Ni une fatwa, ni la foudre des fondamentalistes ne freinent l’écrivain bangladaise dans son combat contre l’oppression des femmes. Avec la journaliste Caroline Fourest, elle signe un livre (1) choc où égalité et laïcité riment avec liberté.
Paru le 30.04.2010 , par Dalila Kerchouche
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À l’entrée d’un hôtel discret de Saint- Germain-des-Prés, six gardes du corps interceptent les visiteurs. De grandes précautions entourent la venue exceptionnelle à Paris de l’écrivain bangladaise Taslima Nasreen, 47 ans. Parce qu’elle dénonce l’oppression des femmes par les islamistes, cette gynécologue devenue romancière engagée est traquée depuis plus de seize ans, et considérée comme une femme à abattre. Plusieurs fatwas (jugements) la condamnent à mort, et en 2007 sa tête a été mise à prix. De Stockholm à New York et New Delhi, elle mène une existence nomade, et sait qu’elle risque de se faire insulter même dans un taxi. Pourtant, nulle trace de peur dans son regard franc.
Un châle chatoyant posé sur les épaules, elle boit son Coca light en plaisantant et parle d’une voix calme, posée, profonde. La voix d’une femme solide et charismatique, sûre de ses convictions et de la justesse de son combat. Symbole de résistance à la misogynie, elle remonte au front et publie un livre uppercut avecl’intellectuelle française Caroline Fourest, 34 ans, pour défendre la liberté d’expression.
Madame Figaro. Taslima Nasreen, dans quel état d’esprit êtesvous pour cette visite à Paris ?
Taslima Nasreen. Depuis que j’ai été chassée du Bangladesh, en 1994, j’ai appris à vivre avec ces violences que déchaînent mes écrits. Je m’y suis habituée, mais je ne les accepte pas. Je dois me montrer prudente, pas pour ma sécurité, mais parce que le moindre de mes propos peut provoquer des émeutes meurtrières. Hélas, l’Inde va à nouveau m’expulser au mois d’août. Dotée d’un passeport suédois, je pourrais me réfugier en Europe, mais cela ne m’intéresse pas. Je veux retourner en Asie, non par colère ou par désir de revanche, mais parce que là-bas les femmes opprimées par les fondamentalistes ont besoin de moi. L’une d’elle m’a dit un jour : « Vous me donnez la force de survivre. »
Caroline Fourest. Voilà pourquoi j’admire Taslima. À la différence de certains dissidents, elle se moque d’être un symbole en Occident et de recevoir des brassées de prix. Or, les pays musulmans ont besoin de sa parole parce qu’elle désacralise la religion. Ce sont des libres-penseurs comme Taslima qui nous ont permis, en Europe, d’imposer la laïcité ou de la faire avancer. Son mérite est d’autant plus grand qu’elle ne se laisse ni récupérer ni instrumentaliser par ceux qui voudraient la présenter comme une ennemie des religions, et de l’islam en particulier.
Qu’est-ce qui vous a rapprochées au point d’écrire un livre ensemble ?
T. N. Quand je regarde Caroline, je revois la jeune femme militante que j’étais il y a vingt ans, éditorialiste engagée au Bangladesh, une période de ma vie que j’ai intensément aimée. J’avais besoin d’échanger dans la sérénité.
C. F. En Occident, on connaît Taslima Nasreen comme une femme victime de sa fatwa, qui subit l’oppression. On sait peu qu’elle est avant tout une combattante et une redoutable éditorialiste, qui a pris la défense des minorités hindoues opprimées par les musulmans. J’avais envie de faire découvrir au grand public cet autre visage, combatif mais aussi lucide et humaniste de Taslima.
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