Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Nadja : la véritable histoire
Thierry Clermont
18/06/2009 | Mise à jour : 15:22
André Breton (ici une photo non datée) rompit très vite avec Léona Delcourt. Crédits photo : AFP
«Léona, héroïne du surréalisme» de Hester Albach - Une romancière néerlandaise a retrouvé la trace de la jeune femme qui inspira à André Breton l'un des personnages féminins les plus célèbres du XXe siècle.
Une après-midi d'octobre 1926. André Breton flâne du côté de Notre-Dame-de-Lorette quand il croise une jeune femme mystérieuse. Ils se fréquentent durant une dizaine de jours. Le pape du surréalisme l'écoute, la contemple, fasciné par celle qui se voyait comme «l'âme errante», éperdu face à ses «yeux de fougère». Il note ses faits et mots, ses prémonitions et leurs «pétrifiantes coïncidences». Un vendémiaire enchanté, fait de folie, d'amour et de mort.
Le personnage de Nadja est né, il donnera lieu à l'un des plus grands récits du XXe siècle, et il rejoindra le panthéon des mythiques muses : Laure, Béatrice et Aurélia. Depuis la publication du livre qu'André Breton lui a consacré, en 1928, Nadja a donné lieu à de multiples questions, dont la cruciale : qui était-elle vraiment ? L'écrivain avait laissé quelques pistes, que des critiques comme Georges Sebbag et Marguerite Bonnet avaient tenté d'explorer. Ainsi savait-on qu'elle était née dans les environs de Lille, qu'elle s'appelait Léona Delcourt et qu'elle avait fini sa courte vie dans un asile d'aliénés. Après leur rupture, Breton ne l'a jamais revue ; il n'avait plus besoin d'elle. Point final. Le mystère restait entier.
Mais, un jour, la romancière néerlandaise Hester Albach tombe sur Nadja. Obsédée par le personnage, elle décide de se lancer dans une folle enquête pour retrouver la trace de celle qui l'a inspiré. Au terme de ses recherches, elle écrit à son tour un récit sur l'héroïne du surréalisme, où elle dévoile qui était véritablement Léona-Nadja. Elle était bien née dans le Nord, à Saint-André, dans les faubourgs de Lille, en mai 1902. À seize ans, elle accouche d'une petite fille et décide de se rendre seule à Paris, où elle vivote de petits boulots, en revendant de la cocaïne et, à l'occasion, en faisant commerce de ses charmes.
La folie de Léona Delcourt fascina André Breton.
On apprend également qu'elle écrivit une petite trentaine de lettres à Breton, après leur rupture, entre octobre 1926 et mars 1927, date de son enfermement. Lettres délirantes qui sont autant de suppliques adressées à un homme qui la fascinait et qui l'a rapidement abandonnée. Sans lui, elle perdait de la vie. Breton qui écrivit à sa femme, Simone : «Je ne l'aime pas, elle est seulement capable (…) de mettre en cause tout ce que j'aime, et la manière que j'ai d'aimer.» Il savait qu'elle avait été internée. Dans un premier temps à Sainte-Anne, puis à Bailleul, sous le ciel maussade du Nord, où elle décédera en 1941. Elle avait trente-neuf ans. En 1927, déjà, tandis que Breton s'apprêtait à rédiger Nadja, à Varengeville, fief normand de la famille Hugo, les médecins avaient rendu leur verdict : «État psychopathique polymorphe à prédominance de négativisme et de maniérisme.»
Le précieux témoignage de sa petite-fille
Vraisemblablement, Léona n'aura jamais lu Nadja, elle qui avait dit à son amant : «Tu écriras un livre sur moi. Je t'assure.» La quête de Hester Albach lui a permis non seulement de retrouver de nombreux documents précieux et reproduits ici (photos, extraits d'état-civil, rapports psychiatriques…), mais aussi la petite-fille de Léona, qui livre un précieux témoignage sur sa grand-mère et sur la chape de silence familial qui entourait son nom.
Sous l'emprise de Nadja («parce qu'en russe c'est le commencement du mot espérance»), la romancière revisite les lieux parisiens du récit. On la retrouve ainsi place Dauphine, rue Saint-Honoré, quai Malaquais, aux environs de la Conciergerie (Nadja affirmait qu'elle avait fréquenté Marie-Antoinette). Elle revient également sur la nuit d'étreinte passée dans un hôtel de Saint-Germain-en-Laye : un passage que le «mage d'Épinal» a retiré de l'édition corrigée de Nadja, parue en 1963. Ses anciens amis surréalistes ne le lui pardonneront pas. On songe aux mots de la Mélisande de Debussy : «Je ne sais pas ce que je sais. Je ne dis plus ce que je veux.» Depuis, le personnage de Nadja et ses avatars n'ont cessé de hanter la littérature. Tout récemment, elle a refait une apparition chez Yvon Le Men (Si tu me quittes, je m'en vais), chez Jacqueline de Mornex (Le pire, c'est la neige). Et qu'aurait pensé Léona-Nadja du livre de Hester Albach ? Nadja, qui s'achève sur la célèbre formule : «La beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas.»
» Léona, héroïne du surréalisme de Hester Albach, traduit du néerlandais par Arlette Ounanian, Actes Sud, 314 p., 21 €.
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