Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Le roman du Figaro: un champ de batailles littéraires
Il fait un « boucan d'enfer ». Depuis la parution, en 1876, de L'Assommoir, tout Paris ne bruisse que du nom de Zola. Sa prétention de construire une oeuvre naturaliste en décrivant, dans toute sa noirceur, la condition humaine, a déclenché un beau tollé dans la république des lettres. Le Figaro a fustigé « ce réalisme qui n'est que de la malpropreté », cette crudité qui s'apparente à de la pornographie ; Le Gaulois a vomi ces « vomissements ».
Dénonçant chez ce bourgeois de gauche un « mépris néronien du peuple », la presse radicale n'a pas été en reste. Zola exulte : ça fait vendre. En octobre 1879, Nana, roman de la prostitution et des désirs du mâle, est lancé à grands coups de slogans publicitaires par Le Voltaire qui publie l'ouvrage en feuilleton. La veille du premier numéro, Le Figaro en révèle, sous la plume admirative d'Albert Wolff, le scénario détaillé.Entre deux romans, l'insatiable noircit du papier ; c'est la couleur de l'homme. Le journalisme est le marteau dont il se sert pour écraser les bibelots d'une République qui se définit par ce mot qu'il abhorre : opportuniste. Effrayé, Le Voltaire jette l'éponge ; Le Figaro la ramasse. Successeur de Villemessant à la rédaction en chef, Francis Magnard propose à Zola un salaire royal - 18 000 francs par an - pour jouer du tambour sous les fenêtres de ses amis ; et les empêcher de dormir.
Sus aux gloires usurpées !
Le Figaro reste fidèle à sa tradition : celle d'un journal d'opinions. La sienne, défendue dans un éditorial quotidien, celle des autres - de tous les autres - pour peu qu'ils aient de la plume, de l'esprit, le goût de la polémique et l'art de rameuter les foules. Zola a le profil idéal. En décembre 1878, le quotidien a assuré un large écho à son étude iconoclaste sur les romanciers contemporains, parue trois mois auparavant dans Le Messager de l'Europe. La fusillade a épargné ses amis - Goncourt, Flaubert, Daudet - mais blessé plus d'un auteur à la mode. « Tout le monde se passe Le Figaro et votre article, écrit l'un de ses proches, Henry Céard. Il y a des gens qui bisquent : les uns parce qu'ils sont nommés, les autres parce qu'ils ne sont pas cités. Daudet tremble pour votre décoration. » Il a raison, Zola va rater la Légion d'honneur. Qu'importe : en septembre 1880, insulté par ses amis républicains qui lui reprochent son entrée au Figaro, il reprend l'offensive. Sus aux gloires usurpées de la littérature et de la politique ! Entre deux études de moeurs sur l'adultère dans la bourgeoisie, le divorce ou l'éducation des jeunes filles, le tout récent quadragénaire ne ménage pas son indignation. Il en a revendre ; son énergie tient parfois du désespoir. Il vient de voir disparaître ses amis Duranty, Flaubert et sa mère. Dans le journal conservateur, il tempête contre « les ratés de la littérature et de l'art qui se partagent la France », la « bande de médiocres, affamés de bruit et de places » qui domine la politique. Il réclame leur extinction - « Je ne vois qu'un salut : supprimer les médiocres » -, demande des têtes, se paie celle du premier d'entre eux, Léon Gambetta. Lors d'un meeting à Belleville, le chef de la gauche traite ses contradicteurs d'« esclaves ivres ». Zola pouffe : « Quelle farce colossale ! Mais, Monsieur, comment se fait-il qu'ils ne buvaient pas, lorsqu'ils écoutaient vos discours, bouche béante, comme des oies qui attendent la pâtée ? » Zola déteste cette gauche qui refuse de voir le peuple tel qu'il est ; il trouve d'ailleurs la politique méprisable. « Comprenez donc, se rengorge-t-il, qu'une seule page écrite par un grand écrivain est plus importante pour l'humanité que toute une année de votre agitation de fourmilière. » Il tonne, parade, joue les outragés. Une partie du public applaudit, l'autre enrage. « Le Figaro doit être ravi, lui écrit Huysmans, les radicaux bouillonnent. » Il n'y a pas qu'eux. Les conservateurs aussi. L'arrogance de Zola, sa prétention à définir une « politique expérimen tale » en font frémir plus d'un. Des balles perdues frappent des collaborateurs du journal. Albert Wolff rue dans les brancards. Il accuse l'écrivain de « jouer des épaules pour faire le vide autour de lui ». Celui-ci rétorque. La bataille fait rage dans les colonnes du quotidien. Magnard compte les points, mais aussi les lecteurs. Parfois, il les serre, les poings : « Laissez-moi vous dire, lance-t-il à son tourmenteur, qu'un article solennel, en tête du Figaro, sur MM. de Maupassant et Alexis, après celui que vous avez consacré à MM. Céard et Huysmans dépasse vraiment la mesure. » Zola est furieux : « Un dégoût violent me prend de mes articles au Figaro. » Le 22 septembre 1881, il fait ses adieux : « Le journalisme, le dernier des métiers ; il aurait mieux valu ramasser la boue des chemins, casser des pierres, se donner à des besognes grossières et infâmes. » L'indigné s'en va. Il reviendra. Dans la république des lettres, comme dans les salons de la noblesse, Le Figaro est sans rival. Il donne de la voix, lance des polémiques, entretient les réputations. Ce pouvoir le rend snob. La loi sur la presse, que le gouvernement fait voter en juillet 1881, le laisse indifférent. Elle ne sauvera rien, n'empêchera rien, ne préviendra rien, laisse tomber Magnard, qui se souvient de la Commune. Il regrette la suppression du cautionnement, qui « va nous inonder de petits papiers quotidiens sans importance ». La France s'ennuie Le temps est loin où flottait l'esprit français, où l'on pouvait tout dire avec subtilité. Un siècle s'est écoulé. Il faut supporter le retour des Communards, le 14 Juillet, cette « niaiserie », « les hurlements, les voix crapuleuses, l'odeur animale, la Marseillaise ». La France s'ennuie, les duels se multiplient. On guette les enterrements pour faire la fête. Celui de Gambetta, en janvier 1883, ressemble au 14 Juillet. C'est tout dire. La mort accidentelle de celui dont Magnard rappelle qu'il a « fait beaucoup de mal au pays » attire la foule. Elle se presse sur le parcours. Rue de Rivoli, il y a du monde aux fenêtres. À quelques exceptions près, note le reporter du quotidien, « que des curieux venus là pour voir et s'amuser ». Ni recueillement, ni émotion pour cette cérémonie païenne. Et maintenant, s'interroge Le Figaro, conservateurs et monarchistes peuvent-ils reprendre espoir ? Magnard est sceptique : « Dire « le Roi va venir », c'est ne rien dire du tout. » Malgré sa préférence pour un système « capable de rendre à la France son rang et ses alliances naturelles », il avoue ne rien voir venir. Deux ans plus tard, les funérailles nationales de Victor Hugo donnent lieu à des scènes hallucinantes. Son agonie, soigneusement mise en scène par ses proches, est le premier spectacle médiatique qui annonce le XXe siècle. Il s'éteint le 22 mai 1885, à 13 h 27. Le Figaro édite un numéro spécial illustré qui lui vaut d'être traité de « croque-mort » par La Croix. Le transfert au Panthéon suscite un affrontement entre laïques et catholiques. Dans Le Figaro, Albert Wolff se situe au-dessus de la mêlée : « La manifestation est d'une telle grandeur que notre fierté chasse la mélancolie. » Les reporters couvrent l'événement. L'un d'entre eux note que la foule applaudit les plus belles couronnes ; un autre se félicite que l'on n'ait pas vu de drapeaux rouges.
Le lendemain, le journal publie un long hommage d'Ernest Renan à celui qui a « révélé à la poésie française son harmonie ». La littérature reprend ses droits. Maupassant signe une chronique dans laquelle il regrette que Hugo ait fini au Panthéon : « Toute son oeuvre, tous ses vers crient qu'il voulait être mis dans la terre nue. » Quelques années auparavant, l'auteur de Bel Ami, compagnon de route de Zola, ironisait dans Gil Blas sur la perte par le quotidien conservateur de ses plus grands chroniqueurs. Il l'accusait d'avoir troqué sa fantaisie contre le sérieux de la politique. Depuis, il y collabore régulièrement, y exprimant son opinion sur le divorce - cette mise à nu du romancier -, le service militaire obligatoire pour les artistes et l'opinion publique, dont il fait le procès. « Dans nos moeurs, le sentiment tend à remplacer la loi et la logique », s'indigne-t-il dans une critique qui résonne encore aujourd'hui.
« L'irrémédiable dépravation morbide d'un chaste »
En 1887, Maupassant publie un long reportage - « En l'air » - à bord d'un ballon auquel on a donné le nom d'une de ses nouvelles, Le Horla. C'est la gloire. Cette même année, Zola fait paraître, en feuilleton dans Gil Blas, La Terre, roman apocalyptique de la vie d'une famille de paysans. Encore une fois, Le Figaro va monopoliser l'attention. La diffusion de l'oeuvre n'est pas achevée que le quotidien publie un violent pamphlet contre son auteur, signé de cinq jeunes écrivains peu connus, d'inspiration naturaliste. Ils reprochent à Zola sa documentation « de pacotille », son ignorance médicale, sa méconnaissance fondamentale de la femme. Se désolidarisant du maître, confit dans l'obscénité, ils annoncent son inéluctable déchéance : « Nous sommes persuadés que La Terre n'est pas la défaillance éphémère du grand homme, mais le reliquat de compte d'une série de chutes, l'irrémédiable dépravation morbide d'un chaste. » L'attaque, reprise dans toute la presse sous le nom de « Manifeste des Cinq », ébranle les milieux littéraires. On soupçonne Daudet et les Goncourt d'avoir armé le bras des putschistes. La jalousie n'épargne pas les écrivains. Elle les habite. Zola ne répond pas. Mirbeau est outré. Le tonitruant auteur anarchiste, qui a accédé à la notoriété avec la publication du Calvaire, donne des chroniques mouvementées au Gaulois, des contes inquiétants au Gil Blas. Brouillé avec Magnard, il rêve d'entrer dans le saint des saints : Le Figaro. On les réconcilie. Le furieux déboule rue Drouot. Dès sa première chronique, il éreinte les gloires anciennes : Théophile Gautier, Sainte-Beuve. L'iconoclaste est lâché, le déboulonneur va démonter, pièce après pièce, les politicards, les peintres en mal de médaille, les « louches intérêts de boutique ». Dans son élan purificateur, il se brouille avec Rodin, qu'il admire pourtant. Le 16 janvier 1888, sa chronique - « Le chemin de la croix » - est sans appel. Il reproche au sculpteur d'avoir accepté la Légion d'honneur, « ce petit bout de ruban, déteint à toutes les ordures qu'il a touchées ». Zola ne perd rien pour attendre. Mirbeau, comme la nature, est sans pitié. En juillet 1888, l'auteur de La Terre, décoré de la Légion d'honneur, fait acte de candidature à l'Académie française. C'en est trop. Quelques années plus tôt, il félicitait Daudet d'y avoir renoncé dans une lettre ouverte publiée par Le Figaro. Mirbeau charge, taureau qui voit rouge. Titre de sa chronique : « La fin d'un homme ». L'exécution est sommaire : « Pour un bout de ruban que peut obtenir, en payant, le dernier des escrocs, pour une broderie verte que peut, en intriguant, coudre à son habit le plus navrant des imbéciles, M. Zola renie tout, luttes, amitiés anciennes, indépendance, oeuvre. »
On ne s'ennuie pas en lisant Le Figaro. De jolies femmes titrées vont au bal, des hommes d'esprit font des mots, des auteurs couronnés sont voués aux gémonies. Les républicains en prennent pour leur grade. Mais quel est donc ce bel officier qui parade, sur son cheval noir, faisant les yeux doux à la France qui rêve de revanche ? Le Figaro va-t-il céder aux sirènes du bon général Boulanger ?
Commentaires
je ne pensis que le figaro datait de si longtemps
contente de t'avoir appris quelque chose...