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Catégories : Mes photos, Paris(75,Ile de France):vécu,études

1, rue du DÔME le 16 septembre 2009

 

Ô Mort, vieux capitaine, il est temps, levons l’ancre.

 

À quoi bon insister sur ce qui suit ? Voici les faits : à Namur, dans l’église Saint-Loup, qu’il visite en compagnie de Félicien Rops et de Malassis, lequel est venu le rejoindre, Baudelaire est pris d’un étourdissement. Il chancelle, il tombe. Le pied, dit-il, lui a glissé. Mais le lendemain il donne des signes de trouble mental. On le ramène à Bruxelles, paralysé du côté droit, la parole déjà confuse.

Pourtant il peut encore dicter de courts billets. Et même, dans l’un d’eux, qu’il adresse, le 29 mars 1866, à Prarond, son vieux camarade de la pension Bailly et de l’École normande, pour le remercier de l’envoi de ses Airs de flûte, il lui signale un vers faux. Mais l’aphasie, en huit jours, fait de sensibles progrès. Malassis prévient Ancelle, Asselineau, Jules Troubat.

Bientôt, Ancelle arrive, toujours empressé, toujours dévoué, profondément ému. Baudelaire est transporté dans une maison de santé tenue par des religieuses. Ses facultés baissent rapidement. Madame Aupick, à son tour, est prévenue par Ancelle avec tous les ménagements possibles. C’est aujourd’hui une femme de soixante-treize ans à demi impotente. N’importe ! avec Aimée, sa servante, elle prend le train pour Bruxelles. À la vue de son fils, sa douleur éclate. Malassis mêle ses larmes aux siennes. « Quel excellent jeune homme ! dit-elle, Comme il est bon ! Ce jeune homme doit avoir une belle âme !  »

Au bout de deux semaines, les religieuses qui soignaient Baudelaire à la maison de santé s’étant scandalisées des jurons qu’il proférait, le malade est reconduit à l’hôtel du Grand-Miroir, où sa mère s’installe auprès de lui. Quand le temps est beau, il sort en voiture avec madame Aupick et Stevens, quelquefois même à pied, appuyé sur une canne. Un jour « Coco » l’emmène déjeuner à la campagne. Cependant, le malheureux a presque totalement perdu l’usage de la parole. Tantôt, il s’impatiente des vains efforts qu’il fait pour articuler un mot, tantôt il a des accès d’hilarité qui épouvantent sa mère. « Cette tête, dit-elle, a trop travaillé. » Un tel aveu, de la part de la vieille dame, pourrait sembler l’expression d’un repentir tardif. Baudelaire n’a-t-il pas été toujours méconnu des siens ? Mais non, malgré son grand âge et malgré son chagrin, Caroline est demeurée trop futile pour avoir de ces retours sur elle-même.

Dans les premiers jours de juillet, le malade est ramené à Paris. Madame Aupick l’accompagne, avec l’assistance d’Aimée. Arthur Stevens s’est joint au cortège. Asselineau, venu à la gare du Nord pour recevoir son ami, l’aperçoit de loin dans la foule, s’appuyant du bras gauche sur Arthur Stevens, le bras droit pendant, inerte, le long du corps, sa canne accrochée au bouton de son habit. Le paralytique, à son tour, le reconnaît. Il rit, d’un rire sonore, aigu, prolongé, qui glace le coeur d’Asselineau.

Après quelques jours passés à l’hôtel, Baudelaire, le 4 juillet, est transféré, par les soins d’Ancelle, à Chaillot, dans la maison de santé que dirige le docteur Émile Duval, rue du Dôme. Madame Sabatier, Léon Cladel, Champfleury, Manet et sa femme, d’autres encore, accourent, attristés. Madame Meurice obtient la permission de jouer dans la chambre du malade des fragments de Tannhäuser. Nadar même, une ou deux fois, au cours de l’automne, eut la singulière idée d’emmener Baudelaire dîner chez lui avec quelques intimes. Et le plus étonnant, c’est que le docteur ait autorisé ces sorties.

Pendant plusieurs mois, le mal demeure stationnaire. Mais l’aphasique en est resté à ces mots : Non, cré nom, non. Poulet-Malassis, répondant de Bruxelles à Asselineau, qui lui avait envoyé des nouvelles de leur pauvre ami, cite cette profonde réflexion de Trousseau : « Rappelez-vous, en voyant un aphasique qui vous paraît en possession de son intelligence, quoiqu’il ait perdu la faculté de s’exprimer, combien de fois vous avez dit, à propos de certains animaux, qu’il ne leur manquait que la parole. »

Rien de plus vrai. Si les premiers biographes de Baudelaire ont cru devoir s’étendre longuement sur cette année d’agonie, c’est sans doute parce qu’il ne leur semblait pas absurde que les amis du poète aient pu, encore à cette date, conserver quelque espoir. Mais aujourd’hui que l’on sait pertinemment que, dans l’état actuel de la médecine, la paralysie générale, une fois déclarée, est incurable, l’histoire des mois qui suivent la congestion fatale ne présente aucune espèce d’intérêt. Si triste, et répugnante, et révoltante est même cette liquéfaction progressive d’un puissant cerveau, qu’on n’a plus qu’une hâte : en finir. Pour l’état civil, Baudelaire vit encore quelque temps, mais en réalité, il est déjà mort : il a été foudroyé à Namur, dans l’église Saint-Loup. À partir du printemps 1867, le malade ne quitte plus son lit. Enfin, le 31 août de la même année, ce qui reste, en apparence, de celui qui fut Baudelaire, ce paralytique à la bouche écumeuse, cette loque lamentable, rend le dernier soupir.

Alors, le masque grimaçant se détache, tombe et, brusquement, pour quelques heures, le visage du poète reparaît, purifié, pacifié, triomphant.

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Photo perso

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