucher en 1737 (Fig. 3)7. Par son format, nous pouvons aussi le rapprocher d’un autre tableau de putti, Colin-Maillard (Fig. 4. Toile, 80 x 146 cm), dans le marché de l’art en 19768. On connait aussi un dessin recto verso (Plume, 11 x 20 cm) qui figurait à la vente Geismar, Paris, Hôtel Drouot, 15 novembre 1928, n°49, L’éducation du chien. Au verso, La Chèvre docile (Fig. 5). Un certificat d’Alexandre Ananoff confirme l’attribution de notre tableau à François Boucher et le date vers 1731. 1.?Voir A. Ananoff et D. Wildenstein, François Boucher, Paris et Lausanne, 1976, n°85 et 86, reproduits. 2.?Mercure de France, juin 1735, p. 1386. 3.?Voir le catalogue de l’exposition Il Genio di Giovanni Benedetto Castiglione Il Grechetto, Gênes, Accademia Ligustica di Belle Arti, 1990, n°9, reproduit fig. 126 et reproduit en couleur fig. 81. 4.?Voir A. Ananoff et D. Wildenstein, François Boucher, Paris et Lausanne, 1976, n°62, 63, 64, 65, reproduits. 5.?B. Brunel, Boucher, Paris, 1986, p. 63. 6.?Après avoir été dans la collection Ten Cate, il a été acheté par le Baron Thyssen-Bornemisza en 1968. Il l’échange en 1980 avec Marco Grassi contre un autre tableau. Il semble que Monsieur Grassi l’ait vendu à un particulier aux états-Unis. 7.?Voir P. Jean Richard, L’œuvre gravée de François Boucher, Paris, 1978, n°875, reproduit. 8.?Voir A. Ananoff et D. Wildenstein, François Boucher, Paris et Lausanne, 1976, n°59, reproduit. Belle vente mobilière

    http://www.interencheres.fr/fr/meubles-objets-art/tableaux-mobiliers-objets-dart/francois-boucher-paris-1703-1770-jeux-denfants-ou-lautomne-ie_v33317/2560675/LP

  • Cecilia Bartoli et Donna Leon mènent l'enquête

     

    Faux crâne, col romain, imperméable, borsalino... Pour évoquer la figure d'Agostino Steffani, Donna Leon et Cecilia Bartoli ont pris la pose.

    Faux crâne, col romain, imperméable, borsalino... Pour évoquer la figure d'Agostino Steffani, Donna Leon et Cecilia Bartoli ont pris la pose. Crédits photo : Decca / Uli Weber

    ENTRETIEN - À travers un roman et un disque, Donna Leon et Cecilia Bartoli font revivre le compositeur baroque oublié Agostino Steffani.

    La star d'opéra Cecilia Bartoli publie un nouvel album, Mission, le 24 septembre, et la reine du polar Donna Leon un nouveau roman, Les Joyaux du paradis, le 3 octobre. Toutes deux ont choisi le même personnage: Agostino Steffani, mystérieux prêtre-compositeur de la fin du XVIIe siècle…

    LE FIGARO. - Comment est née votre amitié?

    Donna LEON. - J'ai interviewé Cecilia il y a des années. Nous nous sommes tout de suite trouvé des passions communes et nous avons commencé à nous fréquenter régulièrement pour parler de l'Italie, de pâtes, de musique. Nous sommes devenues amies.

    Cecilia BARTOLI. - Donna est une amatrice éclairée du répertoire baroque, et notamment de Haendel pour lequel j'ai moi aussi une vraie passion.

    De là à travailler de concert sur Agostino Steffani… Qui en a eu l'idée?

    C. B. - Je plaide coupable. Je cherchais pour mon prochain album un compositeur né de la transition entre la Renaissance et le baroque. Je connaissais Steffani de nom, pour sa musique de chambre et quelques duos, qui étaient à peu près tout ce que l'on avait joué de lui. Je me suis donc procuré des copies sur microfilms de ses manuscrits conservés à Londres. Dès la première lecture, j'ai pris conscience du fabuleux compositeur d'opéras qu'il avait été.

    Dans le livret du disque, il est comparé à Haendel…

    C. B. - Haendel a même utilisé certaines de ses mélodies dans Ariodante ou Theodora. Ce type de citations ou d'hommage était l'usage à l'époque.

    D. L. - C'est là que j'interviens. Quand Cecilia a vu la proximité de Steffani et Haendel, elle m'en a fait part. Nous nous sommes vite passionnées pour cet homme dont la vie est encore plus déroutante que sa musique.

    Pourquoi?

    D. L. - Il prétend être à un endroit alors qu'il se trouve à un autre. C'était un homme bardé de contradictions, écartelé entre sa vie de compositeur, de prêtre missionnaire et de diplomate.

    C. B. - Il a retourné sa veste à plusieurs reprises, tenté de convertir les protestants de Düsseldorf au catholicisme, après avoir voulu faire l'inverse quelques années plus tôt dans la même ville!

    Du pain béni pour un auteur de polars?

    D. L. - Et comment! Il y a quelque chose de très romanesque dans le fait qu'il se soit arrêté de composer très jeune. On ne saura jamais si c'était par lassitude ou parce que son rôle de missionnaire lui tenait à cœur. Si Mozart ou Bellini étaient morts moins jeunes, peut-être se seraient-ils arrêtés pour se consacrer à l'élevage ou à la pêche au thon !

    C. B. - Avait-il compris, comme Rossini plus tard, que les temps changeaient et qu'il ne pourrait plier son génie aux goûts musicaux à venir?

    Caterina, la musicologue héroïne du livre, tente de remonter le fil de la vie de Steffani. Une cantatrice ne ferait-elle pas, elle aussi, un bon personnage ?

    D. L. - Mauvaise idée. Ce serait comme de prendre un clown pour héros. L'une des bases de l'écriture romanesque, c'est la révélation. Il est plus facile de créer la surprise avec des figures du quotidien qu'avec des personnages qu'on trouve a priori bizarres. Ce qui est le cas des chanteurs d'opéra.

    Et vous, Cecilia Bartoli, n'auriez-vous pu devenir musicologue?

    C. B. - La recherche fait partie de ma vie, car on ne peut pénétrer la musique d'un compositeur sans connaître sa vie et son époque. Mais mon vrai moment, c'est la scène.

    D. L. - Sans l'interprète, la partition ne serait qu'une accumulation de signes dépourvus de sens.

    Flic et musicologue, même combat?

    D.L. - À ceci près que le flic veut découvrir qui, le musicologue comment et pourquoi.

    Dans votre roman vous n'êtes pas tendre avec certains livrets d'opéra. Avez-vous été tentée d'en écrire?

    D. L. - J'ai reçu de nombreuses propositions. Mais pour écrire un livret, je devrais d'abord étudier la musique et je n'en ai pas le temps.

    Ne pourrait-on pas assimiler l'écriture à une composition musicale?

    D. L. - Au-delà du rythme, vous devez savoir comment tel mot sonnera à la lecture pour obtenir l'effet souhaité. Mais écrire un livret implique de couler son langage dans celui d'un compositeur. C'est un exercice que peu d'auteurs du XXe siècle ont su faire, exception faite de W.H. Auden.

    C. B. - Pour nous chanteurs, la qualité du livret est primordiale. Entre les mots impossibles à chanter et les récitatifs où vous n'avez rien à réciter, il y a parfois de quoi s'arracher les cheveux.

    On parle d'accompagner certains livres numériques d'un fond musical choisi par l'auteur. Qu'en pensez-vous?

    D. L. - Ce serait la mort du livre! On a déjà annihilé la capacité d'écoute de l'être humain en diffusant partout de la musique en fond sonore. Lire ou écouter de la musique, il faut choisir. Vous n'iriez pas à l'opéra avec un livre!

    Et les mises en scène modernes?

    D. L. - Je suis pour. L'opéra doit parler à un public d'aujourd'hui.

    C. B. - Le problème est plutôt que certains metteurs en scène se croient plus importants que les compositeurs.

    D. L. - Je déteste! Combien de fois ai-je dû corriger quelqu'un qui me parlait du Don Giovanni de tel metteur en scène en lui disant: «Êtes-vous sûr que ce n'est pas plutôt de Mozart et Da Ponte?»

    Comment jugez-vous la vie musicale en Italie?

    D. L. - Le problème est économique et politique. Trop de décisions sont prises en fonction de filiations politiques.

    C. B. - Dans le berceau de l'opéra, il est désolant que rien ne soit fait pour combler le fossé entre les vieilles générations et les jeunes, qui ne savent plus rien de cette musique.



    Crédits photo : DR

    Qui êtes-vous, père Steffani?

    Né en 1654, Agostino Steffani (ci-contre: portrait supposé d'après un original disparu), commence sa carrière à 11 ans comme chanteur à Venise. Repéré par un noble bavarois, il s'installe à Munich et entre en 1681 au service du prince électeur Max-Emmanuel de Bavière, après avoir été ordonné prêtre. Il écrit une quinzaine d'opéras influencés par le style lulliste, l'opéra italien et le contrepoint allemand, la plupart représentés avec succès. Envoyé extraordinaire de Hanovre à Bruxelles, en 1696, il réduit ses activités musicales. Il meurt d'une attaque en 1728, abandonné de ses derniers bienfaiteurs.



    Crédits photo : DR

    Cecilia Bartoli

    • 1966: naissance à Rome.

    •1975: première apparition à l'opéra dans Tosca.

    • 1996: débuts au Met de New York dans Cosi fan tutte.

    • 2001: sortie de Viva Vivaldi (Decca), point de départ du «revival Vivaldi» et de ses futurs succès discographiques.

    • 2012: devient directrice artistique du Festival de Pentecôte de Salzbourg.



    Crédits photo : Editions Calmann-Lévy

    Donna Leon

    • 1942:naissance aux États-Unis, dans le New Jersey.

    • 1965:premier voyage en Italie.

    • 1981:s'installe à Venise après enseigné en Suisse, Iran et Arabie saoudite.

    • 1992: Mort à la Fenice, première enquête du commissaire Brunetti. Dix-sept suivront jusqu'à La Femme au masque de chair.

    • Mars 2011: devient présidente du conseil honoraire du Venetian Centre for Baroque Music aux côtés de Cecilia Bartoli.

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  • Laura Kasischke. Melancholia Americana

    21 août 2013 à 19:56

    portrait La rentrée des pages (4/12) L’écrivaine poétesse du Michigan revient avec un huis clos mère-fille plus crève-cœur que jamais.

    Par SABRINA CHAMPENOIS
    Libération

    Paris le 22/07/2013Laura Kasischke, écrivain.COMMANDE N°2013-0787

    (Photo Fred Kihn)

    «La Terre sera affamée tant que je n’aurai pas retrouvé ma fille.» Parole de Déméter, déesse de l’agriculture et des moissons, face à la disparition de son unique enfant adorée, Perséphone. Devant tant de chagrin, Zeus le père, demande au ravisseur, son propre frère Hadès, maître des Enfers, de libérer Perséphone. C’est niet. Finalement, un compromis est trouvé : la jeune fille passera l’automne et l’hiver avec Hadès en tant que reine des Enfers, et le reste de l’année sur Terre où elle épaulera sa mère. Tout est bien qui finit à peu près bien. L’inverse d’Esprit d’hiver, le neuvième roman décoché par Laura Kasischke, redoutable archère qui vous crève le cœur à bas bruit mais avec une précision et un sang-froid imparables.

    Le mythe de Déméter et Perséphone imprègne Esprit d’hiver. Laura Kasischke l’a découvert par sa propre mère, qui le lui lisait quand elle était petite fille. La tragédie grecque figure de fait au premier rang de ses influences. «Macbeth, les grands thèmes, la mythologie…» 

    Laura Kasischke venait d’avoir 20 ans quand sa mère, enseignante en primaire, est morte d’un cancer du sein. Elle était porteuse de la mutation du gène BRCA1, qui augmente drastiquement le risque de cancers du sein et de l’ovaire.

    C’est aussi le cas de Holly, la mère d’Esprit d’hiver, qui a subi une double mastectomie et l’ablation des ovaires à titre prophylactique. Holly, «grâce à la médecine moderne, avait pu se débarrasser de sa destinée comme d’un manteau, d’un haussement d’épaules». Et Holly, avec son mari Eric, a adopté une adorable petite fille en Russie, qu’ils ont appelée Tatiana. Mais Tatiana, en ce jour de Noël durant lequel se déroule le livre, se comporte bizarrement. Et Holly d’être gagnée par la panique, tandis que dehors une tempête de neige paralyse peu à peu la ville.

    Laura Kasischke, qui se remet tout juste d’un malaise dû à la chaleur quand on la rencontre dans les locaux labyrinthiques de son éditrice, n’aime pas l’hiver. Il est «dur, long et sombre» dans son Michigan natal où elle vit toujours.

    Elle, qui est mère d’un garçon de 17 ans, s’est aussi fait enlever et remplacer les seins, et trouve «formidable» qu’Angelina Jolie ait rendu publique sa propre opération. Comme si un tabou était enfin levé, et les amazones obligées, réhabilitées. Mais le vade retro satanas au crabe ne l’a pas immunisée : «Je suis de toute façon quelqu’un d’inquiet.» Cette intranquille est une belle femme brune à peau laiteuse et grands yeux bleus, d’une exquise politesse. Une sorcière à allure de fée.

    On lui dit que ses romans sont puissants, anxiogènes, empreints de mélancolie et de fatalisme, qu’on a serré les dents à la lecture de celui-là, huis clos qui s’enroule en boa constrictor autour du duo fusionnel que forment Holly et sa fille adoptée. Elle répond : «Oh, je vous remercie.» Son sens du suspense psychologique lui vaut comparaison avec Joyce Carol Oates. Lit-elle des romans noirs ou policiers ? «Non. Ou alors, il faut considérer Kafka comme un auteur de romans noirs.» Douceur plus humour : elle doit être un bon prof, elle qui enseigne la littérature et anime des ateliers de creative writing à l’université du Michigan. Un job qu’elle apprécie, surtout auprès des petits nouveaux : «C’est gratifiant d’enthousiasmer les gens.» Son mari enseignait aussi l’anglais, avant de passer du côté administratif de l’enseignement. Ils vivent dans une ferme, ont deux chats et dix poules dont elle nous montre des photos sur son iPhone, comme on montre ses enfants ou animaux de compagnie. No dog, en revanche : «Petite, un chien a poursuivi mon père, qui était postier. Il faisait de longues marches par une météo parfois très difficile. J’avais peur pour lui.» Non, elle ne sait pas exactement d’où provient son nom de famille (prononcer «Kaziski»), seulement que ses grands-parents parlaient l’allemand. La fée a donc aussi son propre cortège de fantômes, elle qui peuple ses romans de femmes ou de jeunes filles poissées par leur passé.

    Féministe ? Laura Kasischke hésite, répond avoir grandi dans une époque féministe, mais que «les différences entre les sexes sont si primaires, et si évidentes», qu’il est des domaines et des expériences réservés. «A commencer par la maternité, qui est vraiment, vraiment, quelque chose… Pour moi, par exemple, ça a signifié de complètement rompre avec une existence pour basculer dans une autre.» Virage en épingle à cheveux vers la vie de famille. Elle ajoute qu’elle sent «intuitivement» que «les femmes ont du pouvoir sur les hommes», ça nous laisse si pensive qu’on en oublie de lui demander en quoi. Celles de ses livres sont souvent seules ou esseulées, s’ennuient ou s’affolent, ruminent, se laissent happer par leurs émotions. Laura Kasischke dit, en se tapotant le crâne : «C’est un peu sombre là-dedans ! Dans la vie réelle, je suis une personne assez ordinaire et assez heureuse.»

    Elle écrit de deux façons. Sur ordinateur pour ses romans, à la main pour la poésie d’où tout est parti. «Je m’y suis mise à 10 ans. C’était un petit peu bizarre car personne autour de moi n’en écrivait, et je n’ai pas grandi dans un cadre culturel. Notre petite ville n’avait même pas de librairie. Mais, j’aimais le son des mots.» Au collège, elle fera partie d’un cercle de poètes prétendus. Elle projette ensuite de devenir journaliste mais l’université du Michigan n’offre pas ce type de cursus, et Kasischke, qui sort peu sa fiction d’Amérique, reste en son état. Direction le creative writing, et un diplôme en poésie. «Ecrire des poèmes, une façon d’entrer en contact avec mon subconscient. Et je me surprends souvent !» Elle publie autant sur les deux fronts, on repère des thèmes communs tels la vie quotidienne. Ou encore la nature qui, chez elle, est une présence active, une force, un personnage à part entière.

    On l’imagine bien au chaud dans sa bulle arty et sa petite maison dans la prairie, à l’écoute de ses intuitions et associations d’idées, étrangère au vacarme extérieur. Faux. La citoyenne Kasischke suit l’actualité «mais plus les événements que l’agenda politique» ; elle fait partie des déçus d’Obama, compare l’affaire Snowden au cas des époux Rosenberg, déplore un «climat de paranoïa», pointe le cas Assange, «désormais obligé de se cacher pour le restant de sa vie». La relaxe du meurtrier du jeune Afro-Américain la questionne aussi. «C’est difficile à accepter, mais envoyer le meurtrier en prison aurait-il fait avancer les choses, eu un bénéfice social ?» D’aucuns la voient en témoin critique du blues de l’Amérique contemporaine. L’élégante en robe noire décline le costume. «Je n’émets aucun jugement, je ne fais que part d’expériences.» Ça fait partie du sortilège : Laura Kasischke diffuse plus qu’elle ne décrète. Fée-sorcière des atmosphères.

    Photo fred kihn

    Laura Kasischke en 10 dates

    1961 Naissance à Grand Rapids (Michigan).
    1991 Wild Brides, premier recueil de poèmes.
    1996 A Suspicious River, premier roman.
    1999 Un oiseau blanc dans le blizzard.
    2002 La Vie devant ses yeux.

    2007 Rêves de garçons et A moi pour toujours.
    2008 La Couronne verte.
    2009 En un monde parfait.
    2011 Les Revenants.
    22 août 2013 Esprit d’hiver (Christian Bourgois).

  • Décès de Bert Stern, le photographe qui a mis Marilyn à nu

    Home CULTURE Culture
    Bert Stern à la Milk Gallery en novembre 2011.

    Bert Stern à la Milk Gallery en novembre 2011.

    Le photographe américain qui a fait poser Marilyn comme Salomé derrière ses voiles, juste avant sa mort le 5 août 1962, est décédé mardi 26 juin à Manhattan à l'âge de 83 ans

    «Ce que je veux, c'est Marilyn à l'état pur. Je ne vois pas ce que les vêtements viendraient faire dans l'histoire. Seulement, la déshabiller, c'est aussi simple que d'aller en Égypte pour renverser une pyramide dans un verre de Martini», résuma d'une belle formule Bert Stern, faisant référence à son cliché fameux de 1955 pour une publicité Smirnoff Vodka, dans son livre The Last Sitting (1982). Ce photographe au chic décalé disputait le titre de «dernier photographe de Marilyn» à son compatriote Larry Schiller qui l'a suivie lui sur le tournage de Something's Got to Give, dernier film interrompu par la mort de la star, le 5 août 1962. L'été dernier bruissait des multiples hommages rendus à la blonde des blondes, 50 ans après sa disparition troublante. Moins d'un an plus tard, le New York Times a annoncé dans ses colonnes la mort, mardi 26 juin à son domicile de Manhattan, de Bert Stern, son portraitiste-gentleman cambrioleur, figure un rien narquoise venue de la photo de mode et de publicité qui sut faire fondre la glace de l'idole.

    Pour l'éternité donc, Bert Stern (1929-2013) est celui qui a fait sourire Marilyn nue, chair tendre à peine distanciée par le voile de Salomé, offrant à l'objectif la cicatrice laissée par sa récente opération de la vésicule biliaire, la maturité de sa poitrine, sa taille fine retrouvée, son sourire presque trop grand comme les enfants punis, comme si la vie n'avait plus rien à cacher. The Last Sitting, c'est Marilyn ronde et rose derrière le foulard pop et scintillant qui, d'instinct, fait valoir son corps bien porté comme celui d'une danseuse. C'est Marilyn déguisée cruellement en Jackie Kennedy, sa brune rivale en amour présidentiel. C'est la beauté apprêtée au platine extra-terrestre, qui s'abrite derrière un collier baroque. C'est la naïade qui souligne la cambrure de ses reins par une pose tonique. C'est l'aguicheuse qui cache ses seins par deux fleurs de soie et fait un clin d'œil entendu au regard voyeur. C'est aussi les clichés frontaux, presque naturistes, que la star a barrés d'une croix rouge. Un signe fort symbolique si près de la mort de son adorable sujet, et qui signifiait son veto définitif à toute image jugée non glamour.

    Le parfum du scandale

    Bert Stern, 1962 (Crédits: Irving Penn / Taschen)

    Bert Stern, 1962 (Crédits: Irving Penn / Taschen)

    Le 21 juin 1962, Bert Stern a rendez-vous avec Marilyn à Los Angeles pour le Vogue de septembre (un numéro posthume retentissant). Il revient de Rome et du tournage de Cléopâtre avec Liz Taylor, grande rivale en renommée et surtout en cachets faramineux de Norma Jeane Baker, comme en témoigneront les portraits respectifs, lunaire pour Liz, solaire pour Marilyn, de Warhol. «Quand on évoque Marilyn Monroe, on repense à la photo célébrissime de Tom Kelley en 1949, pour laquelle elle avait posé sur un fond en velours rouge, ou à sa robe blanche s'envolant autour d'elle dans la fameuse scène de The Seven Year Itch (Sept ans de réflexion). Moi, le passé ne m'intéressait pas: je devais découvrir quelque chose d'elle qui n'avait pas encore été capté par les autres photographes», écrit-il dans l'ouvrage Norman Mailer- Marilyn Monroe- Bert Stern de Taschen (édition grand public 49,99 €, édition limitée collector 750€).

    Pendant le vol transtlantique, ce photographe stratège qui a survécu glorieusement à Liz Taylor, organise déjà dans sa tête la séance de pose de Marilyn, décide de la faire au «Bel-Air, l'hôtel le plus calme de Los Angeles, dessiné et décoré avec goût, où les arbres et les fleurs abondaient. Un petit pont à l'entrée, des cygnes dans l'étang qu'il surplombait: un cadre de conte de fées. Chaque chambre avait une cheminée et était conçue pour préserver au maximum l'intimité des pensionnaires». Sur le trajet, il s'arrête à New York, fouille avec préméditation «dans l'immense collection d'accessoires de mode au siège de Vogue», ce qu'il allait utiliser pour «sa» Marilyn. Les stylistes du magazine écument pour lui les boutiques de Dior, Chanel et Pucci. Résultats chatoyants et scandaleux sur pellicule. La première série de nus fut bannie de Vogue, et publiée plus tard dans le magazine Eros.

    «Elle était à moi»

    Marilyn Monroe, <i>Black and White Roses, </i>1962(Crédits: Bert Stern / Taschen)

    Marilyn Monroe, Black and White Roses, 1962(Crédits: Bert Stern / Taschen)

    La chambre d'hôtel est sur son ordre vidée de tout ameublement et décoration pour devenir studio de lumière. Et soudain, Marilyn est là. «La surprise a été totale. Elle avait perdu beaucoup de poids et en était toute transformée. Elle était mieux que l'actrice bien en chair, aux rondeurs presque excessives, que j'avais vue dans les films. En pantalon de toile vert pâle et pull en cachemire, elle était svelte et fine, avec juste ce qu'il fallait de courbes aux bons endroits. Un foulard sur les cheveux. Elle n'était pas maquillée - rien du tout! - et elle était… sublime. La beauté avec une majuscule. J'en suis resté sans voix», raconte-t-il fort bien dans son livre de mémoires chez Taschen (2011). «Bon, alors combien de temps vous avez?», demande aussitôt Bert Stern qui se définit lui-même par son franc «toupet». «Tout le temps qu'on veut!», lui répond celle que l'on dit si fantasque, voire capricieuse. «C'est là que j'ai compris qu'elle n'avait rien d'autre à faire. Elle n'allait nulle part, après. Elle était à moi», résume-t-il en chasseur d'images.

    Marilyn remarque les foulards, comprend tout de suite leur fonction. «Elle a pris les foulards un par un, les a examinés, caressés, et puis elle en a levé un dans la lumière. Je pouvais la voir à travers le tissu léger. Ses yeux ont viré au bleu pur. Elle a rabaissé le foulard, m'a regardé bien en face.: ‘C'est des nus que vous voulez faire?'. Elle avait tout percé à jour». Le reste est une légende photographique qui n'a cessé d'alimenter récits, livres, films, expositions en galerie et vente aux enchères. Dans le documentaire Bert Stern: Original Madman (2010), le photographe souligna que «tenir en son pouvoir Marilyn Monroe dans une chambre d'hôtel est une expérience unique dans la vie». «Au cours de ce week-end et du suivant, j'ai pris plus de deux mille cinq cents photos de Marilyn dans plus de vingt tenues différentes… enfin, si l'on compte un foulard comme une tenue (...) Elle ne se doutait certainement pas que mon existence serait toute entière déterminée par les photos que j'ai prises d'elle.», confia-t-il en 2011 cet enfant de Brooklyn, fils d'un père photographe et portraitiste d'enfants.

    Dans sa très longue carrière, ce styliste de l'image a photographié une multitude de stars, d'Audrey Hepburn à Truman Capote, de Gary Cooper à Twiggy. Mais il garda un faible pour les mannequins, sujet parfait du photographe comme le souligne Blow-Up d'Antonioni (1966). «Ce qui fait un grand modèle, c'est son besoin, son désir. Et c'est excitant de photographier le désir».

  • Chagall, un ange passe

    Le Musée du Luxembourg invite Paris à retrouver la magie du peintre russe au temps de sa jeunesse et à se souvenir de son talent original «entre guerre et paix», don dilué au fil des années et du succès.

    <:figure class="fig-photo fig-photo-norwd" itemscope itemtype="http://schema.org/ImageObject"><i>Le Salut</i>, 1914. Chagall raconte dans son autobiographie, <i>Ma vie </i>(1958), qu'il évite l'enrôlement dans les troupes grâce au frère de sa fiancée. Le peintre magique de Paris (<i>La Chambre jaune</i>, 1911, avec son basculement, sa vache sur le plancher, sa porte ouverte sur un village éclairé par la lune) est employé dans un bureau de Saint-Pétersbourg. Il observe le désarroi des familles, le va-et-vient des soldats. Dans cette petite huile sur carton si moderne, le visage du soldat est infusé de rouge et le gradé a la pâleur grotesque du cinéma muet.

     
    • Chagall est mort sous les fleurs, comme Albine, l'héroïne de Zola dans La Faute de l'abbé Mouret, qui se suicide en s'asphyxiant avec les fleurs coupées du Paradou accumulées dans la chambre aux Amours. Chagall, le jeune peintre instinctif de Vitebsk, a souffert lui aussi de trop d'amour. Overdose énorme comme un ciel rouge d'opéra (1964). Au point que son succès international, si sonnant et trébuchant, a brouillé sa légende et bousculé son piédestal. Saisons après saisons, les grandes ventes d'art moderne de Londres et surtout de New York finissaient irrémédiablement sur un bouquet géant, corail et dru, volant comme le fantôme d'un grand peintre sur un fond éternellement azur. D'où la gageure et l'intérêt de dresser autrement le portrait d'un artiste presque centenaire qui fut intensément doué, rêveur à tous les âges de la vie et au final indifférent aux diktats de son époque (La Madone au traîneau, 1947, venue du Stedelijk Museum d'Amsterdam avec son tourbillon de cheveux en feu et son enfant auréolé).

    • En s'adjoignant le titre de Tolstoï, l'exposition Chagall entre guerre et paix, au Musée du Luxembourg à Paris, ne joue pas seulement sur les mots. La vie de bien des artistes de ce XXe siècle cataclysmique pourrait revendiquer ce titre d'épopée. Mais Chagall, né Moïshe Zakharovitch Chagalov, en 1887, à Liozna, près de Vitebsk en Biélorussie, incarne plus qu'un autre les aléas de l'Europe en guerre. Malgré le contingentement imposé aux Juifs, il part à Saint-Pétersbourg en 1906 étudier auprès de Léon Bakst. Puis à Paris en 1911-1912 s'imprégner de cet art moderne qui réunit les Delaunay, Soutine, Blaise Cendrars, Apollinaire. Puis à Berlin se frotter à l'avant-garde de Der Sturm. Quand il revient en Russie en 1914, il y reste prisonnier huit ans du fait des circonstances, mais ce sort lui permet de se confronter au grand Malevitch. Son repli vers l'Ouest, en 1920, obéit au danger comme à l'amour de la France et de ses bouquets peints (notre héritage!). Seule la guerre le contraint en 1941 à l'exil à New York, pays des grands formats et des grandes causes proclamées. Son retour en 1949 vers la Riviera aux soleils aveuglants finit un scénario dense comme un roman russe.

      Marc Chagall.

      Marc Chagall. Crédits photo : © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ®© The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence

       

      Une approche du temps arrêté

      Mince, les joues creuses, le nez aquilin et la taille fine pincée dans le costume du jeune homme qui connaît la grande ville, Chagall pose devant un shtetl aux petites maisons basses de bois. Cet Autoportrait devant la maison, 1914, est une huile sur carton marouflé sur toile, matière fluide qui accentue le charme évanescent du jeune peintre au front vert amande et la douceur de la scène primitive. Ce tableau rare sort de sa collection privée pour ouvrir les retrouvailles avec l'œuvre. Toute sa vie, Chagall reviendra par le pinceau à Vitebsk, monde clos qui résiste en bloc à l'adversité, garde son identité par ses ruelles sombres, ses habitants identifiables comme un costume traditionnel, ses animaux domestiqués en famille et sa mignonne architecture de jouet face à l'impériale grandeur russe (La Guerre, 1943, avec son mort couché dans la neige, les bras en croix, dans la rue centrale de Vitebsk).

      <i>Au-dessus de Vitebsk</i>, 1915-1920. Le Musée de Grenoble et le Centre Pompidou ont montré en 2011 la beauté des années russes du jeune Chagall. Habillé de sombre comme la pauvreté, son vieux Juif errant plane dans les airs «au-dessus des maisons», comme le décrit un proverbe yiddish (Polanski reprendra le thème dans Le Bal des vampires en 1967). L'église orthodoxe avec ses bulbes peints et ses pans cubistes, la barrière émeraude qui tend vers la maison rubis (les deux couleurs de l'amour conjugal), la neige universelle qui efface laideur et différences font de ce trésor du MoMA un tableau surnaturel, mélancolique et tendre.

      Au-dessus de Vitebsk, 1915-1920. Le Musée de Grenoble et le Centre Pompidou ont montré en 2011 la beauté des années russes du jeune Chagall. Habillé de sombre comme la pauvreté, son vieux Juif errant plane dans les airs «au-dessus des maisons», comme le décrit un proverbe yiddish (Polanski reprendra le thème dans Le Bal des vampires en 1967). L'église orthodoxe avec ses bulbes peints et ses pans cubistes, la barrière émeraude qui tend vers la maison rubis (les deux couleurs de l'amour conjugal), la neige universelle qui efface laideur et différences font de ce trésor du MoMA un tableau surnaturel, mélancolique et tendre. Crédits photo : © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ®© The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence

       

      <i>Les Amoureux en vert</i>.

      Les Amoureux en vert. Crédits photo : © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL © RMN / Gérard Blot

       

      L'amour, toujours. Par sa brillance, Les Amoureux en vert, 1916-1917, donne à l'amour conjugal la couleur des pierres précieuses. Le rubis à la robe de Bella aux seins ronds et à la taille qui se creuse. L'émeraude au fond uni, travaillé comme une sculpture abstraite. Le bonheur est beau et lancinant comme Bella et Ida à la fenêtre, 1916, où la composition fait basculer la fenêtre et son univers au bleu très doux, comme un bateau qui tangue. Vue de la fenêtre à Zaolchie, près de Vitebska cette approche du temps arrêté propre à la littérature russe, aux notables à la campagne de Tchekhov, désœuvrés et immobiles. Cette introduction paisible donne tout son sens au charivari qui va suivre (La Nuit verte, 1952, avec Chagall veuf au visage grenat et Bella la défunte au visage solaire).

      Une sale farce

      <i>Le Soldat blessé</i>.

      Le Soldat blessé. Crédits photo : © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL © The State Tretyakov Gallery, Moscou

       

      La guerre est-elle une sale farce? Le Soldat blessé dessiné d'une encre très expressionniste en 1914 cligne presque de l'œil comme un Dybbouk (un «esprit» malicieux en yiddish). Le Vieux et La Vieille, qui s'enfuient, semblent sortir d'une estampe japonaise. La maîtrise de cette main qui dessine magnifiquement en 1920, pour Deuil du poète David Hofstein en hommage aux pogroms de 1919 en Ukraine, ne s'oublie pas. Entre guerre et paix, Chagall puise sans fin dans ces sources à la fois graphiques et poétiques, les surcharge et les restitue comme des rêves déballés en vrac sur le divan. L'Exode est à ce titre un incroyable tableau de 1952-1966 qui mêle crucifixion d'un Christ jaune comme chez Gauguin, Shoah avec son peuple gris uni par le sacrifice, Moïse embrassant les tables divines, mariée en blanc, chèvres, shtetl en feu et Vierge à l'enfant (130 x 162,3 cm!). Cette salle du syncrétisme religieux alterne gros monuments et petits bijoux, comme ces deux petites Crucifixion de 1940 (une huile sur toile du Philadelphia Museum of Art, une aquarelle du Moderna Museet de Stockholm). Cela fera oublier toutes les fleurs de Provence.

       


       

       

      Chagall entre guerre et paix, jusqu'au 21 juillet, Musée du Luxembourg (Paris VIe). www.museeduluxembourg.fr

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  • Claire

    Quoi donc ! la vôtre aussi ! la vôtre suit la mienne !
    O mère au coeur profond, mère, vous avez beau
    Laisser la porte ouverte afin qu'elle revienne,
    Cette pierre là-bas dans l'herbe est un tombeau !

    La mienne disparut dans les flots qui se mêlent ;
    Alors, ce fut ton tour, Claire, et tu t'envolas.
    Est-ce donc que là-haut dans l'ombre elles s'appellent,
    Qu'elles s'en vont ainsi l'une après l'autre, hélas ?

    Enfant qui rayonnais, qui chassais la tristesse,
    Que ta mère jadis berçait de sa chanson,
    Qui d'abord la charmas avec ta petitesse
    Et plus tard lui remplis de clarté l'horizon,

    Voilà donc que tu dors sous cette pierre grise !
    Voilà que tu n'es plus, ayant à peine été !
    L'astre attire le lys, et te voilà reprise,
    O vierge, par l'azur, cette virginité !

    Te voilà remontée au firmament sublime,
    Échappée aux grands cieux comme la grive aux bois,
    Et, flamme, aile, hymne, odeur, replongée à l'abîme
    Des rayons, des amours, des parfums et des voix !


    Nous ne t'entendrons plus rire en notre nuit noire.
    Nous voyons seulement, comme pour nous bénir,
    Errer dans notre ciel et dans notre mémoire
    Ta figure, nuage, et ton nom, souvenir !

    Pressentais-tu déjà ton sombre épithalame ?
    Marchant sur notre monde à pas silencieux,
    De tous les idéals tu composais ton âme,
    Comme si tu faisais un bouquet pour les cieux !

    En te voyant si calme et toute lumineuse,
    Les coeurs les plus saignants ne haïssaient plus rien.
    Tu passais parmi nous comme Ruth la glaneuse ,
    Et, comme Ruth l'épi, tu ramassais le bien.

    La nature, ô front pur, versait sur toi sa grâce,
    L'aurore sa candeur, et les champs leur bonté ;
    Et nous retrouvions, nous sur qui la douleur passe,
    Toute cette douceur dans toute ta beauté !

    Chaste, elle paraissait ne pas être autre chose
    Que la forme qui sort des cieux éblouissants ;
    Et de tous les rosiers elle semblait la rose,
    Et de tous les amours elle semblait l'encens.

    Ceux qui n'ont pas connu cette charmante fille
    Ne peuvent pas savoir ce qu'était ce regard
    Transparent comme l'eau qui s'égaie et qui brille
    Quand l'étoile surgit sur l'océan hagard.

    Elle était simple, franche, humble, naïve et bonne ;
    Chantant à demi-voix son chant d'illusion,
    Ayant je ne sais quoi dans toute sa personne
    De vague et de lointain comme la vision.

    On sentait qu'elle avait peu de temps sur la terre,
    Qu'elle n'apparaissait que pour s'évanouir,
    Et qu'elle acceptait peu sa vie involontaire ;
    Et la tombe semblait par moments l'éblouir.

    Elle a passé dans l'ombre où l'homme se résigne ;
    Le vent sombre soufflait ; elle a passé sans bruit,
    Belle, candide, ainsi qu'une plume de cygne
    Qui reste blanche, même en traversant la nuit !

    Elle s'en est allée à l'aube qui se lève,
    Lueur dans le matin, vertu dans le ciel bleu,
    Bouche qui n'a connu que le baiser du rêve,
    Ame qui n'a dormi que dans le lit de Dieu !

    Nous voici maintenant en proie aux deuils sans bornes,
    Mère, à genoux tous deux sur des cercueils sacrés,
    Regardant à jamais dans les ténèbres mornes
    La disparition des êtres adorés !

    Croire qu'ils resteraient ! quel songe ! Dieu les presse.
    Même quand leurs bras blancs sont autour de nos cous,
    Un vent du ciel profond fait frissonner sans cesse
    Ces fantômes charmants que nous croyons à nous.

    Ils sont là, près de nous, jouant sur notre route ;
    Ils ne dédaignent pas notre soleil obscur,
    Et derrière eux, et sans que leur candeur s'en doute,
    Leurs ailes font parfois de l'ombre sur le mur.

    Ils viennent sous nos toits ; avec nous ils demeurent ;
    Nous leur disons : Ma fille, ou : Mon fils ; ils sont doux,
    Riants, joyeux, nous font une caresse, et meurent. -
    O mère, ce sont là les anges, voyez-vous !

    C'est une volonté du sort, pour nous sévère,
    Qu'ils rentrent vite au ciel resté pour eux ouvert ;
    Et qu'avant d'avoir mis leur lèvre à notre verre,
    Avant d'avoir rien fait et d'avoir rien souffert,

    Ils partent radieux ; et qu'ignorant l'envie,
    L'erreur, l'orgueil, le mal, la haine, la douleur,
    Tous ces êtres bénis s'envolent de la vie
    A l'âge où la prunelle innocente est en fleur !

    Nous qui sommes démons ou qui sommes apôtres,
    Nous devons travailler, attendre, préparer ;
    Pensifs, nous expions pour nous-même ou pour d'autres ;
    Notre chair doit saigner, nos yeux doivent pleurer.

    Eux, ils sont l'air qui fuit, l'oiseau qui ne se pose
    Qu'un instant, le soupir qui vole, avril vermeil
    Qui brille et passe ; ils sont le parfum de la rose
    Qui va rejoindre aux cieux le rayon du soleil !

    Ils ont ce grand dégoût mystérieux de l'âme
    Pour notre chair coupable et pour notre destin ;
    Ils ont, êtres rêveurs qu'un autre azur réclame,
    Je ne sais quelle soif de mourir le matin !

    Ils sont l'étoile d'or se couchant dans l'aurore,
    Mourant pour nous, naissant pour l'autre firmament ;
    Car la mort, quand un astre en son sein vient éclore,
    Continue, au delà, l'épanouissement !

    Oui, mère, ce sont là les élus du mystère,
    Les envoyés divins, les ailés, les vainqueurs,
    A qui Dieu n'a permis que d'effleurer la terre
    Pour faire un peu de joie à quelques pauvres coeurs.

    Comme l'ange à Jacob, comme Jésus à Pierre,
    Ils viennent jusqu'à nous qui loin d'eux étouffons,
    Beaux, purs, et chacun d'eux portant sous sa paupière
    La sereine clarté des paradis profonds.

    Puis, quand ils ont, pieux, baisé toutes nos plaies,
    Pansé notre douleur, azuré nos raisons,
    Et fait luire un moment l'aube à travers nos claies,
    Et chanté la chanson du ciel dam nos maisons,

    Ils retournent là-haut parler à Dieu des hommes,
    Et, pour lui faire voir quel est notre chemin,
    Tout ce que nous souffrons et tout ce que nous sommes,
    S'en vont avec un peu de terre dans la main.

    Ils s'en vont ; c'est tantôt l'éclair qui les emporte,
    Tantôt un mal plus fort que nos soins superflus.
    Alors, nous, pâles, froids, l'oeil fixé sur la porte,
    Nous ne savons plus rien, sinon qu'ils ne sont plus.

    Nous disons : - A quoi bon l'âtre sans étincelles ?
    A quoi bon la maison où ne sont plus leurs pas ?
    A quoi bon la ramée où ne sont plus les ailes ?
    Qui donc attendons-nous s'ils ne reviendront pas ? -

    Ils sont partis, pareils au bruit qui sort des lyres.
    Et nous restons là, seuls, près du gouffre où tout fuit,
    Tristes ; et la lueur de leurs charmants sourires
    Parfois nous apparaît vaguement dans la nuit.

    Car ils sont revenus, et c'est là le mystère ;
    Nous entendons quelqu'un flotter, un souffle errer,
    Des robes effleurer notre seuil solitaire,
    Et cela fait alors que nous pouvons pleurer.

    Nous sentons frissonner leurs cheveux dans notre ombre ;
    Nous sentons, lorsqu'ayant la lassitude en nous,
    Nous nous levons après quelque prière sombre,
    Leurs blanches mains toucher doucement nos genoux.

    Ils nous disent tout bas de leur voix la plus tendre :
    "Mon père, encore un peu ! ma mère, encore un jour !
    "M'entends-tu ? je suis là, je reste pour t'attendre
    "Sur l'échelon d'en bas de l'échelle d'amour.

    "Je t'attends pour pouvoir nous en aller ensemble.
    "Cette vie est amère, et tu vas en sortir.
    "Pauvre coeur, ne crains rien, Dieu vit ! la mort rassemble.
    "Tu redeviendras ange ayant été martyr."

    Oh ! quand donc viendrez-vous ? Vous retrouver, c'est naître.
    Quand verrons-nous, ainsi qu'un idéal flambeau,
    La douce étoile mort, rayonnante, apparaître
    A ce noir horizon qu'on nomme le tombeau ?

    Quand nous en irons-nous où vous êtes, colombes !
    Où sont les enfants morts et les printemps enfuis,
    Et tous les chers amours dont nous sommes les tombes,
    Et toutes les clartés dont nous sommes les nuits ?

    Vers ce grand ciel clément où sont tous les dictames,
    Les aimés, les absents, les êtres purs et doux,
    Les baisers des esprits et les regards des âmes,
    Quand nous en irons-nous ? quand nous en irons-nous ?

    Quand nous en irons-nous où sont l'aube et la foudre ?
    Quand verrons-nous, déjà libres, hommes encor,
    Notre chair ténébreuse en rayons se dissoudre,
    Et nos pieds faits de nuit éclore en ailes d'or ?

    Quand nous enfuirons-nous dans la joie infinie
    Où les hymnes vivants sont des anges voilés,
    Où l'on voit, à travers l'azur de l'harmonie,
    La strophe bleue errer sur les luths étoilés ?

    Quand viendrez-vous chercher notre humble coeur qui sombre ?
    Quand nous reprendrez-vous à ce monde charnel,
    Pour nous bercer ensemble aux profondeurs de l'ombre,
    Sous l'éblouissement du regard éternel ?

    http://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/victor_hugo/claire.html

  • Charles Baudelaire.”Le voyage”.

    A Maxime Du Camp

     

    Au printemps 1859, le poète Charles Baudelaire séjourne à Honfleur, chez sa mère, dans la «maison joujou». Deux ans après la mort de son beau-père abhorré, le général Aupick, il se réconcilie avec sa génitrice. Il écrit à Sainte-Beuve: «Nouvelles fleurs faites, et passablement singulières. Ici, dans le repos, la faconde m'est revenue.» Baudelaire vient de composer le plus long poème des Fleurs du Mal, «Le voyage», qui clôturera l'édition de 1861.


    I
    Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,
    L'univers est égal à son vaste appétit.
    Ah! que le monde est grand à la clarté des lampes!
    Aux yeux du souvenir que le monde est petit!

    Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
    Le coeur gros de rancune et de désirs amers,
    Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
    Berçant notre infini sur le fini des mers:

    Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme;
    D'autres, l'horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
    Astrologues noyés dans les yeux d'une femme,
    La Circé tyrannique aux dangereux parfums.

    Pour n'être pas changés en bêtes, ils s'enivrent
    D'espace et de lumière et de cieux embrasés;
    La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
    Effacent lentement la marque des baisers.

    Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
    Pour partir; coeurs légers, semblables aux ballons,


    De leur fatalité jamais ils ne s'écartent,
    Et sans savoir pourquoi, disent toujours: Allons!

    Ceux-là, dont les désirs ont la forme des nues,
    Et qui rêvent, ainsi qu'un conscrit le canon,
    De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
    Et dont l'esprit humain n'a jamais su le nom!

    II
    Nous imitons, horreur! la toupie et la boule
    Dans leur valse et leurs bonds; même dans nos sommeils
    La Curiosité nous tourmente et nous roule,
    Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.

    Singulière fortune où le but se déplace,
    Et, n'étant nulle part, peut être n'importe où!
    Où l'Homme, dont jamais l'espérance n'est lasse,
    Pour trouver le repos court toujours comme un fou!

    Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie;
    Une voix retentit sur le pont: «Ouvre l'oeil!»
    Une voix de la hune, ardente et folle, crie:
    «Amour... gloire... bonheur!» Enfer! c'est un écueil!

    Chaque îlot signalé par l'homme de vigie
    Est un Eldorado promis par le Destin;
    L'Imagination qui dresse son orgie
    Ne trouve qu'un récif aux clartés du matin.

    O le pauvre amoureux des pays chimériques!
    Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer,
    Ce matelot ivrogne, inventeur d'Amériques
    Dont le mirage rend le gouffre plus amer?

    Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue,
    Rêve, le nez en l'air, de brillants paradis;

    Son oeil ensorcelé découvre une Capoue
    Partout où la chandelle illumine un taudis.

    III
    Etonnants voyageurs! quelles nobles histoires
    Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers!
    Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
    Ces bijoux merveilleux, faits d'astres et d'éthers.

    Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile!
    Faites, pour égayer l'ennui de nos prisons,
    Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,
    Vos souvenirs avec leurs cadres d'horizons.

    Dites, qu'avez-vous vu?

    IV
    «Nous avons vu des astres

    Et des flots; nous avons vu des sables aussi;
    Et, malgré bien des chocs et d'imprévus désastres,
    Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.

    La gloire du soleil sur la mer violette,
    La gloire des cités dans le soleil couchant,
    Allumaient dans nos coeurs une ardeur inquiète
    De plonger dans un ciel au reflet alléchant.

    Les plus riches cités, les plus beaux paysages,
    Jamais ne contenaient l'attrait mystérieux
    De ceux que le hasard fait avec les nuages.
    Et toujours le désir nous rendait soucieux!

    La jouissance ajoute au désir de la force.
    Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d'engrais,
    Cependant que grossit et durcit ton écorce,
    Tes branches veulent voir le soleil de plus près!

    Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace
    Que le cyprès? - Pourtant nous avons, avec soin,
    Cueilli quelques croquis pour votre album vorace,
    Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin!

    Nous avons salué des idoles à trompe;
    Des trônes constellés de joyaux lumineux;
    Des palais ouvragés dont la féerique pompe
    Serait pour vos banquiers un rêve ruineux;

    Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse;
    Des femmes dont les dents et les ongles sont teints,
    Et des jongleurs savants que le serpent caresse.»

    V
    Et puis, et puis encore?

    VI
    «O cerveaux enfantins!

    Pour ne pas oublier la chose capitale,
    Nous avons vu partout, et sans l'avoir cherché,
    Du haut jusques en bas de l'échelle fatale,
    Le spectacle ennuyeux de l'immortel péché:

    La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,
    Sans rire s'adorant et s'aimant sans dégoût;
    L'homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,
    Esclave de l'esclave et ruisseau dans l'égout;

    Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote;
    La fête qu'assaisonne et parfume le sang;
    Le poison du pouvoir énervant le despote,
    Et le peuple amoureux du fouet abrutissant;

    Plusieurs religions semblables à la nôtre,
    Toutes escaladant le ciel; la Sainteté,
    Comme en un lit de plume un délicat se vautre,
    Dans les clous et le crin cherchant la volupté;

    L'Humanité bavarde, ivre de son génie,
    Et, folle maintenant comme elle était jadis,
    Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie:
    «O mon semblable, ô mon maître, je le maudis!»

    Et les moins sots, hardis amants de la Démence,
    Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,
    Et se réfugiant dans l'opium immense!
    Tel est du globe entier l'éternel bulletin.»

    VII
    Amer savoir, celui qu'on tire du voyage!
    Le monde, monotone et petit, aujourd'hui,
    Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image:
    Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui!

    Faut-il partir? rester?
    Si tu peux rester, reste;
    Pars, s'il le faut. L'un court, et l'autre se tapit
    Pour tromper l'ennemi vigilant et funeste,
    Le Temps! Il est, hélas! des coureurs sans répit,

    Comme le Juif errant et comme les apôtres,
    A qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,
    Pour fuir ce rétiaire infâme: il en est d'autres
    Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.

    Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine,
    Nous pourrons espérer et crier: En avant!
    De même qu'autrefois nous partions pour la Chine,
    Les yeux fixés au large et les cheveux au vent,

    Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres
    Avec le coeur joyeux d'un jeune passager.
    Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres,
    Qui chantent: «Par ici! vous qui voulez manger

    Le Lotus parfumé! c'est ici qu'on vendange
    Les fruits miraculeux dont votre coeur a faim;
    Venez vous enivrer de la douceur étrange
    De cette après-midi qui n'a jamais de fin!»

    A l'accent familier nous devinons le spectre;
    Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous.
    «Pour rafraîchir ton coeur nage vers ton Electre!»
    Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.

    VIII
    O Mort, vieux capitaine, il est temps! levons l'ancre!
    Ce pays nous ennuie, ô Mort! Appareillons!
    Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
    Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons!

    Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte!
    Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
    Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe?
    Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau!

     


    Le Nouvel Observateur

    Source:http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/supplement/p2228_2/articles/a350715-le_voyage.html

    Parmi l'abondante littérature consultée pour établir ce texte, voici les livres disponibles facilement que nous conseillons vivement: «Balade en Calvados, sur les pas des écrivains» aux éditions Alexandrines (21,60 euros); «Voyage en Normandie», une anthologie des récits de tous les écrivains ayant fait le voyage dans cette région au XIXe siècle (deux tomes, 17 euros chacun, éditions Pimientos); et l'excellent «Au vrai chic balnéaire» de Ginette Poulet (éditions Charles Corlet, 19,50 euros). L'auteur, responsable au château-musée de Dieppe, est une spécialiste de l'invention des bains de mer et de l'histoire des plages normandes, qu'elle raconte avec autant d'esprit que d'érudition. Un bonheur!

     


    Le Nouvel Observateur

    Source:http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/supplement/p2228_2/articles/a350739-ne_bronzons_plus_idiot.html



     

  • Le fantastique chez Maupassant

    Étrange, angoisse et folie chez Maupassant



    Caractéristiques du fantastique chez Maupassant :

        Le fantastique chez Maupassant est un reflet de ses propres angoisses bien plus que de son imaginaire. La peur, en tant que menace, en constitue l'élément essentiel. Elle ne naît pas d'un danger visible et rationnel mais échappe au contraire à tout processus de rationnalisation. Ainsi, dans La peur (1884), Maupassant écrit : « On a vraiment peur que de ce qu'on ne comprend pas. »
        « A mesure qu'on lève les voiles de l'inconnu, on dépeuple l'imagination des hommes. Vous ne trouvez pas, Monsieur, que la nuit est bien vide et d'un noir bien vulgaire depuis qu'elle n'a plus d'apparition.
        On se dit : “Plus de fantastique, plus de croyances étranges, tout l'inexpliqué est explicable. Le surnaturel baisse comme un lac qu'un canal épuise ; la science, de jour en jour, recule les limites du merveilleux”. »

    Dans la plupart des récits, la nuit et la solitude créent les conditions d'émergence du fantastique. Il suffit alors d'un évènement inattendu, d'une erreur de perception, d'une altération des sens, auditifs mais surtout visuels,  pour que la raison chancelle, pour que le récit bascule tout d'un coup dans l'étrange et l'angoisse. Chez Maupassant et contrairement à la littérature fantastique traditionnelle, il n'est pas besoin de décors surnaturels. Le fantastique demeure toujours dans la réalité et n'en est que plus inquiétant. Ainsi, comme le dit Jean-Marie Dizol, « il naît des mystères de la vie quotidienne et trouve son efficacité dans le vertige d'un homme qui ne comprend pas, cède à la peur et voit sa raison menacée ».
        A la peur, causée par un dysfonctionnnement des sens, succède la terreur et la folie comme en témoigne la progression dans les récits (Lui ?, Lettre d'un fou) dont Le Horla est la conclusion : l'illusion obsédante d'une présence mystérieuse qui prend le visage inquiétant et hostile d'un autre que soi-même et qui aboutit à la confirmation de cette existence.
        Contrairement à ce qu'on pourrait penser, le talent de Maupassant n'est pas dû à sa folie, qui n'apparaît que dans les dernières années de sa vie. De par les remarquables observations sur soi-même (autoscopie) qu'ils contiennent, ses récits sont la preuve d'une grande lucidité et ne peuvent pas être considérés comme l'oeuvre d'un fou. Il faut citer ici René Dumesnil : « ... on a dit : à cause qu'il était déjà fou, Maupassant a écrit son oeuvre. Il faudrait dire au contraire : malgré la maladie dont il redoutait qu'elle aboutît à la folie, [...] il est parvenu à écrire. On a fait de ses ouvrages une conséquence, un résultat d'un état mental morbide qui n'existait pas encore, alors qu'ils sont le fruit d'une révolte, alors qu'au lieu d'être le produit inconscient d'un malade, ils sont un témoignage de volonté et d'énergie lucide, parfois une espèce d'exorcisme ».
        Par ailleurs, le fantastique inspire Maupassant très tôt, dès ses premières nouvelles (La main d'écorché et Le docteur Héraclius Gloss) dans les années 1870 et il n'y a pas accroissement du nombre des contes fantastiques au cours des dernières années. Il faut y voir plutôt l'influence du grand-père maternel de Maupassant, Paul le Poitevin, qui s'est adonné aux sciences occultes, du climat de l'époque qui voit le développement de l'hypnotisme et de tout ce qui touche au psychisme et à son dérèglement, ainsi que de la rencontre dans sa jeunesse du mystérieux poète Swinburne chez lequel il découvre une main squelettique d'écorché, ce qui lui inspirera deux contes, La main d'écorché (1875) et La main (1883).

    Le classement des oeuvres :

        On peut distinguer trois tendances, qui d'ailleurs ne sont pas exclusives entre elles : les contes d'angoisse, qui laissent toujours un sentiment de malaise, les contes de folie, mettant en jeu des personnages qui basculent peu à peu dans la folie et les contes étranges, moins violents que les précédents mais qui attirent tout de même l'attention par les phénomènes étranges et bizarres qu'ils relatent.

      Les contes d'angoisse :

    • Apparition, le seul conte qui met véritablement en la présence d'un spectre, sous la forme d'une jeune femme : « ... pourquoi ai-je pris dans mes mains ses longs cheveux qui me donnèrent à la peau une sensation de froid atroce comme si j'eusse manié des serpents ? »
    • Sur l'eau et La nuit, qui tournent au cauchemar.
    • Le tic et Auprès d'un mort, qui touchent à l'au-delà. Parmi les histoires de revenant, L'auberge et Le noyé.
    • Un fou ?, inquiétante histoire de magnétisme et de télékinésie.
    • La peur (1882), La peur (1884) , La main, La main d'écorché.
    • Qui sait ?, l'un des derniers contes, qui laisse planer des doutes sur l'intégrité mentale de son auteur, de par la passivité face au surnaturel, face à la normalité de l'anormalité. A lire absolument, notamment le passage sur l'animation des meubles sur lequel Tzvetan Todorov a écrit (Introduction à la littérature fantastique) : « L'évènement surnaturel, point de départ de la nouvelle, est l'animation subite et étrange des meubles d'une maison. Il n'y a aucune logique dans le comportement des meubles et devant ce phénomène, nous nous demandons moins “ce qu'il veut dire” que nous ne sommes frappés par l'étrangeté du fait même. Ce n'est pas l'animation des meubles qui compte tellement mais le fait que quelqu'un ait pu l'imaginer et le vivre ».
    • Enfin, Le Horla, et sa première version, l'un des contes les plus célèbres et incontournables de Maupassant, que l'on peut aussi ranger dans les contes de folie.

      Les contes de folie :

    • Un fou, qui raconte comment un vieux magistrat, insoupçonnable, et par là au-dessus des lois, sombre dans la folie meurtrière.
    • Lui ?, Lettre d'un fou, Le Horla et sa première version, l'obsession d'une présence invisible qui tourne à l'être invisible et surnaturel.
    • Le docteur Héraclius Gloss, qui sous une fable quelque peu ironique montre déjà la présence du double.
    • Rêves, qui décrit les vertus de l'éther dont Maupassant a quelque peu abusé pour alléger ses souffrances.
    • La chevelure (adoration morbide), L'homme de Mars (hallucinations), Un cas de divorce, Menuet, Denis.
    • Madame Hermet, qui n'ose pas voir son fils, malade, et qui devient folle à sa mort. « Les fous m'attirent », écrit Maupassant.
    • L'auberge, déjà dans les contes d'angoisse, où la terreur cède la place à la folie.
    • L'endormeuse, conte délirant et onirique, sur les suicidés et le suicide.

      Les contes étranges :

     

     http://maupassant.free.fr/cadre.php?page=oeuvre

    • Franche-Comté : Sur la ligne des Hirondelles, entre ciel et TER

       

      Magazine Ulysse | Ulysse | 04.07.11 | 17h28   •  Mis à jour le 04.07.11 | 17h28

       

       

      La ligne des Hirondelles relie le Bas et le Haut-Jura, de Dole à Saint-Claude.

      La ligne des Hirondelles relie le Bas et le Haut-Jura, de Dole à Saint-Claude.CLAIRE COUSIN

       

      Le regard rivé à la fenêtre, Christiane attend le clou du spectacle. Montée en gare de Morez, elle ne veut surtout pas manquer la traversée des viaducs, quand le TER qui relie Dole à Saint- Claude, en Franche-Comté, jaillit de la montagne et semble se lancer dans le vide, comme perché entre ciel et terre.

      Véritable prouesse technique construite à la fin du XIXe siècle, cette ligne de chemin de fer offre une découverte passionnante des paysages comme de l'histoire de la région. Et se bat pour ne pas rater le train de la modernité. Vestige de la splendeur passée, quand l'économie franc-comtoise florissante battait au rythme des gestes précis des diamantaires, des horlogers, des tourneurs sur bois et autres artisans d'exception, la ligne des Hirondelles a entamé une reconversion réussie en intégrant officiellement en 2003 le prestigieux club des trains touristiques de la SNCF.

      Il faut dire qu'avec ses 36 tunnels et ses 18 viaducs, ce parcours de 123 km attire, du monde entier, amateurs d'ouvrages d'art et de panoramas époustouflants, dont la beauté demeure invisible aux automobilistes. Ces passagers d'un jour côtoient les lycéens qui empruntent quotidiennement la ligne.

      Ils partagent les wagons avec ceux qui, comme Christiane, vont “faire les boutiques et se promener un peu” à Saint- Claude, la capitale de la pipe. Mais ils croisent aussi les fans de VTT, les skieurs qui, l'hiver, rejoignent la station des Rousses ou encore les adeptes de vols en montgolfière. Nicolas, technicien chez Peugeot à Montbéliard, fait partie de ceux-là. Mais aujourd'hui, il a laissé son engin volant chez lui et, assis dans le train pour Saint-Claude où il va récupérer sa nouvelle voiture, en profite pour regarder par la vitre défiler les reliefs de sa région natale, à ses yeux “la plus belle de France”.

      Chaque année, de plus en plus de visiteurs viennent tout exprès faire le voyage en compagnie d'un guide. A l'origine de cette initiative, Jean-Pierre Cuinet, retraité bénévole, consacre une partie de son temps libre à accompagner les touristes le temps d'une visite commentée à bord de ce TER pas comme les autres. Quand un jour de 1974, ce Jurassien de naissance se voit obliger de prendre le train après avoir cassé sa voiture, il n'a aucune idée du coup de foudre qui l'attend. Au bout de deux heures et demie de trajet, il est bel et bien conquis par la ligne des Hirondelles. Depuis, il se montre incollable sur les anecdotes qui émaillent la vie de ce petit tortillard devenu une attraction touristique. Mais pas seulement.

      Ses rames ont en effet plus d'un atout sous leurs roues : grâce à sa déclivité de 22 millimètres par mètre, la rampe de Mesnay, l'une des plus rudes du réseau français, sert de zone de test et d'homologation à tout nouveau matériel ferroviaire : du TGV Atlantique au RER parisien Eole, tous passent leur examen ici. A l'automne, gare au dérapage : les feuilles mortes s'agglutinent et forment une bouillie glissante qu'il faut nettoyer régulièrement.

      La succession des saisons fait aussi partie du charme de cette ligne dont ne se lasse pas Delphine, jolie blonde aux cheveux bouclés et contrôleur SNCF de son état. Depuis six ans, elle arpente les deux wagons du train qui assure cinq allers-retours par jour. Et n'oublie jamais de rendre son salut à la petite mamie immanquablement postée à sa fenêtre, en gare de Chaux-des-Crotenay.

      Parti de Dole, ville natale du célèbre médecin Louis Pasteur, le convoi s'est ensuite élancé à travers la forêt de Chaux, la deuxième plus grande forêt de feuillus française. Extraordinaire manne économique, sa réserve en bois fut à l'origine de la création d'une véritable société sylvestre vivant au coeur de la forêt, dont la mémoire est perpétuée de nos jours par l'Association des villages de la forêt de Chaux.

      Tout à coup apparaît la seule clairière de cette immensité boisée. C'est là que fut créée la première bouteille de vin jaune, ce délice jurassien qui exige de patienter au moins six ans avant de le déguster, le temps que la maturation en fût dégage toute sa puissance et ses arômes. Unique au monde, cet incomparable nectar est inséparable de son contenant de 62,5 cl, le clavelin, une exception française qui a bien failli passer sous les fourches caudines de la réglementation européenne avant de bénéficier in extremis d'une dérogation.

      Soudain, Jean-Pierre Cuinet se redresse : attention, point de vue ! Les courbes majestueuses de la Saline royale, à Arc-et-Senans, se dévoilent au loin. Classée au patrimoine mondial de l'Unesco, l'oeuvre de l'architecte Claude Nicolas Ledoux, réalisée sur une commande de Louis XV pour transformer le sel à partir de la saumure récoltée à Salins-les-Bains, se voulait un modèle de cité idéale.

      Témoignage rare d'architecture industrielle inspirée par l'esprit des Lumières, cet ouvrage impressionnant bâti en arc de cercle n'a jamais pu être terminé. Le guide raconte la fin tragique du grand architecte qui, embastillé durant la Révolution, périt dans sa geôle. Aujourd'hui, un musée, des expos et un festival annuel des jardins font revivre la Saline royale. Pour en goûter toute la magie, il faut s'y rendre le soir venu, quand le public a déserté les lieux, et passer la nuit dans l'une des chambres avec vue aménagées au sein de l'édifice.

      Ce joyau historique fait bientôt place à une autre fierté régionale : le train longe le vignoble d'Arbois, qui se targue d'avoir obtenu en 1936 l'une des toutes premières AOC françaises. La production des vins d'Arbois jouit toujours d'une réputation sans égale, avec notamment le vin jaune et le vin de paille. Mais la région est aussi en passe de devenir le fer de lance du vin bio, qui représente 13 % de la surface viticole dans le Jura, contre 2 à 3 % au niveau national.

      Avant de grimper jusqu'au col de la Savine, à 948 m, point culminant du périple, le train passe devant les forges de Syam – site historique toujours en activité –, chargées en 2007 de la réhabilitation de la grille royale du château de Versailles. Après avoir traversé “la petite Sibérie”, l'endroit le plus froid de l'Hexagone – les températures peuvent descendre jusqu'à -40 °C –, les voyageurs s'arrêtent en gare de Morbier, la ville qui a donné son nom au célèbre fromage séparé en deux par une couche de cendres.

      On redémarre, et quelques minutes plus tard se profile le tunnel des Frasses, dont la forme en fer à cheval permet d'apercevoir la sortie. Une autre fin tragique est contée par Jean-Pierre Cuinet : celle de l'ingénieur en charge des travaux qui, croyant s'être trompé dans ses calculs, s'est donné la mort la veille du percement à la main du tunnel. Las, le décalage fut d'un mètre seulement et l'opération, un succès.

      En gare de Morez, le train repart dans l'autre sens : le conducteur va ainsi changer de cabine deux fois au cours du trajet. Bienvenue dans la capitale de la lunette, dont l'industrie fait encore les beaux jours de Morez ! Ce sont ses habitants qui ont donné son nom à la ligne lorsqu'à l'époque de la construction des deux viaducs surplombant la ville, ils voyaient les ouvriers “tutoyer les hirondelles”.

      Aujourd'hui, ce poétique TER est menacé par l'aménagement du territoire. Et Christiane regrette déjà la suppression du train de retour du soir. Mais il est encore temps de l'emprunter : à l'arrivée, place à l'apéritif en gare de Saint- Claude, avec dégustation de comté à la clé, car il est interdit de rentrer sans avoir goûté la star du terroir franc-comtois. Des routes touristiques lui sont même dédiées, mais c'est une autre histoire de voyage…

      Claire Cousin

      http://www.lemonde.fr/voyage/article/2011/07/04/franche-comte-sur-la-ligne-des-hirondelles-entre-ciel-et-ter_1542160_3546.html

    • Pas-de-Calais

      Un article de la désencyclopédie.

      Aller à : Navigation, chercher
      « Au Nord, c'était les couillons... »
      ~ Pierre Bachelet à propos du Nord

      Le Pas-de-Calais est un partement privé de tout, même de préfecture. Il a été placé près du Nord pour ne pas gêner. et les deux départements réunis forment une région qu'on a baptisé, je vous le donne en mille : le Nord-Pas-de-Calais ! (Trop fort !)

      Villes

      Remarque: le département s'appelle le Pas-de-Calais, la plus grande ville est Calais, c'est pour ça que c'est Arras la capitale. Ben oui, Calais est communiste et on ne joue pas avec le feu au gouvernement.

      Modifier Particularités (section)Modifier Particularités

      Il existe un état auto proclamé indépendant : Les Wateringues qui ont pour capitale Vieille-Eglise, et qu'Saint-Folquin, iz'aimero bin i prindre euss plass... Mais de cela, personne n'en parle, mais l'jour où ça va savoir, bon sang de bonsoir... j'aimro pas êt' lô!

      Modifier Population (section)Modifier Population

      Les habitants du Pas-de-Calais ne sont pas grands, on les appelle pour cela les ch'tis. C'est aussi des "boïaux rouches".

      NOM: Aucun (Pas de Calaisiens n'existe pas et Nordistes, ils supportent pas, le Nord, c'est à coté) donc on les appelle Ch'ti comme dit plus haut.

      POPULATION: 1,5 millions, tous pauvres... sauf du coté de Berck-Le Touquet Paris Plage. De toute façon, si vous interrogez ces derniers, ils n'avoueront jamais être du Pas de Calais.

      LANGUE: Le Ch'ti... (dont raffolent les chaînes TV, voir remarque plus bas)

      CARACTERISTIQUES: pauvres mais fiers.

      Le Pas-de-Calais est considéré comme la réserve de beaufs française.

      Principales occupations des habitants du Pas-de-Calais :
      - le tuning sur les parkings des hypermarchés
      - boire des bières avant le match du Racing Club de Lens
      - voir les matches du Racing Club de Lens
      - parler du Racing Club de Lens
      - jeter des cailloux sur les "59 tête de bœuf"
      - écouter Pierre Bachelet

      Remarque: notez que l'habitant du Pas de Calais est une espèce très recherchée, les chaînes de télévision comme TF1 sont atteintes d'une collectionnite aigüe de reportages avec des Ch'tis ayant l'accent le plus fort possible, la condition sociale la plus pauvre possible, les cheveux les plus gras et les dents les plus pourrites (oui, dans le Pas de Calais, on dit pourrite..... pour faire plaisir à TF1)

      Modifier Histoire commune au département (section)Modifier Histoire commune au département

      Aucune. Le département n'a rien d'historique. Le bassin minier n'a rien à voir avec le littoral berckois qui n'a rien à voir avec Boulogne qui n'a rien à voir avec Calais. Quand Napoléon a dessiné les départements, il a commencé par en bas (le Sud), normal pour un Corse. Arrivé en haut, il restait ce morceau qui faisait chier. Trop gros pour en faire un seul département, il fallait le couper en 2. Après de longues minutes de réflexion Joséphine l'appela pour manger, ce à quoi il répondit "Attends, j'ai encore un truc à faire". Elle vint le voir pour demander quoi. "Il me reste le haut à couper en 2"." "En 2, dit elle". Bam, d'un coup avec son couteau de cuisine, le Nord et le Pas de Calais venait d'être créés. "Mais il y en a un plus petit que l'autre" dit Napoléon. "Tu n'as qu'à leur donner le sentiment d'être supérieur sur les autres". Et de là naquit la guerre entre les "59 têtes de bœuf" et les "62 méfie te".

      Modifier Géographie (section)Modifier Géographie

      Au Sud du Nord mais au Nord de tout le reste de la France. La mer à l'Ouest et au Nord et le Nord à l'Est. Ben oui, pas facile avec un voisin pareil d'expliquer qu'il est au sud du Nord qui est à l'Est.

      Au milieu des collines, des vraies et des terrils.

      En dessous (oui, il y a une géographie en dessous), des galeries de mines aujourd'hui inutilisées mais qui sont là quand même.

      En dessous, les Picards. Non, les Picards ne vivent pas dans les mines, ils vivent au Sud.

      Modifier Climat (section)Modifier Climat

      4 saisons comme partout ailleurs, ceux qui disent qu'il y en a 2 (l'hiver et le 15 août) sont des minteux. Le printemps est chaud et humide, l'été est chaud et humide, l'automne est froid et humide, l'hiver est froid et humide. La notion de chaud dans ce département est à l'échelle terrestre, à savoir d'une différence de 2 degrès suffit à modifier le climat. 2°C c'est en hiver, 4°C au printemps et en automne et 6°C en été. La différence de qualification de chaud au printemps et froid en automne vient du fait de sortir de l'été caniculaire à 6°C.

      Comme son voisin le Nord, le Pas de Calais semble absent de la France à l'échelle météorologique française. Une annonce de "il va faire beau et chaud en France" à la météo ne signifie rien pour ces départements.

      Modifier Économie et infrastructure (section)Modifier Économie et infrastructure

      L'économie est marqué par le chômage, la misère, le chômage, la pauvreté, le chômage, les fermetures d'usines et le chômage.

      Pas d'aéroports, de toute façon, personne ne veut venir. 2 autoroutes véritable périphérique du département pour le traverser rapidement sans s'arrêter. Au milieu, des nationales glissantes par verglas l'hiver et l'été (si si, le verglas d'été existe quand la pluie tombe sur la poussière), glissante l'automne sous les feuilles d'arbres et glissantes au printemps sous la boue laissée par les tracteurs. Bref, faites gaffe si par malheur vous devez quitter l'autoroute.

      Il y a le TGV et l'Eurostar mais il ne font que traverser aussi le plus vite possible. En souvenir d'une belle campagne publicitaire pour l'Eurostar de la SNCF sur l'absence d'obligation de s'arrêter dans le département. Certains diront qu'ils préfèrent s'arrêter dans le Pas de Calais que de rester dans un train à la propreté et confort signé SNCF. C'est pour ça que les billets sont si chers, pour inciter le voyageur à avoir de tel remord de descendre après avoir payer si cher qu'il reste jusqu'au bout dans le train.

      Modifier Citations (section)Modifier Citations

      • « Pas-de-Calais, pas d'emploi, pas de futur, pas d'espoir... »
        ~ Jacques Chirac à propos de l'aménagement du territoire
      • « Pas-de-Calais ? Et comment je fais pour rentrer chez moi ? »
        ~ Un Calaisien mécontent
      • « Si tu vois le Soleil, c'est que tu n'es pas encore arrivé ? »
        ~ '
        Proverbe ch'ti
      • « si tu vois les cotes anglaises, c'est qu'il va pleuvoir, si tu les vois pas c'est qu'il pleut ! »
        ~
        {{{2}}} à propos {{{3}}}
      • « Dans le Nord-Pas-de-Calais, il ne pleut que pour les cons!  »
        ~ '
        Olivier de Kersauson en vacances au Touquet
      Ce copyright concerne mes textes et mes photos. Si vous souhaitez utiliser un de mes textes ou photos, merci de me contacter au préalable par e- mail et de citer mon nom et le mon adresse URL... comme je m'efforce de le faire pour les créations des autres.

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      tirés de mes recherches universitaires
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      Novembre 2024

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    • Anthologie de la poésie anglaise(4)

      Élégie


      La cloche du couvre-feu sonne le glas du jour s’en allant,
      Les troupeaux mugissants errent lentement à travers l’herbage,
      Le laboureur bien fatigué rentre chez lui très doucement.
      Le monde reste pour moi et pour l'obscurité en partage.

      Au crépuscule tombant, le paysage fuit à la vue,
      Et l’air silencieux garde un repos sacré, presque surhumain,
      Sauf quand l’escarbot chante sa chanson en volée éperdue.
      Ou que des tintements pesants endorment quelque parc lointain ;

      Excepté que, sur cette tour-là, de lierre toute couverte,
      Le hibou dormant se plaint doucement à la lune, tout bas,
      De ceux qui, vaguant vers le soir près de sa demeure si verte,
      Molestent son obscur royaume solitaire par leurs pas
      .

      Sous ces anciens ormes raboteux et sous l’ombre de cet if,
      Où le gazon, en de petits monticules pourris, s’élève,
      Chacun d’eux dans son étroite cellule pour toujours captif,
      Les rudes aïeux du village continuent leur long rêve.

      L’appel si frais du matin délicieux exhalant son encens,
      L’hirondelle matinale gazouillant en son nid de paille,
      Le chant aigu du coq, ni le cor résonnant, si doux aux sens,
      Ne les éveilleront jamais plus de leur dur lit de pierraille.

      Car jamais plus ne brûlera pour eux le doux foyer flambant,
      Aucune épouse ne les accueillera de son doux sourire,
      Les enfants ne souriront plus jamais au père retournant ;
      Grimpant sur ses genoux pour recevoir ses baisers dans un rire.

      Autrefois le blé mûr sous leur faucille tomba bien souvent,
      Le sol a souvent été fendu par le soc de leur charrue,
      Avec quelle joie ils ont mené leur lourd attelage au champ !
      Comme les bois s’affaissaient sous les coins pesants de leur massue !

      Mais que l’ambition ne se moque jamais de leur oeuvre utile,
      De leurs bonheurs domestiques, et de leur destin trop obscur ;
      Que la grandeur n’écoute, d’un sourire parfois plein de bile,
      Les simples et courtes annales de ces pauvres au coeur pur.

      La vanterie héraldique et la vaine pompe du pouvoir,
      Tout ce que la beauté, même les richesses jamais ne donnent,
      Attendent également l’heure inévitable, et sans espoir.
      Qu’au tombeau seul les chemins si beaux de la gloire nous moissonnent.

      Et vous, hommes bien trop fiers, n’imputez pas à ceux-ci la faute
      Si la Mémoire n’éleva nul trophée sur leurs tombeaux,
      Où s’entend, à travers l’aile allongée et la voûte si haute
      L’antienne résonnant de la prière les accents si beaux.

      Une urne historique peut-elle, ou bien même une image aimante,
      Rappeler l’âme envolée vers le corps qu’elle abandonna ?
      L’honneur peut-il faire revivre la poussière dégradante ?
      Est-ce qu’à l’oreille de la Mort la flatterie plaira ?

      Peut-être que ce triste lieu si négligé peut contenir
      Un coeur maintenant méprisé, jadis rempli du feu céleste,
      Des mains qui le sceptre doré d’un empire auraient pu brandir,
      Ou bien éveiller à l’extase une belle lyre modeste.

      Mais à leur intellect borné le Savoir sa glorieuse page
      N’a jamais déroulée, si riche des dépouilles du temps ;
      L’accablante pénurie réprima leur bien noble rage,
      Et gela le doux cours du coeur, bercé par les plaisirs ardents.

      Plus d’un bijou, de la beauté la plus pure et la plus sereine,
      Dans les cavernes de l’Océan par le sable est tout couvert ;
      Plus d’une fleur naît sans être jamais vue, sa grâce est vaine,
      Et va dissipant son parfum si délicieux dans l’air désert.

      Quelque pauvre Hampden villageois qui dans sa conscience fière
      Au petit hobereau, tyran de ses maigres champs, résista,
      Un Milton sans gloire, ignoré, peut dormir dans ce cimetière,
      Quelque Cromwell obscur, qui le sang de son pays ne versa.

      D’obtenir les applaudissements des sénats très attentifs,
      Et de mépriser toutes les menaces de ruine et de peine,
      Sur un pays riant de semer l’abondance en dons votifs,
      Et de lire leur histoire dans les yeux d’une nation saine,

      Le sort leur refusa tout cela, non seulement arrêtant
      Leurs naissantes vertus, mais il restreignit encore leurs crimes,
      Leur défendit à tous d’atteindre un trône en marchant dans le Sang
      Sur l’humanité de fermer du pardon les portes sublimes.

      Les peines de la vérité il leur défendit de cacher,
      Et de dissimuler la rougeur d’une honte sans excuse ;
      Ou bien sur l’autel de l’orgueil et du vain luxe, de brûler
      L’encens divin allumé par la flamme pure de la Muse.

      Loin de l’ignoble lutte de la foule causant la folie,
      Leurs voeux bien modérés n’apprirent jamais à vaguer en vain,
      Le long de la vallée fraîche et séquestrée de la vie,
      Ils conservèrent le courant tranquille de leur doux chemin.

      Pourtant, chaque tombe est de tout affront pour toujours protégée
      Par quelque fragile monument qui là vient à l’oeil s’offrir ;
      De rimes pauvres et de sculptures informes décorée,
      Elle implore le sympathique tribut d’un touchant soupir.

      Leurs noms obscurs, leurs âges, épelés par la Muse illettrée,
      La place du renom et des élégies vont nous fournir,
      Et elle répand plus d’un texte sacré dans cette contrée,
      Enseignant au moraliste rustique comme on doit mourir.

      Car quel est l’homme. à l’oubli muet se trouvant toujours en proie,
      Quel est l’être si plaisant et anxieux, à jamais résigné,
      Qui laissa l’enceinte chaude d’un beau jour si rempli de joie,
      Qui sur sa vie un regard d’envie et de regret n’a jeté ?

      À quelque coeur aimant l’âme tendre en quittant le corps se fie,
      De quelques larmes bien pieuses l’oeil en se fermant a besoin,
      Et même de la tombe la voix de la nature s’écrie,
      Même de leurs anciens feux nos froides cendres sont le témoin.

      Sur toi, qui t’occupant des morts couchés sans honneur et sans gloire,
      Dans ces lignes si simples leur histoire naïve dépeins,
      Si par hasard, conduit là par la contemplation transitoire,
      Un être sympathique demandait quels furent tes destins,

      Alors Peut-être que quelque vieillard aux cheveux blancs dirait :
      Nous l’avons aperçu souvent avant le lever de l’aurore,
      Dans sa marche rapide la douce rosée il enlevait,
      Pour contempler le soleil sur la verte colline qu’il dore.

      Là-bas, au pied de ce hêtre élevé, balancé par la brise,
      Entrelaçant ses vieilles racines fantastiques, si haut,
      Il étendait vers midi son corps que la fatigue maîtrise,
      Contemplant le ruisseau murmurant auprès, sous le soleil chaud.

      Tout près de ce bois ombragé, souriant comme avec dédain,
      Il errait chaque soir, en murmurant sa triste fantaisie ;
      Un moment il était pâle et blême, comme un homme incertain,
      Plein de souci, souffrant d’un amour sans espoir, plein d’apathie.

      Mais un jour, on ne le vit pas dans le vallon accoutumé,
      Près de son arbre favori, ni même parmi la bruyère ;
      Un autre jour passa, mais sur le bord du fleuve d’à côté,
      Ni sur l’herbe du bois, il n’était endormi sur la fougère.

      Le lendemain, avec des chants funèbres, tous mélancoliques,
      Lentement, au triste cimetière nous l’avons vu porter ;
      Approche, et lis (car tu peux les lire) les vers si sympathiques
      Que pour lui, sur la pierre sous l’aubépine, on vient de graver.

      Sur son obscur tombeau, les premières violettes de l'année
      Par des mains invisibles sont jonchées à chaque printemps,
      La colombe y fait son nid, et y chante toute la journée,
      Et légèrement s impriment sur la terre les pas d enfants.

      ÉPITAPHE

      Ci-gît, la tête reposant sur le sein sacré de la terre,
      Un homme qui fut de la fortune et du renom inconnu :
      En son humble naissance la science ne put jamais se plaire,
      Et la mélancolie le marqua comme un homme perdu.

      Sa bonté fut large, et son âme fut toujours toute sincère,
      Enfin une récompense aussi large le ciel envoya,
      Il donna ses larmes (tout ce qu’il possédait) à la misère,
      Un sincère ami (tout ce qu’il désirait), du Ciel il gagna.

      Ne cherche plus désormais ses mérites, car ils ne s’exposent,
      Ou n’enlève pas ses faiblesses de cet endroit si sacré,
      Là pareillement en espoir tremblant à jamais ils reposent,
      Dans le sein de son père clément et de son Dieu bien-aimé.


      Thomas GRAY(1716-1771)

      Écrit dans un cimetière de campagne.

      (Traduit par sir Tollemache Sinclair.)

      http://www.biblisem.net/meditat/grayeleg.htm

      Qui n'est pas la traduction que j'ai lue, page 149 de mon édition.


    • FEMMES ARTISTES, de Mary Cassatt à Sophie Calle

      Tamara de Lempicka

      Fort du succès de nos ventes thématiques en 2012, les départements Art Moderne et Art Contemporain présentent à l’occasion de la journée internationale de la femme la vente « Femmes Artistes ».
      Cet événement proposera une traversée du XXème jusqu’à nos jours…Si la femme a toujours inspiré l’art de notre civilisation, elle est aujourd’hui plus que jamais acteur de la création. Notre propos est bien là : montrer et offrir aux collectionneurs la création à travers la sensibilité féminine ainsi que réaffirmer l’importance de la femme en tant que précurseur dans l’Art.
      Durant ces deux derniers siècles, sont apparues des femmes artistes dont l’importance et l’influence n’est plus à démontrer.
      Ce thème a donc deux objectifs : montrer la création moderne et contemporaine au travers du regard de la femme et rendre honneur au rôle de la femme en tant que force et symbole de progrès.

      Les oeuvres de Tamara de Lempicka :


      Les oeuvres de Sonia Delaunay :

       

      La Section contemporaine :



      Passionnée par la peinture, Sonia Delaunay avait trouvé en la personne de son époux Robert, le meilleur partenaire d'échange dans sa quête d'un nouveau mouvement pictural. Guillaume Apollinaire leur grand ami, vécu avec eux un temps, et racontait « En se réveillant, les Delaunay parlaient peinture » Cette quête qui dura toute sa vie, a en effet abouti à un style à nul autre comparable, et si intellectuel qu'il est difficile à expliquer. En effet, comment expliquer l'émotion ressentie par le spectateur lorsqu'il regarde cette gigantesque toile représentant ces formes géométriques colorées ? Car ce résultat n'est nullement le fruit du hasard, ni même le titre donné à cette œuvre. Si, par souci financier, Sonia Delaunay s'est consacrée aux arts décoratifs de 1918 à 1935 avec abnégation, elle a pu murir son style pour toucher enfin du doigt, avec cette toile de 1952 par exemple, à la réalisation de la théorie qu'elle souhaite appliquer à la peinture ; à savoir celle de Monsieur Eugène Chevreul, « La loi des contrastes simultanés des couleurs » Dans cette théorie, l'on comprend notamment que les couleurs ne sont pas associées par hasard ; la complémentaire de chaque couleur s'additionne à l'autre. Ainsi leurs accords ou leurs dissonances, résumés par E. Chevreul par l'expression « contrastes simultanés », créent à la fois la forme, l'espace, le rythme, et en font une réalité vivante et nouvelle. C'est ainsi qu'en 1952, date de l'œuvre que nous présentons ici, Sonia Delaunay explique elle-même sa démarche et celle de Robert ; « si nous fûmes amenés à une nouvelle conception de la peinture, ce ne fut pas un raisonnement philosophique mais par l'observation de la lumière. La brisure des objets et des formes par la lumière et la naissance des plans colorés amenait une nouvelle structure du tableau. Ainsi le lien avec la peinture ancienne est définitivement rompu ; la couleur est libérée, elle n'est plus un élément qui sert à décrire un sujet, elle prend sa vie propre et devient elle-même sujet. » Ainsi c'est grâce aux couleurs vives, poussées à leur intensité maximum que Sonia Delaunay veut atteindre la représentation du simultané. La couleur est donc seule forme et objet sans recherche de perspective ou de naturalisme. Dans ce contraste simultané de 1952, l'artiste a une telle maîtrise de son art que les couleurs lui obéissent et s'orchestrent, savantes et simples à la fois, dynamiques et rayonnantes. Notre chance est qu'aucun mur n'ait été confié à couvrir à Sonia Delaunay car cette dernière rêvait d'une qualité murale, c'est-à-dire un mur poreux qui absorberait et donnerait à ses toiles la finesse et la matité qu'elle recherchait. Qu'importe, elle a réussi à reproduire cet effet sur la toile en diluant dans ses couleurs beaucoup d'essence qui s'évapore vite et donne à son œuvre la couleur opaque, fine et parfois « brossée » qu'elle recherchait. Cette toile est donc l'illustration pure de la recherche d'une vie, celle de Sonia Delaunay.

       

      Sonia Delaunay

      Sonia Delaunay-Terk
      Rythme coloré, 1952
      Huile sur toile
      105 X 194,5 cm                                 
      Estimation : 400 000/600 000 €

       

      Tamara de Lempicka

      Tamara de Lempicka (1898-1980)

      La Sagesse, vers 1974
      Huile sur toile54,7 x 38 cm

      Estimation : € 250,000-300,000

      Alors que la « vieille Europe » est en ébullition, Tamara de Lempicka – de l'autre côté de l'Atlantique- réalise « la Sagesse » (1940).
      Une femme élégante, au regard rempli de douceur, est plongée dans la méditation que lui inspire la lecture d'un ouvrage dont elle tourne délicatement les pages. Elle est coiffée d'un catogan, orné de perles et d'un turban chamoiré.
      Puisant dans des solutions esthétiques déjà explorées quelques années plus tôt dans les portraits de femmes (cf. notamment « vierge bleue », 1934), l'artiste dessine un visage quasi monochrome au modelé oriental, pour dégager une atmosphère faite de calme et de sérénité, au moyen d'une bouche subtilement charnue, surmontée par des yeux effilés, en amande, sans cils.
       La composition s'inspire des modèles de la  peinture classique, à l'instar d'un Greuze « Ecolier qui étudie sa leçon » (1857). Elle prend aussi appui sur des chef-d'oeuvres plus anciens telle que la Madonne della Sedice de Raphael, source majeure d'influence des grands maîtres qui lui ont succédé. Par ce jeu de simplification du cadrage,  Tamara de Lempicka  capture le regard du spectateur, pour le diriger tout entier vers la nature humaine excluant le monde naturel, de manière à ne pas l'arracher à la gamme infiniment riche des émotions que l'on peut lire sur le visage.
      C'est dans l'art du portrait que Tamara de Lempicka déploie toute sa science et ses capacités infinies d'interprétation et d'introspection psychologique. Le portrait de cette femme coiffée d'un chapeau cloche, de cheveux courts et au regard troublant s'inscrit dans la lignée des portraits de l'artiste représentant la femme moderne: « les amies » 1928, « le téléphone » 1930, « autoportrait », 1929.
      Le cadrage presque cinématographique, le traitement de la carnation finement rendue par un sfumato d'une exécution délicate et le regard aux iris lumineux chargé d'évocation rappelle les portraits d'actrices des « années folles », déesses modernes dont Tamara de Lempicka aimait  à s'inspirer.

       

      Louise Nevelson

      Louise Nevelson (1899-1988)
      Silence-Music II, 1979-1982
      Relief muralBois peint
      135 x 129 x 25,5 cm
      Estimation : € 60,000-80,000


      Louise Nevelson a résumé le concept de son travail en quelques mots : « Je voulais créer un univers ». Comme elle le reconnait aisément, « Je ne suis pas très modeste ; je dis toujours que je construis un empire ». L'univers de Nevelson est un monde personnel de forme et d'espace, avec ses soleils et ses lunes, sa terre et son ciel, sa lumière et ses ombres. L' « empire » magique qu'elle crée est fait d'autant de strates que sa personnalité. Elle y intègre volontairement le passé, le présent et les rêves de futur.

       

      Vieira da Silva

      Vieira Da Silva
      Narthex,1972
      Tempera sur papier
      63,5 x 47,5 cm
      Estimation : 30 000/50 000 €

      # # #

      http://www.tajan.com/fr/actualite/CP2013/Videos_Femmes_Artistes.asp

    • J'ai terminé le ”Dictionnaire amoureux de Venise” de Philippe Sollers

      Dictionnaire amoureux de VeniseDominique Rolin est la dédicataire de ce Dictionnaire amoureux.

       Venise apparaît dans presque tous ses livres, en grande partie écrits dans cette ville qu'elle appelle le plus souvent, par discrétion et un goût prononcé pour la clandestinité, « la ville étrangère ». 

      Dominique RolinElle y a beaucoup vécu, dans le plus parfait incognito (un record), avec le personnage qu'elle appelle Jim, c'est-à-dire moi.     

       On se reportera donc à ses livres, surtout Les Éclairs (1971), Trente ans d'amour fou (1988), Le Jardin d'agrément (1994), Journal amoureux (2000, Folio 3525), Le Futur immédiat (2002, Folio 3947) Plaisirs (2002, Folio 4008).    

       

       Dans ce dernier livre d'entretiens avec Patricia Boyer de Latour, elle raconte notre arrivée à Venise, venant de Florence, en 1963 :

       «Donc, nous arrivons par la route un soir... Nous prenons un vaporetto, il faisait très beau, c'était le plein été. Et là, ç'a été "la" révélation, comme si tout d'un coup on nous offrait un lieu qui devait nous appartenir de toute éternité. À partir du Grand Canal, le vaporetto s'arrêtait à chaque station dans l'obscurité, la lumière du ciel mêlée aux lumières des réverbères. Jim portait deux valises énormes et nous avions réservé dans un petit hôtel près de la place San Marco. Au moment où nous découvrons cette place devant la basilique Saint-Marc, nous avons été pris d'un sentiment quasiment religieux, comme si nous étions transportés dans un univers qui nous cernerait intimement. Il a posé ses valises et nous sommes restés dix minutes sans pouvoir parler... Puis nous sommes descendus à l'hôtel, nous avons dîné et… nous avons pris un café au Florian ! (Rires.) Nous sommes allés ensuite jusqu'au bord du quai. Il y avait à l'amarrage des gondoles serrées les unes contre les autres et soulevées par les vagues. On aurait dit des cygnes noirs. Je m'en souviens encore comme d'une découverte prodigieuse... Et ce fut tout pour ce jour- là !    

       « Le lendemain matin, Jim s'est mis, comme chaque jour, au travail. Moi, je voulais apprendre la ville... Je me promenais donc jusqu'à l'heure du déjeuner ; l'après-midi, je rentrais vers six heures du soir, et nous ressortions pour dîner. Il allait tous les matins au Florian pour écrire à une table, toujours la même, loin de la lumière du jour et de la foule. Il a besoin de se fixer comme s'il y avait une sorte de rapport intime entre la circulation de son sang et de son esprit avec ce qui l'entoure. Je partais à l'aventure, seule.     

       « J'aimais me perdre en suivant ces veines quasiment sanguines que sont les voies menant à la Giudecca, insoupçonnable pour moi, et dont personne ne m'avait parlé. Au moment où j'y suis arrivée pour la première fois, j'ai eu un coup au cœur... en découvrant cette ouverture sur les Zattere et sur la largeur du canal. À tel point que je me suis dit qu'on ne pouvait pas rester dans notre petit établissement enfoncé en pleine ville Je suis entrée dans l’hôtel qui se trouvait là, j’ai demandé le prix des chambres à une vieille dame. Et là, elle m’ouvre une fenêtre sur la Giudecca… Quelle stupeur ! (Rires.) J’ai pensé : mais c’est ici qu’il faut vivre ! Tout se passait comme si notre vie nous attendait là depuis toujours. À la fin de cette matinée, je suis allée le rejoindre en lui disant : « Il faut que tu voies ça. » Et nous avons tout de suite retenu une chambre pour l’année suivante, la chambre aux trois fenêtres (une à l’ouest sur le petit canal perpendiculaire, deux sur la Giudecca dont l’une réfléchit toute la chambre et l’autre la circulation des bateaux) que l’on nous a gardée chaque fois.»

       

       C'est elle qui était avec moi, en 1985, lors de l'extravagant concert donné à La Fenice en l'honneur du pape (voir Fenice).

       

       Les Éclairs :     

       « Portés par l'air vif dans ce premier matin de la ville retrouvée, nous avançons, lui et moi, sans accorder d'attention tout d'abord à ce qui se passe alentour.  Simplement ceci: débarrassés d'un impondérable massif d'oublis qui nous reliait à ce que nous étions  hier, nous nous sentons propres, comme si nous venions d'être inventés pour les besoins d'une action qu'on nous laisse ignorer encore. Dans notre dos, émergeant de la perspective des murs et des toits coulés parmi les feuillages retombants, le soleil se lève, étire en avant nos ombres au ras du sol. Notre marche aussi en direction de la station maritime dont on aperçoit l'escalier défendu, la muraille aveugle, est une invention ferme et souple d'un dehors au seuil duquel on nous a déposés. On peut dire que nous sommes irresponsables, frais; nous rions chacun pour soi, au fond de la gorge, dans un silence que nous n'avons jamais connu jusqu'ici. »

       

       Le Futur immédiat :

       « Cinq goélands posés côte à côte sur le pont de la Risorta, une des péniches amarrées au bord du canal. Étrangeté d'un corps d'oiseau sauvage : rondeur plumeuse, petite tête mobile, œil fixe, le bec et accent de férocité, couteau ancré à même la gorge si blanche. Et les pattes aussi, dureté d'instruments d'attaque et de défense incessamment prêts à se battre à mort. Je les regarde, c'est important, je suis obligée de les inclure dans mon récit, c'est moi qui décide. De temps en temps, l'oiseau se fourre le bec un peu partout, sur la nuque ou le cou, soulevant une aile ou la queue, la souplesse de son corps bien nourri est celle d'un acrobate mettant au point un numéro de cirque inédit.

      « Être un goéland au lieu d'être une femme, voilà qui m'aurait épargné beaucoup d'efforts avant d'atteindre le meilleur de moi-même. »

       

       Et, dans Les Éclairs, cette apparition d'Ezra Pound :

       « Ce rêve nous rappelle, à lui et moi, l'apparition de l'ancien au bout du quai dans la nuit. Ses cheveux blancs brillent sous les lampadaires. Il tient la tête un peu renversée, le regard est fixe, dur, ailleurs, ferme, loin. Sans s'occuper de la femme qui le suit, il avance avec une économie rythmée des muscles et des articulations : ainsi font les grands vieillards. Le squelette — la mort — est au premier plan. Appuyé sur sa canne, il marque la mesure de ses pas, fermes, à peine saccadés. Il passe devant nous. Il est clair, précis, élégant. Son visage barbu et très blanc est une construction d'écume. Il s'éloigne. Il monte les marches du pont. Au sommet, il s'arrête. Peut-être regarde-t-il le rivage brillant de l'île un peu brouillé dans le lointain. Ou peut-être regarde-t-il en lui-même en s'aidant du lointain. Ensuite il glisse son bras sous celui de la femme qui l'a rejoint : ensemble ils descendent l'autre côté du pont. À peine a-t-il disparu du champ de notre regard, nous voici forcés de répéter mentalement son passage. Sur les pierres, entre le ciel et l'eau il avance sans plus marcher. Il glisse. Il entraîne avec lui la foule de ses silences et de ses discours, de ses mots, de ses phrases, de ses plans, de son écriture de palais, de guerre, de canaux, de jardins, de cours. »

       

      Dominique Rolin 1972 
      Dominique Rolin à l'époque des Éclairs (1972) 

       

       

      Philippe Sollers, Dictionnaire amoureux de Venise, Plon, 2004

      http://www.philippesollers.net/dominique-rolin-venise.html

      Précédente publication:

      08/04/2013 07:57

    • Le torchon brûle entre le Louvre et Berlin

       
      <i>L'enfer des oiseaux </i>(détail)<i></i>de Max Beckmann: les médias allemands voient dans cette œuvre une allégorie de la dictature nazie.

      L'enfer des oiseaux (détail)de Max Beckmann: les médias allemands voient dans cette œuvre une allégorie de la dictature nazie. Crédits photo : ADAGP 2013, Paris © Richard L. Feigen

      L'exposition « De l'Allemagne », jugée caricaturale outre-Rhin, a déclenché une vive polémique. Ses organisateurs regrettent un malentendu.

      Elle était censée contribuer au rapprochement franco-allemand. Mais l'exposition du Louvre «De l'Allemagne, 1800-1939. De Friedrich à Beckmann» a eu l'effet inverse. Voulue par François Hollande et Angela Merkel dans le cadre des festivités du cinquantenaire de la réconciliation gravée dans le traité de l'Élysée, elle a déclenché une vive polémique outre-Rhin. Les critiques des grands médias déplorent que le Louvre ait cédé à la facilité du cliché en présentant une vision réductrice et caricaturale de l'art allemand s'appuyant sur un regard sombre et des obsessions liées au nazisme.

      «L'art allemand a-t-il toujours été ­programmé pour la catastrophe et la guerre? Une exposition au Louvre sur les années 1800-1939 le suggère et déclenche ainsi un scandale politico-culturel», s'insurge l'hebdomadaire intellectuel du centre gauche Die Zeit . La polémique a commencé avant même l'ouverture au public entre les organisateurs français du Louvre et leurs homologues allemands du Centre allemand d'histoire de l'art (Caha) de Paris. Exclu de la mise en scène muséo­graphique, de la rédaction des textes de légende comme de ceux destinés aux audioguides et à la presse, le partenaire allemand estime que l'exposition, dans sa présentation actuelle, ne contribue ni à la «compréhension», ni à «l'amitié», ni à la «réconciliation». «Il s'agit d'une collaboration scientifique de la part du Caha, aucunement d'une coorganisation, c'était clair dans les conventions juridiques signées», rétorque-t-on au Louvre, qui a financé l'intégralité de l'exposition (1 million d'euros) sur ses fonds propres et grâce au mécénat.

      Plusieurs critiques allemands ont remarqué que l'exposition faisait l'impasse sur les œuvres « dégénérées » de l'artiste, celles interdites par les nazis

      Pour le Caha, Goethe, dont la théorie des couleurs a influencé jusqu'à Klee et au Bauhaus, devait servir de fil conducteur à travers une période à la fois libre, hétéroclite et confuse où l'art allemand n'était pas dominé par une seule école. Au lieu de cela, le Louvre aurait choisi de simplifier à l'extrême, construisant sa propre histoire de l'Allemagne sur le modèle nietzschéen, en rangeant les 200 œuvres en deux catégories: dionysiaques et apolliniennes. Le résultat dégagerait une impression obsessionnelle de l'art allemand de l'époque, fasciné par la mélancolie, la guerre, ou les mythes allemands et les légendes des forêts détournés par les nazis. Bref, l'exposition renverrait l'image d'un pays voisin «tourmenté, sombre et dangereux», tranche le quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ).

      «C'est l'opposé de ce que nous avons voulu faire, regrette Sébastien Allard, conservateur en chef au département des peintures du Louvre et co-commissaire. Par une présentation en trois grands thèmes - la référence hellénique, la notion de paysage et la question de l'individu -, on a justement cassé l'interprétation téléologique de l'histoire.»

      Pour les médias allemands, L'Enfer des oiseaux(1938), de Max Beckmann, montre une allégorie de la dictature nazie. «C'est une œuvre militante pacifiste, une œuvre de résistance, la première exécutée en exil», rectifient les commissaires. Ecce homo, de Lovis Corinth, renverrait l'image d'un homme simple jouet entre deux guerres mondiales. «Il s'agit plutôt d'un tableau testament, peint en 1925, quelques mois avant la mort de l'artiste», corrige-t-on encore.

      <i>Ecce homo</i> de Lovis Corinth.

      Ecce homo de Lovis Corinth. Crédits photo : Kunstmuseum Basel / Martin Bühler

      Les visages défigurés d'Otto Dix reflètent certes l'obsession de la Première Guerre mondiale. Mais plusieurs critiques allemands ont remarqué que l'exposition faisait l'impasse sur les œuvres «dégénérées» de l'artiste, celles interdites par les nazis. Ils notent encore que l'exposition se termine par le film sur les Jeux olympiques de 1936, Olympia, de Leni Riefenstahl, cinéaste et photographe étroitement associée à Adolf Hitler et aux nazis, dont elle avait mis en scène le congrès de Nuremberg dans Le Triomphe de la volonté. «C'est oublier qu'en face, et en opposition radicale, est projeté le film Les Hommes le dimanche, réalisé avant l'exil par Robert Siodmak et Billy Wilder, répond-on au Louvre. En montrant en gros plan des visages banals et souriant, ces artistes laissent surgir une humanité qui, dans son caractère “moyen”, est simplement humaine, dénonçant ce fait incontestable qu'il y a des hommes et non une idéale volonté de puissance.»

      Les critiques allemands s'offusquent enfin des oublis trop nombreux: Dürer, Kandinsky, Macke, les expressionnistes du Blaue Reiter, le Bauhaus, le mouvement Die Brücke, qui compte notamment Kirchner et Nolde. Aucune œuvre ne relie les classiques de Weimar au modernisme. Ils reprochent au Louvre d'avoir fait l'impasse sur le Berlin cosmopolite et polyglotte des années 1920, Années folles où les femmes allemandes conduisaient de grosses cylindrées décapotables cheveux au vent. «C'est vrai, on n'a pas montré ces courants, précisément parce qu'ils sont d'emblée très internationaux, admettent les commissaires de l'exposition. Nous avons cherché avant tout à sensibiliser à l'art allemand.»

      Selon la perception allemande de la vision proposée par le Louvre, le dionysiaque aurait accompagné la montée en puissance de la Prusse. À en croire l'exposition, les artistes de l'époque auraient sombré dans un «art casque à pointe, écrit Die Zeit, cédant aux pulsions primitives du Reich prussien».

      <i>Goethe dans la campagne romaine</i> de Wiilhelm Tischbein.

      Goethe dans la campagne romaine de Wiilhelm Tischbein. Crédits photo : U. Edelmann - Städel Museum - ARTOTHEK

      «Les visiteurs qui ne lisent pas le catalogue et qui suivent le fil des œuvres auront l'impression que les Allemands, après une courte période de fascination pour l'Antique, se sont retirés dans leurs forêts, juge la FAZ. Là, ils auraient sombré sous une épaisse mousse verte, s'enfonçant dans les couleurs empoisonnées de la terre et de la moisissure. Ils seraient devenus fous vers 1900. Avant de resurgir dans le national-socialisme.» «Faire de la sorte le lien entre le dionysisme de la fin du XIXe siècle et le nazisme, c'est oublier les trois quarts de l'exposition», plaide-t-on au Louvre.

      Quoi qu'il en soit, échaudé par la polémique et la tempête diplomatique qu'il a déclenchées, Andreas Beyer, le directeur du Caha, confie au Figaro maintenir les critiques lancées dans la presse allemande, bien qu'il ne veuille «plus mettre d'huile sur le feu». «Peu importe notre avis, dit-il. Les œuvres montrées sont belles, fortes et intéressantes. Il faut aller voir cette exposition, où l'on apprend beaucoup sur l'art allemand. Ma conviction reste cependant que l'on ne peut pas raconter l'histoire d'un pays ou d'un peuple à travers ses œuvres d'art.»

      «De l'Allemagne 1800-1939, de Friedrich à Beckmann», jusqu'au 24 juin au Louvre (hall Napoléon). Catalogue Louvre/Hazan, 480 p., 45 €. Tél.: 01 40 20 50 50.www.louvre.fr).

       
    • J'ai aimé voir jeudi midi:Le Romantisme noir: l'exposition du Musée d'Orsay

      Le Romantisme noir: l'exposition du Musée d'Orsay

      Par Annick Colonna-Césari (L'Express), publié le29/03/2013 à 16:46

       

      ROMANTISME NOIR AU MUSEE D'ORSAY - Une étonnante exposition. Au programme: monstres, vampires, sorcières et démons.

      © Musée d'Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt

      Les sorciers de Harry Potter et les vampires de Twilight n'ont qu'à bien se tenir. Le musée d'Orsay vient de convoquer entre ses murs tous les monstres, les démons et les spectres de la terre, exposés sous l'intitulé L'Ange du bizarre. Depuis la fin du 18ème siècle, le goût du fantastique et du macabre irrigue en effet les arts européens. Réaction aux Lumières et fruit du vent de liberté qui se met alors à souffler, ce mouvement a bousculé les conventions sociales, morales et esthétiques. 

      Le Romantisme noir: l'exposition du Musée d'Orsay

      Le musée d'Orsay propose, jusqu'au 9 juin, une étonnante exposition autour du "romantisme noir". Au programme: monstres, vampires, sorcières et démons. Vous êtes déjà mordus? Suivez le guide. 

      Né de la tourmente révolutionnaire, ce "fleuve noir" n'a cessé de se nourrir des inquiétudes du temps, réactivé, à la fin du xixe siècle, par les symbolistes puis, entre les deux guerres, par les surréalistes. Ce parcours, qui rassemble 200 oeuvres, essentiellement des peintures, est ponctué d'extraits de grands classiques du cinéma, traversé, lui aussi, par ce courant démoniaque. Goya, Füssli et Delacroix, Ernst, Dali et Magritte côtoient donc Fritz Lang, Luis Buñuel et Alfred Hitchcock. On y croise les forces obscures qui font aujourd'hui la saveur des films d'un Tim Burton. Ou des contes d'Edgar Allan Poe, dont l'exposition reprend l'un des titres. Visite guidée en quatre thèmes : cauchemar, barbarie, menace, vertige. Bonne nuit. 

      Le Grenouillard de Jean Carriès

      Le Grenouillard de Jean Carriès

      © Musée d'Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt

      CAUCHEMAR

      Le roman de "monstres" naît en Angleterre, lorsque Horace Walpole, homme d'Etat et écrivain, publie, en 1764, Le Château d'Otrante. Cette intrigue, dans laquelle s'affrontent seigneurs sanguinaires et fantômes démoniaques, remporte un énorme succès. Et influencera l'Europe entière, donnant naissance au courant gothique, dans lequel s'inscriront Frankenstein, de Mary Shelley (1818), et Dracula, de Bram Stoker (1897). C'est dans cette Angleterre propice à l'épanouissement de l'imaginaire, que vit le peintre suisse Johann Heinrich Füssli. Il est l'un des premiers à explorer les abîmes de l'âme. Füssli s'inspire non de Walpole, mais de Shakespeare et de John Milton, donnant corps à des visions d'épouvante dont plusieurs figurent dans l'exposition. 

      Dans cette toile intitulée Cauchemar, il laisse libre cours à ses propres fantasmes. Elle représente une jeune femme en proie aux démons de la nuit. Exposée à Londres en 1782, elle provoquera l'émoi et le scandale. A tel point qu'il est alors conseillé aux personnes ayant les nerfs fragiles de ne pas s'en approcher. L'image incarne le triomphe de l'irrationnel au siècle des Lumières, et témoigne également d'une incroyable liberté sexuelle ; on peut y voir un coït avec le diable. 

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      © RMN (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

      Le cauchemar imprègne bien d'autres oeuvres romantiques, dont celles du Britannique William Blake, proche de Füssli. Dans les années 1800, cet excentrique jette sur la toile un effrayant bestiaire, fruit de ses hallucinations. Au 19ème siècle, le symboliste français Odilon Redon explore la profondeur des rêves, les matérialisant dans de mystérieuses gravures, empreintes de spiritisme, qui font froid dans le dos. Les films d'horreur regorgent aussi de scènes angoissantes. S'appuyant sur les classiques de la littérature, ils doivent aussi beaucoup à la peinture. Dans Frankenstein, de James Whale (1931), la mariée, étranglée, laissée agonisante sur son lit, est une citation directe du tableau de Füssli. 

      BARBARIE

      Quoi de plus horrible que la vision de ces deux hommes nus engagés dans un violent corps-à-corps? L'un plante ses dents dans le cou de l'autre, tandis qu'un démon au sourire grimaçant observe la scène. Dante et Virgile aux Enfers fut exécuté en 1850 par le Français William Bouguereau. Ce tableau s'inscrit dans la sensibilité de l'époque. Depuis le début du xixe siècle, nombreuses sont les représentations de cannibalisme ou d'actes contre nature. Vers 1836, Delacroix peint Médée étouffant ses enfants. S'inspirant d'un événement contemporain, Le Radeau de la Méduse, réalisé en 1819 par Théodore Géricault, met en scène une situation de nature similaire : le destin d'un navire naufragé dont l'équipage avait fini par s'entre-dévorer pour survivre. Mais que la situation dépeinte soit, ou non, ancrée dans la réalité ne change rien à la problématique : ces tableaux renvoient aux désillusions du siècle. En dépit des progrès de la raison apportés par le siècle des Lumières, l'être humain reste apparenté à une bête. En 1799, Goya avait intitulé l'une de ses gravures : "Le sommeil de la raison engendre des monstres" ; il ne croyait pas si bien dire.  

      Cet enthousiaste partisan des Lumières allait encore davantage déchanter, à mesure que la Révolution française basculait dans la terreur. En 1808, l'Espagne est envahie par les troupes napoléoniennes. Dans Les Désastres de la guerre, l'artiste espagnol décrit les horreurs que subissent ses compatriotes, et dont il fut lui-même le témoin. Ses eaux-fortes dénoncent la barbarie, cadavres réduits en pièces, femmes violées, enfants assassinés. Mais elles ont aussi valeur universelle. Dès 1792, Goya écrivait: "Je n'ai pas peur des sorcières, des lutins, des apparitions, des géants vantards, des esprits malins, des farfadets, etc., ni d'aucun autre genre de créature, hormis les êtres humains." 

      Dante et Virgile aux Enfers d'Adolphe William Bouguereau

      Dante et Virgile aux Enfers d'Adolphe William Bouguereau

      © Musée d'Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt

      MENACE

      A la fin du 19ème siècle surgit le mythe de la femme fatale. Les symbolistes ressuscitent les grandes héroïnes de l'Histoire, Salammbô, Méduse, Cléopâtre, et les autres, aussi envoûtantes que vénéneuses. A l'image de cette Salomé que Gustave Moreau représente en 1893, dans une peinture à l'huile intitulée La Débauche. La créature exhibe sa nudité, juchée sur un autel au pied duquel se traînent les hommes qu'elle a ensorcelés. Les femmes fatales apparaissent comme les allégories de la nature vue comme une force destructrice. Le développement de la prostitution et des maladies vénériennes, fléau de l'époque, n'a fait qu'exacerber les imaginaires. Dans son tableau, Le Péché, datant de 1893, l'Allemand Franz von Stuck représente une Eve délicieusement scandaleuse, aux antipodes de l'iconographie traditionnelle. La jeune femme ne cherche pas à voiler sa nudité. Regard provocateur, sourire séducteur, elle semble fanfaronner, sous les traits d'une dompteuse de serpent au nombril aguicheur. En 1916, le Norvégien Edvard Munch livrera une version moderne de la femme dangereuse. Dans son tableau Vampire, il peint une femme aux cheveux rouge sang, se penchant sur un homme pour l'enlacer. Mais le baiser s'apparente à une morsure. Certains artistes pousseront encore plus loin la perversité, marqués par les écrits sulfureux du marquis de Sade. Les surréalistes en sont particulièrement friands. Les poupées désarticulées que met en scène Hans Bellmer dans ses photos sont les héritières de la tradition libertine, séductrices et victimes à la fois.  

      VERTIGE

      Les paysages font écho aux sorciers et aux démons, peut-être encore plus inquiétants, car ils s'appuient souvent sur des lieux réels. Saisis au clair de lune, comme ce rivage peint en 1836 par l'Allemand Caspar David Friedrich, ou sous la brume, par temps d'orage, ils sont généralement vides de toute présence humaine. Et provoquent ce que le philosophe Edmund Burke, théoricien du sublime, appelle, en 1757, une "horreur délicieuse".  

      Bouclier avec le visage de Méduse d'Arnold Böcklin

      Bouclier avec le visage de Méduse d'Arnold Böcklin

      © RMN (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

      En Allemagne, en Suisse ou en Angleterre, les romantiques affectionnent le spectacle des grottes et des gouffres qui plongent dans les entrailles de la Terre, symbolisant la descente aux Enfers. Mais aussi celui des ruines, qui exacerbent la sensation de solitude des châteaux, cimetières ou cloîtres, évocateurs d'enfermement. Ces paysages sont tellement obsédants qu'ils imprégneront l'imaginaire des générations futures. Les surréalistes y seront particulièrement sensibles, à commencer par Max Ernst, qu'inspirent les forêts sombres et mystérieuses de Friedrich.  

      De même pour les cinéastes. Les films de Friedrich Wilhelm Murnau et de Fritz Lang regorgent de sous-bois obscurs, de scènes de brouillard et de pleine lune, lourdes de menaces. Une séquence célèbre du Chien andalou, tourné par Luis Buñuel en 1929, ressemble étonnamment au clair de lune de Friedrich, lorsque la lame de rasoir tranche l'oeil, telle la traînée de lumière qui fend le paysage marin. 

    • La photo d'un légionnaire mort

      Le thème de la semaine

       
      Alors que vous sortez de l'ombre, vous décidez de faire un peu de rangement. Et pourquoi pas ? 
      Vous tombez alors sur une photographie. Que de souvenirs s'animent...

      Vous avez jusqu'au dimanche 1er novembre à minuit pour nous adresser vos histoires autour de cette photographie à l’adresse mail habituelle : impromptuslitteraires[at]gmail.com.


      N'hésitez pas d'accompagner votre texte par LA photographie qui l'a inspiré (si c'est possible, bien entendu)

      Bonne semaine !
       

      http://impromptuslitteraires.blogspot.fr/p/le-theme-de-la-semaine.html

      La photo du légionnaire mort

      Cette photo de Robert trônait sur le buffet de Pauline, la grand-mère de Cannelle. Il était mort depuis trente ans et Cannelle ne l’avait pas connu. Mais Pauline lui en parlait tellement qu’elle avait l’impression de le connaître. Et tel qu’elle le connaissait, elle l’aimait. Un jour, elle fit faire un double de la photo pour en avoir une à elle. C’était un absent très présent, si présent, trop présent peut-être pour un mort qui faisait beaucoup d’ombre aux vivants. En plus, il était si beau avec un quelque chose de son père quand il était jeune. La photo de son grand-père que Cannelle adore, celle où il est sur sa moto. Ce n’était pas si courant à l’époque les motos. Sur cette moto, Alexis, son grand-père accrochait un side-car(pas si courant que ça non plus). Pauline y était montée et avait eu très peur. Alexis avait été ouvrier, maquisard, résistant, boxeur…Et son fils, Robert avait aussi hérité de ce caractère fort. De sa mère, il a sûrement pris quelque chose aussi alors qu’elle, jeune fille tombée enceinte à seize ans avait voulu se débarrasser de lui. Alexis l’avait sauvé de justesse de la noyade. Après avoir assumé ses responsabilités en épousant Violette, la jeune mère, il divorça (encore un événement pas si fréquent que ça…. A cette époque) et s’occupa quelques temps seul de son fils. Il travaillait dur mais se détendait en allant danser en fin de semaine. C’est dans un bal qu’il rencontra Pauline.
      (Elle avait d’ailleurs péniblement appris à sa petite- fille Cannelle quelques pas de danse.) Le coup de foudre entre Alexis et Pauline fut immédiat et la jeune bretonne (exilée pour cause de pauvreté) aux cheveux roux et aux taches de rousseur avait elle aussi un sacré caractère car se mettre en ménage avec un homme divorcé et un enfant d’un an, c’était encore plus mal perçu que tout ce qui a pu être évoqué jusqu’à présent.
      Pauline aima aussi immédiatement Robert et s’en occupa comme une mère. Le couple se maria, continua à travailler dur et à danser. Puis vint la Deuxième Guerre Mondiale, l’Occupation allemande, l’appel de Robert par le STO et sa prise de maquis, son entrée dans la Résistance. Pauline se retrouva seule avec Robert sous les bombardements, entre les queues pour avoir à manger et le couvre-feu, l’Exode avec beaucoup d’autres français sur les routes, des images d’horreur de corps déchiquetés par les bombes. Pauline partit avec Robert sur son vélo et quelques affaires vers un lieu plus sûr en attendant la fin de la guerre. La Libération ramène Alexis à la maison ; c’est la liesse à la maison et en France. Ce sont les jugements hâtifs de l’Epuration, les femmes tondues, les coupables brûlés dans la rue. Une épreuve plus personnelle s’abattit sur Pauline et Alexis.
      Robert avait grandi, était devenu un adolescent et voulait revoir sa mère naturelle. Celle-ci était justement réapparue et voulait se racheter auprès de son fils. Malheureusement pour Robert, ces retrouvailles furent un échec. Pauline, elle, oublia vite la fugue pour lui ouvrir les bras et le consoler. Robert était un bon élève mais un garçon difficile.
      A quatorze ans, il rentra comme apprenti dans un atelier de soudure. Il était travailleur mais avait une nature fantasque. Il aimait les femmes et elles lui rendaient bien, appréciant sa beauté, son élégance et son côté un peu voyou. D’ailleurs, ce ne fut bientôt pas seulement une apparence. Robert se mit à fréquenter des voyous et des prostituées. Alexis pensait qu’il fallait que jeunesse se fasse, qu’il avait bien raison d’en profiter. Lui n’avait pas pas pu trop le faire, se rattrapait un peu en papillonnant à droite et à gauche mais il était secrètement un peu jaloux de son fils. Pauline s’inquiétait des fréquentations de son fils et recevait avec bienveillance les doléances de la petite amie de Robert, Murielle. Cette dernière, très amoureuse mais blessée dans son orgueil le quitta. Robert était désespéré mais fier ; ne voulant pas reconnaître ses torts, il monta dans la hiérarchie des voyous. Alexis n’était plus si fier et tenta de le ramener à la raison, d’autant plus qu’on avait appris entre temps que Murielle était enceinte. Robert, orphelin d’une mère qui avait voulu le tuer, pleura en apprenant la nouvelle. Il avait assez fait la noce. Il était temps de se ranger, de donner à cet enfant ce qu’il n’avait pas eu au départ. Alors il épousa Murielle (qu’il aimait d’ailleurs), fit tout pour que ça marche avec elle et surtout s’occupa très bien de Fanny, sa petite fille. Mais il fut vite repris par ces anciens démons. Les bars, les filles, les petits coups jusqu’un soir il fut pris dans une rafle de prostituées, emporté dans le panier à salades et finalement mis en prison. Son père (qui était assez connu en ville) vint le chercher tout en rigolant avec les policiers : « Vous avez fait
      comme lui, mais vous êtes moins con que lui, vous ne vous êtes pas fait prendre. » Robert était mortifié. Et ce fut encore pire quand il se retrouva seul avec son père qui le renia quasiment tout en lui disant que sa femme lui avait pardonné et l’attendait. Alors Robert réessaya sincèrement mais il ne tenait pas en place. Un soir, dans un bar, il fut abordé par un recruteur de légionnaires. Ivre, Robert signa pour 5 ans.
      Il renonçait à son nom, à sa famille pour une vie d’aventures et à ce moment-là une vie de guerre puisque sa troupe partait le lendemain pour l’Algérie. Le lendemain, au réveil, dégrisé, il se dit furtivement qu’il avait fait une erreur, pensa à sa femme et à sa fille mais que leur apportait-il ? Alors il fit la guerre et lorsqu’il rentra, sa tête était remplie de cris, de bruits de fusils, de bombardements. La photo sur le buffet de Pauline date de cette époque ; l’uniforme lui allait si bien. Sa femme avait obtenu le divorce en son absence et son père l’avait définitivement renié. Seule sa mère continuait à croire en lui et lui parla d’un travail chez un client (Pauline et Alexis tenaient un commerce) qui faisait de la soudure. Il se présenta, fut embauché grâce à la réputation de ses parents et à son statut de héros de la guerre d’Algérie. Mais il ne sentait pas un héros lorsque la nuit, il était réveillé par les hurlements des enfants massacrés et des femmes violées. Lui-même n’avait tué que des combattants comme lui mais c’était déjà bien trop. Alors il se remit à boire pour ne plus entendre.
      Pour oublier que sa femme ne voulait pas le laisser voir sa fille. Que son père ne voulait plus le voir. Un soir, il fut de nouveau arrêté. Il prévint sa mère qui pleurait chaque jour d’impuissance. Mais Alexis défendit à sa femme d’aller le voir en prison. Il fut finalement relâché mais sans travail, ni raisons de se battre, il partit à la dérive. Une nuit, il fut pris dans une rixe et affaibli par les nuits sans sommeil et l’alcool, mortellement touché. Il agonisa lentement en serrant une photo de sa fille sur son cœur. Le surlendemain, les gendarmes vinrent prévenir ses parents. Cannelle toute jeune alla à l’enterrement avec la famille. Par la suite, elle écouta religieusement sa grand-mère parler de ce légionnaire en photo.

      Pour lire d'autres textes de moi, cf. mes 14 livres en vente par les bannières sur ce blog

    • Pour le jeudi en poésie des Croqueurs de mots:Emile Verhaeren

       

      croqueursdemots.apln-blog.fr/2017/01/17/nous-irons-tous-au-paradis-defi-178-mene-par-lilousoleil/

       

      Le paradis

      I

      Des buissons lumineux fusaient comme des gerbes ;
      Mille insectes, tels des prismes, vibraient dans l'air ;
      Le vent jouait avec l'ombre des lilas clairs,
      Sur le tissu des eaux et les nappes de l'herbe.
      Un lion se couchait sous des branches en fleurs ;
      Le daim flexible errait là-bas, près des panthères ;
      Et les paons déployaient des faisceaux de lueurs
      Parmi les phlox en feu et les lys de lumière.
      Dieu seul régnait sur terre et seul régnait aux cieux.
      Adam vivait captif en des chaînes divines ;
      Eve écoutait le chant menu des sources fines,
      Le sourire du monde habitait ses beaux yeux ;
      Un archange tranquille et pur veillait sur elle
      Et, chaque soir, quand se dardaient, là-haut, les ors,
      Pour que la nuit fût douce au repos de son corps,
      L'archange endormait Eve au creux de sa grande aile.

      Avec de la rosée au vallon de ses seins,
      Eve se réveillait, candidement, dans l'aube ;
      Et l'archange séchait aux clartés de sa robe
      Les longs cheveux dont Eve avait empli sa main.
      L'ombre se déliait de l'étreinte des roses
      Qui sommeillaient encore et s'inclinaient là-bas ;
      Et le couple montait vers les apothéoses
      Que le jardin sacré dressait devant ses pas.
      Comme hier, comme toujours, les bêtes familières
      Avec le frais soleil dormaient sur les gazons ;
      Les insectes brillaient à la pointe des pierres
      Et les paons lumineux rouaient aux horizons ;
      Les tigres clairs, auprès des fleurs simples et douces,
      Sans les blesser jamais, posaient leurs mufles roux ;
      Et les bonds des chevreuils, dans l'herbe et sur la mousse,
      S'entremêlaient sous le regard des lions doux ;
      Rien n'avait dérangé les splendeurs de la veille.
      C'était le même rythme unique et glorieux,
      Le même ordre lucide et la même merveille
      Et la même présence immuable de Dieu.

      II

      Pourtant, après des ans et puis des ans, un jour,
      Eve sentit son âme impatiente et lasse
      D'être à jamais la fleur sans sève et sans amour
      D'un torride bonheur, monotone et tenace ;
      Aux cieux planait encor l'orageuse menace
      Quand le désir lui vint d'en éprouver l'éclair.
      Un large et doux frisson glissa dès lors sur elle
      Et, pour le ressentir jusqu'au fond de sa chair,
      Eve, contre son coeur, serrait ses deux mains frêles.
      L'archange, avec angoisse, interrogeait, la nuit,
      Le brusque et violent réveil de la dormeuse
      Et les gestes épars de son étrange ennui,
      Mais Eve demeurait close et silencieuse.
      Il consultait en vain les fleurs et les oiseaux
      Qui vivaient avec elle au bord des sources nues,
      Et le miroir fidèle et souterrain des eaux
      D'où peut-être sourdait sa pensée inconnue.
      Un soir qu'il se penchait, avec des doigts pieux,
      Doucement, lentement, pour lui fermer les yeux,
      Eve bondit soudain hors de son aile immense.
      Oh ! l'heureuse, subite et féconde démence,
      Que l'ange, avec son coeur trop pur, ne comprit pas.
      Elle était loin qu'il lui tendait encor les bras
      Tandis qu'elle levait déjà son corps sans voiles
      Eperdument, là-bas, vers des brasiers d'étoiles.

      Adam la vit ainsi et tout son coeur trembla.

      Jadis, quand, au soir descendant, ses courses
      De marcheur solitaire erraient par là,
      Joueuse, il l'avait vue au bord des sources
      Vouloir en ses deux mains saisir
      Les bulles d'eau fugaces
      Que les sables du fond lançaient vers la surface ;
      Il l'avait vue encore ardente au seul plaisir
      De ployer vers le sol, avec des doigts agiles,
      Les brins d'herbe légers
      Et d'y regarder luire et tout à coup bouger
      Les insectes fragiles ;
      Eve n'était alors qu'un bel enfant distrait
      Quand lui, l'homme, cherchait déjà quel-que autre vie
      Non asservie,
      Là-bas, au loin, parmi les monts et les forêts.

      Eve voulait aimer, Adam voulait connaître ;
      Et de la voir ainsi, vers l'ombre et la splendeur
      Tendue, il devina soudain quel nouvel être
      Eve, à son tour, sentait naître et battre en son coeur.

      Il s'approcha, ardent et gauche, avec la crainte
      D'effaroucher ces yeux dans leur songe perdus ;
      Des grappes de parfums tombaient des térébinthes
      Et le sol était chaud de parfums répandus.

      Il hésitait et s'attardait quand la belle Eve,
      Avec un geste fier, s'empara de ses mains,
      Les baisa longuement, lentement, comme en rêve,
      Et doucement glissa leur douceur sur ses seins.

      Jusqu'au fond de sa chair s'étendit leur brûlure.
      Sa bouche avait trouvé la bouche où s'embraser
      Et ses doigts épandaient sa grande chevelure
      Sur la nombreuse ardeur de leurs premiers baisers.

      Ils s'étaient tous les deux couchés près des fontaines
      Où comme seuls témoins ne luisaient que leurs yeux.
      Adam sentait sa force inconnue et soudaine
      Croître, sous un émoi brusque et délicieux.

      Le corps d'Eve cachait de profondes retraites
      Douces comme la mousse au vent tiède du jour
      Et les gazons foulés et les gerbes défaites
      Se laissaient écraser sous leur mouvant amour.

      Et quand le spasme enfin sauta de leur poitrine
      Et les retint broyés entre leurs bras raidis,
      Toute la grande nuit amoureuse et féline
      Fit plus douce sa brise au coeur du paradis.

      Soudain
      Un nuage d'abord lointain,
      Mais dont se déchaînait le tournoyant vertige
      Au point de n'être plus que terreur et prodige,
      Bondit de l'horizon au travers de la nuit.
      Adam releva Eve et serra contre lui
      Le pâle et doux effroi de sa chair frissonnante.
      Le nuage approchait, livide et sulfureux,
      Il était débordant de menaces tonnantes
      Et tout à coup, au ras du sol, devant leurs yeux,
      A l'endroit même où les herbes sauvages
      Etaient chaudes encor
      D'avoir été la couche où s'aimèrent leurs corps,
      Toute la rage
      Du formidable et ténébreux nuage
      Mordit.

      Et dans l'ombre la voix du Seigneur s'entendit.
      Des feux sortaient des fleurs et des buissons nocturnes ;
      Au détour des sentiers profonds et taciturnes,
      L'épée entre leurs mains, les anges flamboyaient ;
      On entendait rugir des lions vers les astres ;
      Des cris d'aigle hélaient la mort et ses désastres ;
      Tous les palmiers géants, au bord des lacs, ployaient
      Sous le même vent dur de colère et de haine,
      Qui s'acharnait sur Eve et sur Adam, là-bas,
      Et dans l'immense nuit précipitait leurs pas
      Vers les mondes nouveaux de la ferveur humaine.

      L'ordre divin et primitif n'existait plus.
      Tout un autre univers se dégageait de l'ombre
      Où des rythmes nouveaux encore irrésolus
      Entremêlaient leur force et leurs ondes sans nombre.
      Vous les sentiez courir en vous, grands bois vermeils,
      Tumultueux de vent ou calmes de rosée,
      Et toi, montagne, et vous, neiges cristallisées
      Là-haut en des palais de gel et de soleil,
      Et toi, sol bienveillant aux fruits, aux fleurs, aux graines,
      Et toi, clarté chantante et douce des fontaines,
      Et vous, minéraux froids, subtils et ténébreux,
      Et vous, astres mêlés au tournoiement des cieux,
      Et toi, fleuve jeté aux flots océaniques,
      Et toi, le temps, et vous, l'espace et l'infini,
      Et vous enfin, cerveaux d'Eve et d'Adam, unis
      Pour la vie innombrable et pour la mort unique.

      L'homme sentit bientôt comme un multiple aimant
      Solliciter sa force et la mêler aux choses ;
      Il devinait les buts, il soupçonnait les causes
      Et les mots s'exaltaient sur ses lèvres d'amant ;
      Soir coeur naïf, sans le vouloir, aima la terre
      Et l'eau obéissante et l'arbre autoritaire
      Et les feux jaillissants des cailloux fracassés.
      Les fruits tentaient sa bouche avec leurs ors placides
      Et les raisins broyés des grappes translucides
      Illuminaient sa soif avant de l'apaiser.
      Et la chasse et la lutte et les bêtes hurlantes
      Eveillèrent l'adresse endormie en ses mains,
      Et l'orgueil le dota de forces violentes
      Pour que lui-même, un jour, bâtît seul son destin.

      Et la femme, plus belle encor depuis que l'homme
      Avait ému sa chair du frisson merveilleux,
      Vivait dans les bois d'or baignés d'aube et d'aromes
      Avec tout l'avenir dans les pleurs de ses yeux.
      C'est en elle que s'éveilla la première âme
      Faite de force douce et de trouble inconnu,
      A l'heure où tout son coeur se répandait en flammes
      Sur le germe d'enfant que serrait son flanc nu.
      Le soir, lorsque le jour dans la gloire s'achève
      Et que luisent les pieds des troncs dans les forêts,
      Elle étendait son corps déjà plein de son rêve
      Sur les pentes des rocs que le couchant dorait ;
      Ses beaux seins soulevés faisaient deux ombres rondes
      Sur sa peau frémissante et claire ainsi que l'eau,
      Et le soleil, frôlant toute sa chair féconde,
      Semblait mûrir ainsi tout le monde nouveau.
      Elle songeait, vaillante et grave, ardente et lente,
      Au sort humain multiplié par son amour,
      A la volonté belle, énorme et violente
      Qui dompterait la terre et ses forces un jour.
      Vous lui apparaissiez, vous, les douleurs sacrées,
      Et vous, les désespoirs, et vous, les maux profonds,
      Et d'avance la grande Eve transfigurée
      Prit vos mains en ses mains et vous baisa le front ;
      Mais vous aussi, grandeur, folie, audace humaines,
      Vous exaltiez son coeur pour en chasser le deuil
      Et vos transports naissants et vos ardeurs soudaines
      Lui prédirent quels bonds soulèverait l'orgueil ;
      Elle espérait en vous, recherches et pensées,
      Acharnement de vivre et de vouloir le mieux
      Dans la peine vaillante et la joie angoissée,
      Si bien que, s'en allant un soir sous le ciel bleu,
      Libre et belle, par un chemin de mousses vertes,
      Elle aperçut le seuil du paradis, là-bas :
      L'ange était accueillant, la porte était ouverte ;
      Mais, détournant la tête, elle n'y rentra pas.

      poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/emile_verhaeren/le_paradis.html

    • OÙ EN ÊTES-VOUS AVEC HUGO ?

       

        Mon grand-père maternel racontait comment, jeune garçon, il avait, du haut d'un arbre de l'avenue des Champs-Élysées, assisté à la procession des funérailles de Victor Hugo. J'avais ainsi gagné très tôt une sorte de familiarité avec l'écrivain, auquel je me sentais en fait un tout petit peu apparentée.

       

      J'ai d'abord appris des poèmes. Chaque été, les vacances chez des frère et sœurs de ma grand-mère (réunis en leur vieillesse), entretenaient mon zèle de mémorisation. J'aidais tous les matins la plus jeune de mes grand-tantes à faire le ménage de la maison (on le recommençait quotidiennement). C'est alors que, tout en passant efficacement l'o-cédar, nous nous entrerécitions tout ce que nous savions par cœur. Mises à part les tirades et « récitations » que j'apprenais en classe, du Bellay et Vigny (pour moi), La Fontaine et Lamartine (pour ma tante), faisaient nos délices. Mais Victor Hugo se taillait la part du lion.   Nous en aimions l'une et l'autre les phrases très longues, qui s'installaient sur de nombreux vers, par vagues successives. Par exemple, dans « L'enfant (grec) »,

      Que veux-tu ?… Bel enfant, que te faut-il donner

      Pour rattacher gaîment et gaîment ramener

      En boucles sur ta blanche épaule

      Ces cheveux qui du fer n'ont pas subi l'affront,

      Et qui pleurent épars autour de ton beau front,

      Comme les feuilles sur le saule ?

      Excellent apprentissage des tâches ménagères.

        J'ai lu les romans, puis le théâtre. Je me souviens en particulier des Misérables, que nous avions chez nous sous la forme de petites livraisons, ce qui donnait un nombre impressionnant de volumes (il me semble que c'était dix-neuf). Mes parents m'en autorisaient un au maximum par soirée. Ma prédilection allait aux débats moraux labyrinthiques, aux descriptions interminables (ce qu'on appelle, depuis Le Merle blanc de Musset, les « pages d'écuelle »). Je recopiais, en calligraphiant, des passages entiers de « Tempête sous un crâne » — et de l'épisode qui suivait, au tribunal. Je me souviens de quelques rédactions qu'on m'avait demandées à l'école (par exemple : « Décrivez une réunion au collège de Coqueret »), dans lesquelles j'avais inséré une porte qui s'ouvrait toute seule (« On n'a jamais su qui ouvrit la porte, mais il est certain que la porte se trouva ouverte… »). Les professeurs se plaignaient.   Les études universitaires me firent connaître L'Année terrible, Actes et paroles, Choses vues.

        Ce n'est que plus tard, en lisant ou relisant des romans, du théâtre, de la poésie même, que j'ai perçu avec quelle distance, pendant que l'action se déroule, que le héros se lamente, l'auteur, comme en-dessous, considère ce qu'il est en train d'écrire, examine la langue qui se met en œuvre. C'est ce dédoublement qui aujourd'hui m'enchante.   « On a des parents, que diable ! ou on en a eu. Qui es-tu ? Parle » dit, dans Quatrevingt-treize, le sergent à la femme trouvée dans la forêt (« Pas de lieu plus épouvantable… Tout était plein de fleurs… »). « La femme écouta, ahurie, cet — ou on en a eu — qui ressemblait plus à un cri de bête qu'à une parole humaine. » Le lecteur doit croire à la réalité de la fiction, c'est bien le moins pour un roman populaire, mais l'auteur commente l'aspect linguistique du dialogue.   Cette conversation avec le matériau d'où surgit l'écriture reste très souvent in petto — cela va jusqu'à la farce jouée au lecteur : le paradoxe de Jérimadeth est bien connu. À la fin du livre III du même roman, Lantenac atteint la côte, près du Mont-Saint-Michel, à la tombée de la nuit (il va découvrir que sa tête est mise à prix). L'instant est grave. Pourtant les noms des oiseaux de mer évoqués se prêtent à peu près tous, comme par hasard, au calembour : « les jaquets […], les mauves, les carabins, les grolles faisaient leur vacarme du soir ». Le mot « vacarme » lui-même — il s'agit d'un rite de grabuge, chaque soir, auquel se livrent ces naïves créatures — n'évoque pas seulement le fond sonore du silence et de la désolation. Son emphase est pleine d'attendrissement. Par contamination, les mots qui disent la solennité du moment semblent contenir une nuance de grandiloquence voulue, par des allitérations manifestes, des paronomases évidentes : « On sentait dans l'espace cette espèce d'inquiétude qui précède la nuit », ou « les étangs dans la plaine sombre ressemblaient à des plaques d'étain posées à plat sur le sol ». Car l'écrivain est un conteur, il est présent pendant qu'il raconte. Il fait des gestes dramatiques, mais sourit au bon lecteur. « Les goëlands et les mouettes à capuchon rentraient ; la mer c'est dehors. »   Au TNP jadis j'ai eu la chance d'assister, avec l'école, à une représentation de Ruy Blas, dans la mise en scène de Jean Vilar, avec Gérard Philipe dans le rôle-titre (Daniel Sorano était Don César). Je me souviens que j'avais été, avec toute la classe, profondément touchée par le lyrisme et le tragique. Après cette représentation, notre professeur — une dame qui alors me paraissait âgée, quelqu'un qui riait très rarement — s'était écriée, enthousiaste, oubliant toute sa retenue habituelle : « Lorsque Gérard Philipe est entré en scène, je me sentais le panache blanc d'Henri IV ! » Le bicentenaire m'a donné l'occasion de revoir la pièce dernièrement, à la Comédie Française. En entendant le texte de nouveau, après des années d'oubli, il m'a semblé qu'une seule scène, le début du troisième acte, était représentée selon ce que j'aurais attendu pour toute la pièce. Les ministres, caricaturés, se livraient sur la scène à un ballet cocasse et sinistre, avant l'entrée de Ruy Blas (« Bon appétit, messieurs ! »). Le reste de l'œuvre était représenté au premier degré. Alors que les passages lyriques me paraissent eux aussi manifester de la distance, même s'il n'y a pas de bonimenteur brechtien : « Et maintenant, curiosité unique, vous allez voir… » (je cède la parole à Don Salluste) « brûlant d'un zèle hyperbolique », le valeureux Ruy Blas « en redresseur d'abus ».   Au début du deuxième acte, la reine, triste à mourir dans son palais pendant que le roi tue six loups, a préparé pour l'envoyer en Allemagne à son cher père un petit coffret (« Oh ! la divine boîte ! »), qu'elle a fait emplir pieusement de saintes reliques, un coffret… en bois de calambour (« Ce bois de calambour est exquis !).

        Où j'en suis avec Victor Hugo ?   Si je reprends les volumes, pour feuilleter, je vois ici, là, presque à chaque page, de tout le dédale de la langue inventoriée, attrapée, surgir des lambeaux surprenants, comme des lapins et des colombes d'un chapeau.   C'est — en ouvrant au hasard —, dans « Jour de fête », l'air brûlant qui fait

      Luire en la fournaise des plaines

      La braise des coquelicots

      tandis que Paris secoue, dans un cahotement de syllabes qui se heurtent, toutes les vieilleries tyranniques,

      Noir chiffonnier qui dans sa hotte

      Porte le sombre tas des rois.

        Où j'en suis avec Victor Hugo… Mais pourquoi poser cette question, dont la formulation évoque d'un seul nom à la fois l'œuvre en entier et tout ce que nous pouvons savoir de l'homme politique et de l'écrivain quotidien ? Est-ce un piège ? Victor Hugo, qui par la renommée (le bicentenaire le prouve) a dépassé l'arbre si grand

      Qu'un cheval au galop met toujours en courant

      Cent ans à sortir de son ombre,

      ce qui était déjà beaucoup, ne serait-il plus à la mode parmi les intellectuels ? Et m'aurait-on proposé dans les mêmes termes cette effeuillaison de marguerite à propos de Montaigne ? de Diderot ? de Mallarmé ?   Devrais-je donner une réponse de pétale ?

      Jany Berretti

       

    • Les Secrètes pensées de Rafael

      Alfred de MussetPremières poésies

      Les Secrètes pensées de Rafael
      GENTILHOMME FRANCAIS
      FRAGMENT

       

       

      O vous, race des dieux, phalange incorruptible,
      Electeurs brevetés des morts et des vivants;
      Porte-clefs éternels du mont inaccessible,
      Guidés, guédés, bridés, confortables pédants!
      Pharmaciens du bon goût, distillateurs sublimes,
      Seuls vraiment immortels, et seuls autorisés;
      Qui, d'un bras dédaigneux, sur vos seins magnanimes,
      Secouant le tabac de vos jabots usés,
      Avez toussé, - soufflé, - passé sur vos lunettes
      Un parement brossé, pour les rendre plus nettes,
      Et, d'une main soigneuse ouvrant l'in-octavo,
      Sans partialité, sans malveillance aucune,
      Sans vouloir faire cas ni des ha! ni des ho!
      Avez lu posément - la Ballade à la lune!!!

      Maîtres, maîtres divins, où trouverai-je, hélas!
      Un fleuve où me noyer, une corde où me pendre,
      Pour avoir oublié de faire écrire au bas:
      Le public est prié de ne pas se méprendre...
      Chose si peu coûteuse et si simple à présent,
      Et qu'à tous les piliers on voit à chaque instant!
      Ah! povero, ohimè! - Qu'a pensé le beau sexe?
      On dit, maîtres, on dit qu'alors votre sourcil,
      En voyant cette lune, et ce point sur cet i,
      Prit l'effroyable aspect d'un accent circonflexe!

      Et vous, libres penseurs, dont le sobre dîner
      Est un conseil d'Etat, - immortels journalistes!
      Vous qui voyez encor, sur vos antiques listes,
      Errer de loin en loin le nom d'un abonné!
      Savez-vous le Pater, et les péchés des autres
      Ont-ils grâce à vos yeux; quand vous comptez les vôtres?
      - O vieux sir John Falstaff! quel rire eût soulevé
      Ton large et joyeux corps, gonflé de vin d'Espagne,
      En voyant ces buveurs, troublés par le champagne,
      Pour tuer une mouche apporter un pavé!

      Salut, jeunes champions d'une cause un peu vieille,
      Classiques bien rasés, à la face vermeille,
      Romantiques barbus, aux visages blêmis!
      Vous qui des Grecs défunts balayez le rivage,
      Ou d'un poignard sanglant fouillez le moyen âge,
      Salut! - J'ai combattu dans vos camps ennemis.
      Par cent coups meurtriers devenu respectable,
      Vétéran, je m'assois sur mon tambour crevé.
      Racine, rencontrant Shakspeare sur ma table,
      S'endort près de Boileau qui leur a pardonné.

      Mais toi, moral troupeau, dont la docte cervelle
      S'est séchée en silence aux leçons de Thénard,
      Enfants régénérés d'une mère immortelle,
      Qui savez parler vers, prose et naïf dans l'art,
      O jeunesse du siècle! intrépide jeunesse!
      Quitteras-tu pour moi le Globe ou les Débats?
      Lisez un paresseux, enfant de la paresse...
      Muse, reprends ta lyre, et rouvre-moi tes bras.

      France, ô mon beau pays! j'ai de plus d'un outrage
      Offensé ton céleste, harmonieux langage,
      Idiome de l'amour, si doux qu'à le parler
      Tes femmes sur la lèvre en gardent un sourire;
      Le miel le plus doré qui sur la triste lyre
      De la bouche et du coeur ait pu jamais couler!
      Mère de mes aïeux, ma nourrice et ma mère,
      Me pardonneras-tu? Serai-je digne encor
      De faire sous mes doigts vibrer la harpe d'or?
      Ce ne sont plus les fils d'une terre étrangère
      Que je veux célébrer, ô ma belle cité!
      Je ne sortirai pas de ce bord enchanté
      Où, près de ton palais, sur ton fleuve penchée,
      Fille de l'Occident, un soir tu t'es couchée...

      Lecteur, puisqu'il faut bien qu'à ce mot redouté
      Tôt ou tard, à présent, tout honnête homme en vienne,
      C'est, après le dîner, une faiblesse humaine
      Que de dormir une heure en attendant le thé.
      Vous le savez, hélas! alors que les gazettes
      Ressemblent aux greniers dans les temps de disettes,
      Ou lorsque, par malheur, on a, sans y penser,
      Ouvert quelque pamphlet fatal à l'insomnie,
      Quelques Mémoires sur*** - Essai de poésie...
      - O livres précieux! serait-ce vous blesser
      Que de poser son front sur vos célestes pages,
      Tandis que du calice embaumé de l'opium,
      Comme une goutte d'eau qu'apportent les orages
      Tombe ce fruit des cieux appelé somnium!
      Depuis un grand quart d'heure incliné sur sa chaise,
      Rafael (mon héros) sommeillait doucement.
      Remarquez bien, lecteur, et ne vous en déplaise,
      Que c'est tout l'opposé d'un héros de roman.
      Ses deux bras sont croisés; - une ample redingote,
      Simplicité touchante, enferme sous ses plis
      Son corps plus délicat qu'un menton de dévote,
      Et ses membres vermeils par le bain assouplis.
      Dans ses cheveux, huilés d'un baptême à la rose,
      Le zéphir mollement balance ses pieds nus,
      Et son barbet grognon, qui près de lui repose,
      Supporte fièrement ses deux pieds étendus;
      Tandis qu'à ses côtés, sous le vase d'albâtre
      Où dort dans les glaçons le bourgogne mousseux,
      Le pudding entamé, de sa flamme bleuâtre,
      Salamandre joyeuse, égaye encor les yeux.
      Son parfum, qui se mêle au tabac de Turquie,
      Croise autour des lambris son brouillard azuré,
      Qui s'enfuit comme un songe, et s'éteint par degré.

      Trois cigares le soir, quand le jeu vous ennuie,
      Son un moyen divin pour mettre à mort le temps.
      Notre âme (si Dieu veut que nous ayons une âme)
      N'est pas assurément une plus douce flamme,
      Un feu plus vif, formé de rayons plus ardents,
      Que ce sylphe léger qui plonge et se balance
      Dans le bol où le punch rit sur son trépied d'or.
      Le grog est fashionable, et le vieux vin de France
      Réveille au fond du coeur la gaîté qui s'endort.

      - Mais quel homme, fût-il né dans la Sibérie
      Des baisers engourdis de deux êtres glacés;
      Eût-on sous un cilice étouffé de sa vie
      La sève languissante et les germes usés;
      Se fût-il dans la cendre abreuvé dès l'enfance
      De végétaux sans suc et d'herbes sans chaleur;
      Quel homme, au triple aspect du punch, du vin de France,
      Et du cigarero, ne sentirait son coeur,
      Plein d'une joie ardente et d'une molle ivresse,
      S'ouvrir au paradis des rêves de jeunesse?...

      Reine, reine des cieux, ô mère des amours,
      Noble, pâle beauté, douce Aristocratie!
      Fille de la richesse... ô toi, toi qu'on oublie,
      Que notre pauvre France aimait dans ses vieux jours!
      Toi que jadis, du haut de son paratonnerre,
      Le roturier Franklin foudroya sur la terre
      Où le colon grillé gouverne en liberté
      Ses noirs, et son tabac par les lois prohibé;
      Toi qui créas Paris, tuas Athène et Sparte,
      Et, sous le dais sanglant de l'impérial pavois,
      Comme autrefois César, endormis Bonaparte
      Aux murmures lointains des peuples et des rois! -
      Toi qui, dans ton printemps, de roses couronnée,
      Et comme Iphigénie, à l'autel entraînée,
      Jeune, tombas frappée au coeur d'un coup mortel...
      - As-tu quitté la terre et regagné le ciel?
      Nous te retrouverons, perle de Cléopâtre,
      Dans la source féconde, à la teinte rougeâtre,
      Qui dans ses flots profonds un jour te consuma...

      "Hé! hé! dit une voix, parbleu! mais le voilà.
      - Messieurs, dit Rafael; entrez, j'ai fait un somme."

      http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Secr%C3%A8tes_Pens%C3%A9es_de_Rafa%C3%ABl

    • Dans ma lecture du ”Vieux saltimbanque”:Apollinaire : Zone

      p.59:

      À la fin tu es las de ce monde ancien

      Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin

      Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine
      Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes
      La religion seule est restée toute neuve la religion
      Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation

      Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme
      L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X
      Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
      D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin
      Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
      Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
      Il y a les livraisons à vingt-cinq centimes pleines d'aventures policières
      Portraits des grands hommes et mille titres divers

       

      J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom
      Neuve et propre du soleil elle était le clairon
      Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
      Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
      Le matin par trois fois la sirène y gémit
      Une cloche rageuse y aboie vers midi
      Les inscriptions des enseignes et des murailles
      Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
      J'aime la grâce de cette rue industrielle
      Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l'avenue des Ternes

      Voilà la jeune rue et tu n'es encore qu'un petit enfant
      Ta mère ne t'habille que de bleu et de blanc
      Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize
      Vous n'aimez rien tant que les pompes de l'Église
      Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette
      Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège
      Tandis qu'éternelle et adorable profondeur améthyste
      Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ
      C'est le beau lys que tous nous cultivons
      C'est la torche aux cheveux roux que n'éteint pas le vent
      C'est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère
      C'est l'arbre toujours touffu de toutes les prières
      C'est la double potence de l'honneur et de l'éternité
      C'est l'étoile à six branches
      C'est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche
      C'est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs
      Il détient le record du monde pour la hauteur

      Pupille Christ de l'œil
      Vingtième pupille des siècles il sait y faire
      Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l'air
      Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder
      lls disent qu'il imite Simon Mage en Judée
      Ils crient qu'il sait voler qu'on l'appelle voleur
      Les anges voltigent autour du joli voltigeur
      Icare Énoch Élie Apollonius de Thyane
      Flottent autour du premier aéroplane
      Ils s'écartent parfois pour laisser passer ceux que transporte la Sainte-Eucharistie
      Ces prêtres qui montent éternellement élevant l'hostie
      L'avion se pose enfin sans refermer les ailes
      Le ciel s'emplit alors de millions d'hirondelles
      À tire-d'aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux
      D'Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts
      L'oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes
      Plane tenant dans les serres le crâne d'Adam la première tête
      L'aigle fond de l'horizon en poussant un grand cri
      Et d'Amérique vient le petit colibri
      De Chine sont venus les pihis longs et souples
      Qui n'ont qu'une seule aile et qui volent par couples
      Puis voici la colombe esprit immaculé
      Qu'escortent l'oiseau-lyre et le paon ocellé
      Le phénix ce bûcher qui soi-même s'engendre
      Un instant voile tout de son ardente cendre
      Les sirènes laissant les périlleux détroits
      Arrivent en chantant bellement toutes trois
      Et tous aigles phénix et pihis de la Chine
      Fraternisent avec la volante machine

      Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule
      Des troupeaux d'autobus mugissants près de toi roulent
      L'angoisse de l'amour te serre le gosier
      Comme si tu ne devais jamais plus être aimé
      Si tu vivais dans l'ancien temps tu entrerais dans un monastère
      Vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière
      Tu te moques de toi et comme le feu de l'Enfer ton rire pétille
      Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie
      C'est un tableau pendu dans un sombre musée
      Et quelquefois tu vas le regarder de près

      Aujourd'hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées
      C'était et je voudrais ne pas m'en souvenir c'était au déclin de la be

      Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m'a regardé à Chartres
      Le sang de votre Sacré-Coeur m'a inondé à Montmartre
      Je suis malade d'ouïr les paroles bienheureuses
      L'amour dont je souffre est une maladie honteuse
      Et l'image qui te possède te fait survivre dans l'insomnie et dans l'angoisse
      C'est toujours près de toi cette image qui passe

      Maintenant tu es au bord de la Méditerranée
      Sous les citronniers qui sont en fleur toute l'année
      Avec tes amis tu te promènes en barque
      L'un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiesques
      Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs
      Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur

      Tu es dans le jardin d'une auberge aux environs de Prague
      Tu te sens tout heureux une rose est sur la table
      Et tu observes au lieu d'écrire ton conte en prose
      La cétoine qui dort dans le creux de la rose

      Épouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit
      Tu étais triste à mourir le jour où t'y vis
      Tu ressembles au Lazare affolé par le jour
      Les aiguilles de l'horloge du quartier juif vont à rebours
      Et tu recules aussi dans ta vie lentement
      En montant au Hradchin et le soir en écoutant
      Dans les tavernes chanter des chansons tchèques

      Te voici à Marseille au milieu des pastèques

      Te voici à Coblence à l'hôtel du Géant

      Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon

      Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide
      Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde
      On y loue des chambres en latin Cubicula locanda
      Je m'en souviens j'y ai passé trois jours et autant à Gouda

      Tu es à Paris chez le juge d'instruction
      Comme un criminel on te met en état d'arrestation

      Tu es fait de douloureux et de joyeux voyages
      Avant de t'apercevoir du mensonge et de l'âge
      Tu as souffert de l'amour à vingt et à trente ans
      J'ai vécu comme un fou et j'ai perdu mon temps
      Tu n'oses plus regarder tes mains et à tous moments je voudrais sangloter
      Sur toi sur celle que j'aime sur tout ce qui t'a épouvanté

      Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres immigrants
      Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants
      Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare
      Ils ont foi dans leur étoile comme les rois-mages
      Ils espèrent gagner de l'argent dans l'Argentine
      Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune
      Une famille transporte un édredon rouge comme vous transportez votre coeur
      Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels
      Quelques-uns de ces immigrants restent ici et se logent
      Rue des Rosiers ou rue des Écouffes dans des bouges
      Je les ai vus souvent le soir ils prennent l'air dans la rue
      Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs
      Il y a surtout des Juifs leurs femmes portent perruque
      Elles restent assises exsangues au fond des boutiques

      Tu es debout devant le zinc d'un bar crapuleux
      Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux

      Tu es la nuit dans un grand restaurant

      Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant
      Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant
      Elle est la fille d'un sergent de ville de Jersey

      Ses mains que je n'avais pas vues sont dures et gercées

      J'ai une pitié immense pour les coutures de son ventre

      J'humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible me bouche

      Tu es seul le matin va venir
      Les laitiers font tinter leurs bidons dans les rues
      La nuit s'éloigne ainsi qu'une belle Métive
      C'est Ferdine la fausse ou Léa l'attentive

      Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie
      Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie

      Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied
      Dormir parmi tes fétiches d'Océanie et de Guinée
      lls sont des Christs d'une autre forme et d'une autre croyance
      Ce sont les Christs inférieurs des obscures espérances

      Adieu Adieu

      Soleil cou coupé

      Guillaume Apollinaire, Alcools

    • J'ai terminé hier soir:L'année de la pensée magique(médiathèque: ça fait un peu de bien de trouver chez cette grande écr

      L'année de la pensée magique par Didion

      L'année de la pensée magique par Didion

      Joan Didion / traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pierre Demarty

      Joan Didion traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pierre Demarty

      Edité par B. Grasset , impr. 2007

      "Une cliente pas difficile !" Voilà ce que dit l'employé des services sociaux à propos de Joan Didion, lorsqu'elle apprend la mort subite de son mari. En effet, elle ne hurle pas, ne s'effondre pas, mais est-ce si simple ? Joan Didion, écrivain, femme d'écrivain, décrit avec une précision quasi clinique les étapes du deuil. La pensée magique lui fait croire à l'impossible. Elle ne veut pas jeter les chaussures de John : s'il revenait, il en aurait besoin. Tout ce cheminement dans l'acceptation, Joan Didion le rend avec beaucoup d'acuité et d'honnêteté ; c'est aussi un formidable acte de foi dans la littérature.

      http://mediatheques.saint-etienne.fr/EXPLOITATION/Default/rsc/241406/l-annee-de-la-pensee-magique-joan-didion-traduit-de-l-anglais-etats-unis-par-pierre-demarty

      p.15

      p.39

      p.44

      p.46

      p.54:

      Ses yeux bleus imparfaits. et alors dites-moi est-ce qu'il vous plaît votre garçon ... Je n'avais pas de livre de Cummings sous la main, mais dans la chambre j'ai ..

      p.57:

      Susanna Moore lut un fragment de « East Cocker », de T.S. Eliot : « l'on n'apprend à maîtriser les mots/Que pour les choses que l'on n'a plus à dire, ou la ...

      p.64:

      La personne en deuil était-elle très dépendante de la personne défunte en termes de plaisir, de soutien ou d'estime ? » Tel était l'un des critères de diagnostic ...

      p.58:

      À ne pas y regarder de près, je pouvais donner l'impression de comprendre parfaitement que la mort était irréversible. ... le jour d'hier quand il n'est plus » et j'ai fait « In paradisum deducant angeli ». Et pourtant ça ne l'a pas fait revenir.

      ABSOUTE : In Paradisum (chanté à la levée du cercueil pour se diriger vers le cimetière)

       

      In Paradisum deducant te Angeli;

      Que les Anges te conduisent au Paradis;

      in tuo adventu suscipiant te martyres,

      que les Martyrs t'accueillent à ton arrivée,

      et perducant te in civitatem sanctam Ierusalem.

      et t'introduisent dans la Jérusalem du ciel.

      Chorus angelorum te suscipiat,

      Que les Anges, en chœur, te reçoivent,

      et cum Lazaro quondam paupere æternam habeas requiem  

      et avec celui qui fut jadis le pauvre Lazare, que tu jouisses du repos éternel.

      http://notredamedesneiges.over-blog.com/article-24240850.html

      p.59

      p.60:

      http://www.frenchpeterpan.com/article-2710914.html

      P.70

      p.74:

      Ce passage est extrait du manuel de savoir-vivre d'Emily Post publié en 1922, chapitre XXIV : « Enterrements », qui accompagne le lecteur depuis le moment ...

      p.77:

      .. disparaître. Elle devient honteuse et objet d'interdit. » Le socio-anthropologue anglais Geoffrey Gorer, dans Ni pleurs ni couronnes, en 1965, avait expliqué ce ...

      p.89:

      Cinq jours plus tard, tout, à l'extérieur du service de soins intensifs au ... Plus encore qu'un jour de plus », avait-il murmuré – une autre expression de famille. C'était une réplique tirée d'un film, La Rose et la Flèche de Richard Lester.

      p.95:

      Moi-même je me suis sentie invisible pendant un certain temps, incorporelle. Il me semblait avoir traversé l'un de ces fleuves légendaires qui séparent les ..

      p.100:

      Avide son assaut, à ce feu tournoyant ! Où est Eleanor, et ce père qui était le mien ? Non pas où sont-ils aujourd'hui, morts depuis sept ans, Mais ce qu'ils ...

      p.103:

      Seuls les Episcopaliens “prennent” la communion », m'avait-il corrigée une dernière fois en ... Les Episcopaliens « prenaient », les Catholiques « recevaient

      p.121:

      Lis, apprends, révise, va aux textes. Savoir, c'est contrôler. Le matin après l'opération, avant d'aller prendre l'avion à l'aéroport de Teterboro, j'ai recherché sur ...

      p.148

      p.177:

      Pourquoi faut-il toujours que tu aies raisonPourquoi faut-il toujours que tu aies ..

      p.182:

      http://paroles.webfenua.com/chanson.php?id=3545

      P.187:

      Je ne croyais pas à la résurrection de la chair, mais je continuais de croire que, dans des circonstances favorables, il reviendrait.

      p.188:

      https://www.etudes-litteraires.com/alceste.php

      p.190:

      À certains égards, cette version-là de l'histoire est meilleure (plus « arrangée ») ; elle reconnaît au moins que la mort « change » celui ... Si les morts devaient bel et bien revenir, de quel savoir seraient-ils porteurs à leur retour ?

      p.192:

      À certains égards, cette version-là de l'histoire est meilleure (plus « arrangée ») ; elle reconnaît au moins que la mort « change » celui qui est mort, ... L'évidence me dit que je n'ai pas autorisé John à mourir, que je n'ai pas ce pouvoir-là, mais est-ce que je le crois vraiment ? ... Je ne l'avais pas suffisamment appréciée – thème récurrent à ce stade de ce que je traversais, quoi que ce fût.
       
      p.194:
       
       Etait-ce cela qu'il avait lui-même ressenti quand il était mort ?
       
      p.196:
       
       
      Tu ne sais pas plus comment tu vas mourir que moi ou qui que ce soit d'autre, avais-je dit en 1987.
       
      p.206:
       
      Ce réveil avait cessé de fonctionner l'année avant sa mort, il était impossible à réparer et, après sa mort, impossible à jeter. ... Voilàc'est ça, le cadeau d'anniversaire que je te fais.
       
      p.218:
       
       Dans un autre monde » est l'expression qui refusait de quitter mon esprit. Quintana assise à la lumière du jour dans le salon, en train de se faire tresser les cheveux.
       
      p.223:
       
       ligne blanche, quelqu'un devait marcher devant pour guider le conducteur. Malheureusement, il y avait eu un autre lieu dans ma vie où la brume était si épaisse que je devais marcher devant la voiture ... Joyeux Noël en hawaïen.
       
      p.225:
       
       C'est à propos de ce voyage à Paris que nous nous étions disputés.
       
      p.257:
       
      J'avais aussi du mal à me considérer comme une épouse. Etant donné le prix que j'accordais aux rituels de la vie domestique, le concept d'« épouse » n'aurait pas dû me paraître problématique, et pourtant si. Pendant longtemps après notre ...
       
      p.261:
       
      J'écris ces mots tandis qu'approche la fin de la première année. Le ciel sur ... Je saisis l'occasion de ces gestes partout et chaque fois que je peux les inventer, puisque en réalité je ne ressens pas encore cette foi en l'avenir.
       
      p.263:
       
      J'écris ces mots tandis qu'approche la fin de la première année. Le ciel sur New York est sombre quand je me réveille à sept heures et s'assombrit de nouveau à quatre heures de ... Je m'aperçois que nous ne nous autorisons à imaginer que des messages de ce genre, quand il s'agit de survivre.
       
      p.265:
       
      que j'avais commises : de simples erreurs de transcription, des noms, des dates erronés. Je me suis dit que c'était passager, que ça ... Mon anniversaire il y a un an, quand il m'a offert le dernier cadeau qu'il m'offrirait jamais.
       
      p.269:
       
      « Elle est toujours belle », avait dit Gerry tandis que nous quittions, lui, moi et John, le chevet de Quintana au service de soins intensifs de Beth Israel North. « Il a dit qu'elle est ... Elle s'est agrippée à la barre. Son père, non.
       
      p.276:
       Je sais pourquoi nous essayons de garder les morts en vie: nous essayons de les garder en vie afin de les garder auprès ...
       
      p.278:
       
      On n'a dû le faire qu'une demidouzaine de fois au cours des deux années qu'on a passées làbas, mais c'est ça dont je me souviens. Chaque fois, j'avais ... Nul regard ne veille sur moi, mais ça il me l'adit. DU MÊME AUTEUR ...
       
       
       
       
       
    • La Pythie

      La Pythie, exhalant la flamme
      De naseaux durcis par l’encens,
      Haletante, ivre, hurle !... l’âme
      Affreuse, et les flancs mugissants !
      Pâle, profondément mordue,
      Et la prunelle suspendue
      Au point le plus haut de l’horreur,
      Le regard qui manque à son masque
      S’arrache vivant à la vasque,
      À la fumée, à la fureur !

      Sur le mur, son ombre démente
      Où domine un démon majeur,
      Parmi l’odorante tourmente
      Prodigue un fantôme nageur,
      De qui la transe colossale,
      Rompant les aplombs de la salle,
      Si la folle tarde à hennir,
      Mime de noirs enthousiasmes,
      Hâte les dieux, presse les spasmes
      De s’achever dans l’avenir !

      Cette martyre en sueurs froides,
      Ses doigts sur mes doigts se crispant,
      Vocifère entre les ruades
      D’un trépied qu’étrangle un serpent :
      — Ah ! maudite !.. Quels maux je souffre !
      Toute ma nature est un gouffre !
      Hélas ! Entr’ouverte aux esprits,
      J’ai perdu mon propre mystère !...
      Une Intelligence adultère
      Exerce un corps qu’elle a compris !

      Don cruel ! Maître immonde, cesse
      Vite, vite, ô divin ferment,
      De feindre une vaine grossesse
      Dans ce pur ventre sans amant !
      Fais finir cette horrible scène !
      Vois de tout mon corps l’arc obscène
      Tendre à se rompre pour darder,
      Comme son trait le plus infâme,
      Implacablement au ciel l’âme
      Que mon sein ne peut plus garder !

      Qui me parle, à ma place même ?
      Quel écho me répond : Tu mens !
      Qui m’illumine ?... Qui blasphème ?
      Et qui, de ces mots écumants,
      Dont les éclats hachent ma langue,
      La fait brandir une harangue
      Brisant la bave et les cheveux
      Que mâche et trame le désordre
      D’une bouche qui veut se mordre
      Et se reprendre ses aveux ?

      Dieu ! Je ne me connais de crime
      Que d’avoir à peine vécu !...
      Mais si tu me prends pour victime
      Et sur l’autel d’un corps vaincu
      Si tu courbes un monstre, tue
      Ce monstre, et la bête abattue,
      Le col tranché, le chef produit
      Par les crins qui tirent les tempes,
      Que cette plus pâle des lampes
      Saisisse de marbre la nuit !

      Alors, par cette vagabonde
      Morte, errante, et lune à jamais,
      Soit l’eau des mers surprise, et l’onde
      Astreinte à d’éternels sommets !
      Que soient les humains faits statues,
      Les cœurs figés, les âmes tues,
      Et par les glaces de mon œil,
      Puisse un peuple de leurs paroles
      Durcir en un peuple d’idoles
      Muet de sottise et d’orgueil !

      Eh ! Quoi !... Devenir la vipère
      Dont tout le ressort de frissons
      Surprend la chair que désespère
      Sa multitude de tronçons !...
      Reprendre une lutte insensée !...
      Tourne donc plutôt ta pensée
      Vers la joie enfuie, et reviens,
      Ô mémoire, à cette magie
      Qui ne tirait son énergie
      D’autres arcanes que des tiens !

      Mon cher corps... Forme préférée,
      Fraîcheur par qui ne fut jamais
      Aphrodite désaltérée,
      Intacte nuit, tendres sommets,
      Et vos partages indicibles
      D’une argile en îles sensibles,
      Douce matière de mon sort,
      Quelle alliance nous vécûmes,
      Avant que le don des écumes
      Ait fait de toi ce corps de mort !

      Toi, mon épaule, où l’or se joue
      D’une fontaine de noirceur,
      J’aimais de te joindre ma joue
      Fondue à sa même douceur !...
      Ou, soulevés à mes narines,
      Les mains pleines de seins vivants,
      Entre mes bras aux belles anses
      Mon abîme a bu les immenses
      Profondeurs qu’apportent les vents !

      Hélas ! ô roses, toute lyre
      Contient la modulation !
      Un soir, de mon triste délire
      Parut la constellation !
      Le temple se change dans l’antre,
      Et l’ouragan des songes entre
      Au même ciel qui fut si beau !
      Il faut gémir, il faut atteindre
      Je ne sais quelle extase, et ceindre
      Ma chevelure d’un lambeau !

      Ils m’ont connue aux bleus stigmates
      Apparus sur ma pauvre peau ;
      Ils m’assoupirent d’aromates
      Laineux et doux comme un troupeau ;
      Ils ont, pour vivant amulette,
      Touché ma gorge qui halète
      Sous les ornements vipérins ;
      Étourdie, ivre d’empyreumes,
      Ils m’ont, au murmure des neumes,
      Rendu des honneurs souterrains.

      Qu’ai-je donc fait qui me condamne
      Pure, à ces rites odieux ?
      Une sombre carcasse d’âne
      Eût bien servi de ruche aux dieux !
      Mais une vierge consacrée,
      Une conque neuve et nacrée
      Ne doit à la divinité
      Que sacrifice et que silence,
      Et cette intime violence
      Que se fait la virginité !

      Pourquoi, Puissance Créatrice,
      Auteur du mystère animal,
      Dans cette vierge pour matrice,
      Semer les merveilles du mal !
      Sont-ce les dons que tu m’accordes ?
      Crois-tu, quand se brisent les cordes,
      Que le son jaillisse plus beau ?
      Ton plectre a frappé sur mon torse,
      Mais tu ne lui laisses la force
      Que de sonner comme un tombeau !

      Sois clémente, sois sans oracles !
      Et de tes merveilleuses mains,
      Change en caresses les miracles,
      Retiens les présents surhumains !
      C’est en vain que tu communiques
      À nos faibles tiges, d’uniques
      Commotions de ta splendeur !
      L’eau tranquille est plus transparente
      Que toute tempête parente
      D’une confuse profondeur !

      Va, la lumière la divine
      N’est pas l’épouvantable éclair
      Qui nous devance et nous devine
      Comme un songe cruel et clair !
      Il éclate !... Il va nous instruire !...
      Non !... La solitude vient luire
      Dans la plaie immense des airs
      Où nulle pâle architecture,
      Mais la déchirante rupture
      Nous imprime de purs déserts !

      N’allez donc, mains universelles,
      Tirer de mon front orageux
      Quelques suprêmes étincelles !
      Les hasards font les mêmes jeux !
      Le passé, l’avenir sont frères
      Et par leurs visages contraire
      Une seule tête pâlit
      De ne voir où qu’elle regarde
      Qu’une même absence hagarde
      D’îles plus belles que l’oubli.

      Noirs témoins de tant de lumières
      Ne cherchez plus... Pleurez, mes yeux !
      Ô pleurs dont les sources premières
      Sont trop profondes dans les cieux !...
      Jamais plus amère demande !...
      Mais la prunelle la plus grande
      De ténèbres se doit nourrir !...
      Tenant notre race atterrée,
      La distance désespérée
      Nous laisse le temps de mourir !

      Entends, mon âme, entends ces fleuves !
      Quelles cavernes sont ici ?
      Est-ce mon sang ?... Sont-ce les neuves
      Rumeurs des ondes sans merci ?
      Mes secrets sonnent leurs aurores !
      Tristes airains, tempes sonores,
      Que dites-vous de l’avenir !
      Frappez, frappez, dans une roche,
      Abattez l’heure la plus proche...
      Mes deux natures vont s’unir !

      Ô formidablement gravie,
      Et sur d’effrayants échelons,
      Je sens dans l’arbre de ma vie
      La mort monter de mes talons !
      Le long de ma ligne frileuse
      Le doigt mouillé de la fileuse
      Trace une atroce volonté !
      Et par sanglots grimpe la crise
      Jusque dans ma nuque où se brise
      Une cime de volupté !

      Ah ! brise les portes vivantes !
      Fais craquer les vains scellements
      Épais troupeau des épouvantes,
      Hérissé d’étincellements !
      Surgis des étables funèbres
      Où te nourrissaient mes ténèbres
      De leur fabuleuse foison !
      Bondis, de rêves trop repue,
      Ô horde épineuse et crépue,
      Et viens fumer dans l’or, Toison !

      *

      Telle, toujours plus tourmentée,
      Déraisonne, râle et rugit
      La prophétesse fomentée
      Par les souffles de l’or rougi.
      Mais enfin le ciel se déclare !
      L’oreille du pontife hilare
      S’aventure vers le futur :
      Une attente sainte la penche,
      Car une voix nouvelle et blanche
      Échappe de ce corps impur.

      *

      Honneur des Hommes, Saint LANGAGE,
      Discours prophétique et paré,
      Belles chaînes en qui s’engage
      Le dieu dans la chair égaré,
      Illumination, largesse !
      Voici parler une Sagesse
      Et sonner cette auguste Voix
      Qui se connaît quand elle sonne
      N’être plus la voix de personne
      Tant que des ondes et des bois !

      http://fr.wikisource.org/wiki/La_Pythie

    • Calendrier des notes en Novembre 2024
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    Mes recueils

    de poèmes

    Mon premier recueil de poèmes

    ISBN:978-2-9531564-1-6
    ISBN :978-2-9531564-3-0

    À propos

    est une vitrine pour Ce que j'écris(1 ere partie du titre):...

    ISBN :978-2-9531564-4-7
    ISBN:978-2-9531564-0-9
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