Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Quelques analogies autour des bleus
par Mezence
27.06.10
Pendant cette coupe du monde, j'ai porté comme tout un chacun, dans mes cercles privés, des jugements quotidiens sommaires sur tel ou tel aspect de la "vie" des bleus ; ces conversations ont été perdues pour tous, noyées dans la masse et frappées d'insignifiance. Pourtant, j'ai peur d'avoir participé à un mouvement général assez mortifère. Plusieurs analogies me viennent à l'esprit, pas forcément originales, pour définir la représentation à laquelle nous avons assisté et malheureusement participé.
Nous avons été en partie des spectateurs passifs d'une pièce de théâtre ou d'un rendez-vous de collégiens.
Nous avons regardé une pièce de théâtre antique. Le sélectionneur est au centre d'une tragédie (bouffonne). C'est le général grec qui veut faire la guerre contre l'avis des conseillers et des dieux. C'est l'hubris de celui qui s'accroche à son pouvoir et à ses choix contre le bon sens. A la fin, le général tombe. Ici, le bouffon de la situation (du foot plutôt que la guerre) enrobe le tragique.
Nous avons vu une classe de collégiens. Le professeur se fait chahuter, insulter, il veut sauver les meubles (lire le communiqué des joueurs), puis s'appuyer sur les réactions extérieures (la Principale Roselyne Bachelot) pour rétablir son autorité (condamner l'attitude des uns et des autres avec la conférence de presse).
Voici deux analogies dont il ne faut pas créer des généralisations abusives, mais qui me paraissent évidentes. Nous y jouons le rôle de spectateur outré ou amusé. Mais loin de n'être que passifs, nous avons participé à un mécanisme pervers.
En un sens, cette coupe du monde a été une télé réalité, dont il fallait éliminer des concurrents, avec la voix du peuple, le journal L'Equipe : virez Domenech, Govou, Ribéry... Tout doit se savoir chez les bleus, et vous aurez des confessions en bonus. Chaque concurrent rejettera la faute sur les autres, qui en sortira indemne ? Ainsi, on ne distingue plus la personne privée (l'homme Anelka, l'homme Domenech) avec la fonction qu'il occupe (joueur, sélectionneur). Cet état de fait, auquel on s'est habitué, est choquant.
Enfin, dernière analogie, plus polémique, à travers notre goût pour la transparence, le jugement, la recherche même amusée du "traître", nous avons créé un mini espace qui rappelle dans son fonctionnement, sinon dans ses effets (heureusement), la dictature de la masse. Nous n'avons pas de pouvoir effectif dans la situation, nous nous distinguons au contraire par notre impuissance à modifier le cours des événements, mais pour cette raison là nous pouvons exiger des comptes, railler, conspuer, suivre le dernier qui parle. Pouvoir d'autant plus pervers qu'il s'appuie sur l'impuissance de chacun, et flotte au-dessus des têtes. Heureusement, il ne s'agit que de foot, et cette "didacture modérée", si l'on ose l'oxymore, n'a pas de conséquences trop dramatiques sous nos lattitudes.
Que conclure de ces analogies ? Collégiens, général, télé réalité, espace ouvert en petit aux spectres de la didacture... D'abord faudrait-il revenir au sens du jeu. On a pris l'habitude de voir les footballeur comme des cadres supérieurs d'une entreprise. Ce sont des professionnels, leurs performances et leur attitude doivent être en rapport avec ce qu'ils gagnent, le sélectionneur étant le "manager" qui est là pour les motiver et les briefer.
Cette manière de voir confond les joueurs, sensibles à la pression et ayant besoin de confiance, avec des robots. Si les joueurs ne sont pas bons, c'est qu'ils sont pourris jusqu'à la moelle, ils ridiculisent la nation, l'idéal, la démocratie, les valeurs. Etrange métonymie qui fait de la partie (un petit groupe de joueurs) le tout. Grossissement que l'on retrouve dans tous les abus de langages, parfois malveillants.
Ne pas oublier que jouer au foot est d'abord et avant tout un art, qui puise son inspiration dans le plaisir du beau geste et la fraternité au sein d'une équipe ; s'ils sont professionnels par l'argent qu'ils reçoivent, sur le gazon ils demeurent avant tout des "amateurs" du ballon rond. On retrouverait un peu de calme en sortant des logiques mécaniques des "il n'y a qu'à", des "c'est inadmissible que". Car dans cette histoire rien n'est tellement surprenant. Dans une société de consommation de masse, de médias de masse, d'argent de masse, de professionnalisme outrancier, il est normal que les généraux pètent les plombs, que des adultes immatures soient bouffis d'orgueil, que les amateurs se prennent pour des dieux.
"Un homme, ça s'empêche" écrit Camus dans le Premier Homme en citant un mot de son père. Dans cet histoire, où l'on ne s'interdit pas grand chose, se perd la mesure de l'humain.