J.-C. Z..
Ceux qui en appellent à la liberté d'expression sont parfois les plus prompts à exiger la censure au nom d'une « vigilance » aussi rigoureuse que vague.
LA CENSURE est un sujet à la mode. Les médias regorgent de « bonnes âmes » promptes à s'émouvoir en la matière. Pour un oui ou pour un non, on crie au retour de l'ordre moral, on exhume les fantômes du procureur Pinard et de ses célèbres victimes, Flaubert et Baudelaire. Il est vrai qu'avec de tels précédents on ne peut que mettre les braves gens de son côté. Sans doute est-ce précisément le rôle des « vigilants » de crier ainsi au loup, et nul ne songerait (moi le dernier) à leur en faire grief. Encore faut-il « garder raison ». Et notamment s'entendre sur les mots.
La censure au sens propre, faut-il le rappeler, est la censure « préalable » telle qu'elle existait sous l'Ancien Régime et sous l'Empire des deux Napoléons : pas de publication qui n'ait reçu auparavant une autorisation de paraître. Elle était évidemment absurde et, d'ailleurs, Malesherbes, ce grand commis qui avait été lui-même « directeur de la librairie », c'est-à-dire chargé de la censure royale, l'avait bien saisi : « Un homme qui n'aurait jamais lu que les livres qui, dans leur origine, ont paru avec l'attache expresse du gouvernement, comme la loi le prescrit, serait en arrière de ses contemporains presque d'un siècle. » On se souvient que Malesherbes, celui qui deviendra l'avocat de Louis XVI et finira sur l'échafaud, avait en son temps caché à son domicile les épreuves de l'Encyclopédie !
Or ce n'est pas sous un tel régime - tant s'en faut - que nous vivons depuis qu'en juillet 1881 le législateur a posé en principe que « la presse et l'imprimerie sont libres ». On publie librement quitte, mais ensuite seulement, à encourir les « foudres » de la justice, si d'aventure elle se trouve saisie par tel ou tel. On pourra parler d'actes de censure lorsque les procédures visent l'interdiction. Lorsqu'elles n'aspirent qu'à des dommages et intérêts... libre à chacun de se faire une religion ! À proprement parler, il n'existe donc pas aujourd'hui de véritable censure, c'est-à-dire de contrôle préalable.
On remarquera en passant qu'il n'en va pas tout à fait de même pour le cinéma, et plus généralement l'audiovisuel, autrement réglementés (autorisations d'exercice, visa d'exploitation, etc.), cette réglementation, il faut le dire aussi, n'allant toutefois pas sans contrepartie financière (soutiens divers, quotas, etc.) au bénéfice de la création.
Sans doute cette liberté conquise en 1881 ne va-t-elle pas sans garde-fous, sans contraintes, affirment les bonnes âmes que j'ai dites. Et de qualifier de censure toutes les initiatives ; d'où qu'elles viennent (particuliers, associations ou ministère public), qui veulent à tort ou à raison interdire un livre. Le plus souvent à tort, si l'on veut bien se donner la peine d'examiner la jurisprudence subséquente, c'est-à-dire les décisions qui font suite à ces procédures généralement qualifiées de « liberticides » mais qui ne peuvent intervenir qu'a posteriori, après publication. Il faut bien voir encore que non seulement ces initiatives échouent le plus souvent mais qu'elles ne sont que le résultat d'une autre liberté, consacrée elle aussi par les textes normatifs qui régissent les sociétés occidentales : le droit d'accès à un juge, tout simplement. Et je peux m'étonner que plus souvent qu'à son tour cette donnée, fondamentale elle aussi dans une société démocratique, soit passée sous silence par les contempteurs de ces actions judiciaires.
«Pogrom» est-il un roman raciste ?
Aussi bien la statistique nous apprend-elle que les décisions de condamnation sont rares. On voit bien que le livre a connu pire époque que la nôtre, qui permet d'en dire et d'en montrer beaucoup. De la tolérance et de la juste mesure de nos tribunaux, on me permettra de prendre pour exemples certains attendus extraits du jugement qui, en novembre dernier, « relaxait » Éric Bénier-Bürckel, auteur d'un roman intitulé
Pogrom, source d'une vaine poursuite pour provocation à la discrimination et à la haine ou à la violence raciale. La 17
e chambre du tribunal de Paris, après avoir rappelé que le principe de la liberté d'expression
« doit être d'autant plus largement apprécié qu'il porte sur une oeuvre littéraire, la création artistique nécessitant une liberté accrue de l'auteur qui peut s'exprimer tant sur des thèmes consensuels que sur des sujets qui heurtent, choquent ou inquiètent, que s'il ne peut impunément se livrer à l'apologie expresse et délibérée de crimes, comportements ou pensées unanimement réprouvés, il ne saurait être exigé de lui qu'il soit contraint à les dénoncer ostensiblement ». Et encore
« que la notion même d'oeuvre de fiction implique l'existence d'une distanciation qui peut être irréductible entre l'auteur lui-même et les propos ou actions de ses personnages ». Ayant enfin relevé que l'auteur
« s'est abstenu de toute dimension apologétique dans la réalisation de son projet de description et d'exploration des formes du mal », le tribunal, je l'ai dit, est entré en voie de relaxe.
Les bonnes âmes qui veillent sur la liberté d'expression constateront qu'elles ne sont pas seules dans un combat qui, j'espère aussi l'avoir montré, n'a rien de douteux.
Paul-François Paoli.
Michel Houellebecq fait partie des quelques écrivains contemporains qui ont souvent maille à partir avec la justice ; du fait de ses livres et surtout des propos qui les accompagnent. En 1998, l’auteur des Particules élémentaires s’est vu, par une décision de justice, contraint de changer la localisation et le nomd’un camping échangiste, après que ses responsables eurentmenacé l’auteur d’empêcher la diffusion de son livre. Plus grave : en septembre 2001, ses déclarations sur l’islam, qualifié, dans la revue Lire, de « religion la plus con », provoquèrent une vigoureuse polémique. Attaqué en justice par la Mosquée de Paris et la Ligue islamique mondiale, dont la cause était défendue par l’avocat Jean-Marc Varaut, Houellebecq dut se justifier devant la 17e chambre correctionnelle de Paris, le 17 septembre 2002. Soutenu par une kyrielle d’écrivains, dont Fernando Arrabal, Dominique Noguez et Philippe Sollers, l’écrivain fut relaxé le 22 octobre 2002. Le tribunal estima que ses propos, aussi critiques et violents fussent-ils, ne constituaient pas une « injure à l’endroit des musulmans ».
http://www.lefigaro.fr/litteraire/20070201.FIG000000186_michel_houellebecq_habitue_des_tribunaux.html
Commentaires
Merci beaucoup pour cette note.
Houellebecq a été relaxé ? je n'avais pas suivi cette histoire. Tous les jours on entend dire : un tel est un con" et cela ne passe pas au tribunal. Il faut de temps en temps relativiser.
Merci.
C'est écrit en fin de note....
Même si je n'aime pas trop Houellebecq, cette histoire comme celle des "caricatures" me fait peur (j'y suis d'autant plus sensible que je vis ici) parce que pour le reste, on peut presque tout dire en France.
Oui, il faut relativiser par rapport au passé et par rapport à d'autres pays comme ici où la liberté d'expression s'est amélioré mais...