Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Jacques Martin ou l’excellence insolente
Décédé, hier à Biarritz, à l’âge de 74 ans, Jacques Martin sera resté l’une des plus grandes figures du paysage audiovisuel français pendant plus de trente ans.
Ses obsèques auront lieu jeudi 20 septembre, en la cathédrale Saint-Jean, à Lyon.
On s’est souvent moqué du style Jacques Martin, celui d’une certaine respectabilité IIIe République qui séduit les femmes mûres et rassure les seniors. Atmosphère consensuelle et familiale sans prise de risques qui faisait ricaner les intellectuels. Ce qui avait le don d’agacer cet homme infiniment plus cultivé que ce que laissait deviner l’image populaire, capable de citer dans le texte Max Jacob, Shakespeare, Jean Genêt et beaucoup d’autres, et qui avait rencontré, entre autres, Marcel Jouhandeau ou Albert Camus. Pourtant, rassembler trois à quatre millions de téléspectateurs fidèles, sans sortir les arguments massues du show à grand spectacle et de l’argent distribué à tout va, n’était déjà pas donné à tout le monde. « Dimanche Martin » avait démarré en décembre 1980, succédant à « Bon dimanche » qui existait, lui, depuis janvier 1977. Mais qu’on ne s’y trompe pas, cet aspect de Jacques Martin, bonhomme, consensuel à la limite du sirupeux, n’était qu’une infime facette du personnage, trop souvent caricaturé. Si l’impertinence a eu droit de cité à la télévision, ce fut beaucoup grâce à ce saltimbanque qui cachait son ironie sous sa bedaine rebondie. Tout en s’en servant pour masquer ses défaillances. « Les gros aux yeux ronds sont les personnes les plus sensibles du monde. Les couches de graisse, c’est mon bouclier et les strates de mes souffrances. »
La pépinière Canal + – avec en tête « Les Guignols de l’info » , le journal de Jules-Édouard Moustic et celui de Karl Zéro à ses débuts – s’est directement nourrie des « Petit Rapporteur », « Par le petit bout de la lorgnette » ou « Ainsi font, font, font… » , des émissions créées par un Jacques Martin facétieux. L’air de ne pas y toucher avec sa « pêche aux moules, moules, moules, je veux pas y’aller, maman », il dynamitait le dimanche avec sa bande composée de fidèles amis : Pierre Desproges, Stéphane Collaro (« Tonton Mayonnaise »), Pierre Bonte, Piem, Daniel Prevost. Un numéro qu’il avait déjà affûté avec Jean Yanne, d’abord à la radio sur Europe 1, puis en 1964 sur la première chaîne avec le magazine « 1 = 3 ». L’ORTF croulait alors sur les lettres de louanges et d’injures. Le couple infernal ne passait pas inaperçu. Un avoué en retraite ira même jusqu’à attaquer l’ORTF et son ministre de tutelle pour « avoir ridiculisé l’Empire ». Il sera débouté un an plus tard par un tribunal jugeant que, n’étant pas descendant de Napoléon, il n’a pas d’intérêt dans l’affaire…
Une revanche sur l’enfance
Ce genre d’anecdotes ravissait Jacques Martin qui considérait souvent sa réussite comme une revanche sur l’enfance. Né le 22 juin 1933 à Lyon, son père industriel meurt quand il a cinq ans. Le jeune Jacques Martin passe alors plusieurs années en pension. Pas très gai, le collège des Dominicains à Oullins. Il n’a qu’une envie : sortir de cet univers étriqué. Les planches l’attirent. À l’âge de 15 ans, il monte – enfin – à Paris. Direction l’école de Charles Dullin, puis il file au Conservatoire. Il y reste peu de temps mais n’est pas découragé pour autant et pille le répertoire classique: Ruy Blas, Le Cid, Les Femmes savantes ou Le Barbier de Séville… Le matin, il fait des petits boulots et le soir est figurant au « Français ». C’est à l’époque du service militaire qu’il se découvre une voix de chanteur lyrique et se plonge dans le répertoire de l’opéra-comique. Un critique s’emballe et écrit : « Il chante admirablement, avec un registre de voix qui va de Sinatra à Régine Crespin, en passant par Mario del Monaco… » Plus lucide, Martin dira plus tard : « J’ai compris que je n’étais pas Mozart, même si je le regretterai toute ma vie. »
L’avenir sourit cependant au jeune homme. Il n’a que l’embarras du choix pour décider de sa carrière. Jacques Martin utilise ses cordes vocales, amuse la galerie, compose même une comédie musicale intitulée Petipatapon. C’est alors qu’il rencontre Jean Yanne avec qui il choisit la radio et la télévision comme terrain de jeu, même s’il a dit, quelques années plus tard : « Moi, je n’ai jamais voulu aller à la télé. Je suis tombé dans la case télé, comme au jeu de l’oie. » Réalisateur et interprète du film Na ! en 1973, il est également acteur dans Vos gueules, les mouettes, en 1975. Sa carrière est lancée.
Il invente des concepts d’émissions, joue parfois le méchant, notamment avec Danièle Gilbert, avec qui il présente « Midi-Magazine » et qu’il surnomme « la grande sauterelle ». Il y aura ensuite « Taratata » en 1973, « Le Petit Rapporteur » de 1975 à 1976, « La Lorgnette » et « Bon Dimanche », en 1977, puis « Le monde est à vous » , « L’École des fans » , « Comme sur un plateau » et « Thé tango » … En tout, Jacques Martin aura dirigé une trentaine d’émissions avec, dernière en date « Sous vos applaudissements » , sans jamais abandonner le théâtre (J’y suis, j’y reste en 1984) et la mise en scène (La Belle Helène en 1986).
Jacques Martin avait une autre passion que l’on pouvait deviner à son physique, et ce malgré plusieurs tentatives de régime : la cuisine. Un art transmis par son grand-père maternel, chef de cuisine du tsar Nicolas II, et qu’il transmettra plus tard à son fils aîné, David. Victime d’un accident cérébral au printemps 1998 qui le laisse à moitié paralysé, Jacques Martin voit son contrat avec France 2 s’arrêter à l’été, une décision qui lui laissera un fort goût d’amertume. Depuis, il avait occasionnellement participé à une émission radiophonique avec Laurent Ruquier mais il était très diminué depuis plusieurs mois. En 1999, interrogé sur les conséquences de son accident, il avait confié à un magazine : « Moi qui suis un homme de bruit, qui parle à des salles pleines de milliers de gens, je suis devenu amoureux fou du silence. »
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Commentaires
Même si je connaissais bien Jacques MARTIN, j'ai appris encore grâce à cette note. C'est vrai que Canal + s'est inspiré de ses émissions.
Bonne journée Laura (Bona a supprimé son blog ...)
Derrière, l'homme de télé, il y avait un homme complexe et cultivé...
OUI, c'est vrai mais on ne l'a pas fréquenté et c'est pour cela que l'on ne le connait pas assez.
Je relirai ton article tranquillement, car tu as vraiment fait une excellent «reportage» Laura.
Pour moi Jacques Martin c'est un géant et un génie de la communication moderne. Moi qui suis plus âgée que toi je peux témoigner que l'arrivée du «Petit Rapporteur» a été un vrai choc «dans les familles». Nous on a adoré tout de suite mais d'autres ont mis du temps à se faire à ce nouveau style, on avait «les chansonniers», mais ce genre d'impertinence, ça n'existait pas. Vu de maintenant on ne peut que constater qu'il a «fait école»!
Et effectivement il avait bien des cordes à son arc. J'ajoute juste pour embêter mon grand petit frère que je trouve aussi qu'il chantait très bien....
Pour ajouter une composante aux éloges que tu rapportes: j'étais à Québec quand j'ai appris sa mort. Il a été à la Une des journaux, et les journaux télévisés québécois lui ont consacré la moitié de leur temps: ils ont vraiment présenté sa mort comme une perte personnelle; j'ai été étonnée de sa notoriété et de sa popularité là-bas.
Triste fin de vie toutefois, même si c'est dans un palace.
J'ai aussi fait un hommage perso si ça t'intéresse; il se trouve dans les textes en prose .... à la date de sa mort.