Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Champollion et les hiéroglyphes
La pierre de Rosette
TOUT A COMMENCE en ce mois de juillet 1799, quand l’officier français Pierre Bouchard appartenant à l’expédition que Bonaparte mène en Egypte, exhume au pied du fort Rashîd, sur la côte méditerranéenne, une stèle de basalte noire. Sans le savoir, il vient de mettre la main sur un décret datant de Ptolémée V (ca 196 av J-C) retranscrit en trois écritures, grecque, démotique et hiéroglyphique: la Pierre de Rosette.
Le moine bénédictin Dom Bernard de Montfaucon l’avait écrit: on ne pourrait déchiffrer l’égyptien ancien, langue restée jusque là hermétique aux savants européens, qu’en disposant d’“inscriptions d’anciens Égyptiens répétées ensuite en Grec”. De la rencontre de ce document et d’un jeune homme à l’intuition géniale, Jean-François Champollion va naître l’égyptologie.
La piste copte
JEAN-FRANCOIS, dans sa prime jeunesse, va se révéler être un élève particulièrement doué pour les langues orientales. Cornaqué par son frère aîné, Jacques Joseph, il va étudier à Figeac puis à Grenoble, le latin, le grec, l’hébreu mais aussi l’arabe, le syriaque et l’araméen. Son intelligence des langues le conduit très tôt à comprendre la parenté qui existe entre les grandes langues sémitiques. Lors de son premier séjour grenoblois (1801-1806), il fait la connaissance d’un moine syrien revenu d’Égypte avec l’armée française, dom Raphaël de Monachis, qui incite le jeune étudiant à s’attaquer à l’éthiopien et surtout au copte.
L’élève mettra un certain temps à redécouvrir ce que des érudits français avaient énoncé deux siècles plus tôt et que les Coptes eux-mêmes n’avaient cesser de clamer à savoir que leur langue n’est autre qu’une forme tardive de l’ancien égyptien. En 1807, Champollion alors âgé de 16 ans, présente un mémoire à l’Académie de Grenoble, dans laquelle il défend cette thèse. Sa passion pour l’Égypte ne fait que grandir; il écrira cette même année: “Je veux faire de cette antique nation une étude approfondie et continuelle (...) De tous les peuples que j’aime le mieux, je vous avouerai qu’aucun ne balance les Égyptiens dans mon cœur.”
Peu de temps après, Champollion part pour la capitale, fréquenter les cours d’arabe, de persan, d’hébreu, de syriaque, d’araméen et même de chinois, dispensé par les savants professeurs de l’École spéciale des langues orientales, fondée en 1795. Champollion continue toutefois d’approfondir son hypothèse copte, une langue, écrit-il à son frère, qu’il ne fait pas que parler, mais dans laquelle il rêve ou traduit tout ce qui lui passe par la tête: “Je travaille. Et je me livre entièrement au copte. Je veux savoir l’égyptien comme mon français parce que sur cette langue sera basé mon grand travail sur les papyrus égyptiens.”
Confronté au manque de matériaux sur le copte, il va composer ses propres outils: deux grammaire, l’une du saïdique, l’autre du bohaïrique (deux dialectes coptes), ainsi qu’un dictionnaire. Dans le processus de la découverte, l’établissement de ce dictionnaire copte va constituer une étape clé.
Champollion s’attaque aux hiéroglyphes
LES PREMIERS TRAVAUX PUBLICS de Champollion datent de 1810. De retour à Grenoble où il vient d'être nommé professeur d'histoire, il livre à l'Académie de cette ville, ses premières conclusions sur la nature des écritures des anciens Égyptiens: la première communication réaffirme l'origine commune des trois principaux types d'écriture utilisés par les Égyptiens, hiéroglyphique, hiératique et démotique, la seconde traite du sens des signes hiéroglyphiques. Ces derniers, empruntés à l'univers réel ont longtemps fait croire qu'il ne pouvait s'agir que de symboles ou d'idéogrammes. Champollion défend également l'idée selon laquelle ils doivent aussi transcrire des sons, puisqu'ils servent à écrire des noms de personnes.
Champollion ne fut pas le premier à défendre cette thèse: en 1761, l'abbé Barthélémy avait émis l'hypothèse selon laquelle les cartouches enfermeraient des noms royaux. Dans la même veine, le diplomate suédois Åkerblad avait à partir de la pierre de Rosette réussi à identifier tous les noms propres.
Les recherches de Jean-François sont brutalement ralenties par la chute de l'Empire. Bonapartistes, les frères Champollion doivent s'exiler à Figeac, loin des précieuses bibliothèques. Et cela tombe très mal, car en Angleterre, un jeune médecin-physicien, Thomas Young s'est engagé dans la course aux hiéroglyphes et s'affirme comme un prétendant sérieux au déchiffrement. Comme Champollion, Young a compris l'identité du copte et de l'égyptien. Il a identifié sur la pierre de Rosette le nom de 'Ptolémée', le déterminatif qui indique la désinence du féminin ainsi que quelques expressions. Plus important encore, il a le premier reconnu dans l'égyptien la coexistence de signes alphabétiques et non alphabétiques. Enfin, dès 1814, il a noté que certains signes démotiques dérivaient de signes hiéroglyphiques.
Après quelques moments d'abattement, Champollion continue de progresser pas à pas. Il identifie des groupes, en général des épithètes, dont , "dieu parfait" qu'il traduit par référence à la version grecque. Il sait également comment les Égyptiens évoquent l'idée du pluriel: le signe qui désigne le dieu, , a comme pluriel, .
Il se heurte par ailleurs à des obstacles de taille. Tout d'abord, les copies de hiéroglyphes dont il dispose ne sont pas toujours très fiable. Or il opère par comparaison de segments de phrase ce qui le mène souvent au contre-sens: il traduit ainsi l'expression, , "remplissant tous les deux jours les fonctions de Ptérophore du dieu", alors que la séquence véritable, , ne signifie que "(Ramsès) em-per-Rê justifié de voix". Ensuite, Champollion persiste à essayer de démontrer la nature fondamentalement idéographique des hiéroglyphes en essayant d'associer à chaque signe une valeur sémantique ce qui l'amène à des conclusions douteuses: ainsi dans le groupe , qui désigne le nom d'Osiris (Ousir), il voit comme une prière signifiant: (regarde-moi favorablement) (ô puissant) (dieu)!
Champollion devant l’Académie
E 27 AOUT 1821, il présente à l'Académie des inscriptions et belles-lettres de Paris, ses premiers résultats, affirmant notamment que l'écriture démotique n'est qu'un dérivé du hiératique, lui même une version cursives des hiéroglyphes. Puis il dresse un tableau de correspondance entre les signes hiératiques et les signes hiéroglyphiques dont ils procèdent.
Un peu plus d'un an plus tard, le 27 septembre 1822, Champollion est invité par l'Académie à présenter des résultats qui vont révolutionner l'égyptologie. Il est parti des travaux de Young qui avait proposé une transposition du cartouche de Ptolémée, selon toutefois un découpage très aléatoire. Champollion émet lui l'hypothèse que comme pour certaines autres langues de la région, seule les voyelles sonores sont retranscrites à l'aide de semi-voyelles; ainsi "Ptolemaios" en grec, devenait en égyptien "Ptolmys":
En traduisant le nom de Cléopatre en "Kleopatrà", il valide son hypothèse et peut présenter la valeur alphabétique de onze signes dont quatre semi-voyelles. Il montre également qu'en certains cas pour un même son, il peut exister plusieurs signes; ainsi le 'L' peut être transcrit par un lion ( ) ou une bouche ( ). Pour renforcer cette thèse alphabétique, il avance également le fait que sur la pierre de Rosette, 486 mots grecs sont retranscrits en 1419 hiéroglyphes. Cet écart indique à l'évidence que les hiéroglyphes ne peuvent transcrire des mots. Et c'est à partir de ses conclusions partielles que Champollion expose sa thèse: il existe une différence de nature entre la langue égyptienne proprement dite et son usage pour transcrire approximativement des sons: l'écriture hiéroglyphique est à la fois idéographique et alphabétique. Pour rédiger sa communication qu'il dédie au secrétaire perpétuel de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, Bon-Joseph Dacier, Champollion se fait aider par son frère. Celle-ci est un succès.
L’aventure continue
POURTANT ON EST ENCORE LOIN d'avoir appréhendé toute la richesse de l'écriture des anciens Égyptiens. Déjà, Champollion n'a pas révélé certains de ses résultats qui le laissent encore perplexe car ne permettent pas de trancher nettement quant à la nature idéographique ou alphabétique des hiéroglyphes. Un cartouche recopié par l'architecte Jean-Nicolas Huyot à Abou-Simbel, lui donne du fil à retordre et met sa logique à rude épreuve. Graphié , il n'est pas difficile d'en traduire les deux derniers signes car on les retrouve dans le cartouche de Ptolémée: ce sont des 'S'. Le premier signe, un cercle pointé, semble quant à lui représenter le soleil. Or Champollion sait, d'après le copte, que le soleil se lit "Rê". Reste le signe central. Il figure sur la pierre de Rosette dans une expression traduite en grec par "anniversaire". Champollion le rapproche donc du copte "hou-mice" qui signifie "jour de naissance" et en déduit que ce signe correspond au mot copte "micé", qui se traduit par "mettre au monde". Dès lors, il est en mesure de traduire un des noms les plus célèbres de l'histoire: Râ-mes-es-es, Ramsès, qu'il peut traduire par "Rê l'a mis au monde". Sur le même principe, il transcrira le cartouche de Thoutmôsis, , car il ne diffère de celui de Ramsès que par le premier signe: au lieu du dieu Rê, nous trouvons le dieu Thot (un ibis)!
En 1823, Champollion présente à l'institut plusieurs communications sur le système hiéroglyphique. La même année, il publie son Panthéon égyptien, qui connait un vif succès. Un an plus tard, paraît le Précis du système hiéroglyphique des anciens Égyptiens dans lequel il compile l'ensemble de ses recherches sur les noms de dieux et rois égyptiens et il expose l'organisation d'ensemble de l'écriture en signes phonétiques et idéographiques. Les premiers comportent une, deux ou trois consonnes, le groupe des unilitères (25 signes) formant le premier véritable alphabet de l'humanité. Les seconds se répartissant en idéogrammes qui désignent directement l'objet et en déterminatifs qui permettent de distinguer des mots formés de consonnes apparemment homophones.
Et s’achève prématurément
DE 1824 A 1825, Champollion se rend à Turin pour étudier la collection d’antiquités égyptiennes qu’a acquis le souverain de Piémont-Sardaigne. C’est l’éblouissement. Champollion découvre là les fragments du papyrus royal de Turin, vestige de l’époque de Ramsès II. Il rétablit datations et dynasties, fait œuvre d’historien.
Nommé le 14 mai 1826, directeur de la section égyptienne du musée Charles X du Louvre, pour qui il étudie et classe les collections raportées par l’expédition de Bonaparte, Champollion ne rêve toutefois que d’Égypte. Le 18 août 1828, il réalise son souhait le plus cher et débarque au pays des pharaons dans le cadre d’une mission franco-italienne. Il exulte et clame aux “Lilliputiens” européens que “L’imagination qui, en Europe, s’élance bien au-dessus de nos portiques, s’arrête et tombe impuissante au pied des cent quarante colonnes de la salle hypostyle de Karnak.”
Il ne reviendra en France que dix-sept mois plus tard, chargé d’une masse de notes, traductions de textes, étymologies, récits historiques, appréciations botaniques... l’égyptologie vient de naître. Mais son créateur ne sera pas là pour en voir les premiers pas. Il s’éteint le 4 mars 1832. Les Monuments d’Égypte et de Nubie, sa Grammaire égyptienne et son Dictionnaire égyptien ne seront publiés qu’après sa mort sous la supervision de son frère.
http://www.typographie.org/trajan/champollion/champollion_6.html
Commentaires
Epoustouflant. Il a passé sa vie entière à cela, à chercher... Il faut être vraiment passionné. Bonne nuit et merci pour cette note complète.
changer un peu le monde à force d'obstination.
un exemple
bonne nuit
bisous
Une passion au bout du rêve.
J'aime beaucoup l'atmosphère qui entoure l'égypte et son histoire.
Bonne journée.
alors il faut aller voir le site "egyptos" (note web ici)
bonne journée
bisous