Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Pépère
Pépère, c’était mon grand-père. Non, pépère n’était pas mon grand-père. C’est mon grand-père. Mon grand-père paternel, le père de mon père et le mari de ma grand-mère. Mais pour moi, c’est pépère. Il est mort en 1981 (l’année où Mitterrand est devenu président) ; ça fait 17 ans. Pour moi c’était hier et il est toujours vivant dans mon cœur. Je le vois vivant. Je le revois parfaitement. J’avais 11 ans quand il est parti. Et je ne veux pas employer l’imparfait : je dirais c’est mon grand-père.
On pourrait dire qu’il a eu de la chance, non pas de mourir bien sûr mais de mourir comme il est mort. Assez vite et presque en silence, lui qui n’avait jamais vécu en silence. Ah ! Oui ! On pouvait dire qu’il avait du caractère. Non, non, pas mauvais caractère ! Du caractère ! Je n’ai pas pu le vérifier par moi-même mais on me l’a raconté : quand il avait envie de dire quelque chose, il le disait même si ça ne devait pas faire plaisir. Car en plus, il a ce qu’on appelle un franc-parler. A moi, il me parle comme à une petite-fille, sa petite-fille (il n’a pas connu ma petite sœur). J’étais une petite - fille très (trop) sage. Calme et rêveuse. Solitaire et timide. Je n’aimais rien tant que rester à la maison dans le doux cocon familial. Il faut dire qu’à la maison, il n’y avait jamais rien que la famille : Papa, Maman, Mémère et Pépère. Lui, mon pépère, il aimait le grand air, la nature, avait des copains (des copines ?) Moi, je n’aimais que ma douillette solitude familiale. Oh ! comme je le regrette ! Regrets ! Presque remords quand je repense aux nombreuses fois où il me demandait de l’accompagner là où il allait presque chaque jour. C’était la maison de campagne à cinquante kilomètres à peine mais c’était déjà trop loin de ma Maison. Une fois, une seule, je l’ai accompagné. Il portait son habituelle salopette en tissu « bleu de travail. » La couleur, je ne m’en souviens pas mais elle était souvent noire avec certainement une chemise à carreaux. La casquette qu’il ne quittait jamais (on l’a enterré avec) ; une casquette de marin bleu-marine … mais il n’était pas marin. Dans mon souvenir, il avait ses chaussons aux pieds mais les souvenirs sont parfois bizarres … Nous voilà partis sur cette route que j’ai si souvent empruntée ; d’abord par obligation, ensuite avec plaisir. La petite route et sur la droite avec le chemin de fer au-dessus. Une fois partie, je me sentais toujours bien mais pour partir … c’était la croix et la bannière. Quand on est petit, on ne sait rien. Mais même après … Jean Gabin a « chanté » : « Je sais que je ne sais rien » ; et il me fait tellement penser à pépère. Non pas une vraie ressemblance mais un « quelque chose » : une certaine gouaille, le franc-parler, l’allure. Nous voici pour déjeuner dans un petit restaurant du village où il allait chaque midi, à droite de la rue principale. Lui, très fier. Moi, très timide et toujours souriante (tout au fond, ça n’a pas beaucoup changé). Il me présente : « C’est ma petite-fille. » Moi aussi, très fière car il est fort, il me protège. Car on ne pense pas à la mort à ce moment-là. Ceux qu’on aime sont éternels. On ne pense pas qu’un jour, il n’y aura plus cette main pour vous éviter de tomber. Si on savait, on profiterait plus pleinement, on graverait chaque détail dans sa mémoire. Mais même après … Après ce moment magique (après coup bien sûr), nous sommes rentrés. J’ai parlé de la casquette et de la salopette de pépère mais je n’ai pas parlé de son physique. Ah ! Il avait une « gueule », pépère ! Un jour, alors que j’étais assise sur ses genoux, il me demanda : - « Est-ce que tu veux te marier avec moi ? - Non - Pourquoi ? - Parce que tu as le nez écrasé et les oreilles en feuilles de chou. » Ces mots d’enfant, c’est mignon mais peut-être lui ai-je fait de la peine ? En tout cas, ces mots d’enfant résument assez bien sa « gueule. » Mais ça lui donnait du charme. Son nez écrasé, c’était la boxe ! Car c’était un sportif : boxe donc mais aussi moto - ball et football. Il aimait les motos : j’ai vu une photo de lui, plus jeune et très séduisant (j’aurais craqué comme mémère). Mémère m’a même raconté qu’ils avaient eu un side-car. Quant au football, il y a même sa photo (avec son équipe) dans un livre. Oui, Pépère était un sportif et il en avait gardé une silhouette svelte et une belle allure. De plus, il était très actif. C’est pourquoi toute la famille a été surprise et inquiète en le voyant en maillot de corps quelque temps avant sa mort. Il avait pris du poids surtout autour du cœur (ce qui est très dangereux à son âge). Il était essoufflé, fatigué et ne sortait plus. Et pépère est mort. Avant, il est parti à l’hôpital d’urgence, a paru aller mieux puis est mort. C’était « mon premier mort. » C’est encore « mon seul mort », c’est-à-dire le seul qui me touchait de si près. Rien n’a plus été pareil après. Je ne veux pas dire par- là que tout a empiré. Non. Car, ce n’était pas quelqu’un de facile… pour sa femme (ma grand –mère), son fils (mon père). Et macho, avec ça comme l’étaient les hommes de cette génération (comme le sont encore souvent ceux de la mienne, d’ailleurs). Rien n’a plus n’a plus été pareil, je pense, car il était le ciment de notre famille. Autoritaire, il brusquait ceux qui l’entouraient mais c’était parfois pour leur bien. Je ne l’ai pas vu mort. A la morgue, on m’a écartée (ma grand-mère ?) Est-ce que je voulais le voir ? Pourquoi m’en a t-on empêché ? Je ne sais pas et bien que je sois encore jeune (je pense), je perds la mémoire. Les personnes âgées (comme mes grands-mères) oublient parfois la date du jour mais se souviennent très bien de leur enfance ; pour ma part, plus je m’éloigne dans le passé, moins je me souviens. Même certains événements qui ont marqué mon enfance, mon adolescence, ma vie, ont des contours vagues dans mon souvenir : mon premier flirt, mon « dépucelage » (on ne peut l’appeler que comme ça), les hommes que j’ai aimés. Bien-sûr, il y a quelques traits qui saillent dans ma mémoire et le plus marquant est sans conteste la chute du piédestal de mon père. C’était deux ans à peu près après la mort de pépère. C’est peut-être papa qui a le plus souffert de cette mort. Bien-sûr, son père le tyrannisait mais il était aussi son « tuteur » au sens propre du terme. Papa était mon héros. « Mon père, ce héros », c’est le titre d’un film. Je me souviens pas de ce que racontait ce film mais je me rappelle bien comment mon père a cessé d’être mon héros. Cependant, il n’a pas cessé d’avoir une (trop)grande influence sur moi. Mais la faute de mon père n’est pas mon sujet. Ma grand-mère (sa mère et la femme de Pépère qui vivait dans la maison que nous) disait : « Si ton père était encore là… » S’il avait été encore là, qu’aurait-il fait ? Lui qui avait engrossé une fille de quinze ans alors qu’il en avait lui-même que dix-huit. Ca ne l’aurait pas empêché, je pense, d’ « engueuler » son fils. C’était dans sa nature. Mais cela aurait-il changé quelque chose ? On ne peut pas savoir, on ne saura jamais. De même, on ne peut pas savoir ce qu’aurait pensé pépère de l’homme que j’aime depuis huit ans. Mémère (sa femme) n’arrête pas de clamer (hypocritement ?) qu’il l’aurait adoré. Mais moi, je n’en suis pas si sûre. Ce dont je suis certaine, c’est que pépère lui aurait fait savoir franchement ce qu’il pensait de lui. Au lieu de, comme son fils (mon père) et sa belle-fille (ma mère), de lui faire bonne figure, en n’en pensant pas moins…. On aurait bu sans doute bu un verre tous les trois au petit café du village. Pépère n’était pas alcoolique mais il était un bon vivant (manger, boire des petits verres, les femmes ?), ce que pour ma part, je considère comme une qualité. On se serait sûrement bien entendu à ce niveau-là tous les trois. Mais on ne le saura jamais. Car, si pépère avait vécu plus longtemps, papa n’aurait peut-être pas commis sa faute, ne serait pas tombé de son piédestal et moi, je n’aurais pas été perturbée et je n’aurais pas découvert les dangers et les joies de l’alcool, du tabac et des hommes. J’aurais, comme ma sœur ou mon frère, cru à l’amour pur avec un seul homme, le premier (et le dernier), le seul, le prince charmant. J’aurais pris mes parents comme modèle. Mais je sais que ce modèle est un mensonge et que le mensonge est quelquefois salutaire mais dans ce cas précis, dangereux. Pépère mentait sans doute mais la vérité est dans l’odeur de la feuille de menthe ou de sauge qu’il accrochait à sa salopette. Ca, je pense et j’espère ne jamais l’oublier. Tout, comme pépère qui est mort quelques mois avant l’élection de Mitterrand. Et mémère qui a dit ce jour-là, avec un trait d’humour noir, quelque chose comme : « Heureusement qu’il n’a pas vu ça. »
Commentaires
Bonjour Laura
Et oui les grands parents nous manquent, moi je me rappelle pas de mon grand-père j'ai juste connu ma grand mère mais je suis contente car elle a connu au moins l'un de mes fils.
bise
c'est vrai les grands-parents tiennent une grande place dans notre coeur
bizz laura
il y a des poèmes sur mes grand-mère: memère chérie et mémère giséle