Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Bernard Clavel est mort
Bernard Clavel, mort d'un grand romancier populaire
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Avec Bernard Clavel disparaît un des derniers grands écrivains populaires et un des derniers vrais écrivains du terroir. Il était né le 29 mai 1923 à Lons-le-Saunier d’un père boulanger et d’une mère fleuriste, dans un milieu où la vie n’était pas facile, où l’on ne pouvait acheter beaucoup de livres mais où la culture était respectée, où les récits oraux tenaient une grande place. Son enfance fut bercée par les récits de son oncle Charles dont il a fait revivre le visage dans Le Soleil des morts. De cet homme, né pauvre lui aussi, engagé dans les bataillons de l’armée d’Afrique au début du XXe siècle et qui vécut la Grande Guerre, puis les combats de la Résistance, il déclarait : « Il a contribué à fixer la couleur de mon âme. » Son adolescence fut marquée par l’expérience traumatisante de l’apprentissage, traditionnel à l’époque pour qui ne pouvait – ou ne voulait plus, comme lui – continuer l’école. Et à l’école le jeune Bernard s’ennuya beaucoup, préférant la rêverie, la lecture, la fuite dans l’imaginaire. Son père ne voulant pas qu’il réalise son rêve – devenir peintre –, il se retrouva à 14 ans apprenti pâtissier à Dole où il subit les brimades d’un patron injuste et féroce, dont il devait se souvenir lorsqu’il écrivit La Maison des autres. Il lui devait sans doute une part de son existence pleine de révoltes, de voyages, de fidélités aussi, à ses maîtres : Hugo, Giono, Jean Guéhenno, Simenon ou Romain Rolland, dont il adopta très vite le pacifisme. |
Prix Goncourt en 1968 pour Les Fruits de l’hiver |
Pour gagner sa vie, il enchaîna les petits métiers, fut lutteur de foire, bûcheron, ouvrier dans une chocolaterie, dans une fabrique de verre de lunettes, vigneron, employé à la Sécurité cociale, relieur… Tous ces métiers, comme pour Gorki qu’il admira toujours, furent pour lui « ses universités ». Sous l’Occupation, il rejoignit le maquis du Jura, présent dans plusieurs de ses livres. La découverte dans le grenier familial des ouvrages de Victor Hugo avait été pour lui une révélation. Il essaya quelque temps de vivre de sa peinture, puis il y renonça, et dans un premier temps, accumula les textes qu’il détruisait, subissant un échec pour son premier manuscrit. C’est en 1956 que René Julliard, grand découvreur, publia L’Ouvrier de la nuit, salué dès sa parution. D’emblée il fut encouragé par Jean Réverzy, Marcel Aymé et, ce qui peut étonner, Gaston Bachelard et Gabriel Marcel. De nombreux succès de librairie suivirent et Bernard Clavel allait être publié par un autre grand éditeur, Robert Laffont (décédé en mai dernier) : L’Espagnol (1959), Malaverne (1960) Le Voyage du père (1965), L’Hercule sur la place (1966). En 1968 paraît Les Fruits de l’hiver qui obtint le prix Goncourt. Il avait, contre le conseil de Robert Laffont, voulu être publié en février plutôt qu’à la rentrée. Son livre durant quelques mois ne suscita aucun écho, mais lui donna l’occasion de faire des signatures dans les usines, juste avant le fameux mois de mai. Il sentit que tout bouillonnait dans la France ouvrière. Ce roman est le quatrième tome d’une saga, La Grande Patience, qui comprend La Maison des autres (1962), Celui qui voulait voir la mer (1963) et Le Cœur des vivants (1964) et constitue une évocation douloureuse de son enfance, de son adolescence et de ses parents. |
Son plus grand regret : que ses parents n’aient pu connaître son succès |
Son plus grand regret était que, morts, ils n’aient pu connaître son succès et compris qu’il n’était pas simplement un peintre raté. À ces portraits succèdent des figures auxquelles tout au long de sa vie Clavel va s’attacher, des gens humbles, vignerons, rouliers, mariniers, petits artisans, compagnons du Tour de France. « Je suis, déclara-t-il un jour, essentiellement un romancier, un conteur, c’est-à-dire un homme qui porte en lui un monde et qui s’acharne à lui donner la vie. » De ses personnages, il avait coutume de dire qu’il ne les avait jamais imaginés, il les avait rencontrés, ils venaient de la vie. Pour les rencontrer, ajoutait-il, il fallait les chercher, souvent en voyageant. Bernard Clavel voyagea et déménagea sans cesse. Pourtant l’enracinement dans une région, autour de Lons-le-Saunier, autour de Lyon, est au cœur de son œuvre. Dès son premier roman, Vorgine, qui fut d’abord refusé, puis publié en 1956, le Rhône était présent, ce fleuve qui lui avait donné envie de peindre et d’écrire : « Le Rhône, ce sont des hommes, des femmes, tout un petit peuple parmi les lumières. » Une autre grande saga éditée à la fin des années 1970 le ramena en Franche-Comté : dans Les Colonnes du ciel, il faisait revivre la guerre et la peste qui ravagèrent cette région de 1635 à 1645. Et puis il revint à des paysages d’eaux et de forêts sauvages. Clavel avait toujours aimé l’hiver, les plaines gelées et silencieuses, les vastes étendues de neige, les animaux en liberté. Les terres de l’Amérique du Nord qui lui rappelaient les saisons de son enfance lui inspirèrent une autre immense saga, Le Royaume du Nord (Albin Michel) où d’autres héros, les pionniers canadiens, entrent en scène, où les histoires sont proches de celles de Mayne Reid et de James Oliver Curwood. |
Il possédait le souffle, le don de l’émotion, le lyrisme dans la simplicité |
Auteur d’une centaine de livres – romans, nouvelles, essais, contes pour enfants… –, traduits en d’innombrables langues, lauréat de nombreux prix, Clavel était insensible aux honneurs, aux calculs, aux vanités du petit monde littéraire. Devenu juré Goncourt en 1971, il en démissionna en 1977. Insoumis, révolté par la souffrance et l’injustice, il s’opposa jusqu’à la fin à la corruption par l’argent, à la violence organisée, il se battit pour les enfants, les pauvres, pour la protection de la planète. Et il avait avoué que sa foi en Dieu s’effritait lorsqu’il regardait le malheur des hommes. Il s’était marié en 1945 avec Andrée David qui lui donna trois enfants. Il devait dire d’elle et de Jacques Peuchmaurd, qu’il avait connu chez Julliard, que s’il ne les avait pas rencontrés, il n’aurait jamais pu écrire. Plus tard, au Québec, il fit la connaissance de Josette Pratte, qui devint sa seconde épouse, sa première lectrice et qui s’occupa de l’édition de ses livres. Des romanciers du XIXe siècle, il possédait le souffle, l’aptitude à construire une histoire, à suivre des fils solides dans la narration, le don de l’émotion, le lyrisme dans la simplicité. D’eux aussi il a hérité un monde – des paysans, des artisans, des modes de vie, des traditions, des savoirs, des valeurs – tout un univers qui est en train doucement de disparaître. Francine de Martinoir Les Éditions Omnibus ont entrepris l’édition de toute son œuvre romanesque. Photo : Bernard Clavel, en février 2003, à Paris (VERDY/AFP). http://www.la-croix.com/photo2/index.jsp?docId=2441667&rubId=4085 |