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Catégories : La presse

"Lettres d'un amour défunt. Correspondance 1929-1944", de Pierre Drieu La Rochelle et Victoria Ocampo : lettres de l'eau et du feu

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Née le 7 avril 1890 dans une riche famille de propriétaires terriens, aînée de six filles, dont la dernière, Silvina, allait devenir un immense poète et une nouvelliste très inspirée, Victoria Ocampo profita de voyages familiaux précoces en France pour acquérir avec notre pays une familiarité élective. La littérature argentine aurait été autre sans son éclatante personnalité. Sa beauté et son tempérament passionnel suscitaient des engouements auxquels elle répondait. "L'homme a été ma patrie", écrivit-elle un jour, non sans ironie. Son indépendance d'esprit et son éloignement géographique ne favorisèrent pas la durée charnelle des liens. Mais, jusqu'à sa mort (en 1979), elle se plaignit de sa "mémoire sans pitié" quand l'oubli aurait été plus doux.

Sa liaison avec l'auteur du Feu follet fut soudaine et éphémère, mais en rien anodine. Elle n'eut pas la profondeur de sa relation avec Roger Caillois (rencontré dix ans plus tard), mais, probablement, n'en fut pas moins troublante. Victoria fait la connaissance de Drieu en 1929, lors d'un dîner chez une amie commune, Isabel Dato. En 1944, Victoria écrira à Caillois, évoquant cette rencontre alors lointaine : "Le Français blond à l'oeil bleu disait des choses spirituelles avec un air faussement détaché et une bouche d'enfant maussade. (...) Il parlait poliment avec abondance et ça ne m'intéressait pas."

"Nous serons de grands amis"

Entre 1929 et 1944, toutefois, bien des événements s'étaient produits. Et surtout, Victoria avait pu assister au dévoiement d'une personnalité qui a pris des positions politiques absolument contraires aux siennes. Elle qui tenta d'arracher aux nazis l'écrivain franco-roumain persécuté Benjamin Fondane en voulant le convaincre de revenir à Buenos Aires, découvrait, impuissante et consternée, que Drieu cédait à la fascination pour le fascisme et pour le nazisme. Le 6 mars 1945, Drieu se tuait. Elle demeura, cependant, fidèle au souvenir de cette passion pénible. Et même dans les pires moments, peu avant le suicide de Drieu, elle écrivait (toujours à Caillois) : "On est profondément injuste avec lui quand on parle de lui comme d'un être sans valeur et se pliant à des choses ignobles. Ce n'est pas vrai, même quand ça a l'air d'être vrai." Victoria se persuade qu'elle a été pour Drieu "une terre ferme". Autant dire que Drieu était alors un naufragé.

Les lettres de Drieu étaient insolentes, souvent cyniques, provocantes, mais non dépourvues d'affection : "Si tu veux, nous serons de grands amis, l'amour dans l'amitié ça me réussit toujours mieux que l'amitié dans l'amour." Résumé de l'inéluctable évolution d'un homme qui se savait meilleur ami qu'amant et affichait son goût pour les prostituées. Ce que Victoria appelait, drôlement et amèrement, "le régime dissocié" : "Ne jamais mêler les deux : l'estomac travaillerait trop. Par conséquent, mal."

Au début, elle proteste imperceptiblement, mais se ravise, refusant "le robinet des larmes". "Ce papier est trop mince pour supporter une pluie salée." Face à elle, Drieu se dénigre comme amant et comme écrivain ("Je suis le chien de l'Ecriture"). Il évacue entre eux tout désir et s'en estime délivré. Il hasarde des formules triviales qu'elle ne commente pas. Quand il imagine une pièce sur elle, il la voit en "abbesse d'un grand couvent plein de science au XVIe siècle". Ils se revirent à Paris et à Buenos Aires, où elle l'invita en 1932. Il s'intéressa alors à une jeune soeur de Victoria, Angelica. Ils se vouvoient désormais. Puis se retutoient, se vouvoient encore. Ils ne savent pas quelle est la nature de leur lien, auquel aucun ne renonce. Ils ne partagent plus rien quand la guerre a éclaté et que leurs choix fondamentaux divergent. Pourtant, voyant, en 1940, un petit garçon blond qui taquine sa soeur sur la plage de Mar del Plata, ce qui lui arrache des larmes de nostalgie, Victoria écrit à Drieu : "Cela m'a donné grande envie de te voir bien que tu sois si porc avec moi que je devrais être dégoûtée à jamais de ta personne. Le fait est que je n'y parviens pas."

Elle décidera d'être fidèle à cet amour inavouable. "N'est-ce pas plus beau et plus grand que tu sois si vivant dans ce coeur inusable ?" Elle se souviendra du "tapis bleu d'Isabelle" sur lequel Drieu marchait, en février 1929, quand ils se virent pour la première fois. "Pourquoi est-ce qu'on doute de l'éternité alors qu'on ne peut pas se délivrer d'elle ?", se demande-t-elle en constatant la persistance d'une tendresse qui bafoue la condamnation politique et même les reproches amoureux.


LETTRES D'UN AMOUR DÉFUNT. CORRESPONDANCE 1929-1944 de Pierre Drieu La Rochelle et Victoria Ocampo. Edition établie par Julien Hervier. Bartillat/Sur, 256 p., 25 €.

 

René de Ceccatty

 

http://www.lemonde.fr/livres/article/2009/12/03/lettres-d-un-amour-defunt-correspondance-1929-1944-de-pierre-drieu-la-rochelle-et-victoria-ocampo_1275348_3260.html

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