Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Soyons sages!
Normalienne, agrégée de lettres classiques, Annie Collognat a voulu réunir en un volume la quintessence de la sagesse gréco-latine. Entreprise audacieuse quand on sait que cette philosophie s'est développée au cours de seize ou dix-sept siècles, de la légendaire guerre de Troie à la chute de l'Empire romain. Mais le pari est réussi.
En Grèce comme à Rome, la sagesse n'était pas réservée à une élite. "Nous sommes tous assez nobles pour y arriver, disait Sénèque. La philosophie ne rejette et ne choisit personne. Elle brille pour tous." C'était une sagesse populaire, ancrée dans la vie quotidienne. Du philosophe, on n'attendait pas seulement des idées, mais un exemple. Certains, comme Diogène, poussaient la démonstration assez loin. On aurait même vu le locataire présumé du tonneau (ou plutôt de l'amphore) demander l'aumône à une statue, pour "s'exercer à essuyer des échecs"...
Annie Collognat nous propose à la fois un dictionnaire et une anthologie. Elle a sélectionné quelque 270 citations ou courts extraits, sur des thèmes divers, de A comme amitié à Z comme Zeus, en passant par bonté, douleur, gloire, plaisir ou punition. Ils portent la signature de philosophes immenses (Aristote, Socrate...), de poètes (Homère, Ovide...) ou d'auteurs dramatiques (Eschyle, Sophocle...). Sans oublier... de grands oubliés, comme le mime Publilius Syrus, très connu en son temps, ou même des anonymes dont les aphorismes restent gravés dans la pierre. A l'image de cette inscription funéraire, plutôt frappante : "Voyageur, voyageur ! Ce que tu es, moi je l'ai été ; ce que je suis, tu le seras aussi."
Etait-il nécessaire de nous présenter ensuite "l'essentiel en cinquante citations" ? En cédant à la mode du best of, Annie Collognat prend le risque de décevoir ses lecteurs : la sagesse antique ne se résume pas à quelques formules. Comme le souligne Sénèque, les grands maîtres stoïciens élaboraient "des oeuvres solidement structurées" qu'il faut découvrir dans leur intégralité. "On n'admire pas un seul arbre quand toute la forêt se dresse à la même hauteur."
La troisième partie du "manuel" d'Annie Collognat nous offre heureusement plusieurs textes intégraux qu'on dévore avec une facilité surprenante : Lettre à Menécée, d'Epicure, Ce qui dépend de nous, d'Epictète, Pensées pour moi-même, de Marc Aurèle, Apprendre à vivre, La Vie heureuse et La Brièveté de la vie, de Sénèque.
Les sages de l'Antiquité étaient des avocats de la modération, souligne Dominique Noguez dans sa préface. Horace défendait "la règle d'or du juste milieu", tandis que Plutarque conseillait de "resserrer les passions dans de justes bornes". Et Solon résumait l'affaire en trois mots : "Rien de trop." Même Epicure, qui passe à tort pour un furieux jouisseur, plaidait pour la tempérance : atteindre le bonheur, affirmait-il, exige de connaître ses propres limites et d'éviter tout excès, dans les plaisirs comme dans les privations, car l'excès est cause de souffrances.
La sagesse antique est tout entière dans ce "Connais-toi toi-même" (Thalès), associé à un certain ascétisme. Elle implique un renoncement aux fausses valeurs, qu'il s'agisse de l'argent, du pouvoir ou des honneurs, même si certains auteurs occupaient des places de premier plan, à commencer par Marc Aurèle, devenu empereur.
Il ne faut pas céder aux fausses angoisses, disent ces amis (philos) de la sagesse (sophia), qui nous apparaissent aussi comme des ancêtres du docteur Freud. "Ce qui tourmente les hommes, ce n'est pas la réalité mais les opinions qu'ils s'en font" (Epictète). Plutôt que de craindre un futur hypothétique, jouissons du présent. "Hâte-toi donc de vivre et conçois chaque jour comme une vie entière" (Sénèque).
Tout est dit dans ces textes lumineux qui n'ont pas pris une ride. A les lire ou les relire, on se rend compte à quel point certains auteurs contemporains ne font que paraphraser les anciens sages, en y ajoutant enflure et obscurité.
MANUEL DE LA SAGESSE ANTIQUE d'Annie Collognat. Omnibus, 862 p., 26 €.