Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Les frères Van Velde, une belle cordée de l'art
Lyon Envoyé spécial
Ils se ressemblent : même maigreur, même haute taille un peu courbée dans les dernières années, mêmes tenues sobres, même calme silencieux. Rien d'étonnant : ils sont frères. Néerlandais aussi. Et artistes. Abraham Van Velde, dit Bram, est né en 1895 près de Leyde, et son frère, Gerardus, dit Geer, en 1898, à Lisse, à quelques kilomètres. Ils sont fils d'un marchand de bois, charbon et tourbe et d'une lingère. En 1907, à 12 ans, Bram est apprenti dans une firme de peinture et de décoration à La Haye. En 1910, au même âge que son frère, Geer suit son exemple dans la même société.
L'histoire commence ainsi, loin des écoles d'art. Et c'est ainsi que débute l'excellente exposition du Musée des beaux-arts de Lyon : excellente parce qu'elle révèle un grand nombre de toiles méconnues des deux artistes, et parce que l'accrochage est subtil. Il ménage des comparaisons quand il le faut et sépare leurs oeuvres à mesure qu'elles s'éloignent l'une de l'autre.
On y voit, dans la première salle, des figures et natures mortes façon Hollande XVIIe siècle, parce que le patron de l'entreprise de décoration, s'étant aperçu des capacités des Van Velde, conseille à Geer de copier les maîtres anciens. Conseil sérieux.
Conseil désastreux si les frères s'en étaient tenus là. Mais, dès 1922, Bram se rend à Worpswede, colonie artistique du nord de l'Allemagne où se perpétue le style expressionniste dans le genre de Nolde et de Munch. En 1924, il est à Paris et Geer l'y rejoint l'année suivante. Tout en vivant dans un état proche de la misère, ils apprennent où en est la peinture la plus récente, ce que sont le cubisme et l'abstraction, ce que font Picasso et Matisse.
C'est alors que leur attitude est remarquable. Au lieu de rallier un courant ou un autre, au lieu de se contenter d'être d'honnêtes suiveurs, comme tant d'autres, ils veulent comprendre de l'intérieur. Ils commencent par emprunter et essayer les styles qui leur sont proposés dans les galeries. Tantôt l'expérience est consacrée à un seul - Picasso le plus souvent. Tantôt elle tourne à l'hybridation ou à la synthèse.
De 1925 à la fin des années 1930, ils ne font rien d'autre, avec une obstination qui a quelque chose d'héroïque. Ils savent qu'en travaillant ainsi, ils ne trouveront pas ces amateurs dont ils auraient besoin pour moins mal vivre. Bram et son épouse, Lilly, s'exilent à Majorque, parce qu'on peut alors y vivre à très bon marché. Mais Lilly meurt en 1936 et Bram revient chez Geer, à Paris. Ils n'exposent que très peu et n'ont que peu d'amis - mais l'un d'eux est Samuel Beckett.
Ce qui subjugue, dans les salles consacrées à ces années d'efforts et de malheurs, c'est que chaque toile porte les traces des reprises, des effacements, des recouvrements. Geer cherche du côté de l'ellipse, de l'allégement, de la clarté. La Chatte et ses petits, l'Autoportrait à la palette, les deux versions de Palette et pinceaux - toutes toiles des années 1930 méconnues jusqu'ici - sont les réussites éblouissantes de cette phase.
Bram, à l'inverse, accumule, densifie, accentue les contrastes de couleurs. Vers 1938, substituant la gouache à l'huile, il découvre une peinture faite de formes qui s'emboîtent ou se traversent, les unes lointainement figuratives, les autres d'une géométrie anguleuse ou sinueuse. On peut y reconnaître des masques, des harpons, des morceaux de nus - le Picasso de 1927 ou 1928, mais en encore plus sauvage et schématisé. Il y a là quelques-unes des oeuvres les plus intenses de cette époque. Bram Van Velde est alors, dans sa solitude, l'un des grands peintres vivants.
Il l'est resté. La deuxième moitié de l'exposition, qui court de 1945 à la mort des deux frères - Geer en 1977, Bram en 1981 -, n'apporte, pour ce dernier, aucune révélation mais la confirmation royale de sa grandeur.
Sylvie Ramond et Rainer Michael Mason, les commissaires, ont choisi une anthologie admirable d'huiles et de gouaches. La confrontation avec Picasso ne finit jamais et l'on aimerait voir côte à côte les Bram les plus liquides et les nus de Picasso les plus éclaboussés des années 1960 - exactement contemporains.
Dans une autre salle, on placerait les compositions géométriques de Geer en compagnie d'autres Picasso, des années 1920 cette fois, et de Giacometti. Ils ne souffriraient pas de la compa-raison.
C'est un autre enseignement de l'exposition, et non des moindres. Jusqu'ici Geer n'a jamais été considéré à la hauteur de son aîné. Il serait trop méthodique, trop raisonné - plus architecte que peintre. Ses compositions sur le thème de l'atelier, presque abstraites, lumineuses jusqu'à l'effacement des volumes ont cependant une grâce digne des meilleurs Braque cubistes. Bram et Geer Van Velde ont formé une des meilleures "cordées" de leur siècle.
"Bram et Geer Van Velde, deux peintres, un nom", Musée des beaux-arts, place des Terreaux, Lyon (Rhône-Alpes). Tél. : 04-72-10-17-40. Du mercredi au lundi, de 10 heures à 18 heures ; le vendredi, à partir de 10 h 30. Entrée : 9 €. Jusqu'au 19 juillet. Catalogue à venir : éd. Hazan, 360 p., 42 €.