Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Après le bruit, la fureur de lire, par Pierre Assouline
Pour le reste, la tension des intolérables suspense étant retombée, les lecteurs pourront enfin lire en toute sérénité et les éditeurs se préparer à affronter une année 2010 semée de célébrations convenues. Attendez-vous donc à entendre parler de Jules Renard, Jean Anouilh, Julien Gracq, Jean Genet, Albert Camus, Jules Supervielle, Pierre Reverdy, Honoré de Balzac, selon qu'ils ont eu l'idée de naître ou de mourir et de déposer une oeuvre au passage. Quand il n'y en aura pas pour eux, il n'y en aura que pour des débats sur le-numérique-va-t-il-tuer-le-livre.
Sinon, la rentrée littéraire désormais achevée, on va lire, tout simplement. Le temps est venu pour le lecteur de séparer les livres du bruit qu'ils font, et pour l'écrivain de prendre conscience de ce que la vie littéraire le met à distance de l'écriture. Ce qu'on appelle le "protagonisme". Le néologisme est si peu reconnu que l'ordinateur en rougit aussitôt. On le trouve au centre du Secret de la renommée (Les Belles Lettres, 178 pages, 17 euros), un essai que son auteur, Gabriel Zaid, a sous-titré "L'affrontement littéraire à l'ère du divertissement". Ce qui est bien choisi car sa lecture est effectivement très divertissante. On peut l'aborder comme un complément indispensable au traité à grand succès, à l'étranger autant qu'en France, que Pierre Bayard consacra il y a deux ans à l'angoissante question Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ?
"Reliure sociale"
Dans un monde où n'importe qui parvient à être célèbre au-delà du quart d'heure warholien considéré désormais comme un minimum syndical, les écrivains devraient être tentés de rechercher l'oubli, voire l'effacement ; or on ne les a jamais autant mis en avant. Ce qui pousse Gabriel Zaïd à trancher d'emblée : "Parler des écrivains intéresse plus que les lire", et à insister une page plus loin : "De nos jours, l'auteur vu comme une oeuvre est chose commune : c'est un personnage romanesque créé pour le mythe et le marché."
Les voilà donc sujets au protagonisme, acharnés eux aussi à occuper une première place exhibitionniste au centre de la comédie sociale. La citation est leur arme favorite. Eux ne citent pas pour ressusciter ; fort éloignés du dur désir de durer par lequel la citation paierait sa dette à des moralistes oubliés, ils citent pour exister. Pour laisser accroire qu'ils ont lu quand ils ont à peine entrelu. Ou tout juste entendu parler. Autant dire qu'ils ont lu mais pas personnellement. A force d'être cités, ces fragments de livres finissent par relever d'une sorte de littérature orale. Le mot, la maxime ou la formule reviennent aux oreilles dans de telles variantes que l'on ne sait plus ce que disait au juste l'original et qui l'a couché le premier sur le papier.
On aurait tendance à l'oublier : la lecture demeure le centre de la vie littéraire, en principe, bien que celle-ci ait de plus en plus tendance à s'en dispenser. Qui ne connaît les écrivains par ce que Gabriel Zaïd appelle joliment "leur reliure sociale" ? La rumeur de la ville est prodigue en échos sur ce qu'ils sont et sur ce qu'ils font, davantage que sur ce qu'ils écrivent. Le pays bruit d'une immense et permanente Fête du livre, dont on retient le souvenir de la fête plutôt que la trace du livre.
Un puissant bouche-à-oreille prolongé d'un durable buzz est indispensable au texte inconnu d'un auteur inconnu qui n'aurait pas bénéficié de bruit social. C'est à se demander s'il n'a pas intérêt à poursuivre ses écritures dans l'ombre, à patienter le temps nécessaire et à frapper un grand coup en publiant directement ses oeuvres complètes en deux volumes dans "La Pléiade". Tentant mais peu recommandé car aléatoire.
Un dernier détail : Le Secret de la renommée est traduit de l'espagnol par Christine Defoin. Son auteur, Gabriel Zaid, est un écrivain mexicain. Car, c'est bien connu, ces choses-là n'arrivent que dans ces pays-là. Nous voilà rassurés. Et maintenant, vous pouvez rallumer votre bibliothèque et reprendre une vie normale.