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Catégories : Des expositions, La littérature

Beckett les mots mis à nu

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www.parisbeckett.com

A Beaubourg, une exposition claire et dynamique sur l'univers de l'auteur d'«En attendant Godot».
Par LANÇON Philippe
QUOTIDIEN : mercredi 21 mars 2007
Samuel Beckett Centre Georges-Pompidou, Paris IVe. Jusqu'au 25 juin.

Des mots qui la ferment, c'est rare. Ceux de Samuel Beckett ont cette élégance-là. Ils s'effacent eux-mêmes. Quand ils disent : «Je vais le leur arranger, leur charabia» (citation avant l'entrée, écrite au mur, exposée bilingue comme toutes, mi-noir mi-gris), c'est d'eux-mêmes qu'ils parlent. Ils sont là parce qu'ils ne peuvent pas ne pas y être. Ils mériteraient de n'y être pas. Ils le savent, le portent. Ils jaillissent, se regrettent, s'étranglent. En somme, ils meurent vivants, au comptoir, verre au pied, après la fin du monde. Qui a le culot d'être toujours là.

Beau et raté.

Comment montrer ça ? Donner à voir cette extinction ? Célébrer la cérémonie sans cérémonie ? L'exposition que consacre à l'auteur de Molloy le centre Pompidou s'y essaie. C'est beau. C'est clair. C'est réussi. Donc c'est raté. Au sens où l'écrivait Beckett : «Essayer encore. Rater encore. Rater mieux.» La citation est inscrite sur un mur, section oeil. Elle est aussi au dos du catalogue intitulé Objet . Une lettre inédite y donne le sens du combat que l'itinéraire va montrer : «Espérons que viendra le temps [...] où le langage sera utilisé au mieux là où il est malmené avec le plus d'efficacité. Comme nous ne pouvons pas le supprimer d'un seul coup, tâchons au moins de le discréditer.» La lettre est écrite en 1937, après un long voyage en Allemagne. L'horreur s'annonce. Beckett a compris avant. Le langage précède l'événement. Le ton suit. Le ton est en vitrine, parmi manuscrits et tapuscrits. Par exemple, dans cette lettre à Roger Blin, premier metteur en scène d' En attendant Godot : «L'esprit de la pièce, dans la mesure où elle en a, c'est que rien n'est plus grotesque que le tragique, et il faut l'exprimer jusqu'à la fin, surtout à la fin.» L'exposition n'est pas grotesque. Les musées ne sont pas faits pour ça. Mais elle le fait sentir, remonter du sérieux. Les musées servent parfois les sentiments qu'ils n'ont pas.

Champ d'onomatopées.

Huit espaces rythment le chemin, de la voix au vide. Ils sont baptisés au couperet : Voix, Restes, Truc, Scènes, oeil, Cube, Bram, Noir. Beckett est l'oiseau qui chante bref, un échassier posé sur un champ de ruines et d'onomatopées. Il a dessiné un volatile qui lui ressemble peut-être, mi-oiseau de feu, mi-oiseau de farce, posé sur un perchoir dans le blanc à petits carreaux. C'est le cahier autographe de Mercier et Camier (1946).
On entre par Voix. Dans un couloir à néons, projetée sur le mur, une bouche parle. Elle dit, en anglais, Not I («Pas moi»), un texte de 1989. Un murmure de l'acteur Michael Lonsdale enveloppe l'antichambre. En vis-à-vis, dans le dos, le négatif agrandi d'une photo de livres en rayon. Chambre noire, bibliothèque, caverne vocale, oraison de nuit et brouillard. La bouche ? «Un organe d'émission sans intellect», dit plus loin une actrice interviewée. Pour jouer Beckett, ajoute-t-elle, «il faut se déposséder, se vider de soi, de sentiments». Pour le découvrir aussi : l'exposition y aide. Restes est une salle en long, sans régularité. Des tableaux, des films underground, des manuscrits au centre de la pièce, souvent illisibles : chambre d'échos. L'image est une expérience qui épuise l'image comme le mot éteint le mot. Un néon rouge de Jean-Michel Alberola dessine cette parole : Rien. Au mur, ceci : «D'abord le corps. Non. D'abord le lieu. Non. D'abord les deux.» Cap au Pire, 1991. C'est le pays des vanités. Scènes, l'espace suivant, montre le théâtre. Le long d'un mur, des extraits de pièces. Voici Comédie, filmé en 2001, par Anthony Minghella pour la BBC : trois acteurs aux visages couverts de boue, dont Kristin Scott Thomas, plongés chacun dans une amphore. Ils récitent en anglais, à grande allure. Le champ s'élargit : un arbre mort, d'autres amphores pleines, un paysage dévasté. Les ruines elles-mêmes ont quitté Pompéi. Reste ça, des bouts de corps et un peu de langage. Dit comme si tout ce qui doit l'être était ­ presque ­ indicible. Plus loin, face aux photos de Beckett contrôlant sans fin le respect des didascalies de ses pièces d'un bout à l'autre du monde, quelques extraits fameux d 'En attendant Godot , d' Oh les beaux jours . Madeleine Renaud, Winnie d' Oh les beaux jours en 1963, parle bref, plantée en terre. Devant, sous vitrine fétiche, le sac en cuir et les accessoires que l'actrice en sortait peu à peu. Penchez-vous : le bâton de baume à lèvres était à l'huile de jojoba. Les objets sont des mots, les mots sont des objets. Geneviève Serreau, interviewée en 1968, se souvient du public des premières représentations d' En attendant Godot , quinze ans plus tôt : «C'étaient les visons qui partaient les premiers.» La pièce eut du succès. Beckett dit : «J'ai dû faire des concessions au public. Je n'en ferai plus.»

Tapis biographique.

Section oeil, cinéma (lire ci-contre). Filmés en vidéo, des écrivains parlent de l'auteur, de l'homme. Ils sont intimidés, chaleureux, simplifiés par celui dont ils parlent. Raymond Federman, souriant : «Les textes de Beckett disent ce qu'ils disent : "Qu'est-ce que je fous ici en train de faire ce que je fais ?" Il faut tenir le coup, chez Beckett. Il faut tenir le coup malgré tout.» En riant comme on boit, sec. Voilà l'espace Truc : tableaux, lettres, photos, présence des anciens, Joyce avant tout. Truc : une mine, le tapis biographique d'un homme qui a beaucoup lu, beaucoup su, beaucoup voyagé, beaucoup combattu (dans la Résistance), avant de faire le vide. Truc ? «Ce truc qu'on appelle ma vie.» Plus on avance, plus ça tourne en absurdie. Au mur, dans l'espace Cube, ceci : «Va donc pour la monotonie. C'est plus stimulant.» Bram, c'est Bram Van Velde, le peintre, l'ami, l'homme qui peint malgré comme Beckett écrit malgré. Lettre à Bram, 14 janvier 1949 : «Vous résistez en artiste, à tout ce qui vous empêche d'oeuvrer, fût-ce à l'évidence même. C'est admirable. Moi je cherche le moyen de capituler sans me taire ­ tout à fait.» Dernière salle, derniers tableaux, dernière bande : Noir. Des oeuvres de Richard Serra, de Bram encore, de Tal Coat. La voix de Beckett sort du mur, lisant Lessness : un manque intraduisible. Federman : «Il aimait les préfixes, les suffixes.» Leurs contradictions, leurs impossibilités avouées. Avec le moins de syllabes possible entre les deux. Cloison, chute et fin.

http://www.liberation.fr/culture/242289.FR.php


Et jusqu'à juin 2007, pour célébrer le 100 e anniversaire de la naissance de Beckett, le Festival Paris Beckett: http://www.parisbeckett.com/

Commentaires

  • heelo,
    Merci pour l'info, si j'ai l'occasion de monter à Paname, je passerais à beaubourg, pour voir cette expo.
    Je suis très curieux de voir çà.
    Je suis très Beckett, d'une façon théatrale.
    Merci à vous.
    Amicalement sic

  • Dans le sens de cette citation que j'adore :«Essayer encore. Rater encore. Rater mieux.»?

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