Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
La Révolution fort mari
Critique
Comment l’abolition de la puissance paternelle sur les majeurs n’a pas conduit à l’affranchissement des épouses
Anne Verjus Le Bon Mari. Une histoire politique des hommes et des femmes à l’époque révolutionnaire Fayard, 392 pp., 25 €.
Si l’abolition des privilèges et celle du droit d’aînesse sont des réformes de la Révolution française connues de tous et qualifiées communément de fondamentales, qui se souvient de celle qui met fin, non sans heurts et tergiversations, au statut de fils de famille des pays de droit écrit, «enfant d’honnête famille, précise le Dictionnaire de l’Académie française de 1765, qui est encore sous la puissance paternelle», même devenu homme. Désireuse d’étudier la modification des rapports de sexes au sein de la famille, au cours de la Révolution, en raison de son recentrage sur le foyer conjugal et de la survalorisation du «chef de famille», Anne Verjus se penche sur la condition des fils de famille, sur le sens de leur exclusion originelle de la citoyenneté active. Son analyse minutieuse des débats qui conduisent à leur victoire le 28 août 1792 par un décret qui abolit la puissance paternelle sur les majeurs, la porte à conclure que c’est là «un des textes de loi les plus emblématiques de l’esprit révolutionnaire».
Eviction. Jusqu’alors, les historiens ont été peu attentifs à la teneur de ces discussions, or leur étude contraint, estime Verjus, à revoir le sens donné à l’exclusion des femmes de la citoyenneté active : elle permet de comprendre le lien qui unit dans cette négation des droits civiques un statut civil, un sexe, et une condition sociale, celle des domestiques traités pareillement, jusqu’à cette réforme révolutionnaire, aux deux sens du terme. Dans cette commune exclusion, est à l’œuvre la notion d’indépendance, non le genre. Elle est la condition première de la citoyenneté, or aucune de ces trois figures ne peut s’en prévaloir. Ce constat permet de «comprendre comment les révolutionnaires avaient pu se penser universalistes et en même temps pratiquer une politique qu’avec le recul […] on avait jugée exclusive, et notamment sexiste». La chercheuse remet ainsi en cause l’éviction des femmes de la sphère politique comme expression de la domination masculine et de ce qu’un siècle plus tard on nommera l’antiféminisme.
Cette lecture est confortée par la bataille qu’engagent les fils de famille pour obtenir le droit de vote, leur victoire signe la défaite du paterfamilias, mais leur émancipation ne provoque pas celle des autres exclus, car femmes et domestiques demeurent dans une cellule familiale que dirige un homme, mari ou maître, un individu-citoyen. En émancipant les fils de famille, la Révolution qui a tué le Père pour donner le pouvoir aux frères, fait déchoir la puissance paternelle et semble remettre ses pouvoirs aux mains du mari. Mais ce glissement n’est pas simple équivalence : si, comme le père, le chef de famille - qui de facto ne se confond pas nécessairement avec un père ou un mari mais correspond à un statut social autonome - se substitue politiquement aux faibles (femmes, enfants et domestiques), c’est la raison qui le gouverne ; en conséquence, elle dirige le foyer familial et organise les relations conjugales. L’époux né de 1789 est ce «bon mari» que décrit l’écrivain des Lumières, le comte de Marmontel. Là où aujourd’hui on verrait autoritarisme de l’un et soumission de l’autre, il faut lire autorité bienveillante et consentement : sous la direction de l’homme, être de raison, l’épouse va se convertir à ses choix, ainsi se définit le conjugalisme. La communauté de vie est communauté d’idées, ainsi est préservée l’harmonie, au privé comme au public : le couple est un, et son unité «indivisible, non individualisée», agissant de la sphère domestique à la sphère politique, construites conjointement, préserve celle de la nation.
Mœurs. Cette configuration fonde les représentations de la citoyenneté française et ne saurait être réduite à la domination masculine, telle est la conclusion de cette étude très érudite. La brillance de la démonstration rend convaincante cette thèse, il n’en demeure pas moins que la volonté masculine de ne penser les femmes que dans une relation à l’autre masculin, la lecture bien négative de l’influence des femmes qui oppose, comme le rappelle l’historienne, une aristocratie féminine à une République virile tout en reconnaissant à la féminité sa capacité à policer les mœurs, l’obstination à faire perdurer cette interprétation de la citoyenneté malgré les évolutions contextuelles qui font exister socialement les femmes, toute cette rigidité donc jette en retour un fort soupçon de misogynie sur le choix initial de la définition de la citoyenneté révolutionnaire. Le débat, enrichi par cet ouvrage, n’est sans doute pas clos.
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