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Catégories : Des anniversaires

Trente ans de poésie sous le Cheyne

LE MONDE DES LIVRES | 08.07.10 | 10h47  •  Mis à jour le 08.07.10 | 10h47

Est-il possible aujourd'hui de vivre en n'éditant que de la poésie ? L'affaire a tout d'une gageure. A regarder le parcours de Jean-François Manier, qui a fondé Cheyne éditeur, une maison indépendante de poésie, la réponse semble pourtant positive : l'Orangerie du Sénat lui consacre une exposition, intitulée "Trente ans d'édition de poésie", à partir du 12 juillet. Il s'agit d'une manifestation thématique sur le métier d'éditeur de poésie, à l'occasion du 30e anniversaire de Cheyne.

Dans un espace de 600 m2, les archives de l'éditeur, ses manuscrits, la correspondance avec les auteurs, des documents sonores, la présentation de ses différentes collections sont mis à la disposition du public. On touche là le coeur du métier. Jean-François Manier s'est beaucoup impliqué dans la scénographie de l'exposition. Au centre, un espace partagé entre la création - afin de montrer "tout ce que l'on ne voit pas habituellement, par exemple le travail sur les manuscrits" - et les publics, car l'édition demeure pour lui un métier d'offre et de contacts ; à gauche, un espace appelé "bâtir", qui expose les collections formant l'ossature du catalogue et de la ligne éditoriale ; à droite enfin, un lieu nommé "faire lumière", où sont présentés les travaux de bibliophilie et d'impression. En trente ans, Jean-François Manier peut se flatter d'avoir contribué à faire connaître des poètes comme Jean-Marie Barnaud, Marie Cosnay, David Dumortier, Jean-Yves Masson, Reiner Kunze, Ito Naga, etc.

Rien ne prédestinait pourtant ce fils d'enseignants parisiens, diplômé d'HEC, à créer une maison d'édition dans un coin reculé d'Auvergne, excepté son amour immodéré de la poésie. Rimbaud, Rilke, Char, un peu plus tard Segalen, ont marqué son adolescence puis sa vie d'adulte. "Ils m'ont formé", dit-il.

Depuis l'origine, deux convictions l'animent : "On vit mieux avec la poésie que sans", et celle-ci "doit pouvoir se partager". Il s'est lancé dans cette aventure éditoriale singulière avec sa compagne, Martine Mellinette : "J'étais du côté de l'écrit, ma compagne était plus sensible à l'image." Trente ans plus tard, Cheyne éditeur est devenu la première maison indépendante de poésie contemporaine. Son chiffre d'affaires reste modeste (320 000 euros par an), mais, comme le souligne l'éditeur américain et francophile André Schiffrin, "après des années de difficultés financières, les éditions Cheyne, qui ont maintenant payé toutes leurs dettes, ont leur chiffre d'affaires assuré à 65 % par les ventes du fonds, ce qui est rare dans l'édition".

Cheyne dispose d'un catalogue de 300 titres et a vendu 300 000 volumes à ce jour, hors Matin brun, de Franck Pavloff. Ce recueil, qui s'est écoulé à lui seul à 1,5 million d'exemplaires, est d'abord paru dans l'anonymat le plus complet, en 1998. Il a connu un succès phénoménal à partir d'avril 2002, après le traumatisme du maintien au second tour de l'élection présidentielle de Jean-Marie Le Pen. Son titre, Matin brun, fait référence à la couleur des chemises nazies.

La structure créée par Manier et Mellinette porte le nom d'un lieu-dit au Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire), situé sur un plateau isolé qui fut aussi un haut lieu de la Résistance. Le couple a emménagé dans une école désaffectée prêtée par la municipalité. Avant cela, ils avaient pris conseil auprès de René Rougerie, éditeur indépendant de poésie à Mortemart, dans la Haute-Vienne. "Faites vos livres", leur avait-il lancé, ce qui fait que l'éditeur en herbe devint aussi imprimeur et qu'il travaille au plomb, réalisant la fabrication complète des livres, de la conception jusqu'au brochage.

Pour faire partager l'amour de la poésie, Jean-François Manier a aussi créé les Lectures sous l'arbre - sa deuxième fierté -, avant même la vogue des lectures publiques. Ces rencontres accueillent depuis dix-neuf ans jusqu'à 3 000 spectateurs sur les hauts plateaux du Vivarais. Symboliquement, des lectures quotidiennes sous l'arbre se tiendront, pendant le mois de juillet, dans le Jardin du Luxembourg.

Même s'il est encore trop tôt pour se retirer, Jean-François Manier songe déjà à son dernier chantier : faire en sorte que Cheyne survive à ses créateurs. L'arrêt brutal du Dé bleu, la maison de poésie créée par Louis Dubost, l'a marqué, et il garde comme modèle de transmission celle réalisée par José Corti. Avis aux amateurs. 


"Cheyne, trente ans d'édition de poésie", exposition à l'Orangerie du Sénat-Jardin du Luxembourg. Du 12 au 31 juillet, de 10 heures à 20 heures, 7 jours sur 7. Entrée libre. Catalogue "Cheyne, 30 ans, 30 voix", Cheyne éditeur, 184 p., 25 €.

 

Alain Beuve-Méry

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