Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
L'art de l'ambivalence
LEONARD TSUGUHARU FOUJITA
Evene.fr - Avril 2010
Un an après la mort de sa veuve, le 2 avril 2009, le musée des Beaux-Arts de Reims consacre une importante exposition au peintre Léonard Foujita, jusqu'au 28 juin 2010. L'occasion de se familiariser avec cet artiste surprenant et inclassable qui a choisi pour dernière demeure la capitale du champagne. Autour de ses oeuvres ou dans les fresques de l'étonnante chapelle qu'il a conçue et dans laquelle il repose, flotte encore un parfum de mystère. Portrait d'un artiste qui cultive l'ambivalence. Sur la simple dalle de marbre gris qu'abrite la chapelle Notre-Dame-de-la-Paix de Reims, on déchiffre en lettres dorées un patronyme aux étranges sonorités : Léonard Foujita. A l'image de celui qui l'a porté, ce nom évoque des origines contrastées, mi-japonaises mi-européennes. Autrefois dénommé Tsuguharu Fujita, le peintre francise son patronyme à son arrivée à Paris en 1913. Bien des années plus tard, presque au terme d'une carrière mouvementée mais couronnée de succès, il se convertit au catholicisme et choisit comme nom de baptême celui de l'un des plus grands artistes de la Renaissance, qu'il a beaucoup admiré. Au-delà du choix religieux, ce changement d'identité rappelle le sentiment de dualité qui transparaît aussi bien dans sa biographie que dans son oeuvre. Aussi mondain qu'acharné de travail, en équilibre entre deux cultures et plusieurs esthétiques, tantôt omniprésent, tantôt absent, plusieurs fois marié d'un côté ou de l'autre du Pacifique… difficile de cerner ce personnage à l'allure aussi atypique qu'insaisissable.
Fou Fou chez les Montparnos
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Petite silhouette fine, coupe "à la chien" (le bol de l'époque), lunettes rondes et noires, moustache et boucle d'oreille. Un look qui détonne pour le quotidien de l'époque mais qui ne saurait occulter le plus fascinant pour les Parisiens : son pays natal, le Japon. Dans le Paris artistique des années 1920, les étrangers sont nombreux à flâner autour de Montmartre ou de Montparnasse. C'est d'ailleurs le cosmopolitisme de cette scène qui lui donne son nom : l'Ecole de Paris. Un terme générique pour englober toutes sortes de pratiques liées par l'optique commune de bousculer l'académisme ambiant. Foujita est un artiste accompli lorsqu'il s'installe dans la capitale mais il vient chercher à sa source la modernité de l'époque, chez Chagall, Pascin, Soutine, Modigliani, Van Dongen… De fortes personnalités qui organisent les fêtes les plus folles à un rythme effréné, en compagnie de belles femmes impertinentes comme Kiki de Montparnasse, Mistinguett ou Suzy Solidor. Modigliani, notamment, l'inspire beaucoup, comme en témoignent ses portraits à fond d'or. Si tous ces artistes l'influencent, son vrai coup de coeur va aux paysages urbains du Douanier Rousseau, dont il voit une toile dans l'atelier de Picasso.
Un vrai m'as-tu vu
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Foujita est alors un jeune artiste plein d'ambitions et pas des moindres : il veut être le premier peintre de Paris. S'il passe des heures à arpenter le Louvre, recopiant encore et encore les détails des virtuoses de la Renaissance italienne, il est aussi très conscient de l'importance de son image. Le vedettariat se développe alors au rythme des actualités cinématographiques et de la presse écrite. Les journalistes se déplacent en masse pour couvrir tel ou tel événement dont on sait qu'il attirera des célébrités, qui elles-mêmes n'hésitent pas à multiplier les frasques pour faire parler d'elles. Si certains se livrent volontiers aux duels et toutes sortes de scandales, d'autres comme Foujita, se font plus discrets mais omniprésents. Fêtes déguisées, vernissages, balades à Deauville ou au bois de Boulogne, il est partout où il sait qu'il "faut être". Son mariage avec l'artiste française Fernande Barrey concrétise sa reconnaissance sociale. A la fin de la décennie, celui qu'on surnomme désormais "Fou Fou", est plus connu pour son excentricité que pour sa peinture.
Forcené fortuné
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Pourtant, Foujita est très loin d'être un débauché. Si on le voit à toutes les fêtes, il ne boit pas d'alcool et s'éclipse toujours tôt. "Il considère les bacchanales de ses amis comme des histoires de Blancs" (1) et passe le plus clair de son temps dans son atelier. Son travail reste cependant difficile à cerner, entre une grande sophistication du corps, qui évoque la sculpture classique et un trait stylisé tout à fait japonisant. C'est justement ce mélange entre les deux cultures qui fera son succès. La consécration a lieu au Salon d'Automne en 1924, avec le portrait de sa nouvelle muse Lucie Badoud, 'Youki, déesse de la neige'. C'est le début de son ascension et de sa réussite matérielle. Il s'installe dans un hôtel particulier de trois étages, au square Montsouris, et a pour voisins Braque ou Derain,, roule en Delage capitonnée de daim gris et invite le Tout-Paris à boire nonchalamment du champagne en découvrant de nouveaux artistes comme Calder. Son style s'affirme alors dans de grandes fresques aux perspectives inspirées de Michel-Ange, qu'il a vu récemment en Italie, des fonds satinés parsemés de corps de plus en plus travaillés. Lire la suite de L'art de l'ambivalence »
(1) Jeanine Warnod, 'L'Ecole de Paris', p.102, Arcadia Editions, 2004