Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Lu hier dans la presse:Bûcher plus
Par EDOUARD LAUNET
On parle beaucoup du livre électronique, mais le bon vieux bouquin en papier semble avoir encore un solide avenir, à en juger d’après ce titre lu la semaine dernière dans la version britannique du quotidien gratuit Metro : «Des retraités brûlent des livres pour se chauffer.» Dans les charity shops, magasins associatifs où les plus démunis peuvent se procurer des objets d’occasion pour quelques pence, les ouvrages de grand format seraient devenus des articles très demandés. «Certains retraités nous disent que les livres sont des combustibles idéaux pour les cheminées et les poêles parce qu’ils brûlent lentement. Un grand volume au dos cartonné peut durer toute une nuit», confie le responsable d’un charity shop de Swansea (sud du pays de Galles). Et c’est pas cher avec ça ! Les magasins associatifs croulent sous les vieux bouquins. Pour cinq pence, il est possible de s’y procurer un volume d’encyclopédie d’un demi-kilo. Alors qu’un sac de 20 kg de charbon peut coûter jusqu’à 5 livres ! Et songez que la future ardoise électronique d’Apple va être vendue pour près d’un millier de dollars alors qu’on ne sait rien encore des caractéristiques de sa combustion.
Depuis que la visionnaire Maggie Thatcher a mis l’Angleterre à l’heure du «travailler plus pour gagner plus», que ses successeurs ont pulvérisé ce qu’il subsistait des mécanismes ringards de solidarité et de péréquation sociale, ce pays connaît la douceur du marché-roi. Depuis janvier 2008, le prix du gaz a grimpé de 40 % et celui de l’électricité de 20 %, tandis que les retraités proches du seuil de pauvreté se comptent par millions. Place à l’avenir ! Il n’y a que le thermomètre qui baisse : -6°C à Londres, -13°C dans les Highlands la semaine dernière. Heureusement, la main invisible du marché vient jeter dans les poêles les vieilleries de papier (les «livres») que le lecteur rejette.
A quoi distingue-t-on un régime totalitaire d’un régime libéral ? Dans le premier, on brûle les livres pour des raisons idéologiques, dans le second pour des raisons économiques. Mais attention : dans la société idéale qui se dessine avec le siècle nouveau, bien des questions restent sans réponse. Le retraité qui brûle des livres pour avoir moins froid doit-il être assujetti à la taxe carbone ? En France, où l’hiver est glacial aussi et les «réformes» galopantes, les 110 millions de bouquins expédiés au pilon chaque année ne devraient-ils pas être mis de côté, au cas où ? Faut-il organiser dès maintenant des stages de formation autour des feux de camp, car faire d’une bibliothèque un brasier est beaucoup plus ardu qu’il n’y paraît? Une connaissance a récemment tenté de se débarrasser par les flammes des quatre tomes des Histoires(s) de Cinéma de Jean-Luc Godard, une coédition Gallimard-Gaumont à 45 euros l’unité. Ce n’était ni par nécessité ni par idéologie : ces 800 pages de papier glacé avaient été déjà largement bouffées par un animal de compagnie aux dents longues, et l’intérêt de ce qui restait ne sautait pas immédiatement aux yeux. Même le feu n’en a pas voulu. Le difficile, ce n’est pas d’incendier, c’est d’allumer.