Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
La résurrection de l'Énéide
Pierre Combescot
06/11/2009 | Mise à jour : 17:58 |
Cette mosaïque de tête de femme retrouvée à Zeugma en Turquie date du IIe siècle après Jésus-Christ. Elle a rejoint le Musée archéologique de Gaziantep. Crédits photo : (Diane de Selliers Editeur 2009)
Les Editions Diane de Selliers rééditent les 10 000 vers de Virgile. Ce livre fondateur de la culture latine est illustré de 190 mosaïques et fresques, souvent inconnues. Un travail de dix années qui enchante les connaisseurs.
A Rome, un peu plus qu'ailleurs, quand on voulait se faire quelque publicité pour s'octroyer un principat, on s'en allait rechercher un lointain cousinage chez les dieux. La cuisse de Jupiter était un morceau de roi, voire d'empereur. Virgile, le grand Virgile, le cygne de Mantoue, qui traînait à l'ombre des toges des puissants sénateurs, le comprit. Il se mit à faire frétiller une grande épopée, près de 10 000 vers, quelque trente ans avant l'ère chrétienne. «Je chante les combats et l'homme qui, chassé par le destin...» Un régal pour notre dictionnaire Gaffiot ! L'Enéide était née. Une babiole poétique en 12 chants, compromis entre traité de navigation et d'art de la guerre, et potins mondains, droits descendus de l'Olympe.
Mais jetons d'abord un coup d'œil sur le grand poète. Il naquit dans une propriété non loin de Mantoue. Sans être riches, ses parents purent lui procurer une éducation soignée à Crémone, à Milan et à Rome. Certains pensent même à Naples. On était au temps des guerres civiles. César passait le Rubicon. Les meurtres succédaient aux meurtres et Virgile apprenait à faire des vers. Il y réussissait si bien qu'il se lia bientôt avec le consul Pollion, poète à ses heures (quelques tragédies, une Histoire des guerres civiles, suivies d'une tripotée de papyrus passée à la trappe). Autour de ce personnage s'était regroupé un cénacle de jeunes poètes dont faisaient partie Horace et Virgile. L'Italie s'étripait, la tête et les mains du grand orateur Cicéron ornaient les rostres du forum, mais les bergers continuaient à taquiner le chalumeau. Corydon en pinçait pour le bel Alexis, délice de son maître, sans que personne n'y trouvât rien à redire. Autres temps, autres mœurs ! Cependant Virgile, qui aimait les bergers et la vie agreste, se retrouva sans ferme ni terres. On l'avait exproprié au profit des anciens soldats d'Antoine et d'Octave. Et, comme il avait compris que la politique n'était pas foncièrement son domaine, il persévéra dans l'écriture. Il rêva de campagnes idylliques, de lierres capricieux, de folâtres acanthes et soudain - va-t-on savoir pourquoi ? - au détour de la IVe églogue, il aperçut une aurore nouvelle nimbant un jeune enfant. Et le voilà chausser les cothurnes des Rois mages. Aussi, jusqu'à aujourd'hui, on s'interroge sur ce bambin miraculeux qui, selon le poète, annonçait des temps bénis. A tel point que force fut à notre Hugo de constater que, «dans Virgile, parfois le vers porte à sa cime une lueur étrange».
Il continua avec les Géorgiques alors même qu'il s'installait définitivement en Campanie. Il y peint la nature et ses saisons. Les champs et les moissons. On est au Salon de l'agriculture. Mécène et Octave qui, un an plus tard allait recevoir le titre d'Auguste et mettre du même coup un terme à la République romaine, en ont la primeur.
Déjà, Virgile gratte ses tablettes de cire. Une épopée qui renverrait Homère et son Iliade aux petites écoles pour saluer l'avènement du nouvel Auguste dont il était devenu une manière de poète lauréat. Ainsi débuta l'Ené ide. Déjà, dans les troisièmes Géorgiques, le poète annonçait son projet.
«Au milieu je ranime en marbre de Paros... ces dieux, ces demi-dieux, cette famille immense, que termine César, que Jupiter commence...»
Il fallait flatter le prince dans le sens du poil et trouver de quelle cuisse le faire sortir, lui qui n'était le fils du grand César que par adoption. Dans Homère et les ruines de Troie, il ramasse Enée, fils d'Anchise et de Vénus, par sa mère petit-fils de Jupiter. C'était tout un pédigrée qui valait les meilleures pages du Bottin mondain. Le nouvel Auguste pouvait roucouler de plaisir : il était de plain-pied dans la légende.
Enée, son vieux père sur le dos, son jeune fils à la main, pouvait s'embarquer avec ses pénates pour d'autres rivages que ceux de Troie. Le périple fut long, les aventures, nombreuses. L'amour faillit même faire péricliter l'aventure à Carthage quand ce prince troyen s'enticha de Didon, reine, veuve et amoureuse au-delà du raisonnable. Elle en appelle à sa sœur : «Anna soror, quae me suspensam insomnia terrent!» C'est qu'elle voudrait bien un petit Stilnox pour calmer ses angoisses et trouver enfin le sommeil, Dame Didon. Retenir ce bel étranger au moins. Mais non ! le devoir du Troyen l'appelle au loin. Il lui faut rejoindre l'Italie après un petit détour par les Enfers où il va découvrir le passé aussi bien que le futur de sa descendance et la ville de Rome encore à fonder.
Enée ainsi cabote de flash-back en flash-back. Toujours pieux et brave. Virgile rameute toutes les vieilles légendes et, comme pour un snob, toutes les duchesses sont charmantes, les dieux, adorables, même les plus atroces comme cette Junon qui semble en vouloir personnellement au héros troyen. Mais Vénus veille à la sauvegarde de son fils.
L'épopée se gonfle. Les combats s'intensifient. On entend le bruit des armes. Et, sur le bouclier même du héros que lui remet Vénus, il lit l'histoire de la ville qu'il va fonder. Depuis les deux bambins Romulus et Remus nourris par la louve jusqu'au triomphe d'Auguste César. Un travail de maître forgé par Vulcain. Il y a assez d'épisodes surnaturels pour soutenir l'attention des lecteurs, toujours friands de prodiges même en ces temps où la morale était celle d'un plaisir modéré, adouci par la tranquillité de l'âme et l'amour de la poésie. Les Editions Diane de Selliers nous donnent une nouvelle traduction de l'Enéide par Marc Chouet, en vers libres et élégants. Pour un peu, on se voudrait de cette famille-là comme l'empereur Auguste. Ce gros volume est illustré par des mosaïques et des peintures romaines venant des villas d'Herculanum et de Pompéi. On y retrouve une fraîcheur de couleurs et une ingénuité dans le dessin. Autant dire : c'est exquis. Pour ceux qui auraient gardé leur vieux Gaffiot et qui sauraient encore décliner «rosa, la rose...», on doit mentionner un second volume avec le texte latin et les reproductions des enluminures d'un des premiers manuscrits de cette œuvre conservé à la Bibliothèque vaticane. Voilà bien une latinité robo rative !
» Diane de Selliers : «Ce livre m'a demandé dix ans de travail»
http://www.lefigaro.fr/livres/2009/11/07/03005-20091107ARTFIG00179--l-eneide-.php
Cf. aussi le Libé d'aujourd'hui qui titre:"Enée bon teint. Le poème de Virgile comme oeuvre d'art."
Lire aussi:
http://www.lefigaro.fr/livres/2009/12/17/03005-20091217ARTFIG00489-l-epopee-de-virgile-.php