Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Du guy pour l’hiver
Guy de Maupassant
Chroniques
Choix et préface de Henri Mitterand, Le Livre de poche, «la Pochotèque», 1 758 pp., 28 euros.
A propos du krach, on peut lire ça : «L’immense catastrophe financière de ces temps derniers vient de prouver d’une façon définitive (ce dont on se doutait un peu, d’ailleurs, depuis pas mal d’années) que la probité est en train de disparaître. C’est à peine si on se cache aujourd’hui de n’être point un honnête homme, et il existe tant de moyens d’accommoder la conscience qu’on ne la reconnaît plus. Voler dix sous est toujours voler ; mais faire disparaître cent millions n’est point voler.»
L’article date de 1882, il est signé Guy de Maupassant, qui ajoute : «Des hommes à qui leurs fonctions et le mandat qu’ils ont, et les dispositions mêmes de la loi, interdisent tout jeu de Bourse, sont convaincus d’avoir trafiqué sans vergogne, et, quand on le leur prouve, ils font en riant un pied de nez et en sont quittes pour aller manger en paix les millions que leur ont donnés des opérations illicites.» Les éditorialistes contemporains le recopient volontiers, mais il est moins prévisible qu’eux et poursuit en affirmant que, si la pudeur se perd, elle est trop relative pour qu’on se plaigne de ses fluctuations. Et il se souvient d’une Algérienne nue qui, pour protéger la sienne, se couvrait le visage mais non le corps : «Nous étions dans le pays des autruches ! La nature n’a-t-elle pas manifestement donné le même instinct aux femmes et aux oiseaux du désert ? Il leur suffit de se cacher la tête.»
Maupassant a 32 ans, ses premiers contes l’ont fait connaître, il publie depuis quatre ans des chroniques ici et là. Dans quatre ans, il arrêtera ou presque : romans à écrire, maladie qui l’épuise, lassitude dans l’exploitation d’un genre qui, s’il permet de vivre, finit par vider le sac à phrases et à idées. Flaubert, son parrain romanesque, détestait la presse. Maupassant n’y prend son envol qu’après sa mort, le célébrant avec une ferveur, une justesse et une admiration que l’on peut souhaiter à tout écrivain : à l’encre de Maupassant, les feuilles qu’il méprisait font à l’auteur de Madame Bovary un formidable cercueil.
Les chroniques paraissent sous son nom, ou sous des pseudonymes comme Maufrigneuse, célèbre et amorale duchesse balzacienne, ou encore, quand il parle d’Algérie, quelquefois sous la signature d’«un colon», pour mieux révéler la personnalité de ceux qu’il décrit. Il en écrira environ 250. Henri Mitterand, le biographe de Zola, en a recueilli, classé et présenté une grande partie. Qu’est-ce qu’un bon chroniqueur ? Un touche-à-tout dont la devise pourrait être : «Point de lendemain», un talent qui met sa personnalité dans le sujet, petit ou grand, sans se soucier de l’échelle des valeurs, des connaissances et des notoriétés. Bref, quelqu’un de vivant, de bientôt mort, qui s’abandonne à ses qualités comme à ses défauts.
Le chroniqueur est comme le conteur, il traite de tout. De l’amour, des femmes, de l’argent, du mariage, de l’adultère, des députés, de la foule, des femmes de lettres, des chinoiseries, de ses voyages en Algérie, en Tunisie, en Corse ou en Italie, de Flaubert, de Zola, de l’art du roman et des salons où s’exposent les peintres à la mode, de Courbet qu’il a vu peindre une Vague en Normandie. Il le fait librement, naturellement, par cette phrase sans effet qui laisse couler ses sens et son caractère. Il déteste «le vocabulaire bizarre, compliqué, nombreux et chinois qu’on nous impose aujourd’hui sous le nom d’écriture artiste», inutile «pour fixer toutes les nuances de la pensée». Son artisanat narratif est, contre le roman «d’analyse», celui du «roman réaliste» : sa valeur est «dans le groupement adroit de petits faits constants d’où se dégagera le sens définitif de l’œuvre».
Le chroniqueur est plus explicite, plus relâché, plus bavard que le conteur, l’article saute avec l’humeur. Son génie de la perception se mêle à ses légèretés d’analyse, ses intuitions à ses préjugés, ses observations à ses réminiscences. Il est élitiste, misogyne, sans pitié pour la moralité bourgeoise et la médiocrité hargneuse. Il n’aime pas la masse, l’idée d’égalité, les expositions universelles, la tour Eiffel, l’Etat qui subventionne les artistes («Il n’y a pas de génie incompris. Il n’y a que des imbéciles prétentieux»). Mais, qu’il défende la littérature contre la morale ou dénonce la crétinerie avide et meurtrière de l’administration coloniale en Algérie, il est là tout entier : si «un roman, c’est la nature vue à travers un tempérament», une chronique, c’est la société vue à travers ce tempérament. Elle fait parfois écho aux problèmes qui occupent encore le salon du prêt-à-porter littéraire.
Pour sa défense, Michel Houellebecq aurait pu recopier, lui aussi, certaines chroniques de Maupassant. Accuse-t-on l’auteur de Bel-Ami d’être sordide, de se complaire dans la description du pire du journalisme et de l’humanité ? Il prie, dans le Gil Blas, «les mécontents de relire l’immortel roman qui a donné un titre à ce journal : Gil Blas, et de me faire ensuite la liste des gens sympathiques que Lesage nous a montrés, bien que dans son œuvre il ait parcouru un peu tous lesmondes.»
Quant aux adeptes (ou aux détracteurs) de «l’autofiction», ils découvriront avec intérêt comment Maupassant s’en prend aux romanciers qui, en 1889, «cherchent, par des excitations factices, par un entraînement étudié vers toutes les névroses, à produire en eux des âmes exceptionnellement bizarres qu’ils s’efforcent aussi d’exprimer par des mots exceptionnellement descriptifs, imagés et subtils. Nous arrivons donc à la peinture du moi, du moi hypertrophié par l’observation intense, du moi en qui on inocule les virus mystérieux de toutes les maladies mentales». Quatre ans plus tard, il meurt de la syphilis, à moitié fou, après quelques délires furieux.
http://www.liberation.fr/livres/0101321993-du-guy-pour-l-hiver
D'autres notes à propos de Maupassant:
http://www.lauravanel-coytte.com/search/maupassant
Aussi les autres notes "lu dans la presse":
http://www.lauravanel-coytte.com/search/lu%20dans%20la%20presse
La catégorie "littérature"
Commentaires
La citation date de 1882 : le monde ne change pas, les hommes non plus.
Un peu quand même mais la grande littérature reste...