Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Facebook, le grand ras-le-clic
Avec les dernières polémiques, quitter le réseau social devient un must, mais reste une entreprise ardue.
Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, lors d'une conférence de presse le 26 mai 2010 à Palo Alto. (© AFP Gabriel Bouys)
«J’ai près de 4 000 adresses mail, photos… Les gens me les ont données, j’ignore pourquoi. Ils me font confiance. Putain d’abrutis.» L’ironie grinçante (et glaçante) du jeune boss de Facebook, fortuitement échappée d’une de ses conversations électroniques en 2004, n’a pas empêché son réseau social en ligne de conquérir le monde. Mais Mark Zuckerberg, 26 ans à ce jour, ne s’est pas fait que des amis. Après les anti-Facebook de la première heure, voici les facebookiens désenchantés. Comme les premiers utilisateurs du site, ces ex-membres et nouveaux détracteurs jouent de leur minorité pour apparaître comme les (dé)branchés du moment. Ils dénoncent, tumultes personnels à l’appui, la vacuité, le manque de protection de la vie privée et la chronophagie du système. La revanche des «abrutis» s’organise.
Top 2. Pour le vérifier, tapez «comment» et «quitter» sur Google. Au top 2 des phrases les plus recherchées, juste derrière «comment quitter son copain sans lui faire mal», on tombe sur… «comment quitter Facebook». Essayez en anglais («How to quit…») : même topo. Ces velléités se sont concrétisées le 31 mai avec le «Quit Facebook day». Une opération lancée par deux Canadiens, qui a vu 35 000 personnes annoncer leur départ le même jour. Si le mastodonte, qui revendique 450 millions de membres (15 millions en France) n’a pas grand-chose à craindre de ce pixel de grogne, il ne peut faire la sourde oreille. Un sondage réalisé en mai par l’anglais Sophos, spécialisé dans la sécurité informatique, révèle que seuls 24% des inscrits n’ont aucune intention de s’en aller et que 16% ont déjà claqué la porte.
A l’appui de leur déception, les usagers citent d’abord un respect brumeux de la confidentialité : 170 options, plus ou moins accessibles, et une charte d’utilisation plus longue que la Constitution des Etats-Unis. «Bien sûr, on peut bricoler pour définir qui de votre famille, de vos amis, des amis de vos amis ou du public peut accéder à tel ou tel contenu. Mais il faudrait y passer pratiquement deux heures par jour !» ironise Sami Coll, chercheur à l’université de Genève, spécialisé dans les nouvelles technologies. Résultat de cet embrouillamini, plusieurs procès intentés aux Etats-Unis pour non-respect de la vie privée. Et, selon un cabinet d’avocats anglais, Facebook aurait désormais une responsabilité dans 20% des divorces. Mark Zuckerberg, humant que son joujou commençait à faire jaser, vient d’annoncer une simplification des paramètres de confidentialité.
La vampirisation de nos données par les firmes de tout poil ne cesse pas pour autant. Car si Facebook affiche 550 millions de dollars de revenus annuels (460 millions d’euros), c’est qu’il facture les profils à ses partenaires, pour qui nos âges, professions ou centres d’intérêts sont une mine d’or. Même les applications du genre «Calcule à quel point ton nom est sexy» ou «Quelle est la consistance de tes excréments ?», une fois utilisées, gardent en mémoire nos données pour mieux nous fourguer de la pub, via Facebook ou par mail.
Saliver. Autre motif de désertion : la lassitude abyssale du culte de la vie romancée. «Beaucoup de membres peuvent se sentir fatigués par la nécessité d’apparaître heureux, beau et cool sur leur profil», observe Sami Coll. En moyenne, le facebookien est «ami» avec 130 personnes, dont la plupart seulement dans la cybervie. D’où une propension chronique à la surenchère. En quelques photos bien choisies et un statut à faire saliver - «en direct du festival de Cannes» -, une existence insignifiante se trouve vite transformée en odyssée glamour. «Le site est devenu incontournable dans le processus de présentation de soi. Il nous incite à entretenir notre image», résume Coll. C’est donc au choix : soit je m’isole, je sombre dans un anonymat intersidéral et je vire à la ramasse question buzz, ragots et soirées hype. Soit je garde ma place dans la grande parade narcissique, et je m’épargne un combat perdu d’avance contre un géant californien qui, le temps de la lecture de cet article, a glané un millier de nouveaux adeptes
Dessin Rocco
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