Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
«Mes chers parents, je serai écrivain»
Par Françoise Dargent
07/10/2010 | Mise à jour : 17:31
JAmélie Nothomb : «J'ai très bien élevé mes parents. Ils se sont montrés mieux que polis dès la parution de mon premier livre. À dire vrai, ils sont même si enthousiastes que c'en est parfois gênant. Crédits photo : LIONEL BONAVENTURE/AFP
Le métier de romancier n'est pas toujours bien vu dans les familles, comme le montrent Anne Boquel et Étienne Kern dans leur Histoire des parents d'écrivains.
Si vous saviez comme Poulou était un gentil garçon, doux, facile. (…) J'aurais tant voulu qu'il reste professeur, se marie, ait des enfants. Mais il y eut cette… Enfin, n'en parlons pas.» On a beau s'ingénier à être le plus irréductible des philosophes, on reste toujours le petit garçon de sa maman. Sartre fut ainsi toujours le cher Poulou de sa mère qui, faute d'adhérer à ses idées, n'en continua pas moins de le couver. Non loin de lui, une autre figure littéraire du XXe siècle en prenait elle aussi pour son grade : «J'espère que tu ne penses pas ça de ta mère !» s'étranglait Françoise de Beauvoir devant Simone après avoir découvert Le Deuxième Sexe. Car si on choisit le livre que l'on écrit, on ne choisit pas sa famille. Nombreux sont les écrivains qui ont pu méditer cet adage populaire face aux commentaires acerbes de leurs parents. Si tous n'allèrent pas, comme M me Renard, jusqu'à qualifier leur fils de « chieur d'encre», la grande majorité ne fut pas insensible à l'annonce de la vocation de leur enfant.
Anne Boquel et Étienne Kern, deux agrégés de lettres, se sont justement penchés sur ces réactions dans leur Histoire des parents d'écrivains , un essai savoureux faisant son miel de citations piochées dans des lettres, des journaux, des Mémoires voire des témoignages lorsque l'écrivain est toujours de ce monde.
L'honneur de la famille
«Il ne m'a jamais emmerdé», dit ainsi Philippe Sollers en se référant à son père. Il doit par contre son nom de plume à sa mère, Marcelle Joyaux. Elle le voyait déjà reprendre la tête de la tôlerie paternelle lorsqu'elle reçut un jour un coup de fil de l'éditeur Jean Cayrol. Celui-ci lui demandait la permission d'éditer un texte de son jeune fils Philippe qui avait alors 19 ans et était donc mineur. Mais madame tiqua sur Le Défi, portrait charnel d'un adolescent. L'honneur des Joyaux était en jeu. Un compromis fut trouvé. Il le publiera finalement sous le nom de Philippe Sollers, qui signifie «habile» en latin. La suite ne donnera pas tort à ce pseudonyme.
L'honneur de la famille, la grande angoisse des parents d'écrivains, qui sont souvent prêts à aider financièrement leur rejeton mais qui redoutent le qu'en-dira-t-on. Ainsi, quand Balzac convainc son père qu'il ne fera pas un bon notaire mais un écrivain fameux, celui-ci consent à lui payer le loyer d'une petite chambre pour qu'il y travaille. À tous cependant, y compris à sa propre mère, il le dit absent de Paris. Plus près de nous, l'ambassadeur André d'Ormesson découvrit un jour, atterré, que le jeune Jean n'avait nulle intention de devenir, comme il était de tradition dans la famille, un grand commis de l'État. «Il est mort persuadé que je deviendrais un voyou, une espèce de hooligan», admet aujourd'hui son académicien de fils. Même sentiment pour Michel Tournier qui se souvient avoir dû justifier une visite de François Mitterrand à sa mère. «Mais pourquoi le président de la République viendrait déjeuner chez toi?» lui demanda-t-elle. «Parce que je suis célèbre», et la mère, qui était restée marquée par la médiocre scolarité de son cancre de fils, de répondre perplexe: «Tu ne me feras jamais croire une chose pareille. » Ah ces enfants, tous des menteurs ! Tous les parents n'ont en effet pas l'assurance tranquille du père de famille fier de sa progéniture à l'instar de Gaston Robbe-Grillet qui écrivit à sa femme pour se plaindre d'un méchant critique éreintant leur fils dans le journal Le Monde: « Il n'a rien compris à rien, le pôvre !»
Peur du regard des autres mais aussi peur de l'avenir. «Avec quoi mettras-tu la poule au pot, car on ne vit pas de l'air du temps », s'inquiétera Mme Gide. Même constat trivial chez le père d'Anatole France, qui, en tant que libraire, aurait pu se montrer plus tolérant envers son fils. Cet ingrat qui justement refusa de reprendre l'affaire familiale, d'où ce sévère jugement: «Il barbouille du papier !» Lui au moins le vendait. Car à l'époque, écrire est tout au plus considéré comme une distraction.
La déchéance sociale guette ceux qui se piquent d'écrire et un parent juste est celui qui estime savoir d'emblée ce qui est bon pour l'enfant. «Toi, tu es faite pour le commerce», décrétera Marie Donnadieu à Marguerite. Peine perdue, elle passera outre et, pis, se servira de la figure familiale pour créer son œuvre. «Tu aurais dû attendre ma mort», tranchera sa mère, outrée après la publication d'Un barrage contre le Pacifique. Un vrai nœud de vipères œdipien. Tous n'eurent pas le talent fourbe de François Mauriac, expert en séduction maternelle, qui dédicaça le terrible Genitrix à sa « chère maman, son François qui a été un fils mieux aimé que le héros de ce récit».
Un précieux soutien financier
À la décharge des parents, il faut bien reconnaître que nombre d'écrivains n'auraient pu exercer leur plume sans leur aide financière. Baudelaire et Renard étaient les champions des réclamations en fin de mois et Vitalie Rimbaud, accusée par Arthur d'être «plus inflexible que 73 administrations à casquette de plomb», accepta de financer la publication d'Une saison en enfer. Mais, comme il faut aussi des exceptions, «la mère Rimbe», comme l'appelait son fils, trouva peut-être son contraire en la personne de Sido, la mère de Colette, fidèle soutien et magnanime en toutes circonstances, même lorsque sa fille parut à moitié nue au théâtre. Tout juste s'inquiéta-t-elle de savoir si son Minet Chéri n'avait pas pris froid sur scène…
Amélie Nothomb : «Un enthousiasme gênant»
J'ai très bien élevé mes parents. Ils se sont montrés mieux que polis dès la parution de mon premier livre. À dire vrai, ils sont même si enthousiastes que c'en est parfois gênant. Surtout au Japon. La tradition nippone veut que les parents dénigrent leurs enfants, même si la réussite sociale de ces derniers est flagrante. Au Japon, mes parents semblaient des gens bien éduqués, sauf quand ils parlaient de moi. Je voyais alors les Nippons rire sous cape d'avoir affaire à de tels barbares.
Blandine Le Callet : «Un trait d'union entre nous»
Lorsque j'ai publié mon premier roman, Une pièce montée, mes parents ont été très heureux et très fiers comme tous les parents dont l'enfant réalise un rêve longtemps porté, j'imagine. Cette fierté n'empêchait sans doute pas une part d'appréhension, sachant qu'il s'agissait d'une satire grinçante de la bourgeoisie provinciale ayant pour toile de fond une fête familiale. Avec un sujet pareil, j'aurais pu aisément verser dans l'autofiction, et «régler mes comptes» en nourrissant ma prose des conflits et blessures qui ont tourmenté ma famille. Je crois que mes parents ont été soulagés de voir que ce livre était une vraie fiction qui ne violait pas leur intimité, une satire acerbe de leur milieu, certes, mais où l'humanité et les nuances apportées aux personnages tempéraient la charge. Ce soulagement a en quelque sorte «libéré» leur lecture, et ils m'ont longuement parlé de ce qui les avait touchés dans le roman notamment l'épisode du prêtre, de l'enfant trisomique, et le personnage de Maddy, qui est un hommage à ma grand-mère. En revanche, ils ne m'ont pas dit un mot des rares éléments du roman inspirés de l'histoire familiale parfaitement identifiables par eux, malgré le prisme de la fiction , comme s'ils avaient le souci de ne pas évoquer ce qui pouvait nous toucher de trop près, créer des tensions ou faire polémique. En fait, je crois que mes parents ont souhaité que ce livre soit un trait d'union entre nous, pas un objet de dissension, et c'est très bien comme ça.
Marc Dugain : «Mon père n'a jamais pu me lire»
Mon père est mort quand j'étais jeune. Nous étions très proches. Il était physicien nucléaire et m'a transmis sa vision du monde. Ma plus grande frustration, c'est qu'il n'ait jamais pu me lire. Quand j'écris un livre, la première question que je me pose, c'est : est-ce qu'il en serait content? Mon premier roman, La Chambre des officiers, racontait l'histoire de mon grand-père. Je l'avais d'abord écrit à usage familial, sans intention de le publier. Ma grand-mère est morte quelques semaines après avoir lu le manuscrit, en me remerciant. Elle était stupéfaite que j'ai restitué les choses de façon aussi précise. Ma mère, magistrate, était peu démonstrative. Elle ne faisait jamais de commentaire sur mes livres, me demandant seulement de la prévenir quand je passais à la télévision. J'ai su néanmoins, par d'autres personnes, qu'elle était fière, notamment lorsque La Chambre des officiers a été inscrit au programme scolaire. Elle était heureuse, je crois, aussi, que je ne sois pas un écrivain pseudo branché. Elle m'a été reconnaissante que je ne fasse pas étalage d'histoires personnelles.
Une histoire des parents d'écrivains d'Anne Boquel et Étienne Kern, Flammarion, 318 p., 19 €.
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