Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Le Groupe Royer sauvera-t-il Jourdan et Kélian ?
Doucement et prudemment Romans renaît de ses cendres. Kélian et Jourdan étaient deux noms emblématiques de la chaussure de luxe. Mais leurs déboires ont fait de ces deux réussites françaises des victimes malheureuses de la crise. Bref rappel des faits. 22 août 2005, jour noir pour Romans sur Isère (Drôme). A quelques heures d’intervalle, Stéphane Kélian production est mis en liquidation judiciaire et trois sociétés de Charles Jourdan déposent le bilan. Après deux reprises, plus ou moins désastreuses, coup de grâce pour Charles Jourdan. Le tribunal de commerce prononce la liquidation du chausseur de luxe le 12 septembre 2007. 197 salariés au chômage. Le dernier PDG, Yann Bilquez, est arrêté en Suisse et incarcéré. Chez Kélian, c’est 143 salariés qui ont été licenciés et la production délocalisée au Portugal.
Le Groupe Royer entre alors dans le jeu et rachète, en 2007, Stéphane Kélian et, en 2008, Charles Jourdan. Curieusement, le groupe, qui détient de nombreuses marques dont Kickers, les baskets Converse, ou Keds, et qui produit à 85 % en Asie, réinvestit Romans.
A la tête de cette reconquête, deux femmes Lieke Madsen, chez Kélian et Alexandra Neel, chez Jourdan. Toutes deux croient volontiers à leur mission : redorer le blason de ces deux noms qui riment depuis quelques années avec déclin. Elles sont fières aujourd’hui de pouvoir affirmer que “100 % de la production se fait dans les usines de Romans”.
Jeune femme fluette perchée sur des bottes aux talons de 12 cm, Alexandra Neel est obsédée par les pieds. Les siens d’abord, ceux d’une ancienne danseuse classique qui sait combien les pieds font souffrir. Son fort cou-de-pied la contraignait à faire faire ses pointes sur mesure, chez Repetto (qui d’ailleurs s’était porté candidat à la reprise de Jourdan).
Obsession d’une femme qui aime la mode, exigeante, et qui s’est retrouvée à 19 ans dans les ateliers de Michael Kors chez Céline. Lancée dans l’unvers de la chaussure de luxe, elle poursuit sa carrière avec Nicolas Ghesquière, puis chez Nina Ricci et Pucci. Mais “ce qui me manquait à chaque fois, c’était de savoir comment c’était construit”.
En 2001, soutenue par son mari, elle se lance et crée sa propre marque Alexandra Neel. Escarpins ultra sexy, lacés comme des corsets, ballerines à talons, elle sublime le pied jusqu’à en faire un atout de séduction. La recette fonctionne : la première année elle vend 2 000 exemplaires de ses quatre modèles. Neuf ans plus tard, la marque existe toujours, même si elle est principalement vendue aux Etats-Unis. Il est du coup assez logique qu’elle se sente proche de ce que représente Charles Jourdan : Guy Bourdin, les talons aiguilles, Louis XV (de profil concave) ou transparents à l’allure futuriste.
A première vue, Lieke Madsen et Alexandra Neel ont peu de choses en commun. Bobo chic d’un côté, froide élégance de l’autre. Autodidacte pour Alexandra, un parcours impressionnant pour Lieke : Esmod et Studio Berçot, femme de confiance de Karl Lagerfeld, Chanel, Studio Lagerfeld, Fendi, Dior…etc On lui demande de “raccourcir son cv”, s’amuse-t-elle !
Elle a surtout fait de la couture, décidant fermement de devenir free lance à 30 ans, ce qui lui permet de créer, elle aussi, une marque à son nom, Lieke Madsen Creation. En même temps, elle “zappe”, passe d’une mission à l’autre, pour le Printemps et les marques de prêt-à-porter Gentleman Farmer et 123, avant de croiser la route de Jacques Royer, PDG du groupe Royer, qui vient de racheter la marque Stéphane Kélian.
Pourquoi la chaussure ? Elle se souvient, elle aussi, de ses rêves déçus de danseuse. Danseuse contemporaine, elle pense un pied moderne, plus souvent en flex qu’en pointes. Pour Kélian, elle réinterpréte avec talent le cuir tressé maison, son confort “qui ne doit pas devenir orthopédique”, sans pour autant perdre de vue sa mission qui consiste à concilier les exigences du marketing, la créativité et les prix. Incontournable à ses yeux : la stratégie du “made in France”. Scrupuleusement.
Scrupuleusement, car l’étiquette ne suffit pas à certifier l’origine. Il suffit que l’ensemble des matériaux ait été assemblé sur le territoire français pour que le fabricant soit en droit d’y apposer la prestigieuse étiquette. Or, dans bien des cas, la carcasse de la chaussure a été entièrement fabriquée en Chine. C’est un risque : “une première [l’intérieur de la chaussure] en cuir tressé vaut aussi cher que du python.” Il faut également des “bons prix” (entre 280 et 450 €, jusqu’à 700 € pour des cavalières).
Mais le pari est loin d’être gagné, car si le Groupe Royer a finalement choisi de mettre en valeur le savoir-faire français, “la mission, comme le souligne Jean-Pierre Renaudin, président de la Fédération française de la chaussure, est presque impossible et en contradiction avec les contraintes actuelles du marché.” A Romans, c’est aujourd’hui la créativité française qui est mise en avant, le temps de la grande production française a bien l’air, lui, révolu.