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Catégories : L'art

Titien démasqué à Ajaccio

Eric Bietry-Rivierre
08/06/2010 | Mise à jour : 11:43 Réagir

Il manquait une preuve formelle, elle vient d'être apportée : «L'Homme au gant» du Musée Fesch est bel et bien de la main du maître italien. 

 

L'Homme au gant.
L'Homme au gant.

 

Il a le sourire de celui qui a joué une bonne farce. Jean-Pascal Viala compte parmi les trois cents meil­leurs restaurateurs français d'œuvres d'art. Il vient d'aider considérablement les historiens en prouvant que le célèbre Homme au gant, conservé au Musée Fesch d'Ajaccio, est bien un ­Titien. La Corse respire:sa «Joconde» ne souffre désormais plus le moindre doute quant à son attribution.

À l'occasion d'une intervention au revers, effectuée il y a quelques se­maines, Jean-Pascal Viala découvre une curieuse inscription. En haut à gauche, sous la traverse du châssis, apparaît l'inscription «h.quin». Elle n'est pas un mystère pour cet homme de l'art : c'est ainsi que signait un de ses illustres prédécesseurs, un bon rentoileur de la fin du XVIIIe siècle nommé François-Toussaint Hacquin. Jean-Pascal Viala, en revanche, ignore que ce dernier avait écrit un mémoire. Il faut qu'il parle incidemment de sa trouvaille à un conservateur du Musée Fesch pour que le rapprochement soit établi. Il lui signale que le mémoire de Hacquin est le plus ancien document valable où est décrit précisément L'Homme au gant.

Seule cette archive permet de remonter à l'origine du tableau. Y sont en effet listés toutes les restaurations antérieures, les dimensions et les matériaux employés. Impossible de justifier matériellement l'attribution. Les portraits d'inconnus surnommés par l'usage avec des termes aussi vagues que celui d'«homme au gant» sont légion. Par ailleurs, Titien, dans sa jeunesse - l'époque présumée de la naissance du tableau -, ne signa vraiment qu'une fois (le portrait du Louvre). Parfois il apposait de simples initiales et la plupart du temps rien du tout.

Au XIXe siècle, sans connaissance du mémoire de Hacquin, L'Homme au gant a été longtemps attribué à Giorgione. Au fil des rentoilages, ses dimensions ont changé, si bien que dans l'inventaire des anciens Musées royaux il est difficile d'en trouver une trace nette. Les documents comptables antérieurs à 1824 relèvent au moins six portraits d'homme «vêtu de noir» et «de grandeur naturelle», attribués à Titien ou à son entourage.

 

Un mystère subsiste 

 

«Les restaurateurs de couche picturale travaillent alors souvent pour des tarifs journaliers, fournissant simplement des listes de tableaux pour mémoire, sans autres précisions, ce qui rend très difficile l'identification des œuvres, notamment des portraits d'anonymes ou des paysages», note Paul Joannides, un des auteurs du catalogue de l'exposition de réouverture du Musée Fesch.

Titien ne redevient l'auteur probable du tableau qu'à la redécouverte des informations laissées par Hacquin. En prouvant que c'est bien la toile d'Ajaccio qui est passée entre ses mains, Jean-Pascal Viala valide désormais l'hypothèse dominante par un lien matériel.

D'un point de vue plastique, les historiens de l'art considéraient cette chevelure, ce béret, ce fond et l'habit sombres, volontairement à peine différenciables, comme caractéristiques de la manière du jeune Titien. Autrement, on avait remarqué que, parmi les vingt et un portraits individuels d'hommes présumés peints par le maître entre 1508 et 1523, aucun ne présente un ciel ou bien même un quelconque arrière-plan. Les vignettes urbaines ou campagnardes, qui se trouvent communément insérées dans ce type de composition par les contemporains de Titien, sont également absentes. Pour une focalisation maximale sur le modèle. De tels fondements sont fragiles, ils ne reposent que sur une communauté de goûts et d'opinions.

Alors, fin de l'énigme du tableau ? Il subsiste encore à Ajaccio un important mystère, celui de l'identité de L'Homme au gant. «Contrairement à Raphaël dans les années qui nous préoccupent, estime Paul Joannides, Titien n'était pas encore un artiste de cour. Ainsi, dans la mesure où il ne dépendait pas de mécènes connus, il est improbable qu'on puisse un jour identifier ses modèles. Ceux-ci ne semblent pas avoir fait partie des grands de leur temps, et beaucoup d'entre eux étaient peu connus. C'est un fait que rien ne disparaît plus vite que le souvenir des politiciens mineurs.»

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