Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Giacometti en sa fondation à Saint-Paul-de-Vence
Par Béatrice De Rochebouet
20/07/2010 | Mise à jour : 15:41
De 1946 à 1966, 170 œuvres, pour certaines inédites, éclairent faiblement la relation d'exception entre le sculpteur suisse et son marchand Aimé Maeght.
Voir et revoir Giacometti est toujours un enchantement. Et plus encore, s'il est montré chez lui, dans l'écrin moderniste du Catalan Josep Lluis Sert, à nouveau flambant neuf après cinq mois de rénovation. Dans cette architecture dominée par ses deux grands impluviums blancs s'élevant dans l'azur, l'emblème de cette Fondation Maeght en symbiose avec la nature, Alberto règne en maître avec 170 œuvres majeures, pour certaines encore jamais montrées. Toutes ont été choisies par Isabelle Maeght. Aidée de sa sœur Yoyo, elle a endossé un rôle de commissaire d'exposition, difficile lorsque l'on est la petite fille du marchand Aimé Maeght et la fille d'Adrien qui a pris la relève en ouvrant sa propre galerie, rue du Bac, en 1956.
Un esprit de contradiction permanent
«J'ai voulu retrouver les impressions ressenties il y a quarante-six ans, lors de l'accrochage de la salle Giacometti inaugurée en juillet 1964, explique Isabelle. Elle me parut immense et que dire de la cour… En 1959, Alberto avait imaginé, pour le monument sur la place devant la Chase Manhattan Bank à New York, un Homme qui marche, une Femme debout et un Buste de Diego. Mais ce projet n'aboutit pas et mon grand-père offrit à Alberto cet espace ouvert à la mesure de son œuvre.» Les sculptures monumentales de la cour, des «Homme qui marche» aux «Grande femme debout», sont aujourd'hui confrontées à d'autres sculptures à l'intérieur des salles, dans un nouveau rapport d'échelles.
Ainsi, l'infiniment petit comme Le Chien, bronze de 43 cm de haut, côtoie l'infiniment grand ayant pour emblème, le célèbre Homme qui marche I, bronze de 1960 qui a détenu le record de l'œuvre d'art la plus chère au monde, 74,2 millions d'euros, jusqu'à ce que le Picasso, Nu au plateau de sculpteur, ne lui vole la vedette, en mai 2010. La fondation a le privilège de détenir dans ses collections les deux versions successives de cette œuvre. Elles sont presque uniques car peintes (et non patinées) par Alberto lui-même, pour jouer avec la lumière du midi.
Datés surtout de l'après-guerre, 60 bronzes (la fondation possède à elle seule 35 sculptures), 10 plâtres, 20 peintures et plus de 80 gravures, photographies et dessins (celui émouvant de Braque sur son lit de mort en 1963) y sont exposés, dans une scénographie contemporaine d'Olivier Massart. Ceux-ci viennent de la fondation et de la famille Maeght comme cette Tête de Diego sculptée par Alberto, son frère, à l'âge de 13 ans. Mais aussi de collections publiques et privées comme ce tableau inédit de Diego à la chemise écossaise prêté par un collectionneur de New York. «Parce que c'est nous, les Maeght, la fondation, ce fut un oui immédiat, précise Isabelle Maeght. En revanche, ce fut un non, sans retour, pour le fameux nez en plâtre pourtant donné par la famille au Centre Pompidou.» Il fut l'un des fleurons de l'exposition Giacometti à Beaubourg, en 2007.
Avec des cartels un peu succincts donnant les dates de conception mais pas de fonte, l'accrochage qui n'est ni chronologique ni thématique se fait sous le titre «Giacometti & Maeght, 1946-1966». S'agit-il du rapport d'Alberto avec la galerie ouverte le 6 décembre 1945 par Aimé, avec la fondation inaugurée le 28 juillet 1964 à laquelle il dédia ses œuvres, ou tout simplement avec le couple Marguerite et Aimé présent par plusieurs portraits sur les cimaises ? Vingt ans d'échanges et de regards partagés sur la création de leur époque ont lié les deux hommes. En 1947, quand son marchand Pierre Loeb s'était retiré, Giacometti se trouvait sans galerie. «Mon père croyait profondément, sincèrement et même instinctivement en l'œuvre d'Alberto, raconte Adrien (1). Il aimait aussi l'homme. Ensemble, ils passaient des heures à mettre en doute les théories de tel ou tel artiste, ils critiquaient les prises de positions, pas assez radicales, de cet écrivain ou de ce cinéaste. Ils partageaient la même passion pour Paris. Alberto était très sensible à l'engagement de mon père. Il souffrait si Aimé s'intéressait à un autre sculpteur. Alors, en 1948, quand mon père expose les sculptures de Germaine Richier, Alberto lui fait comprendre qu'il faut choisir. Aimé n'hésite pas.»
Ainsi, en 1951, a lieu la première exposition Giacometti à la galerie Maeght. «J'ai rencontré un fou, il veut tirer tous mes plâtres en bronze et faire fondre tous les exemplaires tout de suite », dit Alberto dans Paris. Mais rien de cette relation enflammée et complice ne transparaît vraiment dans ce parcours pourtant truffé de chefs-d'œuvre. On aurait aimé un regard croisé de ces deux géants du XXe siècle ou, plus encore, une confrontation à travers des textes, des photographies ou des films de ces deux fortes personnalités qui partagèrent des moments intimes à Saint-Paul avec d'autres grands artistes. L'un, Alberto avait un esprit de contradiction permanent, par jeu, et un foutu caractère. L'autre, Aimé, était un visionnaire sans peur car la première exposition Giacometti où seulement une sculpture trouva preneur fut plus un succès critique que commercial. Mais son ombre plane sous les pins parasols…
Jusqu'au 31 octobre, Fondation Maeght, à Saint-Paul-de-Vence, www.fondationmaeght.com Catalogue édité par la fondation.
(1) «La Fondation Marguerite et Aimé Maeght, l'art et la vie» par Yoyo Maeght, en partenariat avec Gallimard (15 €).
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» L'art et la vie : la fondation Marguerite et Aimé Maeght, de Yoyo Maeght, Gallimard, 14,25€ sur Fnac.com