Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Catégories : Des femmes comme je les aime

L'homme est l'avenir de la femme

"On ne naît pas femme, on le devient" : dans le sillage de Simone de Beauvoir, le constructivisme est ici de mise. La femme est une construction sociale, et l'éternel féminin, fait de douceur intrinsèque ou de fibre maternelle naturelle, est une fiction conceptuelle. Mais si le féminisme vise à libérer les femmes de ces assignations identitaires, il lui incombe de "libérer les hommes d'un modèle viril et patriarcal tout aussi sclérosant", soutient l'écrivain Joy Sorman. Loin d'être anecdotique par rapport aux combats pour la parité politique ou l'égalité économique, la "libération des dominants" lui apparaît comme un levier de l'émancipation des dominées. Car un homme libéré de ses réflexes sexués sera moins violent, plus attentionné, peu enclin à retomber dans les ornières et les carcans d'antan.

La King Kong Théorie (Grasset, 2006) de l'écrivain Virginie Despentes est une référence partagée par ces féministes déterminées, enragées ou apaisées : "Il y a des hommes plutôt faits pour la cueillette, la décoration d'intérieur et les enfants au parc, et des femmes bâties pour aller trépaner le mammouth, faire du bruit et des embuscades", écrivait-elle, avec une imagerie pas si éloignée de celle d'un Sardou qui parlait de "femme et gardien de la paix/Chauffeur de car agent secret", que ces militantes doivent certainement considérer comme l'incarnation honnie du patriarcat droitier... Mais, alors que les années 1980 magnifiaient les femmes "PDG en bas noir/Sexy comm'autrefois les stars", les années 2010 de Joy Sorman regrettent que "trop peu d'hommes bandent pour des filles drôles, grandes gueules, leveuses de coude et raconteuses de blagues salaces".

Le parallèle avec l'identité nationale est éclairant, comme le montre notamment le sociologue Eric Fassin qui relit Trois femmes puissantes (Gallimard, 2009), le roman de Marie NDiaye primé par le Goncourt à l'aune de cette question. Sur le terrain de l'appartenance sexuelle ou nationale, le combat contre la fixité est ici une valeur partagée. Face à la puissance des stéréotypes, il s'agit de défendre "l'invention de soi".

La différence des sexes résiste, toutefois, même si les contributeurs ne s'arrêtent guère sur le fait biologique, parce qu'on ne saurait déduire une norme d'un fait. Comment être "femme philosophe", sans mimer le discours narcissique de la tradition philosophique classique (Catherine Malabou) ? Comment échapper au machisme conceptuel (Avital Ronell) ? Comment accepter d'être "femme artiste" alors qu'on ne parle jamais d'"hommes artistes" (Nathalie Quintane, Wendy Delorme) ? En quoi le féminisme est-il bon pour les hommes ? (François Bégaudeau) ?

"La femme est l'avenir de l'homme", chantait Jean Ferrat, aux antipodes du Sardou du Temps des colonies territoriales et patriarcales. A lire ces contributions qui tendent à échapper au féminisme du ressentiment, il est ainsi possible de renverser la proposition. Si la révolution masculine est une des conditions de l'émancipation féminine, il est permis de considérer que l'homme est l'avenir de la femme.


 

 

La Nouvelle Revue française

nº 593, avril 2010

NRF

240 p., 19 euros

 

Nicolas Truong

Les commentaires sont fermés.