Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Les plus belles bibliothèques d'occident
11/05/2009 | Mise à jour : 16:35
La bibliothèque royale est la pièce la plus noble de l'Escurial de Philippe II.
Ahmet Ertug a photographié quelques-uns de ces «temples du savoir» que sont les bibliothèques anciennes. Exposé à la Bibliothèque nationale de France, son travail nous entraîne de la Prusse profonde aux rives du Portugal et des plaines milanaises à l'est de l'Irlande.
Discrets et silencieux, sagement alignés sur des étagères, étiquetés FR 518 ou Rés. 644, ils sont là, attendant que quelqu'un les choisisse. De la Bible de Charles le Chauve aux collages de Prévert, des incunables du XVe siècle aux cartes informatiques d'aujourd'hui, les livres évoquent tous les savoirs du monde, dans l'ombre de somptueuses bibliothèques.
Celle qui fut fondée par Charles V (vers 1370) est l'une des premières tentatives pour réunir une collection encyclopédique. Installée dans une tour du château du Louvre, elle rassemble un millier de livres, chiffre très élevé pour l'époque. Il est vrai que le roi ne cesse de l'enrichir, passant des commandes auprès d'auteurs et de traducteurs. Un temps propriété de Charles VI, elle sera victime de la guerre de Cent Ans : bon nombre de volumes passeront alors en Angleterre. Mais l'inverse se produit aussi : sous Henri IV, la bibliothèque de Catherine de Médicis est reversée au roi de France.
Suivant qu'elles sont princières ou religieuses, rattachées à un château ou un monastère, ces armaria, comme on disait alors, ne se ressemblent pas. Les souverains en font le prolongement de ces «cabinets de raretés et de curiosités» qui, en réunissant toutes sortes d'objets précieux et hétéroclites, se voulaient le témoignage de l'ensemble des merveilles, ou des bizarreries, de la création. On y trouvait aussi bien des herbiers de fleurs inconnues en Occident que les meilleurs atlas du temps, des coquillages aux formes étranges que des traités de chirurgie. Dans les monastères, au contraire, les plus grandes richesses sont des bibles, merveilleusement calligraphiées et rehaussées d'or, des livres liturgiques qui dégagent un parfum d'encens, des évangéliaires tracés en lettres d'argent sur parchemin pourpre.
Avec l'invention de l'imprimerie, l'Europe se couvre de livres
On pourrait dire, sans trop d'ironie, que, du jour où l'invention de l'écriture permit aux humains de conserver les productions des poètes et des prosateurs, on fit collection de manuscrits. Mais, pour voir les bibliothèques se multiplier, il faut attendre la Rome d'Auguste : les collections de manuscrits étaient alors placées sous les portiques qui entouraient les temples. L'idée fut reprise dans l'aristocratie, où ils étaient disposés dans les vestibules des maisons patriciennes : c'est là que les beaux esprits se réunissaient pour échanger commentaires et ouvrages. A Constantinople, en 334, l'empereur Constantin créa la première bibliothèque digne de ce nom : sept copistes, quatre grecs et trois latins, y travaillaient sous les ordres d'un bibliothécaire. Pour retrouver pareille splendeur, il faudra attendre le règne de Saint Louis qui établit, dans la Sainte-Chapelle du Palais, un établissement où les livres étaient si admirables qu'on lui donna tout naturellement le nom de Bibliotheca Mundi. Plus tard, Charles V, dont la collection fut l'ancêtre de la Bibliothèque nationale, et ses deux frères, étaient aussi amateurs de livres : Jean de Berry, pour lequel travailla Nicolas Flamel, et plus encore Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, dont une ombre de ce qui fut sa magnifique collection existe encore à la bibliothèque de Bruxelles.
Bibliothèque de l'abbaye bénédictine de Metten, en Allemagne.
Durant tout le Moyen Age, c'est en terre arabe que les bibliothèques sont les mieux dotées. Le calife Haroun al-Rachid et son fils al-Mamoun vont dépenser des sommes énormes pour recueillir les livres de sciences et de philosophie qui transmettront le savoir de la Grèce antique. En Occident, au contraire, les invasions barbares ont peu à peu entraîné la disparition des chefs-d'oeuvre de l'Antiquité et la ruine des bâtiments qui les abritaient. Seul subsistait un petit îlot de résistance dans une partie du clergé, les religieux de l'ordre de Saint- Benoît auxquels leur fondateur avait donné pour mission la correction et la transcription des livres. Mais il faudra attendre la Renaissance pour que le goût des livres s'accroisse fortement en Europe.
Fondée par Nicolas V en 1451, la Bibliothèque vaticane abritait alors 350 manuscrits latins qui avaient été utilisés par la curie. Elle en compte aujourd'hui environ 150 000. Avec quelques trouvailles quasi miraculeuses : au siècle dernier est réapparue une collection de poèmes de Virgile, oeuvres de copistes datant du IVe siècle et le De republica de Cicéron sous un commentaire de saint Augustin transcrit au VIIe siècle dans un monastère italien.
Au XVe siècle, l'invention de l'imprimerie bouleverse l'univers du livre : brusquement, l'Europe est riche de 20 millions de volumes. Progressivement, les bibliothèques vont s'ouvrir au public à partir de la fin du XVIe siècle, d'abord timidement, puis plus largement au XVIIIe siècle. Les grandes bibliothèques comme celle du roi connaissent une réputation prestigieuse et deviennent un lieu de visite obligée pour les voyageurs de marque.
A côté des bibliothèques palatiales, celles des monastères d'Europe centrale sont d'une richesse inouïe. Dans toute l'Autriche et l'Allemagne, de nombreux ordres monastiques se dotent de couvents aux bibliothèques grandioses avec un luxe prodigieux de décors. Les princes, comme les évêques, rivalisent de faste baroque et font appel à deux architectes prestigieux du temps, Johann Fischer von Erlach et Lucas von Hildebrandt, formés à la fois au style du Bernin et de Borromini. Edifiés autour de l'église, ces monastères s'entourent de locaux somptuaires, de bibliothèques qui sont des temples de la connaissance, de théâtres, parfois même de musées, si bien que leurs décors sont souvent plus riches que ceux des palais. Le meilleur exemple en est la bibliothèque bénédictine d'Admont, en Autriche, où les innombrables peintures, ornements et stucs aux vives couleurs du rococo se symphonisent en cette unité rythmique que les Allemands désignent sous le nom de Gesamtkunstwerk.
La Duke Humphrey's Library fondée à Oxford en 1488.
Des chiffres qui donnent le tournis
De toutes ces bibliothèques, l'une des plus récentes est aussi la plus grande. En pénétrant à Washington dans la bibliothèque du Congrès, au coeur du Thomas Jefferson Building, inauguré en 1897, on ne peut pas s'empêcher d'être surpris par le luxe des marbres et des sculptures. Les chiffres, eux aussi, donnent le tournis : 128 millions d'articles en tout genre, 460 langues représentées, plus de 850 kilomètres d'étagères. Et pourtant, la vie s'engouffre ici, à coups de conférences, de spectacles et d'expositions, comme pour donner raison à l'architecte Louis Kahn, qui affirmait que les bibliothèques ne parlent pas tant des livres que des gens qui les lisent. Mais aussi de ceux qu'elles font rêver et qui ont inventé «leur» bibliothèque, bien sûr imaginaire, comme celle de l'abbaye de Saint-Victor qui n'existe que dans l'imagination de Rabelais, la bibliothèque de Babel, connue du seul Borges, ou celle du monastère bénédictin rêvé par Umberto Eco dans Le Nom de la rose.