Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Fonction publique : sanctionnée pour avoir dit la vérité
Véronique Grousset
09/07/2010 | Mise à jour : 18:22
Aurélie Boullet, photographiée ici place Jean-Jaurès, à Bordeaux, attend maintenant la décision du président de la Région Aquitaine. (F. Desmesure/Le Figaro Magazine)
Aurélie Boullet a écrit un pamphlet très drôle sur son quotidien de haut fonctionnaire dans un conseil régional. Elle vient d'être suspendue pour deux ans, sans traitement.
y a encore quinze jours, nous ne la connaissions que sous son pseudonyme de Zoé Shepard. Son livre, Absolument dé-bor-dée ! (Albin Michel), nous était arrivé à la mi-février par la poste, sans recommandations particulières, mais il était suffisamment original et bien écrit pour retenir l'attention : ce n'est pas tous les jours qu'un administrateur territorial de catégorie A rédige un pamphlet aussi comique et courageux pour raconter sa stupeur face à certains gaspillages et manquements aux valeurs du service public.
En plus de sa drôlerie, l'ouvrage avait en effet valeur de témoignage. Même s'il ne s'agissait, de toute évidence, que d'une version romancée:«Les anecdotes étaient vraies, à plus de 90%, et je m'étais autocensurée pour les pires, précise aujourd'hui Aurélie Boullet.Mais j'avais grossi le trait pour chacun des personnages et, jusqu'à ce que je sois dénoncée, donc identifiée, aucun de mes collègues de travail ne s'était reconnu. Ni même après, d'ailleurs, puisque pas un seul n'est venu devant le conseil de discipline pour témoigner qu'il s'était senti offensé. Quant à la collectivité, mon avocate a largement démontré, point par point, qu'elle n'était pas non plus identifiable.»
En lisant le livre, nous avions effectivement tenté, nous aussi, mais sans y parvenir, de mettre un nom sur cette collectivité assez prodigue et laxiste pour engager des équivalents- énarques à tour de bras en leur donnant huit jours pour effectuer un travail ne réclamant que deux heures ; les histoires étaient si adroitement mélangées qu'on n'arrivait même pas à savoir s'il s'agissait d'une grande ville, d'un département, ou d'une Région! Mais le problème, justement, c'est qu'aucun des hauts fonctionnaires et des élus de la Région Aquitaine qui s'acharnent aujourd'hui contre l'auteur de Absolument dé-bor-dée ! ne semble avoir lu son livre. Sinon, comment pourraient-ils soutenir que l'accusation de «manquement à l'obligation de réserve» est fondée, alors que cet ouvrage ne contient pas une seule révélation sur un fait ou un dossier précis permettant d'identifier leur institution ?
«Sur les sept membres du conseil de discipline, cinq ont reconnu ne pas avoir lu mon livre, et les deux autres, les seuls qui m'avaient lue, m'ont défendue au point de faire durer la délibération cinq heures, ce qui ne s'était jamais vu», confirme la jeune femme, atterrée par la façon dont s'est déroulée l'instance disciplinaire qui l'a condamnée, jeudi 1er juillet, à deux ans de suspension sans traitement. Une sanction qui « plante (s)es perspectives d'avenir» en lui interdisant d'occuper le poste beaucoup plus intéressant et productif qu'elle avait trouvé ailleurs.
«C'est pour ça que je parle de procès stalinien et d'attentat contre la liberté d'expression, s'indigne-t-elle. On a demandé à des représentants du personnel et à des élus tirés au sort de se prononcer sur le fond, mais sans leur donner le livre et en allant même jusqu'à leur déconseiller de le lire au motif qu'il serait “injurieux, abject et infâmant“. Si Alain Rousset (le président PS de la Région Aquitaine, qui dispose d'un mois pour confirmer ou modifier la sanction, ndlr) avalise la décision du conseil, je saisirai évidemment le tribunal administratif en référé, ne serait-ce que pour pouvoir enfin m'exprimer devant quelqu'un qui ne sera pas à la fois juge et partie, et qui aura lu le livre.»
Elle aurait eu moins de problèmes si elle avait écrit «Bonjour paresse»
Ce qui révolte aussi cette syndiquée CGT, c'est le côté «deux poids deux mesures» de la sanction qui la frappe:«Elle est incroyablement plus violente que celle prise, il y a environ deux ans, à l'encontre d'un chef de service qui s'était constitué un fichier nominatif sur ses subordonnés en l'assortissant de commentaires sur leur caractère ou leur vie privée, et qui avait commis la bêtise de l'oublier dans un photocopieur. Il avait écopé de trois jours de suspension, puis il était parti en congé maladie. Et devinez ce qui lui est arrivé lorsqu'il est rentré? Ses supérieurs lui ont donné une promotion.»
Typiquement le genre d'anecdotes qu'elle ne raconte pas dans son livre, parce qu'elles auraient permis d'identifier sa collectivité, mais qui ont achevé de lui ouvrir les yeux sur des moeurs et des méthodes de travail qui continuent, aujourd'hui encore, à la scandaliser. «J'ai largement de quoi écrire un deuxième tome, sur les élus cette fois, mais cela ne signifie pas contrairement à ce que prétendent mes détracteurs que je me complais dans un discours démagogique anti-fonction publique. Ceux qui disent ça n'ont pas lu mon livre. S'ils l'avaient fait, ils sauraient que la fonction publique, la vraie, celle qui bosse et qui sert à quelque chose, je n'écris au contraire que pour la défendre !»
Rien que de très louable, en somme. Beaucoup plus en tout cas que ne l'était le célèbre Bonjour paresse publié en 2004 par Corinne Maier pour prôner «L'art et la nécessité d'en faire le moins possible en entreprise», en l'occurrence, EDF. Un moment inquiétée par sa direction alors qu'elle pensait ne rien avoir à en redouter (à la différence de «Zoé» qui, elle, avait pris d'infinies précautions pour ne pas être reconnue, avant d'être trahie par son phrasé très particulier et son accent parisien au micro d'Europe 1), Corinne Maier n'avait finalement pas été sanctionnée.
Aurélie Boullet sera-t-elle au contraire la première fonctionnaire à être honteusement privée du bénéfice de ses (longues) années d'études pour avoir simplement dit la vérité, sans viser ni désigner personne ? Ce serait pire qu'injuste:dommage. Et pas uniquement pour la liberté d'expression que le statut des fonctionnaires (par ailleurs si dérogatoire et généreux) est justement supposé garantir et protéger. La fonction publique et les contribuables y perdraient également beaucoup. Car le poste sur lequel «Aurélie- Zoé» avait été acceptée avant d'être suspendue pour deux ans se trouve dans une chambre régionale des comptes. Avec l'ardeur qu'elle met à vouloir travailler davantage et le talent qu'elle déploie pour dénoncer le gaspillage des deniers publics, elle y ferait sûrement merveille.
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