Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
France-Afrique : l'indépendance inachevée
Par Tanguy Berthemet
30/05/2010 | Mise à jour : 18:58 Réaction (35)
Abdoulaye Wade, le président sénégalais, Bingu wa Mutharika, le président du Malawi et Robert Mugabe, président du Zimbabwe, assistent au cinquantième anniversaire de l'indépendance du Sénégal, le 3 avril dernier à Dakar . Crédits photo : AP
Le sommet qui se tient ce lundi à Nice s'annonce comme celui du bilan pour quatorze pays africains, cinquante ans après la fin de la colonisation française. Dix armées du continent sont invitées à défiler à Paris le 14 Juillet.
Le Sénégal a fêté, début avril, le cinquantième anniversaire de son indépendance. Des célébrations en grande pompe, avec défilé militaire et inauguration d'une gigantesque statue à la gloire du continent. Le faste sénégalais risque cependant de rester bien singulier. Alors que treize autres pays africains commémorent cette année la fin de la domination française en 1960, les festivités, partout ailleurs, restent étonnamment discrètes. Les difficultés financières ne suffisent pas à expliquer les programmes étriqués des agapes. La gêne est palpable, comme si ce souvenir risquait davantage de réveiller les ambiguïtés de la relation entre la France et ses anciennes colonies qu'une amitié que l'on dit trop facilement indéfectible.
Le silence entourant le jubilé n'étonne pas tout le monde. «Il y a une indifférence en France, mais en Afrique aussi. Pour qu'il y ait fête, il faudrait qu'il y ait quelque chose à fêter. Et on peut vraiment se demander si c'est le cas», analyse Martin Ziguélé, ancien premier ministre centrafricain. Pour lui, les difficultés du quotidien après un demi-siècle de liberté accaparent toute l'attention des Africains, souvent trop jeunes pour se souvenir. Sur le continent, 60 à 65% de la population a moins de 25 ans. En France, un sondage montre que 69% des citoyens ne se sentent pas concernés. «Le temps passe. Il y a de moins en moins de Français qui connaissent l'Afrique et de moins d'Africains qui ont fait leurs études en France. Mais il reste des liens », veut croire Hubert Védrine.
Ce sont ces liens qui ont poussé Nicolas Sarkozy à organiser des célébrations en France. Mais en pointillé. Jacques Toubon, nommé secrétaire général du cinquantenaire, se dit conscient des risques : «Il y avait deux écueils. Le premier était de n'être pas assez présent et d'être taxé d'indifférence. L'autre, d'en faire trop et d'être accusé de néocolonialisme.» Il n'est pas certain que ce proche de Jacques Chirac, peu connu pour ces connexions africaines, parvienne à éviter de tomber dans ce vieux piège de la relation franco-africaine. À Paris, à moins de deux mois des célébrations du 14 Juillet, le programme français reste flou. Et la décision phare, l'invitation faite à dix armées africaines de défiler sur les Champs-Élysées, a immédiatement soulevé une polémique. « La France n'est pas dans son rôle en fêtant les indépendances» , insiste Elikia Mbokolo, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Un lourd héritage
Jacques Toubon assure qu'«il ne s'agit pas de mettre en valeur les armées d'aujourd'hui, mais celles d'hier, de la Force noire qui a tant contribué à la Libération». Le petit budget alloué -16 millions d'euros- ne permet pourtant pas grand-chose d'autre, si ce n'est un concert sur le Champ-de-Mars. La réussite repose donc sur le minisommet organisé le 13 juillet, ombre portée du sommet France-Afrique qui se tient lundi et mardi prochain à Nice. «Ce sera l'occasion de définir une nouvelle approche de la politique africaine», soutient l'ancien ministre. Selon lui, tous les sujets seront débattus, y compris ceux de l'immigration et des visas. Deux questions qui sont pour Jean-François Bayard «les vrais contentieux actuels entre le France et l'Afrique».
Côté africain, on ne montre guère plus d'enthousiasme à célébrer la liberté. «Les dirigeants sont hostiles à l'idée de faire le bilan car il n'est guère fameux -et plus encore à tracer des perspectives d'avenir », explique Elikia Mbokolo. La situation économique des anciennes colonies est globalement très délicate et les populations éprouvent le sentiment amer d'un immense gâchis. Comme le souligne Mamadou Diouf, professeur à l'université de Columbia, «la situation est d'autant plus compliquée que les partis des indépendances ne sont souvent plus au pouvoir et leurs successeurs répugnent à gérer cet héritage».
Le Sénégal est l'un des rares à se retourner sans appréhension vers son passé. Autre exception : la Côte d'Ivoire. Le président Laurent Gbagbo, brouillé avec Paris, boycottera les festivités françaises, mais affiche des intentions grandioses pour le jubilé à Abidjan. Le président ivoirien entend utiliser la date symbolique pour mettre en avant sa «refondation» politique. Une façon de montrer que l'ex-élève modèle du «pré carré» se rêve désormais en chef de file de la contestation, pour une seconde indépendance.
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