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Catégories : Des évènements

Robert Laffont, la mort de l'éditeur des coups de coeur

Par Dominique Guiou, Jean-Claude Lamy
20/05/2010 | Mise à jour : 06:32 Réagir

Robert Laffont dans sa maison d'édition, en février 1992.
Robert Laffont dans sa maison d'édition, en février 1992. Crédits photo : AFP

Considéré comme le «grand-père de l'édition française», il est décédé mercredi à Paris à 93 ans. Il avait édité plus de 10.000 titres, dont de très nombreux best-sellers, et créé des collections prestigieuses comme «Pavillons» et «Bouquins», avec son complice Guy Schoeller

Robert Laffont est décédé hier à Paris à l'âge de 93 ans. Il avait édité plus de 10 000 titres, dont de très nombreux best-sellers, et créé des collections prestigieuses comme «Pavillons» et «Bouquins», avec son complice Guy Schoeller. Il a publié deux livres essentiels de la littérature d'après-guerre : L'Attrape-Cœurs de Salinger et Le Désert des Tartares de Dino Buzzati, sans oublier son plus grand succès, Papillon, souvenirs d'un bagnard.

Rien ne destinait ce fils de la bourgeoisie marseillaise du début du siècle dernier à embrasser la carrière aventureuse d'éditeur. Diplômé d'HEC, titulaire d'une licence en droit, secrétaire général d'une société de remorquage et de sauvetage en mer, le jeune Robert Laffont s'ennuyait ferme à Marseille et s'interrogeait sur son avenir.

«J'avais une femme et un enfant, une situation en vue, un appartement bien placé et la considération de tous. Soudain, la pensée d'avoir toute une vie à arpenter la rue Paradis m'a semblé intolérable. J'ai décidé de choisir au moins une chose, mon métier. C'est ce jour-là que je suis vraiment né», écrit-il dans le livre qu'il consacra à sa profession d'éditeur.

Il avait alors 24 ans. Dans la Cité phocéenne qui l'a vu naître le 30 novembre 1916, le jeune homme côtoie un monde cosmopolite. Des milliers de fugitifs, emportés dans la débâcle de mai 1940, ont fait de la grande ville en «zone libre» leur port de salut provisoire. Parmi eux, un certain nombre d'écrivains, peintres, cinéastes, comédiens, exerçant leurs activités à Paris sont devenus des habitués de la Canebière. La présence de ces intellectuels et artistes réfugiés avait ouvert à Robert Laffont de nouveaux horizons. Ces gens de passage correspondaient à son désir de découverte, et discuter avec eux l'engagea à prendre des risques. Sa rencontre, par exemple, avec le metteur en scène André Hunebelle l'incite à s'orienter vers la production cinématographique. Mais il s'aperçoit rapidement qu'il est en train de faire fausse route. Il se tourne alors vers l'édition, conseillé par Roger Allard, un poète et critique d'art qui avait travaillé chez Gallimard, et Guy Schoeller, le responsable de l'agence Hachette de Marseille. Ce dernier essaie de le dissuader de suivre ces voies aventureuses :

«Mon pauvre ami, vous êtes tenté par les deux chemins qui mènent le plus sûrement à la ruine : le cinéma et l'édition. Le premier est sans nul doute le plus rapide, le second le plus raffiné…»

Des propos qui stimulèrent l'amour-propre de Robert Laffont, bien décidé à montrer de quoi il était capable. Il retrouvera quelques années plus tard Guy Schoeller, d'abord comme concurrent puis comme partenaire, et les deux hommes lanceront la collection «Bouquins». L'aventure des Éditions Laffont commence au quatrième étage d'un vieil immeuble de la rue Venture à Marseille.

 

Passe d'armes avec les académiciens Goncourt 

 

Le premier livre publié par l'intrépide et entreprenant jeune homme fut l'adaptation par Gabriel Boissy d'Œdipe roi de Sophocle. La pièce venait d'être jouée au théâtre antique d'Orange. La presse locale salua l'arrivée du nouvel éditeur à la recherche d'auteurs. Ils se manifestèrent très vite. François de Roux, Prix Renaudot en 1935, va signer un contrat pour un recueil de nouvelles qui va connaître un beau succès. D'autres écrivains suivront : Marcel Brion, Marie Mauron, Guillain de Bénouville, Kléber Haedens… Sous la houlette de Pierre Seghers, des poètes comme Georges-Emmanuel Clancier, le futur auteur du Pain noir , Luc Estang, Lanza del Vasto, donnèrent d'emblée à la jeune maison une réputation flatteuse. Mais Laffont savait que c'est à Paris que se fait vraiment une carrière d'éditeur. Le grand départ pour la capitale a lieu en septembre 1944, au 30, rue de l'Université, un immeuble vétuste avec des fenêtres en vis-à-vis sur la cour des Éditions Gallimard !

La maison s'appuiera d'abord sur une revue, Le Livre des lettres, dirigée par Kléber Haedens qui publie en 1947 Salut au Kentucky, n'obtenant au prix Goncourt que les voix de deux jurés, René Benjamin et Sacha Guitry. Qu'importe ! Robert Laffont fait imprimer une bande «Le Goncourt de Sacha Guitry et René Benjamin». Menacé d'un procès, il la remplacera par «Le Goncourt hors Goncourt». C'est sa première passe d'armes avec les académiciens Goncourt qu'il attaquera ensuite régulièrement. La littérature étrangère prendra également un essor considérable, avec la création la collection «Pavillons». Parmi les premiers auteurs : Graham Greene et Evelyn Waugh. Malgré de beaux succès, la maison va bientôt connaître des difficultés.

Ainsi, dès 1948, lorsque Hachette, par l'entremise de Guy Schoeller, voulut le racheter. Ce sera finalement René Julliard qui prendra le contrôle de la maison en venant s'établir rue de l'Université. Après douze années de cohabitation, Robert Laffont retrouvait sa liberté d'action grâce à Jean Lambert, un jeune banquier qui avait créé à Wall Street une société d'investissement. L'installation, place Saint-Sulpice, en 1963, correspond au 500.000e exemplaire du Jour le plus long de Cornelius Ryan.

La grosse cavalerie des best-sellers et les chevau-légers de la littérature ont toujours fait bon ménage chez Robert Laffont. C'est une de ses caractéristiques alors que les mauvaises langues l'accusaient de ne s'intéresser qu'aux écrivains commerciaux.

 

Un homme de la rive gauche

 

Les noms de Jean Dutourd, Emmanuel Bove, André Pieyre de Mandiargues, La France contre les robots de Georges Bernanos, l'œuvre de Dino Buzzati depuis Le Désert des Tartares, L'Attrape-Cœurs de J. D. Salinger, Ce que savait Maisie de Henry James traduit par Marguerite Yourcenar, Le Premier Cercle d'Alexandre Soljenitsyne, les romans de Gilbert Cesbron, entre autres Il est minuit Dr  Schweitzer et Chiens perdus sans collier, Bernard Clavel, Prix Goncourt en 1968 avec Les Fruits de l'hiver, John Le Carré, Norman Mailer, Rachid Mimouni, Serge Lentz, Prix Interallié en 1985 avec Vladimir Roubaïev, Jean Raspail, Olivier Todd, tous ces auteurs et tous ces livres de qualité appartiennent bel et bien au catalogue des Éditions Robert Laffont.

Mais il faudrait également citer la bande des Corréziens Michel Peyramaure, Claude Michelet, Christian Signol, Denis Tillinac, les têtes d'affiche de l'École de Brive. Leurs romans s'inscrivaient dans la tradition d'une littérature populaire comme l'immense succès que fut Papillon, les souvenirs de l'ex-bagnard Henri Charrière.

Citons également la série des best-sellers de Dominique Lapierre et Larry Collins inaugurée par Paris brûle-t-il ?, les romans de Max Gallo, ou encore Françoise Dolto La Cause des enfants. Il a également acheté le Quid en 1977.

Jusqu'au bout, alors que sa maison avait pignon sur l'avenue Marceau, rive droite, qu'il n'en était plus depuis longtemps le propriétaire, Robert Laffont resta dans son quartier de la rive gauche. Au-dessus d'une boutique des éditions, rue des Canettes, à proximité de la place Saint-Sulpice, il occupa un petit bureau tapissé de livres où il recevait ses visiteurs. C'était souvent pour leur parler de la vie après la mort, témoigner de ce monde mystérieux qu'il avait entraperçu sur son lit d'hôpital après avoir été opéré du cœur. Ce sera à la fois sa force et sa faiblesse : Robert Laffont a été avant tout l'éditeur des coups de cœur. Mais sa plus belle réussite, c'est sans doute d'avoir transmis sa passion à trois de ses enfants : Isabelle et Laurent dirigent les Éditions JC Lattès, et Anne Carrière est à la tête de la maison d'édition qui porte son nom.

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