Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Jardin du Luxembourg le 17 septembre 2009
Statue par Rodo
Verlaine en pierre », Épilogues, volume complémentaire, Mercure de France, 1913
[16 juin 1911]
Verlaine en pierre. — C'est très bien que, métamorphosé en pierre, Verlaine se dresse sur une pelouse du Luxembourg, au faîte d'une stèle historiée, d'où il peut contempler d'un regard ironique le panorama des morales. Ah ! Celui-là, au moins, n'eut de préjugés d'aucune sorte et ceux qui, sur le conseil muet de l'effigie, voudront lire ses œuvres complètes, s'ils y trouvent quelques fadeurs, y trouveront aussi quelques piments. Car ce poète, en ses moments divins ou médiocres ou bas, ne sut jamais très bien ce qu'il faisait. Il se passa aisément de nos vaines distinctions du bien et du mal, du bon et du mauvais. Il était né avant la répartition des sensations en catégories, celles dont on se glorifie et celles dont on rougit : en lui, elles donnent l'exemple de la promiscuité primordiale. Les anciens, familiers avec les stupres divins, l'auraient mieux compris que nous, dont la domestication chrétienne a oblitéré l'entendement, et peut-être auraient-ils tout bonnement loué l'heureuse vertu de ses organes et la variété de leurs aptitudes. Pourquoi vouloir isoler de l'autre le poète sentimental ? La sentimentalité de Verlaine a pour piédestal l'homme sensuel. Il faut les contempler ensemble, — parallèlement. Verlaine est un exemple de sincérité humaine dont on ne peut mépriser un ordre d'aveux sans diminuer la franchise des autres. Il était ainsi, et ce n'est qu'ainsi qu'il est le miracle Verlaine.
Rémy de Gourmont