Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Catégories : L'actualité

Pierre Sarkozy : celui dont on ne parle pas

PAR JACQUES BRAUNSTEIN
12/05/2010 | Mise à jour : 18:56
Réactions (5)

Producteur de rap d'une extrême discrétion à Paris, Pierre Sarkozy n'hésite pas à se montrer à l'étranger. Comme ici, le 1er février dernier, à Cologne, où il se produisait comme disc-jockey lors d'une soirée mode. Crédits photo : SCHROEWIG/ABACA
Producteur de rap d'une extrême discrétion à Paris, Pierre Sarkozy n'hésite pas à se montrer à l'étranger. Comme ici, le 1er février dernier, à Cologne, où il se produisait comme disc-jockey lors d'une soirée mode. Crédits photo : SCHROEWIG/ABACA

L'autre fils du chef de l'Etat se tient à l'écart de la politique. Fou de musique, producteur de disques, il s'est fait une place et un nom - Mosey - dans un milieu, celui du rap, qui ne passe pas pour être sarkozyste.

La scène se déroule à Neuilly par une nuit calme. Jacques Chirac est encore à l'Elysée, Nicolas Sarkozy est son ministre de l'Intérieur. Pierre, son fils aîné, est chez lui en compagnie d'une amie venue écouter des «sons» qu'il a produits. Il est tard, et le garçon, bien élevé, craint de déranger ses voisins. Afin de pouvoir profiter des morceaux à plein volume, il décide de descendre et de s'installer dans la voiture de la jeune femme. La musique est à fond. Une patrouille de police s'arrête. Contrôle d'identité. Mais Pierre, dans sa précipitation, a oublié de prendre ses papiers avec lui. Les policiers fouillent longuement le véhicule, puis repartent. L'apprenti producteur remonte chez lui chercher sa carte d'identité. Lorsqu'une seconde patrouille s'arrête, quelques minutes plus tard, il la tend à l'officier. En voyant le nom du jeune homme, le policier la lui rend bien vite. A aucun moment Pierre n'a indiqué qu'il est le fils du ministre de l'Intérieur. Et toutes les anecdotes qu'on vous rapporte sur Pierre Sarkozy vont dans le même sens. Il fait profil bas, la discrétion même.

Pierre et Jean Sarkozy à l'Elysée en 2007. Depuis son entrée en politique, Jean, lui, s'est coupé les cheveux. Crédits phot o : MEHDI FEDOUACH/AFP
Pierre et Jean Sarkozy à l'Elysée en 2007. Depuis son entrée en politique, Jean, lui, s'est coupé les cheveux. Crédits phot o : MEHDI FEDOUACH/AFP

«Le fils de Sarkozy fait du rap»…Lorsqu'on a entendu pour la première fois cette phrase, il y a quelques années, personne n'y a cru. C'était trop énorme. Une sorte de pied de nez qui sentait bon la légende urbaine. Le fils du ministre de l'Intérieur aurait choisi le genre musical qui n'hésite pas à traîner dans la boue le nom de Sarkozy. En fait, le fils de l'ex-premier flic de France ne «fait» pas du rap : il en produit. Il compose, échantillonne, construit des bandes électroniques sur lesquelles on peut chanter. Du rap violent dans le cas de Poison, le premier artiste pour lequel il a«fait du son». Du rap plus doux et «Sarkocompatible» dans le cas de Doc Gynéco, dont il a composé l'album l'an passé. Comment un fils de Neuilly s'est-il mis à produire le son du ghetto ? C'est ce qui fait l'originalité du parcours de Pierre Sarkozy, l'autre fils du président de la République, celui qui ne fait pas parler de lui. Voilà l'histoire improbable et profondément moderne de celui que Puff Daddy, le roi des rappeurs américains, a surnommé«The Prince of France». Elle commence en 1985. Pierre est le premier enfant de Nicolas Sarkozy et de Marie- Dominique Culioli. Son frère Jean naîtra l'année suivante. Les deux garçons feront leurs études à Sainte-Croix de Neuilly, puis au lycée Pasteur. Pour eux, leur père veut le meilleur, même s'il n'a pas beaucoup de temps à leur consacrer. A propos de la prise d'otages de Neuilly en 1993, dans laquelle le futur Président se taille la stature d'un homme d'action, Pierre aura cette phrase dans le Vanity Fair espagnol : «Mon frère et moi étions jaloux, car nous avons vu notre père avec un enfant dans les bras et que ce n'était pas nous.»

Avec Daniel Cohn- Bendit lors d'un match de gala : Pierre joue avec l'équipe des politiques contre le Variétés Club de France. Crédits photo : G.MÉRILLON/LE FIGARO MAGAZINE
Avec Daniel Cohn- Bendit lors d'un match de gala : Pierre joue avec l'équipe des politiques contre le Variétés Club de France. Crédits photo : G.MÉRILLON/LE FIGARO MAGAZINE

Car Nicolas Sarkozy a quitté la maisonnée en 1989 pour vivre avec Cécilia Ciganer-Albéniz, leur future belle-mère, avec laquelle ils ne s'entendront jamais vraiment. Leur père, ils le verront un week-end sur deux et pendant les vacances, comme beaucoup d'enfants du divorce. Très jeunes, les deux frères s'intéressent à la musique. Mais, chez Pierre, cela tourne à l'obsession. Il aime la soul, le funk, Curtis Mayfield, Marvin Gaye et les grands artistes noirs américains des années 70. Peu à peu, il se met au rap. Avec une préférence pour celui de la côte Ouest des Etats-Unis, plus doux, moins revendicatif, mais aussi plus tourné vers la mythologie des gangsters : Dr. Dre, Snoop Doggy Dogg… C'est un vrai passionné, il connaît les notes de pochettes par coeur, débusque les producteurs obscurs derrière les stars bling-bling…

Il adopte le look qui va avec, pantalon baggy, casquette à l'envers… Mais pas quand il voit son père. Nicolas Sarkozy est un ministre très occupé, alors, de temps à autre, il fait d'une pierre deux coups et fait ajouter une chaise et un couvert pour lui dans ses déjeuners avec les journalistes. Ceux-ci se souviennent d'un garçon calme au regard vif, qui écoutait sagement son père expliquer son action. Car, avec Nicolas Sarkozy, c'est toujours la politique d'abord. Sait-il seulement que son aîné a monté un groupe avec des copains ? Celui-ci n'a pas dû s'en vanter au début : «Nous étions tellement nuls que personne ne voulait composer pour nous. J'ai donc dû apprendre à le faire moi-même.»

Parallèlement, Pierre est plutôt bon élève, il passe un bi-Deug à Nanterre, une licence de droit, commence une maîtrise... comme le souhaite son père, avocat de formation. Ces diplômes que l'on reproche tant à son frère Jean de ne pas avoir, lui, il les a. Mais peu importe. «Je préfère être un musicien sans avenir qu'un brillant avocat», tranche-t-il, toujours dans le Vanity Fair espagnol. Une provocation contre un père à la personnalité imposante ? Peut-être. Mais pas seulement. Il n'est pas le seul garçon d'origine bourgeoise à apprécier cette musique. Rockin'Squat, du groupe Assassin, est le frère de Vincent Cassel, et donc le fils de l'élégant acteur Jean-Pierre Cassel. Et le producteur de reggae Frenchie n'est autre que le fils de Claude Allègre. Quand Nicolas Sarkozy apprendra que son fils veut faire du rap un métier, il aura cette phrase : «OK pour le hip-hop (...), tant que tu continues tes études. Mais, attention, je ne te donnerai pas un rond.» Devant les journalistes qui le suivent, il préférera ironiser sur les choix de son fils : «Pierre a des dreadlocks et sort avec une Noire ! On ne pourra pas dire que j'ai brimé mes enfants !» Depuis, Pierre a coupé ses dreadlocks, et il garde secrète sa vie privée.

La bande-son des boîtes chics de Neuilly

Aujourd'hui, dans les médias, les rôles semblent bien établis. Pierre l'artiste, Jean le politique. En fait, ça n'a pas toujours été aussi clair. Jean aussi se voyait bien artiste. Son professeur de comédie, Jean-Laurent Cochet, le décrit comme un élève doué. Il a composé quelques chansons qu'il a déposées à la Sacem… Mais dans un genre plus variété, puisqu'il a été, un temps, question d'une collaboration avec Didier Barbelivien. Jean a changé de voie, Pierre, lui, s'est obstiné. Au départ, il ne sait pas comment entrer dans ce monde de la musique qu'il ne connaît pas. Il placera d'ailleurs ses premiers «sons» comme générique d'une émission pas vraiment rap, présentée par les frères Bogdanov. Il fait également un stage dans une maison de disques, AZ Universal, sous le nom de sa mère : Culioli.

C'est qu'il n'est pas facile de s'intégrer dans un milieu qui affiche sa détestation de la droite et de la police, quand votre père est désormais ministre de l'Intérieur. Et surtout quand il promet de passer une cité au Kärcher ou de débarrasser une autre de ses «racailles». Avec ces mots, Nicolas Sarkozy est devenu la tête de Turc du monde du rap. C'est dans les boîtes de nuit où la jeunesse dorée de Neuilly se retrouve que Pierre Sarkozy, qui se fait désormais appeler Mosey, noue ses premiers contacts avec le milieu qui l'intéresse. Aussi curieux que cela puisse paraître aux non-initiés, cela fait bien longtemps que le rap américain est la bande-son des boîtes chics.

Olivier Amiel (alias DJ Sub Zero), son ami d'enfance qui travaille encore aujourd'hui avec lui, passe régulièrement des disques dans des endroits comme le Queen, sur les Champs-Elysées. Pierre, lui, sympathise avec JC Sindres, DJ house. C'est lui qui lui présentera la journaliste et productrice Fatou Biramah : «C'était un jeune homme de 20 ans, avec de drôles de cheveux longs, des boutons. Il était attachant et ne faisait rien pour ressembler à un rappeur… Il avait une chambre de petit garçon avec un lit une place, mais équipée comme un vrai studio de pro.» Pierre ne lui cache pas qui il est. Et, d'emblée, elle lui fait comprendre que, dans ce milieu-là, ce n'est pas un «plus» : «J'avais envie de l'aider. On passe notre temps à se battre contre les a priori sous prétexte qu'on s'appelle Mamadou, et nous, on va lui fermer notre porte parce qu'il s'appelle Sarkozy ? Il ne faut pas lui faire ce qu'on n'aime pas qu'on nous fasse.» Avec ses deux acolytes (Sub Zero et J Looz), Pierre forme le groupe Da Cream Chantilly, qui commence à se faire un nom dans le milieu du rap… Des DJ influents dans le microcosme jouent leurs sons, comme Cut Killer, El Matador ou Spank (le DJ de Joey Starr). Ils composent également la musique du DVD Jamel, 100 % Debbouze. Ou, plus tard, celle du DVD de Seuls Two, le film d'Eric Ramzy. Bref, tout va bien pour eux.

L'accession de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, le 6 mai 2007, va changer la donne. Les projecteurs sont désormais braqués sur ses enfants. La France entière se familiarise avec leurs visages. Le soir de la victoire, à l'entrée du Showcase, une boîte de nuit où les jeunes de l'UMP font la fête, Pierre s'avance vers les journalises pour mettre les choses au clair : «Moi, j'appartiens au domaine du privé, de l'intime, je ne veux pas me mettre en avant (...). Je vous le dis à vous, parce que, comme ça, vous le saurez pour les cinq ans à venir : aucune interview, rien du tout, j'espère que vous le comprendrez.» Profession de foi un peu naïve à l'heure du tout-people.

«Je vais vous l'envoyer en stage, il a besoin d'autorité»

Pierre Sarkozy ne se montre pas, mais ne se cache pas non plus. En 2008, il accompagne son père en voyage officiel en Chine. Nicolas Sarkozy aura cette phrase en le présentant à Hu Jintao, le président chinois : «Je vais vous l'envoyer en stage, il a besoin d'autorité…» Manière de dire que, s'il a accepté le choix de carrière de son fils, il n'en pense pas moins. Les journalistes qui étaient du voyage ont le souvenir d'un jeune homme très proche de sa grand-mère, présente elle aussi, qui respecte le programme de la délégation et ne fait pas de vagues.

S'il a choisi la musique, il ne se désintéresse pas pour autant de la politique, notamment à Neuilly, la ville où il a grandi. Lors des dernières municipales, il apporte un soutien discret à David Martinon, que son frère Jean soutient encore «à fond». Il est responsable du groupe Solidarité et partage des jeunes UMP de Neuilly-sur-Seine. Lors d'une rencontre avec des militants, le 16 décembre 2007, il se présente ainsi : «Je suis Pierre Sarkozy, on me confond souvent avec mon frère, mais c'est moi l'aîné.» Et il enchaîne sur la question du logement : «A chaque fois qu'on parle de Neuilly dans les médias, on parle de ces fameux 20 % de logements sociaux qui ne sont pas respectés dans notre ville.»Lui est favorable à ce que la mairie achète des «appartements sociaux» dans des immeubles indifférenciés. C'est une proposition, pas une critique frontale de la politique municipale familiale… Mais quand même. Après l'éviction de David Martinon, Pierre retourne à son grand amour, le rap.

L'anonymat n'étant plus de mise, Pierre Sarkozy va donc se rapprocher du seul rappeur à ne pas être sarkophobe : Doc Gynéco, qui a soutenu le candidat UMP en se mettant à dos pas mal de ses anciens amis. Celui-ci raconte : «J'ai rencontré Pierre lors d'un cocktail au siège de l'UMP, pendant la campagne de 2007, à un moment où Nicolas avait des soucis personnels et avait besoin d'être avec ses enfants.»Très vite, ils parlent musique, mais le Doc n'y voit qu'une simple conversation mondaine.«Je ne l'ai pas pris au sérieux tout de suite. Des mecs de son âge qui font du son et le mettent sur My- Space, il y en a des milliers.» Ce n'est que plus tard, en découvrant les maquettes de Pierre, que Gynéco envisage une collaboration :«Il maîtrisait les machines. Sa musique était tellement loin du son des cavernes du mauvais rap !» L'album Peace Maker sort en novembre 2008, mais ne marche pas. Pourtant, la production est ciselée, le son plutôt original. Mais, comme le dit le journaliste et écrivain Olivier Cachin : «Le match était perdu d'avance. Entre l'image de Doc Gynéco, son amitié avec Sarkozy, et la participation de Johnny Hallyday, le disque était inaudible.»

Depuis, Mosey et sa bande travaillent, toujours discrètement, dans leur studio vers Pigalle. Ils ont embauché une manageuse qui retransmet ses refus aux demandes d'interviews. Ils ont postulé pour une subvention sans l'obtenir. L'intervention malencontreuse d'un conseiller de l'Elysée dans le dossier n'a sûrement pas arrangé les affaires de Pierre Sarkozy. C'est finalement dans la presse people qu'on voit le plus Pierre, fan de concerts et de fêtes. Il est shooté par les photographes à chaque apparition. Et s'il la joue profil bas dans l'Hexagone, Mosey redevient Pierre Sarkozy à l'international. «Les rappeurs US, qui sont plus bling-bling, sont fiers de le connaître, constate Doc Gynéco. Ils aiment la notoriété, la réussite, ils sont moins dans le jugement. Pour eux, c'est le fils du roi de France. Je ne serais pas étonné que Puff Daddy le signe un jour sur son label. D'ailleurs, sur la Côte d'Azur, ils sont tout le temps fourrés ensemble.» On a ainsi vu Pierre Sarkozy au Festival de Cannes, à Saint-Tropez, à Munich lors des MTV Europe Music Awards, ou à New York aux côtés des producteurs américains les plus influents. En mars dernier encore, il était photographié au VIP Room à Paris avec Puff Daddy. Plus récemment, il est apparu dans le vidéoclip Download Me I'm Free de Laszlo Jones, chanteur haut en couleur et rigolo, qui n'a rien d'un rappeur. Vêtu d'un costume, les cheveux gominés en arrière et de grosses chaînes bling-bling autour du cou, Pierre Sarkozy est présenté comme «le prince du hip-hop». En produisant cet album, il démontre que, si son avenir est bien dans la musique, ce n'est pas forcément du côté du rap. Dans la seule interview qu'il ait accordée à la presse française (VSD), le fils aîné du chef de l'Etat affiche sa sérénité : «Je n'ai pas envie d'entrer dans le champ de la complainte. Il y a pire, dans la vie, comme départ, que d'être le fils du président de la République.»

http://www.lefigaro.fr/politique/2010/05/12/01002-20100512ARTFIG00632-pierre-sarkozy-celui-dont-on-ne-parle-pas.php

Les commentaires sont fermés.