Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Enquête sur "Les Trois Mousquetaires"
Publié le 01/01/2010 à 09:02 - Modifié le 02/01/2010 à 13:40 Le Point.fr
Propos recueillis par Violaine de Montclos
L'historienne Simone Bertière vient de publier un livre sur Alexandre Dumas, "Dumas et les mousquetaires. Histoire d'un chef-d'oeuvre" (Éditions de Fallois). ©BALTEL/SIPA .
Dans son livre Dumas et les mousquetaires , l'historienne Simone Bertière revient sur l'itinéraire qui a mené Alexandre Dumas à son chef-d'oeuvre.
Le Point : Le succès des Trois Mousquetaires est-il vraiment un cas à part dans l'histoire de la littérature ?
Simone Bertière : Songez que les petits héros du film Slumdog Millionaire , des gamins illettrés d'un taudis de Bombay, se surnomment entre eux les Trois Mousquetaires... En 2008, et en Inde, les mousquetaires de Dumas sont donc encore vivants ! Voilà le destin incroyable de cette histoire écrite dans la France du milieu du XIXe : cent soixante-cinq ans de succès planétaire et ininterrompu. D'ailleurs, dès l'année suivant sa parution, le roman fut traduit dans une dizaine de langues, une exception à l'époque.
Le comble est que son auteur rêvait de tout sauf d'être romancier...
Il le devient par nécessité, mais le roman est un genre que Dumas méprise, comme tous ses contemporains. Jeune provincial débarqué à Paris et bien décidé à vivre de sa plume, il s'essaie à la poésie, et le résultat est catastrophique. Mais en tant que dramaturge, il a très vite un succès fou. On les a maintenant complètement oubliées, mais ses pièces sont à l'époque plus aimées encore que celles de Hugo. Son Henri III et sa cour , premier drame romantique monté sur la scène du Français, est un véritable triomphe. C'est un pactole qui lui tombe dessus ! Or Dumas est un ancien pauvre, et il prend immédiatement de mauvaises habitudes : il mène grand train, entretient femmes, maîtresses, enfants légitimes et naturels et distribue son argent à tous vents, car il est généreux. Mais le goût pour le drame romantique ne dure pas, et les revenus de Dumas s'épuisent. Pour maintenir ce train de vie luxueux, il faut donc trouver autre chose. C'est à ce moment-là qu'Eugène Sue remporte un succès et un argent considérables avec ses Mystères de Paris , qui paraissent en feuilleton dans la presse... Alors, Dumas se lance dans ce genre méprisable, pour de simples raisons alimentaires.
Et il ne s'y lance pas seul... Au fond, Les Trois Mousquetaires et les deux volumes qui leur font suite n'auraient-ils pas dû être signés Dumas-Maquet ?
Au départ, Auguste Maquet travaille comme documentaliste pour Dumas, mais son rôle va, c'est vrai, très vite au-delà. Au fur et à mesure de la parution du feuilleton, les deux hommes élaborent ensemble les plans et se partagent la tâche : à Maquet les développements historiques, à Dumas les scènes-clés et les dialogues. Maquet fait des suggestions, écrit aussi, mais c'est toujours Dumas qui revoit l'ensemble, rallonge, arrange, met la touche finale. Les textes font la navette entre Paris et Saint-Germain-en-Laye, où réside Dumas, et les deux hommes se rencontrent très régulièrement. L'étonnant attelage dure sept ans et, au début, Maquet ne voit aucun inconvénient à ce que son nom n'apparaisse pas. Il est même très honoré de travailler pour l'illustre dramaturge. Mais les choses changent en 1848 : Dumas se pique alors de politique ; or, pendant qu'il discourt pour tenter de séduire des électeurs - qui, d'ailleurs, ne voteront pas pour lui -, il faut bien continuer de fournir de la copie au journal, et c'est Maquet qui s'y colle. Le nègre se sent alors pousser des ailes, il commence à traiter directement avec les directeurs de journaux, et il finira par traîner Dumas devant les tribunaux. Il obtient de l'argent, mais pas le partage de la réputation qu'il réclamait.
C'est injuste !
Oui et non. On a retrouvé certains "premiers jets" des Trois Mousquetaires écrits de la seule main de Maquet. À première vue, on se dit que tout y est. Mais, à y regarder de près, le texte est plat, sans charme. Les détails que Dumas ajoutera ou changera ensuite feront tout le relief, toute la saveur du passage. D'ailleurs, Maquet a ensuite publié d'autres récits sous son seul nom, et ces romans ne valent rien... Dans ce couple étrange, c'est Dumas, et Dumas seul, qui est l'écrivain.
Vous écrivez pourtant, et c'est encore un comble, qu'il n'a aucune imagination !
Ce n'est pas moi, mais Marcel Proust qui le dit ! Et c'est vrai : Dumas est incapable d'inventer de toutes pièces un univers, des personnages, comme le fit Eugène Sue. Il a besoin d'un point d'appui, d'une situation de départ, voilà pourquoi il se sert de l'Histoire. Mais lorsqu'il la tient, alors, son talent se déploie et il peut broder indéfiniment. Car il a, soyons juste, une forme d'imagination bien à lui : celle du détail concret, de l'anecdote plaisante qui donnera du piment au récit. Il a aussi un très grand sens du comique, ce qu'il appelle sa "gaieté persistante".
Comment naît le personnage de d'Artagnan ?
L'homme a existé. C'était un mousquetaire gersois qui fut chargé d'arrêter Fouquet, s'est fait tuer à Maastricht, et dont on savait très peu de choses au temps de Dumas. Mais il avait inspiré à un certain Courtilz de Sandras des mémoires apocryphes très librement adaptés de sa vie, Mémoires de monsieur d'Artagnan . C'est ce livre qu'Alexandre Dumas emprunte à la bibliothèque de Marseille pour se distraire durant un trajet pour Paris. Il ne rendra jamais l'ouvrage ! On a retrouvé les lettres de réclamation de la bibliothèque...
C'est le coup de foudre ?
Oui, Dumas se sent immédiatement en empathie avec ce jeune provincial qui arrive à Paris sans un sou en poche, avec pour seul bagage une lettre d'introduction, dont il espère qu'elle lui ouvrira toutes les portes. C'est très exactement ainsi qu'il est lui-même arrivé dans la capitale. Impossible de ne pas exploiter ce personnage semi-fictif qui lui ressemble tant... Il va donc mettre dans son propre d'Artagnan beaucoup de lui-même. La gaieté, l'esprit d'entreprise, le pragmatisme du jeune mousquetaire, ce sont ses qualités à lui. Il le décrit comme un homme qui ne s'ennuie jamais, qui aime se raconter des histoires et en rit parfois tout seul. Or les témoignages qui évoquent la personnalité de Dumas disent la même chose. Dans Le Vicomte de Bragelonne , lorsque d'Artagnan démissionne de son emploi royal, il dit en substance à Louis XIV ce qu'Alexandre Dumas avait écrit à Louis-Philippe pour lui présenter jadis sa démission ! C'est dire jusqu'où va l'identification... Et lorsque le directeur du journal exige que l'écrivain fasse enfin mourir d'Artagnan - le roman, qui en est à son troisième volume, commence vraiment à s'étioler -, eh bien, Dumas refuse ! Il est incapable de tuer son héros. C'est donc Maquet qui le tuera pour lui.
Il achève les autres sans difficulté ?
Oh que non ! Le fils de Dumas, pénétrant dans le bureau paternel, trouve un jour l'écrivain en larmes. "Je viens de tuer Porthos", avoue-t-il... C'est d'ailleurs sous les traits du corpulent et généreux Porthos que Gérard de Nerval voyait de préférence son ami Dumas. Au fond, s'il se reconnaissait particulièrement en d'Artagnan, il les a tous aimés et a mis un peu de lui en chacun. Cet écrivain truculent, insatiable, qui est à la tête d'un nombre invraisemblable de romans écrits de front, mais aussi d'innombrables relations amoureuses, réalise, avec ces quatre mousquetaires, un rêve impossible : il se démultiplie !
"Un pour tous, tous pour un" : était-ce la devise des véritables mousquetaires ?
Non, c'était la devise des cantons suisses ! C'est sans doute lors d'un voyage en Suisse que Dumas a retenu la formule. Je sais, c'est assez décevant...
Les Trois Mousquetaires , alors qu'ils sont quatre... on se demande toujours pourquoi.
Sans doute parce que cela sonne mieux que "Les Quatre Mousquetaires" ! Dumas est un homme de théâtre, il a le sens de ce qui est ou non agréable à l'oreille. Ses récits sont faits pour être dits à voix haute et Les Trois Mousquetaires ont d'ailleurs beaucoup été lus "à la veillée". "Comme ils sont quatre, le titre sera absurde, ce qui promet au roman le plus grand succès", avait-il dit au responsable du journal. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il avait raison...
Dumas et les mousquetaires. Histoire d'un chef-d'oeuvre , de Simone Bertière (Editions de Fallois, 302 pages, 20 E).
Le vicomte de Bragelonne , d'Alexandre Dumas, tome 1, édition de Simone Bertière, à paraître au Livre de Poche début février.
http://www.lepoint.fr/culture/2010-01-01/interview-enquete-sur-les-trois-mousquetaires/249/0/409796