Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
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Affaire Dumas/Depardieu : amplifions les moyens du CNC en faveur de la diversité au cinéma, par Patrick Lozès
Alexandre Dumas se décrivait lui-même dans ses Mémoires comme un "nègre aux cheveux crépus" qui parlait "avec un accent légèrement créole". Le choix de le faire incarner à l'écran par un acteur blanc, Gérard Depardieu, affublé pour l'occasion d'une perruque bouclée et d'une épaisse couche de fond de teint, est incompréhensible et grotesque.
Imaginerait-on un instant de faire jouer Marguerite Duras par l'actrice noire Aïssa Maïga ou Emile Zola par l'acteur noir Jimmy Jean Louis ?
Le choix des producteurs du film, Frank Le Wita et Marc de Bayser est grave, pour au moins deux raisons.
Il aboutit, d'abord, à gommer de la vie d'Alexandre Dumas toute référence à sa couleur de peau et aux souffrances qu'il a endurées face au racisme de ses contemporains.
Ces souffrances sont pourtant très présentes dans ses Mémoires et on connaît cet échange célèbre, rapporté par Daniel Zimmermann dans son Alexandre Dumas Le Grand. A une personne qui lui demandait, en le voyant : "Au fait, cher Maître, vous devez bien vous y connaître en nègres ?", Alexandre Dumas avait répondu : "Mais très certainement. Mon père était un mulâtre, mon grand-père était un nègre et mon arrière-grand-père était un singe. Vous voyez, Monsieur : ma famille commence où la vôtre finit."
Dissimuler les souffrances provoquées par le racisme est certainement l'un des moyens les plus efficaces de le banaliser.
Faire interpréter Alexandre Dumas par un blanc revient, en second lieu, à nier la vérité historique, en accréditant l'idée que les Noirs seraient d'une "immigration récente", alors qu'ils sont Français depuis des siècles. Alexandre Dumas était un descendant d'esclave. Cette partie de sa vie appartient, comme son œuvre, à notre patrimoine commun, à celui de nos enfants. Faire disparaître ce patrimoine, effacer cette mémoire, est irresponsable. La discrimination commence toujours par l'invisibilité, la négation de l'existence de l'autre dans notre récit national.
Qu'un grand écrivain français ait souffert du racisme, qu'il ait été un descendant d'esclave, cela ne ferait pas une histoire pour le cinéma français ?
On comprend mieux, dans ces conditions, pourquoi des acteurs de la diversité comme Jimmy Jean Louis doivent s'exiler pour faire carrière. Ces mêmes acteurs sont à l'affiche, aux Etats-Unis, de films et de séries qui rassemblent des dizaines de millions de téléspectateurs, et qui s'exportent massivement. Ce sont des stars de renommée internationale, qui jouent aux côtés de Leonardo Di Caprio ou Bruce Willis. Et on ne leur propose aucun rôle dans les superproductions françaises.
Alors que des acteurs noirs figurent parmi les stars les mieux payées d'Hollywood, en France, des producteurs en sont encore à maquiller Gérard Depardieu pour lui faire interpréter un écrivain noir ! Mesure-t-on vraiment le ridicule auquel nous expose cette situation, au plan international ?
On comprend d'autant moins ce retard que les acteurs noirs ne sont pas moins "bankables" que les acteurs blancs en France. Bien au contraire. La comédie Première étoile, réalisée par Lucien Jean-Baptiste, qui met en scène les déboires d'une famille noire partie en vacances au ski, a fait partie des succès du box office en 2009.
Il est temps que les pouvoirs publics posent officiellement la question de la diversité dans le cinéma français. L'action entreprise par le CSA dans le domaine de la télévision, pour à la fois quantifier et qualifier l'action des chaînes en matière de diversité, par le biais d'un baromètre annuel, doit être imitée et appliquée au cinéma.
Véronique Cayla, la présidente du Centre national de la cinématographie (CNC), affirmait récemment à propos de l'affaire Dumas : "Le métissage bien réel de la société française n'est reflété ni au cinéma ni à la télévision". Il est temps de donner au CNC les moyens d'agir dans le domaine de la diversité.
Le CNC doit être habilité à produire des études portant sur la diversité dans le cinéma français, dont un premier état des lieux pourrait être publié à la fin de l'année 2010.
On pourrait, également, imaginer que le CNC conditionne ses aides, et notamment l'avance sur recettes, au respect d'un contrat d'objectif en matière de diversité dans les films. Il est anormal que les films bénéficiant de l'aide publique ne soient pas ouverts à la diversité. Et puisqu'il est, avant tout, question de création, je voudrais conclure par cette phrase magnifique de Jean Renoir, qui dit absolument tout des débats que nous avons aujourd'hui : "Il faut toujours laisser la porte du plateau ouverte, parce qu'on ne sait jamais ce qui peut y entrer". En cette semaine où se déroule la cérémonie des Césars, commençons à laisser, enfin, les portes des plateaux de cinéma français ouvertes à la diversité.
Patrick Lozès est fondateur et président du Cran. Dernier ouvrage paru Les Noirs sont-ils des Français à part entière ?, co-écrit avec Bernard Lecherbonnier. A dire vrai/Larousse, 2009.