Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Des arbres et des hommes.
Presque aucun de nos arbres n’est indigène. De tous temps, grâce à son climat spécifique, la région méditerranéenne a été terre d’adaptation de végétaux étrangers. Olivers, micocouliers, cèdres, treilles, cyprés, palmiers et les autres, tous disent ce que recherche le planteur : l’utilité ou la distinction, la convivialité ou la conformité à la mode du moment. C’est ce que qu’expose Josiane Ubaud dans un ouvrage désormais introuvable, Des arbres et des hommes, Édisud, 1995.
On trouvera ci-dessous un résumé de l’ouvrage, établi par l’auteure elle-même et initialement publié dans Échanges et Patrimoine, Revue des villes et pays d’art et d’histoire, mars 2003, sous le titre Des arbres et des hommes : pour une autre lecture des paysages méditerranéens.
La rédaction de BtJ la remercie vivement d’en avoir autorisé la publication.
Nous voudrions présenter ici un aspect des paysages qui, n’étant pas enseigné, n’est jamais abordé par les forestiers, les architectes-paysagistes, les pépiniéristes, bref par tous ceux dont le métier est de planter ou faire planter des arbres ou de gérer des espaces verts : l’aspect culturel, symbolique et sociologique. Il va sans dire que cela s’adresse tout autant aux particuliers, qui par le choix qu’ils font pour orner leurs jardins, modèlent peut-être encore plus les paysages que les professionnels, statistiquement parlant.
En croisant les regards qu’ont pu porter sur les arbres les écrivains occitans depuis le 16ème siècle jusqu’à nos jours, les discours que nous avons recueillis, les dictons et proverbes occitans relatifs à ces arbres d’une part, la symbolique de ces arbres dans les civilisations méditerranéennes (grecque, perse, latine) dont il est trivial de rappeler que nous en sommes les héritiers culturels directs d’autre part, et enfin le regard d’un sociologue, J. Baudrillard, sur les réflexes de la société de consommation, nous avons été amenée à montrer (Des Arbres et des Hommes, Edisud, 1995) que l’arbre n’a jamais été planté au hasard. Il a toujours eu certes une fonction d’usage (décoratif, utilitaire ou nourricier) évoluant au gré des modes, qui ne doit pas cacher pour autant sa fonction de signe et sa charge symbolique ancrée dans une culture : l’arbre est un signe qui produit du sens dans la société. C’est donc une autre lecture des paysages méditerranéens que nous proposons.
Nous nous sommes intéressée plus particulièrement aux arbres plantés à côté des architectures, à ces sujets souvent isolés qui ont été choisis pour "signer" une construction et que nous avons donc choisis d’appeler "marqueurs", en ce qu’ils sont toujours associés aux mêmes types d’architecture, constituant des couples incontournables : tombe/cyprès mais aussi cabanon/cyprès, église/micocoulier en Languedoc oriental, château/cèdre, maison bourgeoise de village/palmier, etc. Nous n’analysons donc pas les structures des jardins et des parcs au sens large, mais l’usage limité de ces arbres compagnons de ces constructions et qui ont interpellé notre regard en ce qu’ils sont statistiquement majoritaires. ( il n’y a pas - ou si peu - de Photinia, Gingko, Paulownia, pas plus que de chênes verts ou frênes, « marqueurs d’architecture » du moins en zone méditerranéenne).
Les marqueurs sociaux
On distingue ainsi les marqueurs sociaux (cèdre, palmier), qui ne sont là que pour attester du rang social du propriétaire et qui ornent les habitations de prestige. Le cèdre est voué au pouvoir et à la gloire depuis les temps bibliques : sa stature, l’imputrescibilité de son bois, en faisait l’arbre des puissants et des justes, réputés incorruptibles. Depuis son arrivée en France au XVIIIème ( d’abord le cèdre du Liban, puis celui de l’Atlas et de l’Himalaya ), il marque donc tous les châteaux, et dans la plaine languedocienne comme dans le vignoble varois, il impose sa stature dans les grands domaines viticoles. Il marque aussi bon nombre d’hôtels particuliers d’Avignon ou du Luberon ( devenus depuis des bâtiments publics ), et les grandes abbayes et séminaires. Il semble que plus généralement, tous les résineux soient investis de cette symbolique : sapins méditerranéens, séquoias, sont présents dans les parcs de prestige, et côtoient ou remplacent le cèdre, tandis qu’une allée de pins parasols ( en général, l’allée principale, les secondaires sont plantées de feuillus ) conduit aux grands domaines viticoles héraultais, gardois ou varois. Le palmier est au contraire plus récent et arrive avec la mode de l’orientalisme, au milieu du XIXème siècle. Toutes les villas de la Côte d’Azur mais aussi celles de la Corniche marseillaise sont marquées de palmiers (Phoenix). Collectionné avec d’autres plantes exotiques par de riches propriétaires terriens, il marque aussi les maisons les plus bourgeoises dans les villages languedociens ( plus que provençaux ), celles qui ont encadrements de pierres aux fenêtres, balcon en fer forgé et portails en pierres : toujours une paire de palmiers dépenaillés ( il fait plus froid qu’en Provence, c’est donc l’espèce Trachycarpus ), car la paire est un modèle d’esthétisme bourgeois qui renvoie à la notion d’ordre et de moralité nous dit J. Baudrillard, et non à la notion d’esthétique. Cèdre et palmier « ne font donc pas fonction d’objet mais fonction de preuve » : il s’agit d’interpeller le regard et signifier aux autres que l’on appartient pas à la même classe sociale. Il n’y a donc pas eu de rationnel dans leur usage ( fourniture d’ombre, prise en compte de l’espace dont on dispose, esthétique, volume par rapport à l’architecture, etc. ). Depuis peu, le palmier est passé en Languedoc d’un statut de marqueur privé à celui de marqueur collectif de sud de luxe, de sud fantasmé, de sud californien ou de copie de Côte d’Azur ( mais jamais en référence à l’Afrique du Nord, sauf en usage privé par les pieds noirs, qui reconstituent alors dans leur jardin « le paradis perdu » ) : il s’agit à tout prix de « faire sud », d’attirer le touriste selon l’équation un palmier = un touriste ( on l’a vu au moment du Mondial ! ). Le palmier semble donc voué à « faire preuve » si l’on en juge par la frénésie de plantations qu’il déclenche sur le littoral languedocien. N’oublions pas qu’il a lui aussi un passé chargé de gloire puisque les décorations honorifiques perpétuent la symbolique antique de la palme ( Palmes académiques, remporter la palme, …), et un passé mystique puisque la palme est l’emblème des saints et des martyrs dans toutes les peintures anciennes.
Les marqueurs d’usage
Les marqueurs d’usage ( platane, marronnier, orme, tilleul, acacia, sophora, divers mûriers, ailanthe, arbre de Judée, etc. ) au contraire sont destinés à fournir de l’ombre dense ou légère et peuvent donc marquer tout type d’architecture, tout le monde ayant besoin d’ombre. Ils sont pratiquement absents de la littérature car peut-être justement trop communs, et n’ont pas beaucoup excité l’imaginaire des écrivains. Certains ont pu être sacrés autrefois ( le platane chez les Romains par exemple ) et réservés à l’élite car rares au début de leur introduction en Europe, mais en tombant dans le domaine public, ils ont perdu toute sacralité et se sont banalisés. La paire de platanes admirablement taillés en couronne devant les mas semble être une spécialité provençale. Le marronnier serait peut-être un peu plus bourgeois en zone de plaine méditerranéenne ( il marque tous les hôtels particuliers aixois ), mais il devient au contraire commun dans l’arrière-pays à cause d’un climat frais qui lui est plus propice. L’orme a disparu pour cause de maladie mais était l’arbre obligé des places de villages ( platea ulmi, « la place de l’orme », le Plan de l’Oulme / Oume en langue d’oc, ) où se réunissait toute la population pour entendre les évènements importants de la cité. Ceux plantés par Sully au tout début du 17ème siècle sont toujours vénérés, et conservés même morts comme celui du Caylar sur le plateau du Larzac. On choisit ici le respect de l’ancêtre plutôt que le renouvellement de l’ombrage pour la population. Le tilleul ( comme le marronnier ) est évidemment plus présent dans l’arrière-pays plus frais que la bordure côtière trop sèche, où il se limite en Languedoc à une paire de tilleuls au portail. Les mûriers à connotation agricole ( pour l’élevage des vers à soie ) ne consentent à fournir aussi de l’ombre que dans les villages mais pas dans les villes, où c’est le mûrier de Chine qui prend le relais. Increvable voire envahissant, insensible à la sècheresse et à la pollution, il façonne, avec l’ailanthe, des paysages identiques du Roucas Blanc à Marseille au mont Saint-Clair à Sète. Acacia ( plus exactement robinier ), sophora, mélia, donnent une ombre légère et semblent avoir obéi à l’effet de mode : on trouve ainsi des villages où c’est le mélia qui domine, tandis que dans d’autres c’est le sophora. Au contraire de la famille précédente, ceux qui ont planté ces arbres ont toujours tenu compte du rationnel dans leur usage : feuilles caduques pour laisser passer le soleil l’hiver, qualité de l’ombre recherchée, facilité de croissance, espace dont on dispose, etc. Bon nombre d’entre eux étaient ainsi conseillés dans les traités d’agriculture du 19ème siècle, avec leurs mérites comparés de croissance et d’adaptation.
Les marqueurs culturels sacrés
Les marqueurs culturels sacrés, emblématiques des paysages méditerranéens (cyprès, micocoulier, laurier, olivier ) sont ceux qui ont un passé culturel le plus chargé. Tous partagent le fait d’avoir une durée de vie importante, ce qui est à l’origine de leur sacralité : les hommes en effet ne pouvaient qu’être attirés par ces arbres qui soit ne perdent pas leur feuilles, soit rejettent abondamment de souche même s’ils ont été rabattus, soit ont un bois imputrescible, toutes qualités dont les humains sont dépourvus.
Le cyprès est certes associé à la mort depuis longtemps. Symbole de la mort chez les Perses ( en opposition à l’amandier ), son essence servait à embaumer les momies égyptiennes, on faisait des cercueils dans son bois, et il était associé au culte de Pluton. Il est donc naturellement chez nous marqueurs de cimetières. Mais c’est un contre-sens absolu que de le limiter au seul champ de la mort, ce que l’on retrouve souvent en littérature et dans le discours des gens. C’est en fait le gardien tutélaire des lieux de passage, car il monte la garde aux croisées des chemins en encadrant une croix ( reprenant la sacralité antique des carrefours et des arbres ), à l’entrée des domaines, à l’entrée des chemins de vignes ( la porte symbolique ), à l’entrée des masets nîmois ou des baraquettes sétoises, et il veille au dessus des masets ou cabanons de vignes. L’écrivain languedocien Max Rouquette les décrit comme pensatius ( pensifs ), des flambas sacradas ( flammes sacrées ). Sa ligne pure l’a fait utiliser en espèce décorative, déjà appréciée des Perses, présente dans tous les jardins à l’italienne, que l’on retrouve dans quelques jardins languedociens ou provençaux. Enfin, le célèbre motif décoratif dit « cachemire », qui nous vient des Perses et que l’on trouve sur leurs tapis et leurs tissus, repris sur les indiennes provençales, n’est autre que la silhouette d’un cyprès dans le vent. Le cyprès n’est donc certes pas limité à la mort, surtout si l’on y ajoute ce discours populaire très répandu associé au nombre de cyprès à côté d’une maison : 1, 2, ou 3 cyprès, en symbole d’accueil croissant ( maisons protestantes ? ).
Le micocoulier est l’arbre sacré du Languedoc oriental. C’était l’arbre des Celtes Arécomiques ( de la zone Montpellier, Lodève, Uzès), ce que dit son nom latin (Celtis australis, le celte du sud), mais c’est son nom occitan qui dit encore plus sa symbolique : fanabreguièr est formé sur le latin fanum, le temple, et le celte brogilum, bois sacré. C’était donc l’arbre associé au sacré. Il a marqué par la suite bon nombre d’églises romanes, beaucoup de jardins de presbytère et les relais sur les chemins de Saint Jacques. Les Languedociens l’ont planté, seul ( vestige de sa sacralité ? ), dans bon nombre de cours de villages, mais plus rarement en allées, où ils lui ont préféré le platane. Maintenant, le micocoulier remplace d’ailleurs souvent ce dernier en arbres d’alignements car il est plus résistant à la pollution : il y perd du coup toute sacralité.
Le laurier noble ou laurier d’Apollon était l’arbre qui couronnait les vainqueurs chez les Grecs. Nous retrouvons ce sens dans le mot « lauréat », mais c’est le laurier-femelle, celui qui porte les baies (bacca lauri, d’où « baccalauréat ») qui avait cette symbolique. Il marque tous les jardins de presbytère ( avec le buis, arbres toujours verts et rejettant abondamment de souche ), est une des essences bénites pour les Rameaux ( avec l’olivier et le buis ), veille sur bon nombre de portails de belles propriétés du 19ème siècle, et protège toujours de la foudre dans les croyances populaires, comme il le faisait déjà du temps des Grecs. Sa dégradation au siècle passé en « laurier-sauce » et son usage contemporain en marqueurs de boutiques de luxe ( en paires, taillé en boules ) tournent quelque peu le dos à sa sacralité primitive !
L’olivier est évidemment l’arbre sacré fondamental de la civilisation méditerranéenne, chez les Grecs puis chez les Chrétiens. Mais il n’était pas utilisé chez nous comme marqueur d’architecture, peut-être parce que trop happé par sa fonction agricole ( il est attesté comme arbre d’ornement dans des traités italiens de jardinage, et peut-être l’a-t-il été aussi en des temps anciens en Provence et Languedoc ). Cependant le discours sur l’olivier est toujours différent de celui sur les autres arbres cultivés : l’homme est toujours plein de respect pour ce nourricier antique, ce vieillard au feuillage argenté. On peut voir un reste de sa sacralité dans l’usage contemporain que l’on en fait de marqueurs de ruines plus ou moins antiques ( qu’il vient en quelque sorte authentifier ) et dans l’habitude toujours vivace de le planter comme arbre de paix. Mais son usage récent comme arbre d’ombrage sur les places est quelque peu surprenant ( il n’a pas une forme bien adaptée à cette fonction ), sans parler du tic de la société de consommation qui ne le conçoit que très vieux et le plante sur les carrefours à l’anglaise. Vieillard déchu à nos yeux, et de plus signe d’une société bien vieille et égoïste, qui ne plante plus des promesses de vie pour les générations futures mais du « tout beau, tout grand, tout prêt » pour une jouissance immédiate. C’est tout un rapport au temps qui s’inverse, le passage fondamental de relais entre les générations qui est évacué, comme le disaient les nombreux dictons sur les arbres : olivier de ton grand, castanhier de ton paire, amorier tieu, olivier de ton grand-père, châtaignier de ton père, mûrier de toi.
Les nourriciers de proximité
Les nourriciers de proximité ( figuier, amandier, jujubier, treille ) produisent certes des fruits frais et secs pour un apport alimentaire réparti dans l’année mais ce serait une erreur de les limiter à cet aspect utilitaire. Nous les avons appelés également marqueurs culturels de convivialité car la littérature est prolixe à leur sujet. Ils abritaient les repas conviviaux, les réunions d’amis ou les palabres des vieux sages, voire les scènes amoureuses, et ils sont vécus comme l’âme de nos régions, ceux que l’on évoquera avec émotion lors d’une séparation forcée ( exil, guerre ). Avec l’olivier, ils marquent le territoire méditerranéen ( quoique tous « étrangers », ne l’oublions pas ).
Si l’amandier, messager du printemps, le figuier, nourricier par excellence mais avec une forte symbolique de fécondité, signent les maisons de villages mais sont surtout les marqueurs privilégiés des cabanons ou masets de vigne, le jujubier ne sort pas des villages et il est devenu le grand inconnu, sorti des mémoires : beaucoup de personnes sont incapables de l’identifier. Quant à la treille, l’âme de la maison, car chasca bastida a son trelhàs, chaque bastide a sa treille dit le dicton, elle constitue, comme la famille suivante, des tonnelles, haut lieu de convivialité dans nos climats doux.
Les fruits de ces arbres s’échangeaient de plus à l’intérieur d’une communauté, en remerciements d’un service rendu ( on n’achetait jamais de figues…) : ayant perdu peu à peu « leur valeur d’usage » comme dit Baudrillard, ils nous reviennent depuis peu avec « une valeur de signe » et jujubes et figues coûtent fort chers !
Les marqueurs de charme
Les marqueurs de charme que sont toutes les plantes volubiles (bignone, glycine, rosier de Banks, vigne vierge, renouée du Turkestan ) sont d’introduction plus récente, ornent les portails pour un accueil fleuri mais surtout les terrasses, constituant ainsi des tonnelles, lieu de vie par excellence, surtout aux masets et aux cabanons, ces anciens lieux de travaux aux champs reconvertis en lieux de villégiature dominicale. Les descriptions de réunions exclusivement masculines au départ, puis peu à peu s’étendant à toute la famille, sont fort nombreuses en littérature occitane et vantent toutes les charmes de la tonnelle. Les plantes qui les constituent sont toutes des plantes robustes, ne demandant aucun soin et résistant à la sècheresse, ce qui explique au siècle passé le succès du rosier de Banks, sans épine de surcroît : il marque bon nombre de maisons de villages du biterrois, les masets montpelliérains et nîmois, mais paraît plus rare en Provence. Il revient en force depuis peu.
Le développement contemporain des zones pavillonnaires fait apparaître une catégorie spécifique dans les usages des végétaux : la haie minéralisée, affirmation de la propriété, par laquelle le possédant traduit "sa compulsion anxieuse de séquestration" (J. Baudrillard). On tourne donc radicalement le dos au culturel, au symbolique, au sacré. La végétation n’est là que pour faire un mur supplémentaire, menaçant d’uniformisation ( si ce n’est déjà accompli ! ) tous les paysages péri-urbains du sud au nord de la France. Uniformisation aussi bien dans les espèces très limitées (lauriers-amandes, pyracanthas, et cupressacées diverses ) que dans l’esthétique ( si l’on ose dire ) des végétaux taillés au cordeau. Un ras-le-bol commence à se faire sentir, et pépiniéristes et architectes-paysagistes essaient de préconiser les haies mélangées dites « haies libres ».
Planter plutôt un cèdre qu’un figuier, plutôt un cyprès qu’un palmier, plutôt une haie libre qu’une haie rectiligne, n’est donc pas un acte complètement "innocent", même si cela est parfois inconscient. C’est en effet soit affirmer délibérément sa filiation culturelle, celle avec le bassin méditerranéen et ses ancêtres plus proches, soit au contraire vouloir se démarquer à tout prix, faire rupture, tourner le dos au culturel ( voire le mépriser ) car "les objets sont porteurs de significations sociales, porteurs d’une hiérarchie culturelle et sociale… A travers eux, chaque individu, chaque groupe, cherche sa place dans un ordre".( J. Baudrillard )
Dis-moi ce que tu plantes et je te dirai donc qui tu es, car l’arbre a toujours été le double végétal des hommes, le reflet de son propriétaire. Il s’agit donc bien ici de donner d’autres clefs de lecture des paysages, de dire non tant "ce qu’il faut planter" mais "ce qu’il faudrait savoir avant de planter", afin de ne pas donner à voir n’importe quoi. Afin surtout de ne pas tuer la spécificité des paysages méditerranéens en suivant soit la voie de l’acculturation/déculturation qui, par ignorance de ce sens caché des arbres, se contente de placarder des signes en consommant du vert selon des standards de goût américain ou anglo-saxon ( palmier, pelouse systématique, couleurs vives, plantes gourmandes en eau ), soit la voie de la copie à l’identique d’un passé idéalisé, qui est tout autant un contre-sens, la région méditerranéenne ayant été de tous temps, grâce à son climat spécifique, terre d’adaptation de végétaux étrangers ( presque aucun de nos arbres n’est indigène ). Le respect du culturel et du symbolique n’est donc certes pas contradictoire avec la création ( autour du concept du sec par exemple, étrangement absent des espaces verts municipaux, comme si on n’en finissait pas de digérer ce manque obsédant d’eau qui a marqué nos ancêtres, et qui nous vaut cette surabondance de « moquette verte » ? ), et ce patrimoine vert que nous venons d’évoquer très brièvement est bel et bien un patrimoine culturel riche de symboles, et non pas seulement un patrimoine végétal de pure décoration.
© Josiane UBAUD - ethnobotaniste en domaine occitan
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