Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Marceau : «Après 40 ans, on se fait davantage face»
Jean-Christophe Buisson et Laurence Haloche
06/07/2010 | Mise à jour : 10:48
Après le triomphal LOL, la comédienne préférée des Français revient sur les écrans cet été dans L'Age de raison, un film bouleversant signé Yann Samuell (en salles le 28 juillet). Elle y interprète une executive woman quadragénaire rattrapée par ses promesses d'enfance. L'occasion idéale pour l'interroger sur une génération dont elle est devenue l'icône incontestable.
(Richard Melloul/Le Figaro Magazine)
Le Figaro Magazine Dans «L'Age de raison», le personnage que vous incarnez reçoit le jour de ses 40 ans une lettre qui l'interroge sur ce qu'elle a fait de sa vie. Vous-même, avez-vous dressé le bilan de la quarantaine ?
Sophie Marceau J'ai en tout cas conscience que la quarantaine est une période clé de l'existence. On a accumulé une certaine expérience, on entre plus ou moins dans une période de réflexion, de mise au point et de remise en question... Celle-ci peut être violente, parfois, d'ailleurs. Combien de temps me reste-t-il? Quels sont encore les buts à atteindre? Heureusement, les objectifs sont mieux définis, on sait un peu mieux qui l'on est. Du coup, on se fait davantage face, on se fuit moins.
Avez-vous vécu des crises existentielles?
Plutôt des questionnements. Même encore aujourd'hui, je m'interroge sur le sens à donner aux choses. A quoi ça sert, tout ça? Qu'est-ce que je fais de moi?Est-ce que j'accorde du temps à ce qui en vaut la peine? Et surtout:comment ne pas perdre de temps?
Vous semblez parfaitement assumer votre âge...
Nous vivons dans un monde de séduction, surtout au cinéma, où l'image compte beaucoup. Bien sûr qu'il n'est pas facile de se voir vieillir. Certaines étapes sont plus difficiles que d'autres. Il arrive toujours un moment où vous êtes tentée de demander à être éclairée sur un plateau avec une lumière plus flatteuse... comme dans la vie. Je crois qu'il faut accepter l'idée du vieillissement. Mais c'est plus simple lorsqu'on est épanouie et aimée !
Qu'est-ce qui différencie les quadras d'aujourd'hui de ceux des générations précédentes ?
Même sans suivre forcément de psychanalyse, on analyse et on réfléchit davantage que ne pouvaient le faire nos parents, par exemple. On s'interroge beaucoup sur soi peut-être trop, d'ailleurs. Mais les questions viennent seulement quand on a un peu avancé dans la vie. Une vieille comme moi a déjà trente ans d'expérience professionnelle, vous imaginez !
«La Boum» de Claude Pinoteau vous a rendue célèbre alors que vous n'étiez qu'une adolescente. Que vous a volé cette notoriété précoce ?
Volé? Je ne sais pas si c'est le terme le plus juste, mais cela a effectivement pris toute la place dans ma vie d'ado. Pour que je puisse continuer ce métier, ma vie d'écolière et de jeune fille a complètement été remise en question. Il a fallu que je m'adapte, que je fasse des impasses sur beaucoup de choses. Je n'ai pas vraiment eu une vie normale d'adolescente des années 1980 ! C'est pour cette raison que j'ai essayé de me protéger en me créant un monde à moi, à l'écart. J'ai continué à grandir à l'abri, un peu recluse. Mais finalement, j'aime assez l'idée que je ne connaisse pas ce que tout le monde connaît. Etre en marge ne me déplaît pas forcément. Cela préserve une forme d'innocence.
(Richard Melloul/Le Figaro Magazine)
Avez-vous, malgré tout, le sentiment d'avoir des points communs avec les gens de votre génération?
Je n'ai pas les repères des gens de ma génération. C'est très abstrait pour moi, un peu bizarre, même... Par exemple, je ne connais pas le plaisir de partager avec des amis de mon âge la nostalgie d'une musique ou d'un film. Rien ne me revient précisément. Ce sont mes enfants qui me replongent dans ma jeunesse comme lorsque j'achète le DVD de Grease à ma fille... qui l'a adoré !
Aviez-vous, enfant, des ambitions, des objectifs précis?
C'était un peu flou et très vaste.En tout cas, je ne voulais absolument pas devenir comédienne. Mon envie se résumait,même si je ne le formulais pas aussi clairement, à vouloir être libre et autonome. Je me voyais partir, voyager... Or, j'y parvenais justement grâce à mon travail. J'ai donc vite compris que c'est par le travail qu'on peut s'accomplir, s'extraire de son milieu pour aller vers l'extérieur où tout est possible.
Vous affranchir de votre milieu d'origine vous paraissait-il indispensable?
Ah, oui ! Je l'ai même fait avec une certaine violence. Je pensais que j'avais besoin de cette rupture pour évoluer. Mais je l'ai fait d'autant plus facilement que je savais que, dans ma famille, il y avait un vrai souci de l'autre et qu'il y avait de l'amour entre tous ses membres. C'est probablement pour cette raison qu'en bonne enfant gâtée, je me suis permis de dire non un jour à mes parents.
Comment expliquez-vous l'émotion particulière que provoque «L'Age de raison»?
Je crois qu'il touche directement à un point névralgique de tout un chacun: l'enfance. C'est un retour en arrière très émouvant qui vous tire des larmes:soit parce que c'est douloureux, soit parce que cela réveille quelque chose de plus heureux... Dans les deux cas, cela renvoie à quelque chose que l'on a un peu perdu. Ce qui m'émeut dans le film de Yann Samuell, c'est la main de cette enfant qui vous emmène faire un tour dans le passé, à l'époque des cachettes, des promesses, des rêves...Un état où tout semble assez pur, assez innocent. Je crois que, inconsciemment ou pas, on s'est tous arrêtés quelque part dans notre vie à un âge que l'on a choisi.
Vous-même, c'était à quel âge?
Douze ans. C'était une année très heureuse. J'avais une bande de super-copains, j'avais l'impression d'être indépendante, d'échapper au statut de l'enfant qui, à la maison, n'a rien à dire ou rien le droit de dire. J'étais amoureuse, mais cela n'impliquait rien vraiment, je trouvais mes parents formidables... J'étais bien dans ma vie, bien dans ma tête.C'était juste avant de prendre conscience que l'on doit devenir adulte, responsable.Un moment très triste qui, dans le film, correspond à la scène où la petite fille décroche tous les posters de sa chambre et se dit:«Maintenant, j'arrête de rêver. »
Arrivez-vous à définir les étapes importantes qui, professionnellement, ont contribué à construire la femme que vous êtes devenue?
On ne choisit pas les films par hasard: ils sont souvent le reflet de ce que vous êtes dans la vie au moment où vous les tournez. C'est ce qui fait l'intérêt de ce métier, d'ailleurs. Dans ce film, je joue une femme d'une quarantaine d'années; dans LOL, j'interprétais une femme confrontée aux problèmes que lui posent ses enfants adolescents... Il est très important que mon âge corresponde à quelques années près à celui du personnage que j'interprète. C'est une question d'honnêteté, de crédibilité.
Dans le film, vous incarnez une business woman prête à tout pour réussir... Pensez-vous que ce soit l'illustration d'une génération particulièrement attachée à la réussite sociale et financière?
Sur le papier, Margaret a tout, et pourtant, sans être malheureuse, elle sent bien que quelque chose cloche. Elle est dure, rigide, elle ne s'arrête que pour regarder les prochains rendez- vous inscrits sur son agenda. Beaucoup de gens de ma génération sont ainsi, mais ils s'essoufflent, et quand ils s'arrêtent vraiment ils s'aperçoivent qu'ils n'ont rien construit d'autre. Vous avez parlé de réussite financière? C'est vrai que l'argent est au centre de tout. C'est devenu une idéologie dominante. Il y a trente ou quarante ans, le but d'une vie n'était pas de devenir riche:on espérait avoir un bon boulot, fonder une famille, avoir sa petite baraque et être heureux. Aujourd'hui, les mômes de 20 ans veulent déjà être propriétaires, s'assurer un confort matériel qu'ils pensent indispensable à leur bonheur. Cela traduit sans doute une grande peur, la peur d'un monde où on ne sait pas de quoi est fait l'avenir, où il est difficile de trouver du travail, où acheter trois citrons vous coûte trois euros alors que cela ne se mange même pas! Néanmoins, je sens dans ma génération le besoin d'un retour à d'autres valeurs.
(Richard Melloul/Le Figaro Magazine)
Au fond, vous regrettez que l'argent soit devenu une fin en soi et non un moyen pour parvenir à une forme de sérénité, de bonheur ou de réussite?
Exactement. Le grand Ingmar Bergman avait déjà tout compris. Il posait systématiquement à tous les acteurs qu'il rencontrait deux questions:«Où en êtes-vous financièrement? Et sexuellement? » Les réponses l'éclairaient sur les préoccupations de chacun, ses priorités. On n'est pas le même homme ou la même femme selon que l'argent représente un but à atteindre ou s'il n'est qu'un moyen d'accéder à quelque chose. De même pour le sexe !
Avez-vous renoncé à des engagements qui étaient pour vous fondamentaux?
J'essaie de ne pas renoncer à ma liberté d'esprit. Je veille à rester au plus près de ce que je suis. C'est une question d'honnêteté, d'intégrité. Très tôt, à l'adolescence, on a voulu me formater. On m'expliquait que j'étais comme ci et pas comme ça. Déjà à l'époque, de façon un peu brutale ou maladroite, je faisais attention à ne pas me perdre. Ce que je suis, je ne le sais pas encore, cela évolue, mais je reste vigilante au fait de ne pas devenir quelqu'un qui ne me ressemble pas.
De Mère Teresa à Simone Veil, votre personnage Margaret vénère des modèles qui sont autant d'icônes protectrices. Et vous?
Beaucoup de femmes et d'hommes sont pour moi des maîtres à penser. Il s'agit souvent de gens qui ne rentrent pas vraiment dans le moule, comme Philip Glass ou Christo. Michel Houellebecq est aussi quelqu'un que j'apprécie énormément. L'époque est un peu lisse, j'ai besoin de partis pris forts.
Trente ans de carrière comme actrice, deux films comme réalisatrice. Que vous reste-t-il à faire?
Dans la balance, c'est ce que j'ai accumulé qui commence à peser, mais j'ai encore envie de faire beaucoup de choses,même si j'ai le sentiment qu'avancer est plus difficile.Tourner des films? Je ne sais pas. Sans doute, mais pas forcément. J'ai plein de livres à lire, de musiques à écouter, de pays à découvrir... Ecrire aussi me plairait.
Comment vous imaginez-vous dans quarante ans?
Il m'arrive très souvent de me projeter dans l'avenir. Je me vois à la campagne, à distance du monde... J'occupe mieux mon temps quand je suis un peu en marge que lorsque je suis exposée. En ville, il ya trop d'agitation, d'interférences. J'apprécie le silence, vivre entourée des gens que j'aime dans une atmosphère harmonieuse et sereine.
La mort, vous y pensez?
Oui et j'en ai peur! Et si c'était à refaire... Repenser une vie m'est impossible.Et je m'en réjouis:cela signifie que, peut-être, la mienne n'a pas été si ratée!
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