Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Françoise Sagan: les héritiers
Lire, février 2008
Ils sont six à se confier, six hommes - et pas une femme. Loin de trahir un complot macho, cette surreprésentation masculine reflète le prestige de Sagan parmi les écrivains mâles! Les cadets l'ont lue. Les aînés l'ont aussi rencontrée. Quelles influences et quels souvenirs leur a-t-elle inspirés? Leurs réactions.
Eric Neuhoff
(Dernier livre paru: Pension alimentaire, Albin Michel,
F rançoise Sagan? Elle a fait fantasmer des générations entières de jeunes écrivains qui rêvaient de devenir comme elle, riche, célèbre, et de faire la fête. Tout en écrivant d'excellents livres et en ayant un talent fou. Tout romancier en herbe qui envoyait un manuscrit espérait secrètement que le livre aurait le même succès que Bonjour tristesse. Et elle était unique, personne aujourd'hui ne peut se revendiquer d'elle, avec une vie aussi importante que l'oeuvre. Et la fête au coeur de son oeuvre. Sagan et la fête, c'est un peu comme Proust et l'asthme, ou Blondin et l'alcool, l'un ne va pas sans l'autre. Même si ses derniers romans étaient un peu bâclés, tous les premiers, Bonjour tristesse, Dans un mois, dans un an, Aimez-vous Brahms..., étaient formidables et tiennent encore la route aujourd'hui.»
Christian Authier
(Dernier livre paru: Une si douce fureur, Stock, 2006)
«Blondin et Sagan sont les deux écrivains qui allient la mélancolie et la légèreté de manière remarquable. Ils sont des emblèmes de ma sensibilité et me touchent infiniment. Chez Sagan, tous les clichés ont une part de vérité. Elle a son propre style jusque dans les titres de ses romans qui sont comme des oxymores pleins de promesses. J'aime son écriture classique et indémodable, son côté petite-cousine de Scott Fitzgerald, avec cette élégance dans la façon de présenter les blessures tout en étant dans l'élan.»
Bernard Chapuis
(Dernier livre paru: Vieux garçon, Stock, 2006)
«Chez Sagan, cas assez rare, le personnage est aussi important que l'écrivain. Fille de bonne famille, pas en rupture de ban, mais différente, elle avait de la tenue et un humour qui pouvait être assez caustique. Elle avait de l'éducation, et une culture transmise par sa famille, pas vraiment bourgeoise, bien qu'issue des beaux quartiers. C'était un sacré personnage, d'une étonnante liberté. Dans les années 1950, elle était unique. D'autres jeunes femmes buvaient, fumaient, et faisaient la fête, mais pas comme elle; d'autres portaient des pantalons, mais pas à sa façon. Ce n'était pas de la provocation gratuite, c'était simplement de la liberté, une grâce insolente. Il faut se rappeler que les codes sociaux en vigueur à l'époque étaient d'une rigueur dont on n'a pas idée aujourd'hui: une divorcée n'était plus invitée à dîner en ville, par exemple. Et elle avait cette liberté de ton, de parole et de comportement. Je l'ai rencontrée deux fois chez mon amie Inès de La Fressange. Elle était de compagnie agréable, flanquée de son "chien de races", un bâtard qui ne la quittait pas. En société elle était accorte, souriante, agréable. Personne aujourd'hui n'a son élégance, son talent, ni son indépendance. Notre époque est trop narcissique, ce que Françoise Sagan n'était pas. Si elle a été regrettée, c'est aussi à cause de son incroyable potentiel d'humour. Elle était la soeur, la copine et la complice. Son amitié avec Bernard Frank me fait penser à celle que l'on devine à la lecture de la correspondance de Sand et de Flaubert, une vraie générosité, une franche camaraderie. Un de ses plus beaux textes reste pour moi sa préface à la correspondance de Sand et Musset (Lettres d'amour, Hermann). Elle était géniale quand elle parlait de livres, de l'amitié. Les deux mots qui me viennent à l'esprit sont amitié et générosité. C'était une cigale intelligente. Mais l'hiver est passé...»
Marc Lambron
(Dernier livre paru: Mignonne, allons voir si la rose..., Grasset, 2006)
«C'est un cas typique où la légende a précédé la lecture. Parce que mes parents lisaient Paris Match à l'époque et qu'il y avait une chronique photo régulière. Sagan a été la première à faire de la "peopolisation littéraire", en existant par l'image et par les interviews. Elle était une légende vivante. L'imaginaire saganesque est formidable, avec ses frasques, les voitures, les accidents... Je ne l'ai lue que plus tard, comme critique littéraire, et je l'ai découverte comme auteur avec ses derniers livres, Les faux-fuyants, La laisse: j'ai trouvé ces textes en totale harmonie avec la légende, avec un vrai charme au sens fort du mot. Je n'ai pu redire que tardivement ce que tout le monde avait déjà dit sur elle. A ce jour, j'avoue, je n'ai toujours pas lu Bonjour tristesse. J'ai eu la chance de la rencontrer grâce à Bernard Frank. Pour un provincial comme moi, approcher une telle légende était le summum. Je me souviens d'un réveillon chez elle quand elle habitait rue de l'Université. Je n'étais pas informé de son addiction. Elle, en robe noire et collier de perles, était entourée de philosophes, de chanteurs, de banquiers et d'amis proches, et des membres de sa famille. C'était l'avant-guerre et la fin de siècle réunis. Cela tenait du bal et de la boum, avec des musiques des années 1960, et beaucoup de slows. Même Bernard Frank dansait le slow, et Sagan était là comme dans un de ses romans, discrète, mais auteur de cette fiction. Puis elle s'est retirée pour lire dans sa chambre. On change d'année, je m'efface, semblait-elle nous dire. Ses amis sont encore éblouis quand ils parlent de sa désinvolture, de ce devoir d'esprit qu'elle a maintenu jusqu'au bout. C'est un petit monstre qui vient à la fin de l'époque des grands monstres. C'est aussi le premier écrivain sans guerre, ce qui n'est pas rien. Elle commence à écrire en temps de paix. C'est la culture de l'été et de la jeunesse, un miroir des Trente Glorieuses dans ce qu'elles avaient de détaché et d'heureux, et qui s'est achevée dans le pourri et le moisi. Bonsoir tristesse...»
Adrien Goetz
(Derniers livres parus: Intrigue à l'anglaise, Grasset, 2007 et Le soliloque de l'empailleur, Le Promeneur, 2008)
«Pour le lecteur de Saint-Simon que je suis, Sagan appartenait à ce groupe surprenant de vieilles dames qui avaient choisi des pseudonymes de duchesses d'Ancien Régime pour se faire un nom: Duras, Sagan ou celle qui resta selon moi la plus jeune et mourut en 2005, à 95 ans, Aurélie Nemours, dont j'aime tant les tableaux. Du haut de leurs tabourets, ces duchesses jouaient à être indignes. Pour découvrir la jeune fille qu'elle avait été, il a fallu que j'entende un enregistrement de Bertrand Poirot-Delpech à la télévision. C'était bouleversant de la voir ensuite apparaître à l'écran et dire: "Quand je serai morte, j'aimerais qu'on repasse ça", ce que, je crois, personne ne s'est soucié de faire en 2004. Surtout, je suis tombé, dans une maison de vacances, comme il se doit, sur un exemplaire de Bonjour tristesse qui sentait le sel de mer et la crème solaire, et je l'ai tout de suite aimé. Au hasard des bouquinistes, j'ai lu un ou deux autres romans, dont je n'ai rien vraiment retenu. Puis, ce sont les titres de ses livres que j'ai trouvés séduisants. Je ne les ai pas tous lus. Certains ne sont pour moi que des têtes de chapitres dans ce joli livre autobiographique intitulé Derrière l'épaule. Je ne crois pas que ses romans m'aient "influencé", c'est pourquoi j'aimerais maintenant la relire - et lire d'elle ce qui ne se trouve plus dans les librairies.» A.D.
David Foenkinos
(Dernier livre paru: Qui se souvient de David Foenkinos?, Gallimard, 2007)
«Ala différence de ceux qui ont découvert Bernard Frank dans le sillage de Françoise Sagan, je suis venu à elle par Bernard Frank. C'est lui qui a été déterminant dans mon écriture, alors qu'elle est pour moi en périphérie. Mais j'ai lu tant de choses sur lui que j'ai l'impression de la connaître aussi. Quand, très vite, elle est devenue célèbre, il a cessé d'écrire des romans; il a été journaliste, a écrit des essais. Il disait: "Françoise Sagan est célèbre pour nous deux." Sa vie de romancier est restée dans l'ombre. J'ai lu Sagan comme tout le monde, mais ce n'est pas un écrivain qui compte pour moi. Même dans le style de vie, je serais plutôt son opposé: je ne suis pas le genre à acheter une maison après avoir raflé la mise au casino, mais plutôt à voir quinze banquiers avant!»