Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Lucy utilisait déjà des outils en pierre
Jean-Luc Nothias
11/08/2010 | Mise à jour : 20:47
Le Dr Zeresenay Alemseged, de la California Academy of Sciences (à gauche), a dirigé les fouilles en Éthiopie. Crédits photo : Credit: Dikika Research Project,
Des os fossilisés vieux de 3,4 millions d'années éclairent d'un jour nouveau les premiers pas de l'humanité.
Cela réjouit le monde de la recherche des origines de l'homme mais cela n'étonne pas outre mesure. Nombreux étaient les scientifiques qui espéraient ce genre de découverte. Deux os fossilisés, un bout de fémur d'un animal de la taille d'une chèvre et un bout d'une côte d'un animal gros comme une vache prouvent qu'il y a 3,4 millions d'années, des hominidés, les australopithèques, vivant dans ce qui est maintenant l'Éthiopie, utilisaient des outils de pierre et mangeaient de la viande. Les os, examinés sous toutes les coutures, présentent des traces caractéristiques de grattage et de coupure pour arracher les chairs et même sans doute extraire la moelle des os selon une étude que publie la revue Nature.
Les entailles sur ces os prouvent l'utilisation, à l'époque, d'outils en pierre pour la découpe de la viande.
«Cette découverte avance considérablement le moment à partir duquel nos ancêtres ont changé complètement les règles du jeu », estime le Dr Zeresenay Alemseged, de la California Academy of Sciences, responsable des fouilles dans le cadre du projet de recherche de Dikika. En effet, on n'avait pas encore trouvé de traces claires d'utilisation d'outils de pierre avant 2,5 millions d'années. Voilà 800.000 ans de gagnés.
Examen par spectrométrie
«C'est un papier très sérieux, très solide, estime Yves Coppens, professeur au Collège de France, l'un des découvreurs, en 1974, de Lucy, une australopithèque qui vivait dans cette région à la même période. Il n'y a pas de doute. Et je ne dis pas cela parce que je connais très bien le Dr Alemseged puisque j'ai dirigé la thèse qu'il a réalisée à Paris. D'ailleurs, tout le monde l'appelait et l'appelle encore “Zeray” pour simplifier.»
Ce chercheur éthiopien est le découvreur, en 2000, à 4 kilomètres du lieu où reposait Lucy, du squelette d'une jeune australopithèque morte à l'âge d'environ 3 ans, baptisée Selam (ce qui veut dire «paix»), que certains appellent la «fille de Lucy». Elle a pourtant vécu il y a 3,3 millions d'années, soit 200.000 ans avant Lucy.
Deux os fossilisés d'animaux ayant 3,4 millions d'années.
Les deux os fossiles ont été trouvés à 200 mètres de l'endroit de la découverte de Selam. Les datations, dans ces terrains volcaniques, ont été faites avec la même méthode qui avait servi à déterminer l'âge de Lucy et de Selam. Les examens au microscope électronique et par spectrométrie ont permis de caractériser les traces présentes sur les os mais aussi de prouver qu'elles avaient été faites avant la fossilisation.
«Un changement de régime alimentaire»
«Maintenant, lorsqu'on imagine Lucy marchant à la recherche de nourriture en Afrique de l'Est, nous la voyons pour la première fois avec un outil en pierre à la main, recherchant de la viande», relève Shannon McPherron, dans un communiqué de l'Institut Max-Planck d'anthropologie évolutionnaire de Leipzig (Allemagne).
Pour Dominique Cauche, archéologue à la grotte du Lazaret (université de Nice), spécialiste des premières industries lithiques, «c'est une très belle et très importante découverte. On pressentait que les australopithèques devaient avoir utilisé des outils, c'est maintenant chose démontrée. Et ce qui serait encore mieux maintenant, ce serait de trouver ces outils ». Les fouilles vont se poursuivre car l'une des questions qui restent ouvertes est celle de savoir si ces australopithèques ramassaient des pierres coupantes ou s'ils les taillaient.
Pour le Dr Alemseged, l'utilisation de tels outils, naturels ou fabriqués, permettant à nos ancêtres de consommer la viande de grosses carcasses, «leur a ouvert la compétition risquée avec d'autres carnivores », les poussant sans doute à s'engager dans un travail d'équipe. «J'ai toujours pensé et écrit que cette période privilégiée, surtout du point de vue climatique, avait été le théâtre d'un changement de régime alimentaire, insiste Yves Coppens. Nous avions d'ailleurs trouvé, lors de nos fouilles dans le sud-ouest de l'Éthiopie, dans la vallée de l'Omo, entre 1967 et 1976, des outils en quartz clairement taillé qui ont été datés de 2,5 millions d'années mais qui en fait doivent être plus anciens, sans doute 3,2 à 3,3 millions d'années. » Le destin de l'humanité, avec cette accession à l'omnivorisme, s'est donc certainement joué à ce moment-là.
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