Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
"Ballast", de Jacques Dupin : Jacques Dupin, poète réfractaire
LE MONDE DES LIVRES | 17.12.09 | 11h43
Ignorez-moi passionnément !", écrivait Jacques Dupin dans un de ses premiers poèmes. Bien au contraire, il faut s'intéresser passionnément à ce grand poète abrupt et radical, qui a joué un rôle essentiel parmi les écrivains et les artistes de sa génération. Né en 1927 à Privas, en Ardèche, il a fondé en 1966, avec André du Bouchet, Yves Bonnefoy, Gaëtan Picon et Louis-René des Forêts - auxquels se sont joints Paul Celan et Michel Leiris -, la splendide revue L'Ephémère, dont il fut aussi l'éditeur en tant que directeur de la galerie Maeght.
Admirant Michaux, Artaud, Ponge et Reverdy, Dupin publie en 1950 son premier livre, Cendrier du voyage, imprimé par Guy Lévis Mano, avec un avant-propos de René Char et un frontispice d'André Masson. "Tout de suite on a accordé à ses poèmes, écrivait Char, l'importance que l'on aurait justement refusée aux confidences d'un simple mal d'enfance. Jacques Dupin paraît avec un corps bien à lui et une révélation non moins personnelle."
Depuis qu'il a appris auprès de Christian Zervos, aux Cahiers d'art, le métier d'éditeur d'art, Jacques Dupin n'a cessé de travailler avec des peintres et des sculpteurs - Miro, de Staël, Giacometti -, de fréquenter les ateliers, de se nourrir de matière, de couleur (un recueil de textes consacrés à des peintres, Par quelque biais vers quelque bord, est paru au printemps chez POL). Son oeuvre poétique est traversée, comme la peinture de Malevitch, par un "flux d'intensité irradiée".
Réfractaire, douloureuse, vouée à l'inachèvement, la poésie de Jacques Dupin répond à une "injonction silencieuse". De Gravir (Gallimard, 1963) à Coudrier (POL, 2006), l'acte d'écrire est, pour Dupin, une constante remise en jeu, un profond engagement de l'esprit et du corps, "dans une succession nécessaire de ruptures, de dérives, d'embrasements". La poésie : une mise à nu acharnée de la langue, dans son surgissement.
Un premier volume de la collection "Poésie/Gallimard", Le Corps clairvoyant (2000), reprenait trois recueils publiés chez Gallimard : L'Embrasure et Dehors étaient précédés de Gravir : un titre qui désigne à la fois le travail poétique et la marche sur un sentier de montagne. Un second volume en "Poésie/ Gallimard", Ballast, regroupe trois recueils édités chez POL : Contumace, dont "Ballast" est une section, Echancré et Grésil.
On trouve dans le recueil quelques indices biographiques, comme le cri qui bouleversait l'enfant, dans l'enceinte de l'hôpital psychiatrique que dirigeait son père à Privas : "Dès le premier jour de ma vie derrière les barreaux des fenêtres de la folie, une note de lumière." Mais il ne faut surtout pas manquer "Fragmes", une admirable suite de proses qui, au coeur d'Echancré, interrogent l'écriture, obstinément.
"Ecrire sans point d'ancrage, sans point de mire, risque absolu, espace ouvert... précipice de la langue, laconisme de funambule - et le volubilis de la mort qui s'accouple à l'écriture qui s'enroule autour..."
BALLAST de Jacques Dupin. Poésie/Gallimard, 324 p., 7,70 €.