Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Bienvenue au Livre-Hôtel !
C'est le palace qui fait fureur à Manhattan : au Library Hotel, chaque étage et chaque chambre sont consacrés à des oeuvres littéraires. L'écrivain Gaspard Koenig y a dormi. Il raconte
De notre envoyé spécial à New York
Ce pourrait être la bibliothèque de Babel telle que Borges la rêvait, d'interminables galeries de livres suspendues à des hauteurs vertigineuses. Situé au coeur de Manhattan, à l'angle de Madison Avenue et de la 41 e Rue, le Library Hotel offre l'unique exemple au monde d'un hôtel intégralement conçu sur le modèle d'une bibliothèque. Chacun des douze étages correspond à un domaine de connaissances particulier ( langues, sciences, arts, littérature, histoire, etc. ), qui se décline ensuite, selon les chambres, en différents thèmes : ainsi, le 9 e étage, « Histoire », comprend les chambres « Biographies », « Géographie », « Histoire d'Asie », « Océanographie », « Histoire ancienne » et « Histoire contemporaine ». Une bibliothèque située à côté du lit est garnie d'un échantillon de 50 à 100 livres relatifs au sujet choisi. L'heureux occupant de la chambre « Biographies » aura tout le loisir de méditer les vies de George III, de Margaret Thatcher ou de Joe Di Maggio. La numérotation des 60 chambres de l'hôtel s'inspire comme de juste des principes de la classification décimale Dewey, ce système bien connu des habitués des bibliothèques qui consiste à répartir les ouvrages en 10 classes générales notées de 000 à 900, puis à opérer autant de divisions et de subdivisions que nécessaire en rajoutant des indices : notre chambre « Biographies », numéro 900. 004, sera donc un sous-ensemble de la section 900, « Histoire ». Dans l'hôtel, tout le monde trouve son compte à ce petit jeu arithmétique : les romanciers vont réviser leurs classiques en 800. 002, les avocats préparent leurs procès en 300. 006, les matheux bûchent en 500. 001. Les érudits consultent des encyclopédies en 1000. 003, tandis que les superstitieux, leurs voisins, déchiffrent leurs almanachs en 1000. 004. Les hypocondriaques se plongent dans des livres de médecine en 600. 004, et les insomniaques cherchent le remède à leur mal en 1100. 001 devant les traités de logique formelle. Les jeunes couples peuvent s'instuire en 800. 001, l'équivalent de la salle que les habitués de la bibliothèque Richelieu surnomment « l'Enfer ». N'oublions pas les enfants, envoyés en 500. 005 pour tout savoir sur les dinosaures, ou en 800. 005 pour lire le dernier conte à la mode. L'hôtel se trouve sur le Library Way, cette rue qui mène à la New York Public Library, la célèbre bibliothèque de la ville. On peut l'apercevoir depuis certaines chambres, en même temps que Madison Avenue, qui s'étire à perte de vue vers les deux extrémités de Manhattan. Tout autour, les gratte-ciel surplombent l'hôtel d'une bonne trentaine d'étages, créant cette sensation d'apesanteur si typique de Midtown. L'esprit se perd dans les livres, et les livres se perdent dans les perspectives démesurées de la Nouvelle Babylone. Si la bibliothèque est infinie, demandait Borges, possède-t-elle un catalogue ? Réponse dans la « Chambre des Chambres », la 1000. 001, consacrée précisément aux bibliothèques. « Mise en abyme » : à ces altitudes new-yorkaises, l'expression prend tout son sens. Sous ses grands airs métaphysiques, le Library Hotel reste cependant un lieu intime et confortable, répondant idéalement à la définition du boutique hotel : un établissement de luxe aux dimensions modestes, aménagé sans tape-à-l'oeil. La décoration intérieure, conçue par Andi Pepper, lui donne des allures de club anglais : tons crème, portes en bois, cuir matelassé au mur et sur les fauteuils, poignées de cuivre imitant celles des tiroirs de bibliothèque. Le choix du bois de mahogany, précieux, lourd et sombre, renforce cette atmosphère feutrée, presque confinée, si propice à la lecture ; seuls des bouquets de bambous et d'orchidées brisent par touches délicates l'austérité de l'ensemble. L'immense bibliothèque du hall, garnie de vieux livres aux reliures travaillées, donne d'emblée le ton : c'est un hôtel à découvrir par temps de pluie. Les différents salons de lecture invitent à la déambulation. Au 2 e étage, une longue pièce au bout de laquelle trône un piano quart-de-queue abrite une dizaine de bibliothèques murales, où les livres sont entassés dans un riant désordre. Le matin, une mère de famille assez pincée y lit « le Misanthrope » en prenant son petit déjeuner ; plus tard, dans la soirée, un avocat venu pour un congrès feuillette le dernier polar de John Grisham lors de la traditionnelle collation « vin et fromage ». Au 13 e étage, on trouve dans le « Cabinet des Ecrivains » quelques irréductibles solitaires enfoncés dans des fauteuils en cuir, et à demi assoupis, un livre sur les genoux, devant un feu de cheminée artificiel. Si l'on résiste à cette aimable torpeur, ce sera pour prendre la direction du « Jardin de la Poésie », situé juste en face ; une élégante véranda tout en verre et osier où l'on peut voir des professionnels de la pub plongés dans les oeuvres de Keats, de Coleridge ou de Thomas Hardy. En ratissant les chambres, les couloirs et les bibliothèques communes du Library Hotel, on réunirait au bas mot 6 000 livres, soit tout de même six fois plus que la célèbre librairie de Montaigne. Et l'on aurait devant soi le contenu d'un formidable grenier de grand-mère new-yorkaise, où l'on pourrait trouver aussi bien de vieux classiques dépareillés ( enfin l'occasion de relire Plutarque et Grotius !), des contemporains à succès ( Tom Wolfe le disputant à John le Carré ), des livres d'art ( de la sculpture rococo à l'inévitable Claude Monet ) que des ouvrages nettement plus improbables et souvent fascinants : les archives de la cour d'appel de New York de 1926, le catalogue de Sotheby's pour l'année 1987, les douze volumes de l' « Encyclopédie Britannica », « l'Interprétation des rêves » de Freud, un recueil des plus belles histoires de marins, le dictionnaire des termes géographiques, la recension des ventes aux enchères internationales en 1990, « Art et miracles dans la Byzance médiévale », un album animalier en japonais, et même le glossaire chinois-anglais des termes de la mécanique et de la métallurgie. C'est cet aspect fourre-tout qui confère au Library Hotel son charme le plus authentique. Achetés au petit bonheur chez Strand, l'immense librairie de New York, et régulièrement renouvelés, les livres circulent dans l'hôtel sans aucun contrôle, au point que quelque 200 sont volés chaque année. L'hôtel-bibliothèque ne possède pas de catalogue : aucun livre n'est indispensable. Il leur suffit de faire nombre. Quant au lecteur, il peut enfin en toute bonne conscience lire des navets, feuilleter des inventaires, ou se contenter de regarder les couvertures. Malgré ce thème omniprésent de la bibliothèque, qui va jusqu'à substituer au classique « Do not disturb » le signe « Let me read », le Library Hotel n'est pas un hôtel littéraire tel que Paris peut en offrir ( que l'on pense par exemple à l'H ôtel Pont-Royal ). On n'y trouvera guère de jeune auteur, la mèche au vent, d'éditeur en campagne ou de cocktails de remise de prix. Sa clientèle est essentiellement constituée d'hommes d'affaires, de publicitaires, d'avocats, de designers, et aussi de couples en voyage de noces, très intéressés par la chambre « Amour ». A l'image de tous les palaces internationaux, le Library Hotel fonctionne en partie comme un lieu de conférence pour cadres dirigeants. Ceux-ci disposent, au niveau du Penthouse, d'une salle de réunion qui, malgré son nom évocateur d' « Inspiration Room », ressemble à tous les bureaux d'entreprise. Le concept de l'hôtel reste avant tout marketing, et son milieu naturel celui du business. Son fondateur, Henry Kallan, n'a rien d'un bibliophile passionné ; il nous a d'ailleurs confessé ne jamais lire pour son plaisir. En revanche, il représente une des figures les plus achevées de l'American dream : débarqué en 1967 de Tchécoslovaquie, il fut d'abord employé comme simple groom, puis gravit peu à peu tous les échelons de la hiérarchie hôtelière jusqu'à créer son propre groupe, qui comporte à présent quelques-uns des hôtels les plus réputés de New York ( Giraffe, Casablanca, Elysée, Gansevoort ). Décidé à ouvrir un nouvel hôtel, Kallan remarqua un vieil immeuble de bureaux délabré en face de la New York Public Library, puis décida avec son architecte Stephen B. Jacobs de tenter l'aventure d'un Library Hotel. Celui-ci ouvrit ses portes en août 2000, et connut rapidement un immense succès, au point de figurer aujourd'hui en 5 e position dans le célèbre classement du site tripadvisor. com. Comme le dit Kallan : « Je savais que je tenais quelque chose de spécial , mais je n'aurais jamais imaginé que l'hôtel allait conquérir les coeurs de tant de voyageurs venus du monde entier. » Dans la bibliothèque de Babel, tout le monde finit par devenir lecteur. Ainsi, dans l'hôtel, les livres bougent, vivent, s'échangent. On les retrouve dans toutes les mains, délivrés de ce respect excessif dont les Français les entourent trop souvent. Ils découvrent, eux aussi, l'American way of life.
Library Hotel, 299 Madison Avenue at 41 e Street, New York City, www. libraryhotel . com. Réservations : ( 001 ) ( 1 ) 212-983-4500 . Tarifs : de 289 à 589 dollars.
Né en 1982, normalien, Gaspard Kœnig a publié en 2004 un premier roman très remarqué, « Octave avait vingt ans » (Grasset), qui lui a valu le prix Jean-Freustié, et, en 2006, « Un baiser à la russe ».
Gaspard Koenig
Le Nouvel Observateur - 2221 - 31/05/2007
Source:http://livres.nouvelobs.com/p2221/a345941.html
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Info reprise chez Jos:
http://www.lelivrophile.com/livroblog/index.php?2007/06/01/153-60-chambres-6-000-ouvrages#co