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Catégories : Guibert Hervé

"La Mort propagande", d'Hervé Guibert : maudite écriture

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Quelle révélation y trouver ? Cette idée superbe et inquiétante qu'un premier livre peut être prophétique et testamentaire. C'est en effet un texte qui annonce le thème de ses livres futurs (l'écriture de soi médiatisée par le désir homosexuel), mais qui décrit aussi très concrètement comment l'auteur sera diminué, anéanti, puis tué par le sida, en 1991. En douze chapitres, il évoque des scènes qui oscillent entre carnage et contamination : tortures, brutalité qui esquinte les corps et pollue les sexes, autant d'images qui, au regard du sida dont on ne parlera que quelques années plus tard, font figure de prémonition.

Etrange prose qui s'ingénie à décrire des situations sordides dans un style où chacun des mots se dispute, dans la même phrase, le droit à la beauté et à la précision. Rien ne nous est épargné dans ce délire de chairs décomposées : l'excitation, mais aussi le dégoût, l'affliction - par exemple, dans ce passage où Guibert imagine son autopsie à la morgue : "C'est mon corps, c'est blême comme le bouillon des débuts de maladie, (...) c'est traître, c'est mou, c'est jaune, invertébré, chlore, flore, tout flotte, je flotte, je nage."

S'il ne s'agissait que de littérature, on se remettrait à la liberté de lire ou ne pas lire ces pages parfois abjectes. Mais ce qui est consigné sous la forme du fantasme va trouver un écho dans la vie de l'écrivain. L'expérience s'enrichit d'un vertige qui n'appartient plus seulement à la littérature. C'est ce rapport intime entre l'oeuvre et l'existence qui est convoqué, imbriqué à jamais, et qui mérite de dépasser la gêne que le texte peut susciter. En effet, lorsque Guibert, par exemple dans le premier chapitre du livre, projette de montrer son corps "en décomposition, jour après jour, éclaté sous le feu", il ignore que, treize ans plus tard, se sachant condamné par le sida, il filmera, dans La Pudeur ou l'impudeur (réédité par BQHL), la progression de la maladie. On imagine alors sa stupeur en comprenant après coup que l'écriture et la vie partagent désormais le même destin : la destruction précipitée !

Car pour Guibert, écrire, c'est prendre le risque d'accueillir la mort avant la lettre, obsédante et envahissante - "Moi je veux lui laisser élever sa voix puissante et qu'elle chante. (...) Ce sera ma seule partenaire, je serai son interprète" ; cependant, inventer des phrases, si elles sont puissantes, c'est aussi une manière de résister au silence et à l'oubli qui lui est propre.

Et qu'un texte comme le sien puisse encore éblouir, c'est bien la preuve que la littérature est plus forte que la mort, consolation qui ne fut sans doute pas négligeable pour celui qui allait disparaître.


LA MORT PROPAGANDE d'Hervé Guibert. Gallimard, "L'Arbalète", 122 p., 12,50 €.

 

Amaury da Cunha

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