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Catégories : L'histoire

Pierre Miquel au Panthéon

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La disparition de Pierre Miquel?

On va être plusieurs à le regretter. Je pense plus prosaïquement à tous mes élèves (je vous déjà dit que j’ai été prof de collège pendant 12 années, ça en fait plus de 1 500 environ). Pourquoi donc? Pour une simple raison: dans les années 70-80, quand vous cherchiez des documents historiques à montrer aux élèves, il n’y avait qu’un seul type d’histoire de représenté: celle des grands hommes. Des tonnes de volumes sur Napoléon, par exemple. Ou Louis XIV, tête de gondole de tous les collèges de France.

En CDI (la bibliothèque d’un bahut), on ne trouvait que des ouvrages de 3 kg avec quatre malheureuses illustrations en noir et blanc au milieu. Les gamins regardaient tous déjà des bandes dessinées, mais question éducation, cette dernière était encore un véritable tabou. J’ai eu un jour droit à la remarque d’une collègue pour avoir prêté un Lucky Luke (perso) à un élève ; "Ça n’est pas de la littérature, ça M. Morice". Un jour, à la télé, chez Pivot, Daniel Pennac a expliqué le phénomène : en France, à l’époque, les livres c’est du relié Skyvertex ou skai, doré à l’or fin, sinon ça ne fait pas sérieux. Plein la vitrine pour faire joli, mais jamais lus. Comme l’Universalis, qu’ont tous les enseignants et qu’aucun n’utilise avec ses mômes. Les livres de poche étaient encore ainsi bannis des écoles. Pas assez sérieux.
Les grands hommes, ça va bien un temps. Elevé au biberon LeGoff de formation, je n’avais plus envie de leur expliquer comment vivait-on à une époque : comment on s’habillait, ce qu’on mangeait... ce qu’on pensait, ce qu’on écoutait, bref tout ce qui façonnait les hommes de la rue, ceux qui font les Etats avant même leurs dirigeants. Faire écouter "Ah, si on avait le charbon de la ruhr", de Jacques Hélian et son orchestre, sur un Gramophone d’époque, chanson de 3 minutes à peine qui résume tous les bouquins sur la lente montée vers la guerre de 40. Tout y est ! Regarder une scène du Capitan, avec Jean Marais, une poursuite en carrosse avec durant toute la scène une traînée stratosphérique d’avion à réaction, pour montrer la difficulté à repoduire une époque (chercher les antennes télé, un régal !) faire construire des puits égyptiens avec trois bouts de bois, ou un diaporama sur la guerre du Vietnam, qui n’était pas encore terminée. Ou pour commencer, en sixième, un questionnaire en 50 case à cocher oui ou non, dont "l’homme préhistorique se brosse les dents tous le matins", " l’homme préhistorique se fait soigner à l’hôpital"... et en dernier... une seule question ; "l’homme préhistorique peut-il mourir de vieillesse à 35 ans" ? Sur le Vietnam, on avait alors parlé de l’agent orange, dont les ravages, 30 après ne sont pas terminés, etc. Montrer des images fixes, souvent des photos tenues à bout de bras, vu que le lecteur VHS n’était pas encore là et qu’on n’avait qu’un projecteur de diapos pour 40 classes. L’archéologie de la société des médias, quoi.

Et puis, dans ce désert bibliographique, sont apparues de petites merveilles. En forme de bande dessinée... Elle s’appelaient toutes la Vie des hommes au temps... et il n’y avait qu’à remplir les points de suspension pour obtenir la vie au temps des Incas, des Egyptiens ou pendant le XIXe siècle... Une vraie mine, avec des dessins clairs et un texte précis. C’était signé Pierre Miquel, qui avait compris avant tout le monde non seulement la pédagogie, mais aussi l’air du temps. Les gamins les ont dévorés (littéralement parlant !), j’en ai racheté plusieurs exemplaires, à force, mais je ne ne m’en suis moi-même jamais lassé. Faire découvrir que les contes parlant de monstres proviennent du fait que le soir, au XVIIe encore, il n’y a pas de vitre aux fenêtres, mais du papier huilé, qui déforme tout, qu’un paysan sous Louis XIV à une drôle de démarche nécessairement car on lui a mis enfant un habit d’adulte dont on a retroussé les manches ou les jambes de pantalon, qu’un homme puisse manger toute sa vie le même plat ou presque au XVe, une bouillie à base de noix, de noisettes et non de légumes ni de viande (une idée prise à Chaunu). Bref, l’histoire telle qu’on devrait toujours l’enseigner, celle des petites gens aussi, ces oubliés des manuels. Miquel avait compris cela bien avant les autres, et était dans ce sens descendant direct de l’école des Annales de Lucien Febvre et March bloch. Un courant qui ne s’est jamais tari depuis. Et qui n’est pas prêt de se tarir.


Un grand pédagogue vient de décéder. Si on mesurait l’apport réel qu’il a pu avoir sur la tête des gamins et des adultes, Pierre Miquel devrait reposer au Panthéon. Pas moins. Il nous a assez expliqué que ce sont les hommes et leurs vies qui façonnent le monde, et non, comme beaucoup le croient encore les "grands hommes" seulement, pour qu’on décide d’en faire un, de "grand homme", en hommage à son immense talent de pédagogue. M. Miquel, en ces temps où on raconte tout et n’importe quoi, on aurait aimé un hommage national à celui qui nous a expliqué que ceux d’en bas faisaient autant l’Histoire que ceux d’en haut. Pour nous, qui nous sommes bercés de votre savoir et de votre écriture simple et claire, c’est simple, vous y êtes déjà, au Panthéon des historiens.

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Source: Agoravox

Commentaires

  • Suis-je la seule à être touchée par la mort de cet homme dont je connais le nom ET LES LIVRES depuis l'enfance?

  • Peut-être la seule à le connaître...

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