Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Ce qu’il nous laisse
HÉRITAGE | Les obsèques de Jacques Chessex seront célébrées aujourd'hui à la cathédrale de Lausanne. L’auteur lègue une œuvre à l’ancrage profondément vaudois. Témoignages et analyses.
Thierry Meyer, avec Jean-Louis Kuffer | 12.10.2009 | 00:03
La cathédrale de Lausanne accueillera, mercredi matin à 10 heures, les obsèques de Jacques Chessex. Le canton de Vaud rendra grâce à l’homme autant qu’à l’œuvre, prolifique sinon monumentale, d’un de ses plus brillants représentants en écriture.
Dès aujourd’hui, le public pourra se recueillir sur le corps de l’écrivain, qui repose à la chapelle Saint-Roch, au centre de Lausanne. L’ermite de Ropraz, comme on l’a parfois surnommé, y a été transporté dès samedi.
Depuis vendredi soir, et cette funeste explication sur «l’affaire Polanski» lors d’une soirée littéraire, les hommages pleuvent sur la dépouille du Prix Goncourt 1973.
Conseiller fédéral en charge de la Culture, Pascal Couchepin fait le parallèle avec la mort de Maurice Chappaz, et note que «c’est un nouveau pilier de la littérature romande qui disparaît». Son collègue Hans-Rudolf Merz, président de la Confédération, souligne l’évolution de l’écrivain, du tourment à «un apaisement marqué par une foi exprimée». Le chef du gouvernement vaudois, Pascal Broulis, souligne à quel point l’œuvre de Chessex, jusqu’au bout, aura provoqué le débat et la discussion parmi les Vaudois.
Que laisse Chessex dans le paysage littéraire romand, et francophone? Professeur de littérature au collège de Moudon, écrivain lui-même (il a publié une quinzaine d’ouvrages, couronnés par le Prix des écrivains vaudois et le Prix Lipp), le Tunisien d’origine Rafik ben Salah a d’abord connu Chessex comme celui qui prolongeait l’enseignement littéraire des élèves que le prof de Moudon envoyait au Gymnase de la Cité. Plus tard, le maître reconnaîtra le talent de Ben Salah. Une sorte d’amitié naît, «au bord de l’intimité: il restait néanmoins dans sa stature de maître, toujours exigeant, souvent bienveillant, parfois sans concession.»
Inimitiés et reconnaissance
Une stature qui, au gré de querelles comme les cercles littéraires savent si bien en générer, a parfois provoqué des ravages sans retour. Ancien élève, au propre comme au figuré, l’écrivain Jacques-Etienne Bovard ne veut pas s’exprimer sur Chessex. D’autres, comme Christophe Gallaz dans Le Matin Dimanche, soulignent des travers célèbres ou moins connus, une gestion de l’ego problématique. L’homme avait ses détracteurs potaches, aussi, les inventeurs satiriques de la «Chessexologie», liés à l’intelligentsia de la gauche lausannoise.
Mais l’héritage de Chessex dépasse de loin ces rancœurs. Pour le journaliste et écrivain parisien Jérôme Garcin, «ami absolu», «Maître Jacques» transpirait «l’amour fou, religieux, de son pays, le Pays de Vaud, écrit-il dans Le Matin Dimanche. Comme tous les écrivains universels, il était fidèle jusque dans la sédentarité à ses collines. Il n’y a rien de Suisse chez Chessex. Il y a du Vaudois à en déborder.»
L’œuvre de Jacques Chessex devrait être portée à l’écran: Francis Reusser tournera La Trinité l’an prochain, et Lionel Baier prévoit de réaliser Un Juif pour l’exemple.
«Derrière la femme, le drame»
Interview d'Anne-Marie Jaton, professeure de littérature française à l’Université de Pise*.
– Qu’est-ce qui vousa poussé à écrire un livre sur Jacques Chessex?
– Dès le début de sa carrière, j’ai été sensible à sa poésie et à ses nouvelles, à ses proses si denses et si belles, autant qu’à ses premiers grands livres, tels Portrait des Vaudois ou Carabas. Dans la suite de son œuvre, je suis moins sensible aux romans qu’aux autofictions du genre de L’Ogre, de Jonas le transparent ou de Pardon mère, ou aux étapes de sa quête spirituelle qu’à ses «romans Grasset». Dans son ensemble, l’œuvre, complètement étrangère aux modes – il disait que la mode est juste bonne pour les modistes – reste d’une envergure exceptionnelle.
– A-t-il collaboré au livre?
– Il m’a aidée sur certains points, mais j’ai résisté à son besoin d’imposer telle ou telle direction, comme Nicolas Bouvier l’a essayé, lui aussi, pour le livre que je lui ai consacré. L’explication de l’auteur n’est pas forcément plus équilibrée que celle du lecteur-commentateur, et Chessex a joué le jeu. Sur certains chapitres – comme celui qui traite de l’image de la femme –, il aurait pu «tiquer», alors qu’il n’en a pas changé une virgule, et s’est montré finalement intéressé et satisfait.
– Précisément, quelle image de la femme ressort-elle de son œuvre?
– A l’exception de Myriam, dans la lettre qu’il lui adresse, il n’y a guère de compagne de vie quotidienne vécue dans le temps, ni d’ailleurs d’enfants. La femme est soit objet de perte ou d’extase, entre sexe et désespoir, source de bonheur physique ou instrument de douleur. Or derrière un érotisme parfois exacerbé, il y a une souffrance, un vide, un vertige qu’on n’a pas assez perçu. Derrière la femme «icône», j’ai ressenti des profondeurs qui sont indissociables d’un drame à la fois charnel et spirituel.
J.-L. K.
* Auteure du premier essai d’ensemble sur l’œuvre: Jacques Chessex, La lumière de l’obscur, Zoé, 2001.
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